Chapitre 33

-Tu te souviens de ce qu'on a dit ? me souffle Casper alors que je me lève lentement de ma chaise. Respiration ventrale. On reste fixé sur son objectif et on ne regarde pas autour, compris ?

Je hoche difficilement de la tête et sens mes jambes flageoler follement. Jasmine me tend mes gants et mon écharpe bleue que j'enroule autour de mon cou en passant sa barrière sonore. À ce moment précis, j'ai l'impression qu'une vague vient percuter mes tympans, rendant quasiment palpable le bruit environnant.

J'inspire un grand coup pour tenter de faire refluer ma peur, mais celle-ci monte à mesure que je descends les marches à la suite de Casper. Elle est une compagne bien connue maintenant et je réussis tant bien que mal à fermer mon esprit aux hystériques de ma maison qui hurlent à s'en décrocher les cordes vocales. Juste une fois, je me permets un regard vers les élèves de Poufsouffle et j'aperçois Arkwood échanger des mornilles avec Bastian. À tous les coups, il parie contre moi, le chacal !

Nous arrivons enfin au bord de l'estrade monumentale sur laquelle nos deux professeurs discutent allègrement. Madame Bibine me gratifie d'un clin d'œil discret au moment où nous passons près d'elles, mais je suis trop concentrée sur mes pas pour faire attention. Gauche, droite, gauche, droite. Ne pas tomber, surtout ne pas tomber. Bomber le torse, placer un sourire confiant si je peux.

Nous finissons de longer la longue aire peinte et Casper me pose à nouveau une main sur l'épaule.

-Ça va être à nous, me dit-il en faisant un petit geste du menton vers mon adversaire.

Celui-ci s'est avancé jusqu'au bord opposé et je le vois poser une bouteille d'eau non loin.

-Tout va bien se passer. Tu fais comme on a dit et il n'y a pas de raison qu'il présente la moindre menace.

Je regarde mon ami en me demandant s'il y croit vraiment à son baratin ou si c'est seulement pour me donner confiance. Dans les deux cas, ce n'est clairement pas efficace, mais je n'ai pas le courage de le lui faire comprendre.

-Si je passe les matchs de poule, je veux mon poids en chocogrenouilles, je réponds tout de même avec un nœud dans la gorge.

Il lève à peine un sourcil et pointe la tribune des professeurs.

-Faudra les réclamer à tes parents, ou aux miens, dans ces cas-là. J'ai pas les finances pour les désirs de diva de Madame.

Je suis son regard et aperçois les membres de la famille Mc Tavish, désormais assis sur les sièges laissés libres près de mes parents.

-Oh non, ne me dit pas que tu les as invités… je gémis en sentant mes épaules s'affaisser.

-C'est pas moi, c'est ton paternel. Par contre, Jacob m'a dit qu'il aurait un peu de retard, alors il espère que tu feras durer le combat pour qu'il ait la chance de te voir combattre.

-T'as ramené tous tes frères aussi ?! T'es un homme mort mec !

Casper se contente de hausser les épaules et nous reportons rapidement notre attention sur le professeur Mc Gonagall qui a levé ses mains en l'air. Elle semble nous faire signe d'avancer et nous sortons nos baguettes pour marcher jusqu'au centre de l'aire.

Je prends conscience, à cet instant, du bruit ambiant que mon cerveau tente de repousser par tous les moyens. Celui-ci semble s'accorder avec le rythme de mon cœur et pulser dans mes veines en même temps que mon sang échauffé. Je crois entendre mon nom crié, mais je suis trop tendue pour y faire attention ; trop attentive à chaque seconde qui crispe mes épaules et me donne envie de fuir.

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Nous nous plaçons face aux deux duellistes de Beauxbâtons et les saluons de nos baguettes sur ordre de notre professeur. Je remarque l'air dur et revêche du petit homme blond face à moi et sens toute sa détermination, alors que la mienne s'est faite la malle depuis longtemps. Je ne prends pas la peine de lui rendre son regard et suis Casper jusqu'au bout de l'aire où il tente de me donner quelques conseils de dernière minute.

-Je sais, lui dis-je pour le couper. Choper la moindre ouverture et faire des contre-attaques fluides, sans dénigrer mes protections. Tu m'as déjà dit tout ça, Casp.

Mon ami a un petit sourire en coin et il pose finalement sa deuxième main sur mon épaule.

-Donne tout ce que t'as Aly. Il n'y a que quand tu t'amuses que tu es la meilleure, et je sais que tu es bien plus forte que tu ne l'imagines.

-Merci de m'avoir mené jusqu'ici, je souffle en sentant ma gorge se serrer davantage. Sans toi et Jasmine, je n'y serais jamais arrivé.

-Pense à remercier Arkwood, également. S'il ne t'avait pas autant cassé les pieds, toutes ces années, tu n'aurais jamais pu rivaliser avec Rabastan aux sélections.

Il me présente un demi-sourire qui se veut matois.

-Depuis quand tu savais ? je lui demande finalement en entendant Madame Bibine parler d'une voix forte. Pour Arkwood, à quel moment est-ce que tu as compris ?

-EN PLACE POUR LE DÉBUT DE LA PREMIÈRE MANCHE !

J'ai l'impression que notre professeur vient de me percer les tympans et je m'écarte rapidement de Casper avant qu'elle ne me hurle à nouveau dessus. Pour sa part, mon ami se dépêche de rejoindre sa place en me laissant seule au bout de l'aire.

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-En garde ! s'exclame le professeur Mc Gonagall.

Je lève ma baguette devant moi, tandis que mon cœur bat à mille à l'heure. En face, le petit duelliste de Beauxbâtons fait de même et semble me fusiller du regard de l'autre côté de l'estrade.

-Allez !

Aussi brusquement que si je plongeais dans l'eau, je sens mes épaules se détendre, mon souffle se calmer et les battements de mon cœur reprendre un rythme normal. Mon cerveau concentre toute son attention sur mon adversaire et repousse le bruit environnant ; ce qui me permet d'analyser froidement les gestes du petit homme en face de moi.

Celui-ci ne perd pas de temps et fait immédiatement virevolter sa baguette pour la braquer sur lui. Je m'attends à peu près à ce qu'il va se passer, mais je prends tout de même une seconde pour apprécier la qualité des enchantements.

Après plusieurs incantations, le jeune homme s'ébroue rapidement et une immense paire d'ailes sombre apparaît sur son dos. Puis, ce sont huit grosses pattes d'araignée qui poussent pour se recourber devant lui et protéger son petit corps. D'un coup de talon sec, il quitte ensuite le plancher des vaches et s'élève à plus de quatre mètres de hauteur en battant sèchement de ses longues ailes.

Des exclamations se font entendre de la part des centaines de spectateurs et je ne peux m'empêcher de sourire devant cette métamorphose impeccablement réalisée. Mais je suis là pour me battre, alors je lève à mon tour ma baguette et décide de la stratégie à adopter.

Pour vous figurer, il y a une assez grande différence entre se battre contre un élève entre deux couloirs et entamer un duel règlementé et arbitré. Cette différence, c'est le temps de préparation. Ce combat, je le prépare depuis des mois et des mois, même si je ne connaissais rien de mon adversaire. Avec Jasmine et Casper, nous avons monté différentes stratégies, éprouvé leurs limites, leurs difficultés d'application et même le temps de réaction de chacun de mes gestes. Par conséquent, je sais absolument comment réagir en fonction de chaque mouvement effectué par mon concurrent. Le problème est qu'il a, lui aussi, rodé sa stratégie et ce combat déterminera donc qui de nous deux possède la meilleure.

-Spirifrigus !

La température autour de nous se met à descendre à toute allure et j'accentue mon emprise sur le sort pour faire geler le parquet ainsi que l'air nous environnant. Ce sort m'est devenu si naturel avec le temps, que je n'ai pas besoin de me concentrer excessivement pour que le zéro soit atteint et que la température descende rapidement dans le négatif. Autour de nous, je vois la barrière magique ceignant notre aire grésiller et de larges fleurs de givre se glisser sur les parois translucides de la protection.

Mais mon adversaire ne me laisse pas continuer tranquillement, puisqu'il s'agite dans les airs en tissant une large toile d'araignée de ses huit pattes arachnéennes. Il la lance ensuite dans ma direction et elle tombe vers moi à grande vitesse. De là où je suis, je vois les épais fils entremêlés se déployer dans les airs telle une gigantesque fleur ajourée, suintant une substance poisse.

-Ventum Ventum !

Je crée un bref tourbillon du bout de ma baguette et le jette vers la toile en le couplant avec un nouveau Spirifrifus. Celui-ci percute les fils avec force, mais n'est pas assez efficace pour les repousser efficacement. De toutes les façons, ce n'était pas mon but.

Enfin, la toile arrive et, au moment où elle s'abat sur moi, je jette le plus puissant Diffindo que je puisse créer. Dans un bruit de verre brisé, le tissage, désormais gelé à cœur, explose en projetant des milliers d'éclats de glace autour de moi. Mon écharpe cache mon sourire satisfait, mais je ne m'attarde et m'attelle à geler davantage l'aire de combat.

Agacé, le combattant de Beauxbâtons effectue plusieurs coups d'ailes rageurs pour se maintenir en hauteur et il m'envoie par la suite une seconde toile, plus large que la précédente. Je la détruis aussi aisément que la première, puis, il en lance une troisième et une quatrième qui finissent comme leurs consœurs. Je le vois vite s'arrêter lorsqu'il comprend que la manœuvre est vaine et il jette alors des coups d'œil autour de lui.

C'est à cet instant où le froid commence à atteindre un stade critique - et que je sens moi-même mes doigts se glacer sous mes gants en peau de dragon - que le jeune homme commence à comprendre où je veux en venir. Avec satisfaction, je vois ses ailes se couvrir doucement mais sûrement d'une fine pellicule blanche et leurs battements ralentir sensiblement. Une épaisse buée se forme également devant sa bouche à chaque expiration et ses joues commencent à rougir sous le froid.

Pour ma part, je m'applique plusieurs Corpocalor qui m'aident à garder de la mobilité dans les membres, en espérant vivement que les siens ne soient pas aussi efficaces. Je le vois d'ailleurs qui effectue plusieurs rotations en hauteur pour essayer de dégager la glace qui se forme peu à peu sur ses plumes. Il peine néanmoins à garder son altitude initiale et c'est là que j'entame mon second mouvement.

D'un geste sec, je retire mon écharpe de mon cou et la jette en l'air.

-Ad como !

Avant même qu'elle n'ait le temps de tomber à terre, mon sort la touche et l'intégralité des fils de laine se détressent brusquement en s'élevant dans l'air glacé. D'un Wingardium agile, je les fais s'éparpiller sur toute l'aire et ils sont vite recouverts d'une épaisse couche de gel lorsqu'ils touchent le sol.

Mon adversaire est trop occupé à atterrir sans dommage pour s'inquiéter de mon sort mineur et il pointe rapidement sa baguette sur lui-même. Soudain, ses pattes et ses ailes disparaissent et quatre gros tentacules de poulpes poussent à leur place.

Un rire nerveux me secoue, mais il s'étouffe dans ma gorge quand un des bras ondule méchamment jusqu'à moi. D'un bond souple, j'esquive le membre gluant et saute à terre pour effectuer une roulade en manquant de cabaner sur les fesses. Un second se précipite ensuite à ma rencontre et je n'ai que le temps de lever un Protego. Celui-ci explose et le tentacule agressif me projette durement quelques mètres en arrière.

Autour de moi, j'entends la foule crier et ce n'est qu'en relevant les yeux, que je comprends pourquoi. Avec une force décuplée, le troisième bras s'écrase sur le parquet à l'endroit exact où je me tenais une seconde auparavant. Puis, il se relève et essaye de me repousser hors de l'aire.

D'un bond souple, je saute par-dessus le membre couvert de ventouses luisantes et lance un Diffindo sur l'un d'eux. Il l'évite avec habileté mais, ce faisant, les trois appendices s'éloignent légèrement de moi et j'obtiens enfin l'ouverture dont j'avais besoin.

-Ad Vitam !

Avec une promptitude décuplée par l'adrénaline, mon sort s'active et les centaines de fils de laine sortent de leur gangue gelée. Ils sinuent jusqu'aux petites jambes de mon adversaire, semblant animés d'une vie propre, et s'enroulent autour de ses pieds.

Il faut trois bonnes secondes au combattant de Beauxbâtons pour comprendre ce qu'il se passe et la laine a entièrement recouvert ses mollets au moment où il baisse les yeux. Ses tentacules ne sont pas en reste car, tout en les esquivant habilement, je les repousse vers le sol afin qu'ils soient entravés à leur tour. Il me faut toute ma concentration pour maintenir mon enchantement et j'entends le jeune homme jurer en français. Ses exclamations rageuses ponctuent chaque sort de découpe inefficace qu'il tente face à la glace couvrant la laine.

C'est maintenant à moi d'agir et je jette un premier Stupéfix vers mon adversaire. Celui-ci ne se laisse pas avoir et lève un Protego au dernier moment. Cette fois-ci, c'est moi qui jure et j'enchaine avec un Expelliarmus qu'il dévie d'un geste furieux.

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Vous le comprenez sans doute aisément, mais, en duel de magie, tout est question de feinter, entraver et distraire son adversaire pour réussir à placer un sort. Car, à partir du moment où vous réussissez à toucher votre ennemi, vous remportez la victoire. Toute cette poudre aux yeux, tous ces sorts de contrôle et de métamorphose ne sont là que pour offrir au lanceur l'ouverture nécessaire pour un simple stupéfix qui mettra fin au combat.

Agacée de ne pouvoir le toucher, je lève ma baguette et effectue plusieurs mouvements du poignet afin de faire tomber une pluie diluvienne sur mon adversaire. Celui-ci est toujours empêtré dans la laine et il tente à plusieurs reprises de dégeler ses pieds par des sorts de feu. Intérieurement, je ris.

Et oui mon coco ! Des mois à me battre contre Rabastan - pour qui la manipulation du feu est une seconde nature - tu penses bien que ça fait longtemps que j'ai mis mes sorts au point pour qu'ils ne soient pas aussi facilement contrés !

-Tempesnix !

Les grosses gouttes d'eau tombant avec force autour du jeune homme se transforment vite en neige, puis en grêlons compact qui rebondissent sur le sol gelé. Des cris de douleur retentissent de la part de mon adversaire, mais je ne m'arrête pas. Je le vois d'ailleurs vite faire disparaître ses tentacules et une large tête d'ours polaire vient remplacer la sienne. Je remarque également deux épaisses pattes griffues, mais j'ai la satisfaction de noter que ses jambes sont restées humaines. Malgré tous ses talents de métamorphe, il ne peut modifier son corps lorsqu'il n'a pas la place nécessaire. Parfait.

Un vent de plus en plus fort agite les poils recouvrant le front animal du jeune homme et un rugissement menaçant sort de sa gueule grande ouverte. Avec une rage palpable, il tente ensuite de briser ses entraves de ses longues griffes acérées.

Le voyant bientôt y parvenir, je décide de mon prochain mouvement dans la précipitation. D'un très large mouvement de baguette, je dirige alors le vent et la glace vers mon adversaire. Les milliers de grêlons viennent se coller à son corps hybride et, grâce au sort piqué à Visper, je m'emploie à le recouvrir encore et encore jusqu'à ce que seuls ses épais bras poilus soient encore visibles sous la pyramide de glace. Avec un dernier Spirifrigus qui me pompe toute mon énergie, je fige définitivement le combattant dans un sarcophage immaculé duquel il n'a plus aucune chance de sortir.

Le gong sonne.

J'ai gagné la première manche.

Des cris de joie retentissent dans toute l'arène lorsque je sors de l'aire et Casper me regarde venir vers lui, les mains dans les poches. Pour ma part, je suis vidée et j'ai les jambes qui flageolent, malgré mon sang qui bat à mes oreilles.

-Excellent timing pour l'entrave, me dit mon ami en faisant apparaître une chaise sur laquelle je m'abats. Si tu avais attendu une seconde de plus face aux tentacules, il aurait réussi à placer un coup plus puissant et je ne pense pas que tu aurais réussis à prendre la main aussi facilement.

Je ne réponds rien et accepte la bouteille d'eau qu'il me tend. Une fois désaltérée, Casper s'accroupit devant moi et sa mine se fait sérieuse.

-Tu te souviens de ce qu'on a prévu pour la suite ? me demande-t-il en attrapant les gants que je lui tends.

-Aucun problème, Casp. Mais je pense qu'il va venir au corps à corps pour ce coup-là. Je pense même que c'est ce qu'il avait prévu de faire après s'être posé, mais que je l'en ai empêché.

-Ouais, je pense pareil. N'oublie surtout pas la respiration ventrale pour ne pas te battre en apnée.

-Je m'en rappelle, mais tu sais bien que je ne suis pas à l'aise avec le prochain élément.

-Oui. Tu as calculé le temps entre chaque métamorphose ?

-Trois secondes et demie.

-C'est Christian qui dit que deux c'est bien, mais que trois c'est déjà trop, nan ?

-Je ne suis pas la seule à écouter mon père, à ce que je vois.

Mon ami me sourit et serre brièvement mon épaule en guise d'encouragement. Puis, le second gong sonne et je me relève pour me diriger au bout de l'aire. Je remonte machinalement mes manches jusqu'aux coudes et replie le col de mon pull en voyant mon adversaire faire chauffer ses petites épaules.

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-En garde ! s'exclame le professeur Mc Gonagall en jetant un œil sévère à chacun d'entre nous.

-Allez !

Mon adversaire n'attend pas plus et agite sa baguette au-dessus de sa tête. Au bout de trois secondes et demie, des cornes de bouc apparaissent sur sa tête et sa paire d'ailes pousse à nouveau dans son dos. Puis, ce sont deux énormes pattes d'éléphant qui viennent remplacer ses petites jambes.

Je déglutis et comprends immédiatement sa stratégie de base. Très bien, j'ai ce qu'il lui faut.

Pour ma part, j'ai en effet profité de ce laps de temps pour préparer discrètement le terrain. D'un dernier coup de baguette, je matérialise plusieurs lignes de feu qui viennent sinuer autour de l'aire en créant un cadre de flamme chauffant instantanément l'atmosphère.

Décidé à me laisser le moins de temps possible pour me préparer, le duelliste de Beauxbâtons s'élève dans les airs d'un bond rapide et ses larges ailes battent puissamment pour le faire monter plus haut qu'auparavant.

Bien.

Je me frotte intérieurement les mains en me disant que mon ennemi est agréablement prévisible, mais suis trop concentrée pour sourire. Je le vois ensuite effectuer une trajectoire en cloche et, enfin, descendre en piqué vers moi, pattes en avant, prêt à m'écraser sous son point éléphantesque.

Mes épaules se tendent, mes jambes se plient légèrement, mon équilibre se déplace vers l'avant et je cesse de cligner des yeux pour fixer l'homme me tombant dessus. Mais je ne dois pas bouger. Pas encore, pas avant qu'il ne soit assez proche pour ne plus pouvoir changer de direction.

Je le vois qui file vers ma position en avalant les mètres et remarque que sa peau est maintenant recouverte de fines écailles, à l'instar de celle d'un serpent. Lorsqu'il n'est plus qu'à deux mètres et que sa vitesse est suffisante pour écraser mon corps fragile contre le parquet, je me jette en avant. Je saute ainsi le plus loin possible de son point d'impact, mais rebondis tout de même durement contre le sol inhospitalier.

J'ai le temps d'entendre les hurlements de la foule alentour, avant que le demi pachyderme ne s'écrase sur l'aire. Je crois que tout le monde s'attendait à entendre le fracas monstrueux du bois explosé sous la force ; mais j'ai conscience que je vais les décevoir. Car, pour ma part, j'ai la satisfaction de ne percevoir qu'un bruit mat et légèrement spongieux.

-MERDE !

Je ne connais rien à la langue française, mais dix gallions que c'est un juron !

Avec de grands gestes désordonnés, mon adversaire s'agite maintenant pour essayer de se dégager des sables mouvants que j'ai matérialisés et cachés sous une illusion basique.

-Fornacem !

Ma langue de feu vient vite ceindre la large mare de sable friable et brûler joyeusement autour du jeune homme. Je vois celui-ci agiter ses ailes avec frénésie et tenter par tous les moyens de s'élever du sol fluide, tout en faisant disparaître ses jambes trop lourdes pour lui.

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Mais savez-vous que la chaleur est le pire ennemi des oiseaux ? Même si tout grand aigle sait planer sur les courants ascendants qui se glissent entre les monts, il n'en est pas de même lors du décollage. Car, voyez-vous, plus l'air est chaud et moins il est dense à cause de l'activité frénétique des atomes d'azote et d'oxygène. C'est pourquoi, n'importe quel volatile peine à battre des ailes de manière efficace passé vingt-cinq degrés et qu'il a plus de chance de rester bloqué sur terre, à la merci des grands prédateurs.

Et il fait, quoi… trente degrés sur cette aire ? Oui, je dirais ça.

D'un mouvement sec de baguette, j'accentue mes flammes et fait monter davantage la température en voyant mon adversaire s'enfoncer petit à petit dans le sable vorace. Je sens de la sueur perler sur mes tempes et passe une paume sur mon front pour ne pas qu'elle tombe dans mes yeux. À cet instant, j'aimerais lancer un clin d'œil à Arkwood pour m'excuser de lui avoir outrageusement volé son sort, mais une nouvelle métamorphose de mon adversaire me force à me concentrer.

Celui-ci fait disparaître ses cornes et une gigantesque trompe d'éléphant se matérialise sur son visage. J'anticipe alors aisément son prochain mouvement et manque de rire à gorge déployée. Comme prévu, il déverse autour de lui plusieurs dizaines de litres d'eau, dans le but évident d'éteindre les flammes, et je le laisse faire avec un sourire beaucoup trop évident. Une fois le sable détrempé et l'intégralité de mon feu noyé, je vois le jeune homme battre des ailes avec force et je lance mon dernier sort à une vitesse prodigieuse.

-Spirifrigus !

L'eau gèle instantanément. La centaine de litres blanchit à vue d'œil en se propageant au sable gorgé, allant jusqu'aux jambes de mon adversaire qui se retrouve brusquement entravé. Puis, ses vêtements trempés se solidifient à leur tour et d'immenses fleurs de gel se répandent sur ses ailes mouillées. Elles montent ensuite jusqu'à sa trompe qui cesse enfin de s'agiter et un dernier cri de rage sort de sa gorge, avant que ma splendide sculpture de glace ne soit finalisée.

Le gong sonne.

Avec un grand sourire, je m'écroule à terre, drainée de toute cette magie que j'ai puisée pour insuffler mon sort. Des cris de joie et des applaudissements tonitruants retentissent à mes oreilles bourdonnantes, mais je ne sens que les mains de Casper m'aider à me remettre sur mes pieds. Celui-ci m'adresse un très large sourire et me prend dans ses bras, pour me donner de grandes claques satisfaites dans le dos.

Je me sens vite ballotée et comprends que c'est Jasmine qui nous a sautés au cou, sans que je ne sache comment elle a eu le droit de descendre sur l'estrade. Elle sautille sans vouloir s'arrêter et j'ai l'impression que ma tête va se décrocher de mes épaules si elle continue.

Un second gong sonne et j'entends le professeur Mc Gonagall me déclarer vainqueur. Mme Bibine, quant à elle, s'attelle à mettre fin aux enchantements afin de libérer Sébastien Morel. Une fois décongelé, celui-ci ne nous adresse pas un regard et rejoint son second qui l'accompagne jusqu'aux élèves de leur école.

-Bravo à tous ! s'exclame notre directeur en se levant de son fauteuil et en levant les mains devant lui.

Ses paroles ont le mérite de calmer la foule et nous nous tournons tous trois vers le vieil homme arborant un large sourire.

-Cette première journée de duels se termine et je remercie nos combattants pour le beau spectacle qu'ils nous ont présenté. Encore bravo et à demain pour la suite de cette compétition !

De chauds applaudissements retentissent à nouveau et les élèves de Serdaigle ne tardent pas à se déverser sur l'estrade dans des cris à vous rendre définitivement sourd. Nous les laissons me féliciter et filer hors de l'arène pour profiter du temps radieux.

Casper nous fait ensuite signe de le suivre et nous marchons tous trois bras-dessus bras-dessous jusqu'à la tribune des invités où je suis accueillie par les sifflets bruyants des quatre frères Mc Tavish. Ma sœur me saute également au cou et la mère de Casper, une petite femme énergique, m'ébouriffe les cheveux avec un grand sourire. Puis, c'est au tour de son père, une force de la nature quasiment aussi grand que notre garde-chasse - la barbe en moins - et du miens de me remercier pour le spectacle. Ils partent d'ailleurs rapidement dans une discussion à bâtons rompus sur l'utilisation des poings en duel et je suis sauvée par Jacob.

-C'est une honte, me dit le jeune homme de vingt-quatre ans à la chevelure châtain claire. Pourquoi est-ce que c'est mon frère qui côtoie les filles les plus fortiches et pas moi ?

Je ne réponds rien à ce coureur de jupon invétéré et laisse Casper lui donner un coup de coude dans les côtes qui ne fait même pas vaciller son sourire charmeur.

-Bravo, Aly, intervient William, le plus jeune des frères d'à peine dix ans. Tu m'apprendras le sort du feu cet été ?! me demande-t-il avec un large sourire qui illumine ses grands yeux verts.

Son frère aîné ébouriffe ses cheveux en bataille couleur paille et Peter et Philip viennent également me féliciter alors que ma mère discute avec Mme Mc Tavish. C'est donc dans un joyeux bordel que nous quittons l'arène tous ensemble et que nous allons nous installer au soleil dans le parc, après avoir fait apparaître des transats. À l'autre bout de la pelouse, j'aperçois Rabastan discuter avec ce qui semble être ses parents et devine ceux de Galaad également. Ils font bien moins de bruits que notre petite troupe excitée et il me prend l'envie de proposer à nos amis de nous rejoindre.

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C'est mon père qui me tire de mes réflexions en venant s'asseoir entre Soneïs et moi. Il fait apparaître un fauteuil de bureau bien moldu et semble presque sourire en nous regardant tour à tour.

-Je suis fier de mes filles, nous dit-il de sa grosse voix grave. Vous faites toutes deux honneur à la famille Tio et honorez vos ancêtres espagnols.

-C'est à Aly qu'il faut attribuer toutes les louanges, papa. Pas à moi, lui répond ma sœur, amusée.

-T'as vu ses notes de merde ? Manquerait plus qu'elle récupère tous les honneurs ! Non, vous êtes toutes les deux mes perles, même si vous excellez dans des domaines bien différents chacune d'entre vous.

-Bien sûr, s'incruste le père de Casper en s'asseyant dans un trône moelleux à mes côtés. Ma proposition d'adoption tient toujours, petite Alya.

Je rigole en me souvenant que c'est la dixième fois qu'il essaye de nous convaincre, moi ou Soneïs, de rejoindre sa famille. Assis dans l'herbe, Philip râle en parlant de favoritisme mais William lui saute dans les bras pour le faire taire.

Le soleil finit par descendre progressivement sur l'horizon et nous disons au revoir à nos parents qui prennent rapidement le chemin de Pré-au-Lard afin de transplaner jusqu'à chez eux.

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-Fais pas cette tête, Alya, me dit Casper en nous faisant signe de le suivre jusqu'au château. Ils reviendront demain.

-C'est bien ça qui m'ennuie, je grogne en croisant le regard confiant de ma sœur. Je n'ai aucune idée de comment s'y prend mon prochain adversaire pour arrêter le temps sur l'aire et, en plus, on n'a pas pu analyser son style de combat.

-C'était clairement son but, renchérit Jasmine en cherchant naturellement Rabastan du regard. Mais on a étudié toutes les possibilités d'adversaires ces trois derniers mois, alors il n'y a aucune raison pour que tu ne t'en sortes pas !

-On n'a jamais imaginé qu'un gars réussirait à figer ses adversaires et toute l'assemblée d'un simple sort même pas décelable ! J'ai beau relire mes parchemins de révision, tu ne m'a rien noté là-dessus.

Mon amie fronce son petit nez et me présente une moue irritée. Pour ma part, je continue ma marche à travers la pelouse encore pleine d'élèves qui se lèvent progressivement pour aller manger. J'aperçois même le copain de ma sœur qui reste à bonne distance et j'hésite à montrer les dents.

Nous arrivons finalement en vue du hall d'entrée et croisons la famille Yaxley et Rowle qui suintent littéralement la richesse et le dédain pour autrui. Avec un petit rire, je remarque l'air coincé du petit frère de Rabastan et me dit que nos amis reviennent de loin. Aaron, quant à lui, est occupé à discuter avec la jolie métisse de Gryffondor, un peu à l'écart, et je regrette de ne pas voir la tête de Caussman à cet instant-là. Oui, je suis sadique et j'adore ça !

C'est finalement Viviane qui croise notre regard au moment où nous arrivons à leur hauteur et je la vois donner un coup de coude discret à son frère qui prévient également Rabastan. Monsieur et Madame Rowle saisissent tout à fait le regard discret que nous envoie leur fils, mais je garde un sourire à toute épreuve. Ce n'est qu'une fois qu'ils ont détourné leur air méprisant de nous, que je fais un signe du pouce à notre ami pour lui désigner les étages du château.

Il me répond d'un hochement sec de la tête et je lis sur ses lèvres un "après manger" qui me tire un sourire de satisfaction.