19 juin 1507 (une heure plus tard): Quelques minutes plus tôt, un large groupe de prisonniers vient d'arriver dans le secteur. Equipés d'outils rudimentaires, ils sont entrés dans la mine pour leur après-midi de travail. Une fois certains qu'aucun garde armé ne les accompagne, nous envoyons Soualiga donner le signal. Sans un bruit, une dizaine d'Indiens se glissent dans le souterrain et se faufilent en direction des galeries principales.

De notre côté, il n'y a pas grand-chose à faire, hormis attendre. Après mes semaines en mer, à bord de la Santa Anna, j'ai appris à mieux supporter ces périodes, où il n'y a rien que je puisse accomplir d'utile. Mes amis, en revanche, sont beaucoup plus tendus, surtout Romulus. Je viens m'assoir près de lui, avec un sourire que j'espère rassurant :

« Est-ce que ça va ? Tout va bien se passer, tu sais. »

Sa voix est maîtrisée, mais je perçois la tension dans ses épaules lorsqu'il me répond :

« Horace… Tout ça va beaucoup trop loin. Tu nous avais promis quelques jours de vacances, et là… Là, on se retrouve mêlé à un conflit moldu, et on ne comprend pas la moitié de ce qui se passe ici ! »

Il n'a pas tort, aussi je réponds calmement :

« C'est vrai. La semaine dernière, je n'aurais jamais imaginé en arriver là. Mais tu as vu cet endroit ? Tu as vu ces esclaves et comment ils vivent ? Je ne sais pas pour toi, mais si on retournait voyager, maintenant, je ne serai pas tranquille. Est-ce que… Est-ce que tu pourrais vraiment laisser faire et profiter de tes vacances ?

- Bien sûr que non ! C'est juste que nous ne sommes pas des Moldus. Ni des Indiens. Ni même des Aurores. Tout ça n'a pas de sens, les Arawaks sont plus nombreux que les Espagnols, et ils ont des sorciers ! Ils n'ont pas besoin de nous ! »

Je soupire et hoche la tête :

« Tu as raison, et je ne comprends pas beaucoup mieux.

- Alors qu'est-ce que l'on fait ici ?

- Ecoute, on en a déjà parlé. Si possible, rien. Tu étais d'accord avec le plan, nous n'avons rien fait d'illégal, juste vendu des outils…

- Et indiqué où creuser !

- Et donné quelques conseils. Rien d'illégal. Et nous restons ici parce qu'on ne sait jamais ce qui peut arriver ! Imagine qu'une mauvaise galerie s'effondre, des dizaines d'hommes vont se retrouver coincés sous terre… On ne peut pas courir de risque, pas quand nous pouvons l'éviter avec un peu de magie, et s'il le faut nous interviendrons ! Et dans tous les cas, on touche au but ! Dans une heure tout sera terminé, on peut bien attendre encore une heure ! »

J'ai parlé un peu plus fort que prévu. Romulus soupire à son tour, avant de prendre une grande inspiration. Il me regarde sans rien dire quelques instants, puis conclut :

« Ecoute, Horace… Je pense que tu as de bonnes intentions, et non, je ne vais pas te laisser tomber maintenant. Mais après cet après-midi, je rentre. »

Et je le comprends. Nous sommes tous un peu dépassés par les évènements, moi le premier. Sans compter qu'entre la chaleur, les serpents, l'humidité, ce Nouveau Monde n'est pas toujours accueillant. Les derniers jours ont été rudes pour tout le monde.

« Bien sûr, je comprends tout à fait, dis-je en m'efforçant de sourire. Avec un peu de chance, la prochaine fois nous nous verrons dans un endroit un peu plus civilisé. Et devant une bonne bièraubeurre ! »

Il sourit à son tour et une partie de la tension semble se dissiper. De mon côté, je continue de m'interroger : que dois-je faire ? Rester avec les Indiens, rentrer en Angleterre, reprendre la route pour explorer de nouveaux horizons ?

D'une part, Romulus a raison, je ne comprends rien à ce qui se passe sur cette île, et ce conflit n'est pas le mien. De l'autre, avec l'aide de Soualiga et d'Aloi (la traductrice que nous avons rencontrée sur la plage), je communique de plus en plus facilement avec les Indiens. S'il est possible de les comprendre, et qu'ils ont réellement besoin d'aide, qu'est-ce que cela me coûte de rester un peu plus longtemps ?

Sans compter qu'il y a beaucoup à gagner, ici. S'ils savent se changer en oiseaux, sans l'aide d'une baguette, qui sait quels pouvoirs pourraient m'enseigner les sorciers de cette île ? Et plus simplement, les Indiens sont très intéressés par mes outils, les seuls objets d'acier qu'ils n'aient jamais vus. Les pépites d'or qu'ils m'ont donné en échange du premier stock valent déjà plusieurs dizaines de galions… Oui, je pense rester à Hispaniola un peu plus longtemps…

J'en suis là de mes réflexions lorsque Soualiga revient, tout excité.

« Les guerriers sont de retour, nous dit-il, ils ont réussi ! »