Bonsoir ! On est samedi, jour de la publication d'un nouvel épisode ! Vous verrez dans celui-ci les pires défauts de Mary en action. J'ai essayé de me mettre totalement dans la peau de ce personnage plein de préjugés pour écrire, alors j'espère que cela sera réussi.
Ceux qui suivent régulièrement cette fic savent que je travaille en collaboration avec ma meilleure amie Ornythorinquement-moi, qui a pris le temps de m'écrire un petit passage à la fin. Je vous préviens que le style est totalement différent, et cherche à ressembler à une forme de stream of consciousness, comme chez Virginia Woolf par exemple. En gros, c'est une entrée directe dans les pensées d'un personnage selon un flux de pensée. Dites-moi si ce n'est pas clair. J'espère que vous apprécierez tout autant que moi ce petit changement de style.
Bonne lecture !
« Non mais vous vous rendez compte. Monsieur est là à se pavaner dans son bureau, se permet de me faire attendre trois-quarts d'heure dans son immense vestibule, se permet en même temps d'être désagréable avec sa secrétaire comme s'il était un prince d'Arabie tout cela pour me dire « Que puis-je faire pour vous ? » En plus il portait un horrible costume trois-pièces, tout ce que je déteste. Et puis son air suffisant et arrogant, comme s'il était fier d'avoir collaboré et de ne devoir son bureau démesuré qu'à du piston ! »
J'étais attablée avec Blaise et Amber devant un gin-tonic, en équilibre sur un rooftop. Nous nous étions donnés rendez-vous à l'une de ces innombrables soirées huppées, organisée par un de ces détestables nouveaux riches de l'après-guerre. Blaise m'avait envoyé un carton d'invitation, et j'étais ravie de voir Amber, qui depuis quelque temps, répondait rarement à mes hiboux. Elle qui était d'habitude si impressionnante, le semblait encore plus ce soir. L'aura lunaire qu'elle dégageait se faisait glaciale et l'ambiance était plutôt amère ce soir-là. En plus, je détestais le gin-tonic. J'entrepris de raconter à mes amis les « retrouvailles », si on pouvait appeler cela ainsi, entre Nott et moi.
« Blaise, tu m'avais dit que Nott voulait me voir. Je ne sais pas où tu as déniché cette information parce que je n'ai jamais vu quelqu'un qui semblait si indifférent à ma présence. Il était si formel, et si rigide ! Il était engoncé dans un costume comme un pingouin
(Blaise me fit remarquer que c'était bien un pingouin, et je pensais qu'Opale serait d'accord avec lui, mais je balayai sa remarque d'un revers de la main).
« Et puis tous ces bibelots sur le bureau, si bien époussetés, comme un maniaque du ménage ! Il aurait pu finir par me rendre folle. Oh et d'ailleurs, Blaise, ras le bol d'interroger des Serpentards. Ils sont tous plus arrogants les uns que les autres. On dirait qu'ils sont fiers d'avoir collaboré. Et ensuite, ils se glissent partout dans les couloirs du Ministère et je suis censée continuer à les interroger ? Je me fiche bien de savoir s'ils sont traumatisés ou non par la guerre. C'est eux qui l'ont provoqué ! Alors si cette saloperie de Greengrass a du mal à dormir, je ne veux pas en entendre parler. Qu'elle aille se faire voir, elle et tous ses petits amis Serpentards et collabos. Saloperie de Sang-Pur. »
J'avais beaucoup bu et n'avais pas prêté attention à la froideur qui s'imprégnait sur le visage d'Amber. Zabini ne disait rien, mais l'ambiance commençait à se faire pesante. J'attendais que Zabini blague pour détendre l'atmosphère, comme il savait si bien le faire, mais il n'en fit rien et se mura dans un profond silence crispé. Le gin-tonic me semblait encore plus amer que d'habitude. Et soudain, Amber, lasse de contenir sa fureur, rejeta en arrière ses cheveux noirs et denses, et explosa. Ses pupilles noires se dilatèrent, et ses grands airs me firent presque peur.
« Tout ce que tu sais dire Mary, c'est que les Serpentards et les Sangs-Purs sont des Mangemorts. Tes articles ne parlent que de ça, et avec ta fiche enquête, tu vas en arriver aux mêmes conclusions. Tu n'as pas un peu grandi, un peu appris ? Tu me rappelles le petit deuxième année qui avait collé des posters « A bas les Serpentards » dans tout Poudlard » dit-elle avec tout le mépris que son regard pouvait exprimer.
« Ras le bol de t'entendre parler de Nott uniquement pour le dénigrer alors que c'était ton meilleur ami, si ce n'est plus. Si tu n'es pas capable de pardonner à Nott, alors fais une croix sur lui et arrête de nous en parler à tort et à travers. Et puis t'as beaucoup de culot pour venir dire devant Zabini et moi que tu détestes les Serpentards et les Sangs-purs. La famille Shaw, ma propre famille, n'est rien d'autre qu'une des familles de Sang-Pur les plus importantes. Tu crois qu'on a collaboré pour ça ? Au contraire, nous avons fait partie des membres les plus actifs de l'Ordre du Phénix. Alors arrête un peu tes amalgames de gamine, apprends à nuancer bordel », continua-t-elle. Elle avait de plus en plus de mal à se contenir
« Si tu veux t'avancer sur ce sujet-là Amber, on va en parler des nuances. Pourquoi est-ce que tu te sens agressée personnellement dès que l'on se met à parler de Sang-Purs ? Tu as quelque chose à te reprocher ? répliquai-je, comme enragée
« Mary, ferme-la », dit Zabini d'un ton tranchant. C'était la première fois qu'il me parlait ainsi.
« Blaise a raison, ferme-la. Tu passes ton temps à envenimer les choses et d'ailleurs c'est tout ce que tu fais dans tes articles. Il est loin, le temps des bons reportages sur Potterveille. Maintenant, tu ne fais que diviser, diviser, et encore diviser. Quant à Daphné, je t'interdis de l'appeler LA Greengrass. Tu peux utiliser son nom de famille, mais pas pour la dénigrer comme cela. Elle aussi s'est amendée, comme Malefoy, et c'est maintenant mon amie », reprit Amber, plus décidée que jamais.
« Malefoy, vous n'avez que ce mot à la bouche, comme si vous étiez ravis de m'avoir découvert une faille. Mais moi aussi j'ai des sentiments, ce qui ne m'empêche pas de garder l'esprit clair. De toute façon, Amber, tu ne peux pas comprendre ce que cela fait, de perdre deux amis chers, d'être trahie par eux, et d'avoir dû te battre contre eux. Le seul ici qui puisse comprendre cette douleur, c'est Blaise. Toi, tu n'as rien à voir là-dedans, et ce n'est pas ta place de petite amie attitrée du grand Blaise Zabini qui changera les choses. »
Blaise passa la main dans ses boucles et me regarda droit dans les yeux, le visage fermé.
« Mary tu es proprement incapable de faire le deuil du passé. J'ai revu Théo, et j'ai revu Opale. Tu fais complètement fausse route à leur sujet. Tu n'as aucune idée de ce qu'ils ont fait pendant la guerre, et pendant le temps où ils étaient cachés. Moi je le sais, mais ce n'est pas à moi de te le dire. Ils sont redevenus mes amis. On a souffert, quand ils sont partis, mais maintenant qu'ils ont refait surface, il ne reste plus qu'à rattraper le temps perdu. »
« Au lieu de continuer à les traiter de collabos », siffla Amber.
« Alors ça y est Blaise, tu as revu Opale, tu lui as pardonné le fait qu'elle soit partie alors que tu m'avais dit il y a quelque temps que cela serait difficile ? Ça y est, elle est devenue ta meilleure amie maintenant, et vous couchez ensemble parce que c'est tout ce que tu sais faire, coucher avec les gens ? Tu fais des petites orgies avec Amber, Daphné et Opale ? Je n'oublierai jamais qu'elle m'a abandonnée. »
A ces mots, Blaise se contenta de tourner les talons et transplana quelque mètres plus loin.
« Encore une fois, Mary, tu fais fausse route, et tes provocations ne mènent à rien. Si ton but est de blesser les gens, c'est réussi. Merci pour Blaise, on ne peut pas dire que tu sois une bonne amie. D'ailleurs, à propos de ça, Daphné est devenue très amie avec Opale.
La dernière phrase d'Amber me fit l'effet d'un seau d'eau glacé. J'étais sûre qu'elle savourait la stupéfaction que l'on pouvait lire dans mes yeux. Amber parlait peu, mais bien, et chacune de ses remarques étaient tranchantes. On pouvait dire qu'elle venait de m'asséner le coup de grâce. J'étais trop interdite pour répliquer quoi que ce soit et ma compagne profita de ce moment d'accalmie pour tourner les talons, à la manière de Zabini, me laissant seule avec cette nouvelle.
Daphné Greengrass, amie avec Opale ? Même dans un monde parallèle, je n'aurais jamais imaginé cette possibilité. Du plus loin que je m'en souvienne, Opale et Daphné s'était toujours détestées. Opale ne supportait pas les manières affectées de la Greengrass, que je continuerai à appeler comme cela, peu importaient les remarques d'Amber. Daphné, en bonne Serpentard, détestait Opale pour des motifs qui m'étaient inconnus. Mon esprit était totalement embué par ces gin-tonic trop amers, mais je me souvenais vaguement qu'elles s'étaient brouillées lors d'un salon de danse destiné aux Sang-Purs. Je pense que Daphnée n'arrivait pas à accepter le côté très libre d'Opale, qui n'avait « aucune notion de son rang », selon les propres mots de mon ennemie. Je me souvins que cette inimitié s'était transformée en haine à partir du moment où Zabini avait commencé à sortir avec Opale. Et cela avait atteint son point culminant lors du bal et de la fameuse bataille de boue qu'Opale avait remportée haut la main.
Mais mes tentatives pour essayer de restituer du sens à cette haine étaient vaines comparées à la rage qui me saisissait. Je bouillonnai de l'intérieur et je me sentais prête à couvrir de boue la Greengrass si jamais je la revoyais. Opale avait réapparu. Je me répétais cette phrase en boucle. Opale avait réapparu et Opale était devenue amie avec Daphné Greengrass. Opale avait cette fois récupéré la notion de son rang. Elle m'avait abandonnée, n'avait jamais répondu à mes lettres, n'avait jamais cherché à me revoir, et elle pactisait maintenant avec notre pire ennemie. Une Opale amie avec cette Serpentard ne pouvait définitivement pas être la meilleure amie que je n'ai jamais eue. Opale m'avait trahi un bon nombre de fois, et ce n'était pas un caillou vaguement lumineux et une peluche pingouin qui allaient arranger les choses. D'ailleurs, cela faisait longtemps que je ne transportais plus ce caillou dans ma poche je ne savais même pas s'il produisait encore de faibles rayons. Cette amitié avec Daphné était une trahison suprême. En pactisant avec l'ennemi, Opale crachait sur l'amitié qui nous avait unie, qui s'était construite autour d'une passion commune : choquer les Sang-Purs.
J'étais tellement en colère, tellement déçue, qu'il me semblait que le verre que je tenais entre mes mains allaient m'exploser dans les doigts. J'avais envie de crier, de hurler comme une démente. Au moment où je retrouvais la meilleure amie que je n'avais jamais eu, après six ans d'absence, de questions sans réponses, de larmes, de crises de nerfs, j'apprenais qu'elle avait complètement changé. Rien ne pourrait plus jamais être comme avant. J'avais perdu Opale une deuxième fois. J'explosai en sanglots bruyants, tentant de calmer ma respiration. Je quittai la soirée, les yeux enflés, et me décidai à marcher pour contenir ma rage et mon désespoir. Opale, Théo, Blaise, si vous saviez comme j'ai peur d'être abandonnée.
Curieusement, mes pas me menèrent vers le nord de Londres. Je titubai, perdue entre les pleurs et l'alcool. Mes pensées étaient comme voilées par le gin-tonic, mais progressivement, je me souvins de la dispute qui avait eu lieu entre Amber, Blaise et moi. Une colère folle s'empara de nouveau de moi. J'étais exaspérée que tout le monde se permette de critiquer mes articles et de les traiter d'articles à scandales, alors que je me donnais tellement de mal pour les écrire. Personne ne semblait vouloir reconnaitre mon travail à sa juste valeur. J'étais déçue de voir qu'Amber faisait partie de ces personnes qui désavouaient mes reportages. Quant à la critique qui avait été faite de mon enquête, elle était infondée. J'avais, il me semblait, réussi à prouver, en interrogeant quelques foutus Serpentard, qu'il s'agissait d'une enquête sérieuse et sans animosité, et ce ne fut pas une chose facile. J'avais même poussé le vice jusqu'à questionner Nott ! « Apprendre la nuance »…mais il n'y avait pas de nuance à avoir ! Le monde magique était divisé, ce n'était quand même pas de ma faute si la majorité des Mangemorts étaient des Sang-Purs et d'anciens Serpentards ! Et puis tous ces gens qui se sentaient visés à chacun de mes articles, alors que ce n'était pas le cas…je n'avais jamais mis la famille Shaw dans le même panier que les Lestrange ! Pourquoi tout le monde refusait-il de se rendre à l'évidence ? Et cette manie d'invoquer Malefoy pour me déstabiliser ! Cela me rendait folle de rage.
Je repensais aux paroles de Zabini « Tu es incapable de faire le deuil du passé ». C'était vrai. Mais était-il possible de faire le deuil d'un passé aussi douloureux ? Tout le monde n'est pas en mesure de pardonner ou d'oublier. Je ne comprenais pas pourquoi il tenait tant à me rappeler aux bons souvenirs de Nott et d'Opale. Notre histoire s'était arrêtée le jour où j'avais compris qu'Opale ne serait pas dans ce fameux train en sixième année, le soir où j'avais vu que Nott n'était pas à sa place habituelle à la table des Serpentards. Blaise et Amber n'avait aucune idée de la détresse dans laquelle j'avais vécu, ils ne savaient pas à quel point mes souvenirs me hantaient, combien j'avais pleuré le départ de mes amis, comme j'avais eu peur pour eux. Non, décidemment, ils ne pouvaient pas réussir à le comprendre. Ils avaient réussi à se reconstruire, à tirer un trait sur le passé. Ce n'était pas mon cas.
Alors, furieuse à l'idée qu'Opale soit devenue amie avec Daphnée, furieuse en repensant à ma dispute avec Amber, je décidai brusquement, puisque je marchais dans le nord de Londres, d'aller rendre visite à Opale. Ce ne serait pas une visite de courtoisie. Je voulais la confronter, enfin. Je marchais d'un pas décidé quoique chancelant dans la rue où se tenait Le Nid Douillet.
Si j'avais été moins saoule et moins en colère, j'aurais pu remarquer que l'enseigne de la pâtisserie d'Opale offrait l'image d'un pingouin au long nez dans un nid de caillou. En entrant dans la pièce, j'aurais pu voir à quel point l'espace était confortablement aménagé. Des centaines de livres étaient rangés dans d'immenses étagères, et des échelles, disséminées un peu partout, permettaient d'accéder aux rayons les plus haut. J'aurais pu sentir l'odeur de cookie et de marmelade, et observer les affiches de films moldus placardées sur la cloison. Une immense cheminée était creusée dans le mur, sur le côté droit, et la pièce était remplie de canapés douillets et de fauteuils molletonnés. Le long du mur droit poussaient des plantes vertes d'une taille colossale, et toutes les tables étaient garnies de fleurs fraiches. C'était un tableau très réussi, mais je ne fus pas capable de l'apprécier à sa juste valeur. Sur un fauteuil à bascule près de la cheminée, se tenait une modeste silhouette, et l'on pouvait apercevoir de longs cheveux blonds pendants sur le dossier du rocking-chair. Si j'avais été plus attentive, j'aurais pu voir que mon amie s'était endormie en lisant Cyrano de Bergerac. Mais aveuglée par ma colère, je ne vis rien de toute cela, et m'introduisis en trombe dans le salon de thé.
Je hurlai son nom trois fois en ouvrant la porte du Nid Douillet. Opale sursauta et se tourna vers moi, les yeux embués de fatigue.
« Oh, bonjour Mary, ou plutôt bonsoir ! Ravie de te revoir. Tu préfèrerais que je te serve un cookie ou plutôt un chaï-latte ? Je les prépare moi-même. Tu as vu les plantes que j'ai réussi à faire pousser ? Mes préférées ce sont les arums. Je les adore. Mais dis-moi, dit-elle en jetant un coup d'œil à sa montre, il est plutôt tard non ? Tu viens en dehors des heures d'ouverture. Toujours une vraie cigogne à ce que je vois »
Chancelante, je pris place dans un des canapés. L'alcool commençait vraiment à me faire tourner la tête. J'étais totalement ébahie. Six ans plus tard, Opale se tenait là devant moi, les pomettes légèrement plus roses qu'à l'accoutumée, les mêmes longs cheveux blonds, les mêmes joues rebondies. Ce qui me frappa au premier abord, c'était cette joie de vivre qui lui était si caractéristique. J'étais venue pour obtenir des explications, et voilà qu'elle me parlait de cookies et de plantes, comme si rien ne s'était passé pendant ces nombreuses années. Comme si elle venait de retrouver une vieille connaissance, qu'elle aurait perdue de vue. Je me rappelai ses dernières lettres, où elle faisait pousser des fleurs, un livre à la main, au lendemain de l'attaque des Mangemorts. Elle semblait être parvenue à être heureuse et affichait une désinvolture qui m'avait énormément agacée. Six ans plus tard, cela me fit sortir de mes gonds.
« Pourquoi est-ce que tu es partie sans rien dire ? Pourquoi est-ce que tu ne m'as jamais envoyée de lettres ? Pourquoi est-ce que tu ne m'as laissé qu'un vulgaire caillou ? Bordel Opale pourquoi est-ce que tu m'as abandonnée sans rien dire, pendant six ans, pourquoi est-ce que tu n'as pas essayé de me retrouver ? Pourquoi quand on se retrouve enfin, la première chose dont tu me parles, c'est de cookies ? Et c'est quoi cette amitié avec la Greengrass ? »
Mon amie sembla peinée à la mention du caillou mais je n'en tins pas compte, et continuai sur ma lancée, bien décidée à en découdre. De toute façon, j'étais tellement soule que je n'étais pas prête à entendre ce qu'elle avait à me dire. Elle me fixait d'un regard glacial et se taisait face à mes accusations. Elle ne semblait pas avoir de peine à se contenir, pas le moins du monde. Elle se contentait de me regarder droit dans les yeux, sans rien dire et même sans sourciller. J'aurais pu jurer qu'elle ne fermait même pas ses paupières le temps d'un instant. Elle était là, drapée dans sa fierté muette, impassible, en attendant que l'orage passe.
Pendant toutes les années que nous avions passées ensemble, je n'avais jamais vu Opale dans cet état, sauf lors de notre seule et unique dispute. En première année, elle s'était moquée de moi et de mon amour pour Harry alors que celui-ci était juste derrière nous. Il aurait facilement pu entendre toute la discussion. Je voulais qu'Opale cesse ses plaisanteries, mais elle ne semblait pas décidée à le faire, alors, dans un état second, prise de panique, j'avais fait la seule chose qui me semblait être en mon pouvoir : je l'avais giflée. Opale avait été profondément choquée par mon geste si inattendu, et moi-même je me demandais comment j'avais pu exécuter un tel geste. Ce jour-là, elle ne m'adressa pas la parole de la journée, se contenta de m'ignorer malgré toutes mes tentatives pour me faire pardonner. Elle était restée de marbre pendant un jour entier, alors que je me tenais à ses côtés (elle était ma seule amie, et je ne pouvais rien faire d'autre que de continuer à la suivre partout, en cours et dans le réfectoire). Le lendemain, elle avait fait comme si de rien n'était et notre amitié avait pu reprendre son cours normal. J'avais détesté me disputer avec Opale, parce que c'était l'une des seules personnes à connaitre mon point faible : je détestais que l'on m'ignore. Si j'avais quelqu'un pour me répondre, pour surenchérir dans une dispute, cela pouvait durer des heures. Mais je ne supportais pas me disputer avec Opale justement parce qu'elle ne m'offrait aucun répondant. L'ignorance était la clé. Opale semblait le savoir, et pourtant, cela ne faisait pas partie d'une forme de technique qu'elle aurait mise en place pour agir correctement avec moi. Cela faisait partie de son tempérament naturel.
Bien entendu, j'étais trop saoule ce soir-là pour deviner dans l'attitude de mon amie, une technique que je connaissais depuis toute petite. Pour être honnête, je ne fis même pas attention à l'impassibilité de son regard, et continuai d'hurler à travers le salon de thé.
« T'es partie de planquer bien tranquillement pendant la guerre, pendant qu'on faisait tout le sale boulot ! Maintenant tu dors toujours bien tranquillement sur tes deux oreilles pendant que tout le monde cauchermarde d'une guerre à laquelle tu n'as pas eu les couilles de participer ! Comme après l'attaque du bal, avec tes fleurs et tes poèmes stupides pendant que je faisais crises d'angoisse sur crises d'angoisses ! »
Opale continuai à se taire, le visage fermée, d'un air plein de dédain.
« Oh et ne me la fais pas comme ça à moi, ta putain de fierté et ton arrogance de Sang-Pur. Nott a fait la même chose, j'en ai plus qu'assez de votre prétendue dignité. Stupidités de Sang-Purs planqués pendant la guerre, et qui ensuite, se mettent bien au chaud dans une pâtisserie, même pas le courage de se bouger pour reconstruire le monde de l'après-guerre. Finalement, Opale, je me suis trompée sur ton compte. Je pensais que tu étais différente, mais au fond, tu es comme les autres, une saloperie de planquée, à peine contente d'être débarrassée de Voldemort ! De toute façon, le sale boulot, c'était pas pour vous hein ? La guerre, le sang, les morts et les traumatismes, ça c'est pour les gens comme moi »
Ma rage atteignait son point culminant. Je ne supportais pas l'air digne que prenait mon amie. Ma colère ne semblait pas l'atteindre, et c'en était tellement déstabilisant que je commençai à m'essouffler. J'avais besoin de donner un point d'appui à ma colère, et je n'en trouvais pas. Je continuai quand même, mais je commençai à me fatiguer. Après tant d'alcool, je titubai maintenant sérieusement et devait me concentrer de toutes mes forces pour réussir à faire des phrases correctes.
« Et puis tout compte fait Voldemort, peut-être que t'étais déçue qu'il ne gagne pas ? On peut pas savoir ce que tu as fait quand tu t'es planquée, après tout t'étais sûrement en train de collaborer comme ton grand ami Nott. Une pâtisserie, c'est génial pour continuer de se mettre à l'abri, quand on ne peut pas avoir de poste au Ministère ! »
Après cette dernière salve d'insulte, je me mis à voir tourner le plafond du Nid Douillet. Opale faisait semblant de ne rien remarquer, et je m'assis sur un des canapés. Dans ma fureur, je m'étais levée, mais je n'étais désormais plus capable de rester debout. Face au mur que m'opposait Opale, ma colère semblait se calmer presque naturellement, et je me sentais lasse, sans forces, et puis brusquement inondée par une si grande tristesse que j'en restais muette pendant un instant. Je repris en tremblant, plus apaisée.
« Opale pourquoi tu es partie ? Pourquoi est-ce que tu m'as laissée ? Tu le savais non, que je ne pouvais pas supporter l'abandon. Tu m'avais dit « Ne l'oublie jamais, tu es aimée », et pourtant c'est toi qui m'as oubliée. Tu n'étais même pas là pour voir que mon patronus avait pris la forme d'un pingouin ! Op' pourquoi est-ce que tu m'as abandonnée ? On était jumeaux pourtant, le duo infernal, jamais l'une sans l'autre !
A ces mots, j'explosai en sanglots, je pleurais comme je n'avais jamais pleuré, comme depuis ce fameux jour à la gare, où j'avais compris qu'Opale ne reviendrait pas. J'étais excédée par toutes ces divisions, harassée par toutes ces retrouvailles. Je pleurais à chaudes larmes devant une Opale totalement désemparée. Je continuais à lui parler à travers mes pleurs, dans des tas de phrases assez incohérentes, lui répétant qu'elle était partie, qu'elle m'avait laissée toute seule.
« Tu sais que j'ai réussi à imaginer tous les enterrements du monde dans ma tête, mais jamais le tien Op'. J'avais toujours le caillou dans la poche, mais le soleil semblait toujours caché derrière la lune. J'ai fait la guerre, moi, et depuis je dors plus Op', je dors plus. J'étais toute seule quand tu es partie, j'ai fait n'importe quoi. J'ai observé Blaise et Daphné pour toi, et maintenant tu es amie avec elle. Maintenant tu vois, tout ce que je sais faire, c'est boire et baiser, et puis voilà. Même mes articles ne servent à rien. »
« Mais tu vois tous les soirs, l'année où tu es partie, j'ai continué à penser que tu reviendrais. Après j'ai grandi, et j'ai failli jeter le caillou, tu vois, parce que de toute façon, j'avais pas de nouvelles. Mais t'es partie Opale, putain, t'es partie ! Pourquoi tu m'as fait ça ? »
Je n'arrivai pas à arrêter de pleurer. C'était comme si j'avais ouvert les vannes, et qu'elles ne voulaient plus se refermer. Toute cette tristesse contenue depuis si longtemps, depuis le jour où j'avais eu l'impression de faire définitivement une croix sur elle, en septième année, se déversait six ans plus tard, au Nid douillet, à trois heures du matin. Je pleurais mon innocence perdue, le départ de mon amie, la souffrance de l'après-guerre. Je pleurais parce que je n'avais pas cessé de penser une seule seconde de ma vie à Opale et à Nott, et que les retrouvailles que j'avais imaginées si belles étaient en réalité remplie d'amertume. Je pleurais parce que je ne dormais plus et que je buvais trop, parce que le spleen m'avait envahie depuis le départ d'Opale. Celle-ci semblait toujours aussi désemparée, et contemplait rêveusement les arums qui poussaient sur son mur. Opale n'avait jamais su réconforter les gens. Aussi je ne fus pas étonnée quand elle se leva, et proposa d'aller préparer des chaï-latte. Je l'attendis enroulée dans un couverture confortable, et essayai d'essuyer le mascara qui coulait sur mes joues. Nous sirotions nos boissons en silence, dans un silence tranquille et sans animosité. Opale se mit à bredouiller quelques mots, alors qu'elle était totalement décontenancée.
« Tu sais Mary, si je suis partie, c'est que je n'avais pas vraiment le choix. Evidemment que je voulais te donner de mes nouvelles, mais je n'en avais pas le droit. Tout ce que j'ai pu faire, c'est te donner ce caillou, et tu sais ce que cela représente pour moi. Visiblement, tu avais compris comment cela marchait. Les jumeaux ont toujours eu une forme de connexion, et ce caillou, c'était le nôtre ».
Je voyais Opale, concentrée pour essayer de me donner des explications, mais il me semblait qu'elle n'en était pas capable. Fondamentalement, Opale avait toujours eu du mal à expliciter les choses et je relevai le coin de ma lèvre, tout-à-fait consciente que ce seraient là les seuls éclaircissements que j'aurais. Elle passait son temps à tenter de bafouiller des mots qui paraissaient ne jamais vouloir sortir de sa bouche, à se corriger, à reprendre une phrase pour en énoncer une autre dont le sens était tout aussi énigmatique.
« Je suis contente que ton Patronus soit un pingouin et figure-toi que, malgré toutes les difficultés que j'ai pu avoir avec ma baguette, mon patronus est aussi un pingouin. Ou alors un manchot, je ne sais pas. Mais c'est mignon aussi les manchots tu ne trouves pas ? C'est pour ça que j'ai appelé ma pâtisserie, Au Nid Douillet. Mais tu as dû le voir sur la pancarte.
Non, je ne l'avais pas vu. Et je souris en voyant mon amie utiliser une de ses techniques favorites : essayer de changer de sujet coûte que coûte. Cela n'allait pas m'apprendre grand-chose mais peu m'importait. Pour le moment, j'étais trop fatiguée, et le canapé, trop confortable. Je m'endormis.
Je regardais Mary dormir, avachie sur l'un de mes canapés. Je repensais à toutes les paroles blessantes qu'elle m'avait dit, et à la réaction que j'avais eu. J'avais été totalement déstabilisée par sa crise de nerfs et tout ce que j'avais réussi à faire, c'était du thé. Pas d'explications, rien. Mais c'était si compliqué de donner des explications. A chaque fois que je voulais le faire, mon cerveau s'embrouillait. Voilà qu'il fallait que j'aille préparer une potion pour une de mes plantes malades. C'est important d'obtenir une pâte vert de gris bien lisse.
Bref. J'étais partie parce qu'on ne m'avait pas laissé le choix, je n'ai pas écrit de lettres pour la même raison. Quant à la guerre…Mary avait peut-être raison de me traiter de planquée, finalement. Je n'avais pas fait grand-chose, et je m'en sentais coupable. Il y avait bien eu ces enfants nés-moldus…Mais tout cela n'avait pas d'importance, en comparaison de ce que Mary avait accompli. Je n'arrivais pas à expliquer précisément à mon amie les raisons de mon départ. J'avais toujours eu du mal à expliquer les choses, et cela me mettait toujours mal à l'aise. Face à Mary je me sentais, comment dire, inappropriée. Comme si je ne pouvais pas lui suffire. Et pourtant, perdre son jumeau…cela me faisait penser à George, et j'eus subitement beaucoup de peine pour lui, de nouveau. Mary avait décidemment été bien chamboulée par la guerre. Oh, voilà que ma plante recommençait à prendre des couleurs. Et voilà que je recommençai à divaguer.
Bref. Avant la guerre, je pensais avoir été fondamentalement naïve, comme si je ne pouvais pas accepter l'existence du mal. Mais chez moi, rien n'avait changé. Disons que je continuais à essayer de voir la beauté du monde, d'une autre façon. Un sourire face à un cheesecake bien réussi, les quolibets de mes clients, tracer des cœurs dans la mousse d'un cappuccino. J'avais passé tant de temps à essayer d'éviter cette réalité tragique, et, Mary avait raison dans un certain sens, j'avais fui en m'installant dans le Nid Douillet, réalisant un rêve d'enfant en même temps. Pas de névroses, ou alors pas de névroses apparentes. Peut-être que j'en avais, qui sait ? Peut-être que passer son temps à relire Rimbaud, c'était ça la névrose. Dans ce cas, j'étais sans doute sacrément névrosée. Mon dieu, impossible de me concentrer cinq minutes.
Je me revois courir en tenant un enfant dans chacune de mes mains. Je revois un jeune homme avec des roses dans le cou. J'aurais voulu quitter le monde magique, partir chez les moldus, voire fuir complètement la civilisation. Je ne l'ai pas fait parce que je m'étais promis de ne pas le faire avant que Mary ne me retrouve. Une planquée. Ces mots résonnaient dans mon crâne. Je revois l'immense propriété et les enfants cachés sous la paille. Inappropriée, c'était vrai. Mary était dans l'action, elle était rebelle et frondeuse, et moi, j'avais peur. La panique dont m'avait parlé Mary avant de s'écrouler sur le canapé, je l'avais ressentie moi aussi.
Mais que pourrais-je lui répondre quand elle me demandait pourquoi je n'avais pas essayé de la retrouver ? Comment pourrais-je réussir à lui expliquer pourquoi j'étais partie, ce que j'avais fait pendant tout ce temps, lui dire que je n'avais pas cherché à la retrouver parce que j'avais peur et que je me sentais, « inappropriée » ?
Je sentais déjà que la plupart de mes pensées semblaient voltiger à travers la pièce, et qu'elles étaient si embrouillées que l'on aurait du mal à en tirer une quelconque conclusion, voire une explication. Je n'arrivais pas à transcrire ma vie en mots. Il fallait que j'arrête d'essayer de retranscrire ma vie en phrases cohérentes. Il fallait que je plonge directement dans le vague de ma conscience et de mes pensées incessantes. Une plongée au fin fond de mon esprit, voilà ce qu'il fallait. Et cela donnait à peu près cela. Reprenons au moment où je regardais Mary dormir profondément.
Mary dort sur un canapé. Mary dort sur un canapé dans mon café, ma bouquinerie, mon Nid Douillet, Mary dort, là, je la vois, à quelques pas à peine de moi. Tout à l'heure elle ne dormait pas, tout à l'heure Mary criait, des choses coupantes, schlack, schlack, coupures propres comme du verre, et ça écorche un peu, mais Mary était là, en face de moi, je l'entendais, c'était sa voix, c'était Mary.
Ça faisait une éternité, ou bien plus, alors bon, peu importe qu'elle crie, parce que ça faisait si longtemps, j'en aurais pleuré. Mais non, je n'ai pas pleuré, je n'ai rien dit, c'est ce que je sais faire de mieux, je pense, alors je n'ai rien dit et j'ai fait du thé, ça aussi c'est ce que je sais faire de mieux, c'est pour ça le Nid Douillet, c'est pour que je fasse ce que je fais de mieux, le thé, et puis les cookies.
Mary, elle, elle ne sait pas très bien se taire. Elle parle fort, elle fait du bruit, elle tape du poing sur la table, elle hausse la voix, elle demande des explications. Moi je veux bien expliquer, mais tout est assez confus, et qu'est-ce que je pourrai bien dire ? Je n'avais pas le choix ? j'imagine son regard, coupant schlack, devant ma faiblesse, ma lâcheté, tout cela tout cela, parce que je ne tape pas du poing sur la table, moi, je n'aime pas hausser la voix, moi je me tais, c'est ce que je fais de mieux, me taire, et accepter que je n'avais pas le choix, alors je suis partie, parce que je n'avais pas le choix, je n'ai pas écrit, parce que je n'avais pas le choix.
Maintenant je suis hantée par cette idée de choix, et c'est absurde, on ne devrait pas avoir à choisir ça, se battre dans une guerre absurde parce qu'il y a des personnes absurdes qui font des choses absurdes. Et plus rien n'a de sens, les enfants qui ont peur, ça ne devrait pas exister, les yeux des enfants ça devrait seulement exister pour rêver, et pleurer seulement aux genoux écorchés.
Maintenant je construis un nid douillet, c'est pour tous les écorchés, parce que la guerre écorche comme les genoux, mais plus profond, c'est jusqu'à l'âme, alors je n'ai pas grand-chose à offrir, juste un peu de thé, et un endroit où on peut enfin un peu se reposer, là, comme cela, tout doucement, et on a le temps de respirer, et peut-être de pleurer.
C'est très important de pleurer sur nos jeunesses écorchés, sinon on enferme tout, et bientôt on sera inondés, génération de noyés, peu importent nos choix, nous sommes les suffoqués. Mais il faut pleurer, parce que les enfants avaient les yeux grands ouverts, et nous avons vu la cruauté, même si ça ne devrait pas exister, et nous voudrions nous recroqueviller, et s'endormir pour des années, et moi j'aurais voulu m'endormir, pour retourner dans mes rêves où il n'y a pas le choix absurde, et où on peut s'allonger pour regarder les étoiles.
Et j'aurais voulu partir loin, mais non, il y a Mary, elle était très loin, mais maintenant elle dort sur mon canapé, alors j'ai bien fait d'attendre, de rester, et de préparer un nid douillet, et je ne sais pas si elle pourra me pardonner, me pardonner de ne pas taper du poing sur la table, et d'être à côté de tout, à côté de la réalité, d'être une inadaptée.
Je n'ai jamais bien compris la réalité, j'ai passé trop de temps à rêver, et j'ai souvent rêvé ça justement, Mary ici, à nouveau, et même si les mots tranchants, et peut être que plus jamais il y aura ce sentiment de simplicité entre nous, mais non, mais non, ça me briserait plus sûrement que tout le reste, mais tout de même, pour l'instant elle est là, et ça fait des années.
Mais je respire un peu, j'entends mon cœur qui soupire, ça fait un pfiouuuu un soulagement immense, je n'ai pas d'explications, je ne comprends pas bien tout ce qu'il s'est passé, et le fracas de la guerre, et l'urgence, et les secrets, et la peur au ventre, je ne saurai pas te dire tout cela Mary, je ne suis pas très douée avec les mots. Mais je peux t'offrir une tasse de thé, et une place sur un canapé, comme ça tu pourras pleurer un peu, et tu peux te reposer.
Tu n'as plus besoin de hausser la voix, je suis juste à côté, je t'entends, maintenant, plus besoin de crier.
Alors ? Qu'avez-vous pensé de ces retrouvailles ? Est-ce que vous pensiez comme moi que Mary avait besoin d'être remise à sa place ? J'adore le personnage d'Amber et j'espère que vous la trouvez convaincante. Et que dire de ce fameux stream of consciousness ?
J'attends vos retours avec impatience, parce que ce chapitre compte beaucoup pour moi (voire pour nous, puisqu'il est écrit à quatre mains).
Et enfin, une question me taraude : y-a-t-il parmi mes lecteurs, des anciens lecteurs, qui étaient déjà là il y a six ans ? Si oui, je vous en prie, manifestez-vous, ce serait génial de pouvoir échanger un peu !
Je vous dit à la semaine prochaine, samedi, pour un nouveau chapitre 😊
