19 juin 1507 : tout est en place, nous sommes prêts à passer à l'action. Depuis la lisière de la jungle, j'observe la colonie de la Cibao. L'air est lourd d'humidité, chargé de nuages, et cet orage qui menace d'éclater d'ici quelques heures tombe à pic pour notre opération. Si les Espagnols veulent nous poursuivre, la pluie effacera certaines de nos traces et découragera leurs recherches. Même si, si tout se passe bien, on ne devrait pas en arriver là !
Le plan est simple, et jusque-là il s'est assez bien déroulé. L'idée de départ est de tirer profit du réseau de cavités, qui s'étend assez loin sous les collines La plupart de ces galeries sont vides, pour la plupart inutilisées depuis que la veine d'or y a été épuisée. Aussi, nous pouvons creuser un conduit reliant la surface à l'un de ces tunnels abandonnés, tout en restant cachés sous les arbres, à bonne distance de la lisière. Les prisonniers disposeront alors d'une voie de sortie, et il suffit de faire s'effondrer le conduit derrière eux pour interdire toute poursuite.
A l'abri des regards, mes amis et moi épions les allées et venues des colons, tandis qu'à quelques centaines de mètres derrière nous, de nombreux Indiens s'activent près de l'entrée d'un tunnel. Pendant quatre jours, ils ont creusé sans relâche, pour atteindre leur but : l'une des galeries de mine exploitées par les colons. Comment avons-nous fait pour savoir où creuser, et déboucher au bon endroit ? A vrai dire nous n'y serions jamais arrivés sans Romulus. Ayant travaillé quelques mois avec les gobelins de Gringotts, il connaît bien ce type de travail : en supervisant le chantier et en orientant le tunnel dans la bonne direction, il s'est révélé d'une aide précieuse.
Le meilleur, c'est que tout est parfaitement légal. La loi ne nous interdit pas de vendre des pioches ou des outils aux Moldus. Ce qui tombe bien, j'en avais justement tout un stock à écouler ! Et hormis les quelques sorts utilisés par Romulus pour déterminer l'emplacement où creuser, nous n'avons pas eu d'autres recours à la magie. Si tout se passe bien, nous n'aurons même pas à intervenir.
Il ne reste plus que la partie la plus difficile, amener les prisonniers Indiens jusqu'à une galerie qui communique avec la sortie. Pour cela, il nous faut attendre une occasion, occasion qui pourrait bien se présenter cet après-midi…
« Ils sont en place, rien d'inhabituel ? »
Soualiga, le jeune indigène qui vient de parler, est notre nouvel interprète. Trouver un bon traducteur n'a pas été difficile : les rues de La Isabela fourmillent de jeunes Indiens ou métis, parlant pour la plupart un espagnol passable. En quelques heures, j'en ai ainsi rencontré plusieurs, avant de choisir Soualiga, non seulement pour ses qualités de traducteur, mais aussi pour sa loyauté : sa famille est exploitée dans la vallée et avoir une chance de les retrouver est pour lui une bien meilleure motivation que la promesse d'un peu d'argent.
La vraie difficulté a été de l'amener jusqu'ici, je ne pouvais pas simplement l'emmener en transplanant ! Après quelques heures interminables à longer les rives de l'île en canoë, j'ai fini par profiter de sa sieste pour « accélérer » notre trajet sans qu'il ne s'en rende compte.
Régulièrement, il fait l'aller-retour entre le chantier et notre poste d'observation. Je hoche la tête :
« Tout est calme. Un groupe d'ouvriers vient de ce côté, c'est peut-être l'opportunité que nous attendons. »
Les gardes n'escortent jamais les prisonniers au fond des mines. Trop sale, trop dangereux. Ils préfèrent se contenter d'inspections régulières, et de surveiller les sorties. Si un mineur revient sans son quota de minerai, il ne mange pas, c'est aussi simple que ça. Heureusement, ce fonctionnement est une aubaine pour nous : dès que des ouvriers viendront dans notre secteur, les Indiens se glisseront parmi eux pour briser leurs chaînes et les mener jusqu'à notre sortie dérobée.
Ils feront ensuite s'effondrer un conduit. Le temps que les Espagnols fassent déblayer l'éboulement et comprennent ce qui se passe, nous serons déjà loin. C'est un plan simple et efficace. Nous avons pensé à tout, et pourtant je ne peux pas m'empêcher d'être nerveux… Car quelque chose ne colle pas. Pourquoi les sorciers Indiens n'ont-ils rien fait pour empêcher cette invasion ? Et où sont-ils, en ce moment, pourquoi ne nous aident-ils pas ? Je me rassure en pensant que demain, tout sera terminé. Nous ne sauverons qu'une partie des prisonniers, ceux qui sont envoyés dans les mines cet après-midi, mais ce sera déjà une belle victoire. Et peut-être qu'après cela, nous serons autorisés à approcher des villages, et à apprendre leur magie indigène.
