Note de l'auteur: Bonjour tout le monde, et voici le chapitre 35 que j'aurai mis mon temps à vous faire découvrir après tout ce suspense ! Cette fois, vous allez vraiment savoir ce qu'il va arriver à Camus, et je ne vous en dis pas plus et préfère vous laisser lire !
Comme d'habitude, un grand merci de me lire et de me commenter, vous êtes géniaux !
Bonne lecture à vous !
Chapitre 35 – Plaidoirie
Il était assez tôt, le lendemain matin, quand Camus, l'estomac noué par l'appréhension, débarqua à la Citadelle Bénite.
Comme escompté, le mage n'avait pas beaucoup dormi. Il avait dû s'occuper de son bateau, et il avait fait des siestes çà et là. Cela n'avait été que très peu suffisant, mais qu'importait. Il avait une vie à faire gracier.
Le mage des glaces ne traîna pas. Courageusement, il gravit la montée qui le mènerait jusqu'au Palais du Pope, en haut de la ville. Il n'y avait plus de temps à perdre. Et comme il l'avait écrit dans la lettre qu'il avait laissée à Milo, il était prêt à transformer le palais tout entier en sculpture de glace artistique si on ne voulait pas l'écouter. Il les attendait, les types qui voudraient faire obstacle à sa volonté.
Camus entra bien vite à l'intérieur du Palais, une fois qu'il arriva en haut de la ville. Comme à son accoutumée, il s'annonça et demanda audience avec le Grand Pope. Rien ne se passa différemment de d'habitude. On lui donna assez rapidement accès à la salle du trône pour qu'il ait gain de cause.
Une fois qu'on lui ouvrit la porte, Camus entra résolument à l'intérieur. Il fit quelques pas vers le Grand Pope, qui était assis sur son trône, et qui le toisait déjà sévèrement de ses yeux violacés. A côté de lui, sur un fauteuil, Camus eut la surprise de trouver quelqu'un qu'il n'aurait jamais cru recroiser de sa vie. Ce visage à l'âge indéfinissable, encadré de cheveux bruns, mi-longs… C'était Dôhko, l'aubergiste du Village du Point… ! Ben ça… Pensa Camus. Que faisait-il ici ?
Mais oui… C'était vrai. Il leur avait bien dit qu'il était ami avec le Grand Pope, et qu'il avait eu envie de repasser le voir, quand ils l'avaient croisé. Il s'était sans doute rendu à la Citadelle Bénite pour saluer son ami, en conclut facilement Camus.
Le mage choisit de ne rien dire et de s'agenouiller respectueusement devant son supérieur. Un silence pesant se fit dans la pièce.
« Tiens ! Une tête connue ! Commenta finalement Dôhko d'un air enjoué, histoire de briser la glace.
- Comme tu dis, oui, grinça le Grand Pope. Une tête connue… Tu peux te relever, Camus, mage des glaces. »
L'intéressé fit ce qu'on lui avait demandé. Une fois debout, il alla courageusement recroiser le regard de son souverain.
« Je dois bien avouer que je ne pensais pas revoir ton visage de sitôt, commenta Shion en le détaillant d'un air circonspect. Tu es impliqué dans une des affaires les plus étranges que j'ai pu traiter depuis un petit bout de temps. Tu es au courant, je suppose ? »
Le mage ne répondit rien. Il n'était pas sûr de comprendre. Qu'est-ce que cette affaire avait d'étrange ?
« Ben, qu'est-ce qu'il a fait ? » S'enquit Dôhko depuis son siège, sincèrement étonné. Il n'avait pas l'air au courant de la situation, lui. « Tu le regardes comme un repris de justice… Moi, il m'avait fait une bonne impression quand je l'avais croisé.
- Et quand est-ce que tu l'as croisé, au juste ? Lui demanda Shion en plissant les yeux.
- Dans mon auberge, explicita volontiers l'intéressé. Y'a plus de deux mois. Il était en mission pour toi… Il avait même sauvé son ami des marais, avec pas mal de courage… Un chevalier… Milo, c'était bien ça ?
- Oui, c'était bien ça… N'est-ce pas, Camus ? » Fit le Grand Pope à l'adresse du mage, reportant de ce fait son attention sur lui.
L'intéressé acquiesça seulement sous le regard glacial du souverain. Cela ne commençait pas très bien.
« Je t'avoue que je ne comprends pas ta démarche, Camus, lui asséna Shion d'une voix contrariée. Si j'avais été toi, j'aurais tenté de me faire oublier. Tu es plus ou moins soupçonné d'avoir aidé un haut gradé de la Tour de Garde à déserter. Personne n'a de preuves, mais… A ta place, j'aurais fait profil bas. Qu'est-ce que tu viens faire ici ? »
Camus prit une grande inspiration. Puisque des soupçons pesaient déjà fortement sur lui, il n'allait pas y aller par quatre chemins. Autant être efficace et concis. Pas la peine de faire durer le supplice…
« Je veux vous demander de gracier la vie de Milo », déclara-t-il fermement.
Rien ne passa dans le regard du Grand Pope.
« Donc, c'est bien toi qui es son complice, en conclut Shion. Tu as bien du culot de te présenter devant moi. Tu sais que tu risques de la prison ?
- Je le sais, confirma Camus avec un stoïcisme impeccable. Mais cela ne change rien à ma requête. S'il vous plaît… Laissez-moi au moins une chance de vous expliquer ce qu'il s'est passé. Vous pourrez me juger ensuite. »
Shion consulta Dôhko du regard.
« Tu devrais le laisser parler, à mon avis, lui suggéra son ami. Tu as bien dit que l'affaire était étrange.
- Soit, agréa Shion de mauvaise grâce. Même si je crois bien savoir pourquoi tu es venu faire ce plaidoyer pour Milo, Camus… »
Le Grand Pope marqua une pause, et le regarda droit dans les yeux d'un air entendu.
« Si c'est pour me supplier de faire cesser les poursuites à son encontre parce que tu en es amoureux, ce n'est même pas la peine d'y penser. Ce n'est pas un motif suffisant pour justifier une désertion. »
A ces mots, Camus écarquilla les yeux. Comment le Grand Pope savait-il que ?
« Comment je le sais ? Je peux lire dans la tête des gens, Camus, lui répondit tranquillement son supérieur. Je sais manipuler la magie de l'esprit. Honnêtement, je n'aurais même pas eu besoin de fouiller très loin pour le savoir. Tu écumes d'affection pour lui. C'est même palpable. »
A ses côtés, Dôhko pouffa discrètement. Il s'en était effectivement douté, quand il avait vu les deux oiseaux à l'auberge… Qu'il y avait eu quelque chose entre eux. Il ne s'était pas trompé, apparemment. Il était très satisfait de constater qu'il était tombé juste.
« Je ne viens pas pour vous dire ça, Altesse, lui assura néanmoins Camus. Il est vrai que Milo a mon estime et mon affection. Des plus hautes. Mais ce n'est pas cela dont je voulais vous entretenir.
- Eh bien soit, explique-nous, lui ordonna Shion avec fermeté. Je consens à t'écouter. Parce qu'il s'avère que beaucoup de choses sont étranges, avec cette histoire. La désertion d'un haut gradé, passe encore… Mais Milo avait l'air de m'être fidèle. Tellement fidèle qu'il a risqué sa vie pour aller sauver la princesse Athéna. Et je te tenais aussi en haute estime pour les mêmes raisons. Mais le plus étrange et inattendu, c'est que depuis que la désertion du Chevalier au Scorpion est avérée, ses hommes ont refusé tout net de le pourchasser. Personne ne semble vouloir retrouver Milo. Et c'est bien la première fois qu'une garnison entière décide de me désobéir sciemment. Alors, explique-toi. Tes motifs ont intérêt à être valables. »
Camus prit une grande inspiration. Cette fois, il s'agissait de ne pas se rater. La survie de Milo, et sa liberté, dépendaient de ce qu'il allait dire. Il devait garder son sang-froid.
« Ecoutez, Altesse… Il est vrai que j'ai aidé Milo à s'enfuir de la Tour de Garde, lui annonça-t-il d'une voix unie. Je ne prendrai même pas la peine de le nier. Mais sachez que si je l'ai fait, ce n'était pas par volonté de rébellion. Vous êtes mon souverain, et je vous voue une fidélité de tous les instants. En aidant le chevalier à partir de cet édifice, j'avais simplement à cœur de lui sauver la vie. Et c'est dans cette même optique que je viens vous voir aujourd'hui. »
Shion le considéra un instant.
« Sauver sa vie ? Releva-t-il. Sa vie était donc en danger, à la Tour de Garde ?
- Oui, elle l'était, Altesse, répondit Camus d'une voix assurée. Milo… Était en train de mourir. D'après ce que j'ai compris, il ne guidait déjà plus ses hommes depuis un moment.
- Ne plus guider ses hommes n'excuse pas sa désertion, commenta Shion sévèrement.
- Peut-être. Mais il faut que vous sachiez… Que Milo n'est jamais parti de son plein gré, lui expliqua Camus. Que vous excusiez ou non sa désertion… Ou même son état… Milo n'aurait pas eu les moyens de partir de lui-même. Il était trop affaibli et mourant pour cela. De plus, il ne vous aurait jamais trahi sciemment. »
Le Grand Pope se contenta de hocher de la tête, lui faisant comprendre qu'il avait entendu ces mots. Camus jugea bon de continuer.
« Quand je l'ai vu dans cet état déplorable… J'ai immédiatement pensé que je ne pouvais pas le laisser mourir là-bas, fit-il d'une voix plate. A la Tour de Garde, personne n'avait de matériel médical pour le soigner… Et si je n'étais pas intervenu, il serait mort. Vous savez que les militaires là-bas n'ont pas le droit de quitter la Tour, sauf en permission spéciale… Et Milo n'en aurait jamais obtenu. Alors je l'ai emmené avec moi. »
Shion consulta Dôhko du regard. Personne ne dit rien. Camus prit cela pour un bon signe. Si le Grand Pope n'objectait pas, cela voulait dire qu'il avait peut-être ses chances de se faire entendre. Et cela voulait dire que peut-être, son supérieur accepterait de se ranger au moins un peu de son côté. Il fallait continuer à parler pour enfoncer le clou. L'important était de sauver Milo. Rien ne comptait plus que cela, dans son esprit.
« Altesse… Milo a manqué mourir plusieurs fois lorsque nous sommes allés sauver la princesse Athéna, lui rappela fort à propos le mage, espérant que cet élément pourrait jouer en sa faveur. Il a fait preuve d'un grand courage, et il a passé toute sa vie à vous fournir ses services dévoués et loyaux. Quand il a compris que je l'avais aidé à partir de la Tour de Garde, il s'en est tout de suite effrayé. Il n'a jamais voulu ni vous trahir vous, ni trahir ses hommes. Ceux-ci étaient au courant de son état, avant qu'il ne parte, et ils ne pouvaient rien faire pour l'aider. »
A l'issue de cet argumentaire, le mage repensa à ce que Shion avait dit… Sur les circonstances étranges de sa désertion… Et sur le fait qu'apparemment, ils n'avaient pas eu de poursuivants, parce que ceux-ci avaient refusé leur mission. Ce qui lui fit tirer une conclusion.
« C'est peut-être pour cette raison qu'ils refusent de le pourchasser, compléta-t-il, pensif. Cela serait, à mon sens, injuste de le faire.
- Ce n'est pas à toi de décréter une telle chose, prononça Shion au bout d'un moment. Je te rappelle que malgré tout ce que tu me dis, tu m'annonces que tu es responsable d'un enlèvement. »
Camus se rembrunit.
« Grand Pope… Tenta-t-il de nouveau, avec plus d'empressement dans la voix. Je vous en prie… Laissez une chance à Milo. Je vous en supplie. Je ne vous demande pas de lui rendre son grade… Ni même son statut, ou quoi que ce soit d'autre… Je vous demande simplement de le laisser vivre. Malgré mes actes envers vous… J'estime qu'il le mérite. Et je ne crois pas que mon jugement soit obscurci d'une quelconque manière par mon affection lorsque je vous affirme une telle chose. »
Il y eut un silence dans la pièce. Le souverain posa une main songeuse sur son menton. Il tentait d'évaluer les faits, et les circonstances atténuantes. Toutes ces choses le mettaient dans l'embarras. Il ne s'était pas attendu à ce que Camus vienne ostensiblement se confronter au danger et lui expliquer ces faits. Il allait devoir réfléchir un peu.
Sur ces entrefaites, et voyant que Shion avait gardé le silence, Camus décida de jouer le tout pour le tout.
« Et… Oui, Grand Pope, continua-t-il avec une sincérité troublante. J'aime Milo. Puisque vous ne voulez pas que j'emploie cet argument pour vous convaincre, je ne le ferai pas. Mais sachez que vous ne détruiriez pas qu'une seule vie, en choisissant de poursuivre et de tuer Milo pour sa désertion. Vous anéantiriez la mienne, ainsi que tous les efforts que j'ai fournis pour qu'il se rétablisse. Sans parler de l'existence de mon jeune disciple, que vous condamneriez avec moi, si vous m'emprisonniez. Je vous suis toujours dévoué, et mon souhait est de servir la Citadelle Bénite de la même manière que je l'ai fait précédemment. J'apporterai mon aide à la ville et à sa souveraineté tant que je le pourrai. Malgré ce que mes actes ont pu vous faire croire, cela ne change pas. »
Camus s'interrompit, au bout de son discours. Cette fois, il avait la nette sensation qu'il avait dit tout ce qu'il avait à dire. Si cela ne convenait pas au Grand Pope… il ne pourrait rien faire de plus. Il jugeait son argumentaire suffisamment long, tel qu'il l'était. A moins de faire une prière aux dieux, il ne savait pas ce qu'il pourrait accomplir de plus pour tenter de sauver son amant.
Shion échangea un regard avec Dôhko. Celui-ci ne fit aucun commentaire. Comme lui, il avait l'air de considérer les mots de Camus.
« Est-ce que tu as seulement accompli la mission pour laquelle tu avais été convoqué, à la Tour de Garde ? L'interrogea sérieusement le souverain.
- Oui, Altesse, acquiesça Camus. J'ai fait ce pourquoi on m'y avait demandé. Si vous interrogez le général Aiolia, il pourra vous le confirmer. »
Il y eut un autre silence, pesant. Le Grand Pope sembla hésiter.
« Franchement, Shion… Je ne sais pas trop ce que tu perds à le gracier… Finit par intervenir Dôhko. Je ne te donnerai que mon point de vue, mais… C'est vrai que le chevalier Milo a réellement risqué sa vie pour sauver la princesse. Il n'avait vraiment pas l'air d'être quelqu'un de rebelle ou de mal intentionné.
- Si je le gracie, ma justice sera laxiste, le contredit Shion, sceptique. Tout le monde vit sous les mêmes lois.
- Le cas de Milo a l'air d'être unique, répliqua Dôhko avec grand sérieux. Peut-être serait-il approprié d'appliquer des mesures exceptionnelles à son encontre. Après tout, ce chevalier a donné de sa personne pour le bien-être de la princesse. Peut-être qu'un peu de magnanimité ne serait pas superflue. »
Dôhko marqua une pause. Camus le fixa, le cœur battant.
« Et puis… Ton mage des glaces t'a l'air utile, et dévoué, continua l'aubergiste en le désignant d'un signe de tête. Ce serait bête de l'emprisonner, et de te le mettre à dos pour une histoire pareille. Personnellement, je crois que tu devrais leur laisser une chance. »
A ces mots, Camus se figea complètement, au comble de l'angoisse. La présence de Dôhko allait peut-être peser positivement dans la balance. C'était ici que tout allait se décider.
« Très bien, capitula le Grand Pope dans un soupir. Ces circonstances sont en effet… Exceptionnelles. »
Camus soutint le regard de Shion, suspendu à ses lèvres. Ce seraient elles qui décideraient de la vie ou de la mort de son amant.
« Mage Camus, l'interpella le Grand Pope sur un ton solennel. Tu es coupable d'un enlèvement grave. Toutefois, malgré la teneur de tes actes… Je juge tes motifs fondés. Tu as agi de manière morale, malgré l'interdiction qui pesait sur toi. Si tu me jures solennellement de continuer à offrir tes services à la Citadelle avec autant de bonne volonté que par le passé… Tu auras le droit de garder ta liberté.
- Je vous le jure sur mon honneur de mage des glaces, prononça Camus, qui s'empressa de s'incliner avec déférence.
- Cela étant dit, Camus… Je ne serai plus aussi bienveillant si tu devais trahir de nouveau l'ordre en place, l'avertit plus sévèrement Shion. Mais puisque tu as contribué à nous ramener la princesse ici, je considère que la Citadelle avait une dette envers toi, et qu'elle vient d'être payée. »
Camus inclina de nouveau la tête, en un remerciement muet.
« Concernant Milo… » Reprit le Grand Pope.
Le mage des glaces sentit son cœur s'arrêter.
« Son cas est plus grave que le tien, déclara Shion. Malgré ces circonstances… Il restait un haut gradé de mon armée, avec des informations capitales pour la défense de mon territoire. Sa désertion pose un problème de sécurité. »
Le Grand Pope s'interrompit un instant.
« Je consens à le gracier, prononça-t-il solennellement. Le chevalier Milo ne sera plus poursuivi. En revanche… Pour sa désertion, il sera banni du Continent Béni dans son entièreté. Il sera libre de voyager où il voudra ailleurs… Mais s'il est trouvé sur mes terres, pour quelque raison que ce soit, il sera emprisonné. Voilà ma décision. »
A ces mots, Camus ne put pas s'empêcher de pousser un soupir de soulagement. Shion l'avait dit… Milo pourrait vivre. Il était banni… Mais il pourrait vivre. C'était… C'était déjà inespéré. Plus personne ne chercherait à le retrouver et lui faire du mal sans raison. En soi, c'était une victoire… Immense. Camus ne regrettait absolument pas de s'être déplacé.
« Je crois que tu viens de faire un heureux », commenta Dôhko en regardant gentiment Camus.
En voyant la mine visiblement soulagée du mage, le Grand Pope hocha légèrement de la tête.
« Merci, Grand Pope… Merci de tout cœur, déclara sincèrement Camus. Vous ne pouvez pas savoir… A quel point je vous suis reconnaissant de votre extrême magnanimité. »
Le souverain ne répondit rien. Camus posa simplement sa main au niveau de son cœur pour appuyer sa gratitude.
« Je te laisserai le soin de lui annoncer, puisque tu sembles savoir où il se trouve », prononça Shion en guise de réponse.
Le mage des glaces hocha positivement de la tête. Cela, il n'y manquerait pas, c'était certain.
« Si c'était tout ce que tu étais venu me demander, tu peux te retirer, Camus, lui dit ensuite le Grand Pope. J'attendrai que tu viennes te présenter devant moi pour offrir tes services à la Citadelle quand il te le sera possible.
- Je n'y manquerai pas. Heureux de vous avoir revu, Dôhko, le salua courtoisement le mage. Et… Altesse… Merci encore. De m'avoir écouté malgré les circonstances, et de m'avoir accordé ce pardon. Vous êtes un grand souverain, et j'essayerai me montrer digne de votre magnanimité. »
Shion acquiesça pensivement.
« Très bien. Tu peux disposer, Camus. Passe une bonne journée.
- Vous aussi, Grand Pope. »
Avec un dernier salut, le mage se retourna et retraversa la salle en sens inverse. Des gardes refermèrent la porte de la salle du trône derrière lui.
« T'es sûr que j'ai bien fait ? S'enquit Shion à voix basse, lorsque le mage fut parti.
- T'as sondé son esprit, lorsqu'il t'a parlé, non ? Fit Dôhko en haussant les épaules. Il ne t'a pas menti ?
- Non… Il ne m'a pas menti, confirma Shion. Et… Et je n'ai pas non plus ressenti de malice dans ses intentions… Cela m'aurait étonné… Parce que je l'ai toujours connu ainsi. Camus est d'habitude droit et loyal, et… C'est bien pour cette raison que sa conduite avec ce chevalier est… Très surprenante, à mes yeux. Je dois avouer que je ne m'étais pas attendu à ce qu'il me fasse un coup pareil un jour.
- C'est l'amour, ça, sourit Dôhko.
- Amour ou pas… Ce mage est un être très rationnel… D'habitude, répliqua Shion, sceptique.
- Moi, je crois que tu as bien fait de les laisser tranquille, le rassura son interlocuteur. Les deux, là… Ils avaient l'air d'assez bonne pâte, quand je les ai rencontrés, tu peux me croire. Et ce Milo y compris. Je ne crois pas que tu aies fait une erreur en le graciant. Je ne suis pas très inquiet. »
Il y eut un silence entre eux.
« Et puis franchement… Avoue qu'à sa place, tu l'aurais fait aussi, lui sourit Dôhko d'un air complice. Si j'avais été mourant dans un édifice militaire… Tu serais venu me sauver, non ?
- Sans aucun doute, admit Shion. Mais je te signale à tout hasard que je suis censé gérer la baraque, moi, ici. Je n'ai pas exactement le même poste que ce mage des glaces.
- Ça n'invalide pas mon argument.
- Peut-être…
- De toute façon, tu verras bien assez tôt si ce Camus essaye de te trahir, raisonna Dôhko. Et à ce moment-là, tu pourras toujours le faire arrêter, vu que c'est toi qui gères la baraque, comme tu dis… Mais à mon avis, au vu de la manière dont il t'a remercié… Ça n'arrivera pas. Quand je les ai vus, tous les deux, à l'auberge… Ils avaient déjà l'air extrêmement soudés. Ça ne me surprend pas qu'il soit venu ici plaider pour la vie de Milo. Le chevalier s'était fait avoir par une sale bête dans les marais, le jour où je les ai rencontrés, et Camus était arrivé en très mauvais état lui aussi chez moi, rien que pour le sauver. Je pense qu'il tient vraiment beaucoup à lui. Si tu voulais t'assurer la fidélité de ce mage des glaces, je crois que tu viens de t'en donner une garantie solide. »
En entendant l'argumentaire de Dôhko, Shion fit un sourire pensif. Il échangea un regard complice avec son ami de toujours.
« Tu sais me parler, toi. »
Camus, une fois qu'il fut sorti du Palais, eut envie de hurler tout ce qu'il avait pour exprimer sa joie. A la place, seul un sourire lumineux vint éclairer son visage. Il avait eu raison de croire que Milo pouvait être gracié. Malgré son bannissement, son amant aurait le droit de rester sur son île, avec lui… Il aurait enfin le droit d'avoir une vie différente. Il lui faudrait sans doute trouver quoi… Mais le plus important était qu'il avait réussi. Milo avait le droit de vivre. Le mage n'avait qu'une hâte : celle de retrouver le chevalier pour lui annoncer la bonne nouvelle.
Sa réussite le soulageait tellement qu'il avait envie de danser. Loué soit le Grand Pope et sa magnanimité. Et loué soit Aiolia pour lui avoir confié Milo. A présent… A présent, il aurait le droit d'être avec lui… Il aurait le droit de l'aimer… Tout ce qu'il pouvait.
Le mage fit quelques pas néanmoins calmement dans la ville pour retourner à son bateau. En traversant les rues de la ville haute, et en passant devant quelques commerces, il décida de prendre le temps de s'arrêter dans certains d'entre eux pour faire des achats. Il avait envie de faire plaisir à son amant et à son disciple. La nouvelle de sa réussite serait sûrement déjà beaucoup… Mais pourquoi ne pas rapporter un petit quelque chose à chacun d'eux ? De toute manière, passer une heure ou deux en plus en ville ne changerait pas grand-chose à la longueur du voyage qui l'attendrait ensuite.
Camus entra dans une boutique d'étoffes, dans l'idée de trouver de nouveaux vêtements pour habiller Milo. Celui-ci n'aurait plus besoin de se promener dans un attirail militaire lourd et inconfortable, désormais. Camus avait bien regardé et compté les effets personnels que Milo avait pu emporter de la Tour de Garde avec lui… Et autant dire qu'ils étaient en quantité limitée. Celui-ci n'avait plus beaucoup d'habits à lui. Et pour le moment, le chevalier portait les vêtements les plus amples que Camus arrivait à trouver dans ses affaires. Le mage serait heureux de revoir Milo un jour magnifié par la courbe élégante d'un vêtement au beau retombé. Son amant était étourdissant de toute manière, mais… Bien habillé, il serait éclatant de beauté. Camus l'avait constaté quand il l'avait vu faire tous ces essayages de manteaux, à la Cité des Glaces.
Camus choisit quelques habits pour Milo, dans des couleurs et des tissus qu'il aimait bien. Au lieu de se décider à prendre un habit parmi tant d'autres, il prit à la place tout ce qui lui plut dans la boutique. Il était d'humeur généreuse.
Puis, il passa dans une librairie. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas renfloué sa collection de livres. Hyôga serait sans doute très ravi d'avoir une nouvelle histoire à lire. Le mage choisit un nouvel ouvrage, avec une belle reliure en cuir, pour offrir à Hyôga. Il espérait qu'il aimerait l'histoire. Son disciple s'était très bien comporté avec lui depuis que Milo était arrivé chez eux, dans l'ensemble, et il tenait à lui faire savoir.
Camus compléta même ses achats dans la ville par des pâtisseries. Il avait noté dans un coin de son esprit que Milo aimait bien les choses sucrées. Comme il se réhabituait à manger… Lui ramener quelque chose qui lui ferait à la fois envie et plaisir à manger serait définitivement une bonne chose. Et son disciple serait sans doute ravi lui aussi de savourer ce genre de mets. Il allait rapidement les mettre dans son bateau, en espérant que les gâteaux tiendraient le voyage.
Ravi du tour positif qu'avait pris sa matinée, Camus ne tarda pas à sauter dans son bateau avec toutes ses petites affaires, et il leva rapidement l'ancre.
Il lui tardait de pouvoir annoncer la bonne nouvelle à Milo…
La journée, de l'autre côté de la mer, fut moins paisible, pour Hyôga et Milo.
Les deux habitants de la maison essayèrent comme ils purent de tuer le temps ensemble, et avec les moyens du bord. Hyôga avait été soulagé de voir que le pendentif de Milo émettait toujours de la lumière. Cela le rassurait considérablement, de voir cette lueur. Tant que l'artefact brillait, c'était que Camus était vivant. Sachant qu'il avait dû demander audience le matin même, et que le pendentif émettait toujours de la lumière en fin d'après-midi, cela voulait sans doute dire que le mage n'avait pas été mortellement malchanceux.
Hyôga fit tous les repas de la journée, comme la veille, et Milo, en retour, fit tous les efforts du monde pour manger ce qu'il lui proposait. Le chevalier avait à cœur de s'entendre avec le disciple de Camus. Il s'était fixé cet objectif pour éviter de penser à un possible retournement malheureux des évènements pour son amant. Alors… il avait fait tout son possible pour être présent pour le plus jeune. Même s'il ne bougeait de son lit qu'avec l'aide serviable de Hyôga… Il avait fait l'effort de tenter de rester éveillé toute la journée pour lui tenir compagnie. Il en profita même pour lui raconter quelques morceaux de sa mission avec Camus. Sans lui révéler de détails trop compromettants, évidemment. Milo savait que Camus aurait besoin de temps pour expliquer à Hyôga ce qu'il y avait entre eux… Et ce dernier, étrangement, n'avait pas vraiment l'air de se douter de quoi que ce soit. Il semblait davantage complètement perdu face à cette nouvelle situation. Discuter avec Milo lui fit apprécier sa personnalité, finalement. Celui-ci était en fait bienveillant, et étrangement patient avec lui. Hyôga devait bien s'avouer qu'il ne s'y était pas attendu. Milo était pourtant beaucoup plus expressif et spontané que Camus. Hyôga avait instinctivement pensé que leurs échanges auraient pu devenir houleux, mais ils ne le furent pas. Milo semblait avoir le contact humain naturellement facile. C'était peut-être de cette façon que le chevalier avait convaincu son maître de faire équipe avec lui, s'était dit Hyôga.
Milo, pour passer le temps, raconta au jeune disciple leur voyage dans la Forêt Noire. Comment ils s'étaient perdus au milieu de ces grands arbres, et comment ils avaient affronté les loups. Il omit évidemment de lui dire que Camus en était secrètement terrifié. Il n'avait pas dans l'idée d'entacher l'image de courage et de stoïcisme que le jeune apprenti se faisait de son mentor. Puis, voyant que Hyôga avait l'air d'hautement apprécier le récit de voyage, il lui raconta leur rencontre avec Mû et Shaka. Il décrivit ce qu'il avait compris de leurs pouvoirs à un Hyôga émerveillé par ces pratiques. Milo lui révéla donc qui était la personne qui lui avait donné ce joli pendentif – le mage de lumière, évidemment. Hyôga, qui finit par faire deux et deux, lui demanda si la bague que portait Camus venait du même mage, et Milo le lui confirma.
Le disciple, en entendant ce récit très agréable à écouter, car Milo savait tout de même raconter les choses, à sa manière (il était plus désinvolte, et il mettait davantage d'humour que Camus dans ses paroles), se demanda alors pourquoi son maître avait refusé de lui parler de ce voyage. Cela avait l'air, et de loin, d'être la mission la plus palpitante que celui-ci avait dû accomplir. Il trouvait cela extrêmement dommage qu'il ait refusé d'en toucher un seul mot. Cela avait été apparemment mouvementé, et plein de rencontres intrigantes… Camus avait dû vivre une sacrée expérience, en compagnie de Milo.
En tout cas, Hyôga fut assez heureux d'en entendre plus sur cette histoire. Elle n'expliquait pas complètement la mélancolie de Camus après être revenu de cette mission, ni pourquoi il avait choisi de la taire à ce point, mais au moins, il en savait un petit peu plus sur ce qu'il s'était passé, et sur qui était vraiment Milo.
Le soir finit par tomber sur la maison, et Hyôga prépara un dîner que Milo complimenta sincèrement, lorsqu'il le goûta. Tous les deux mangèrent, comme ils avaient pris l'habitude de le faire en l'absence de Camus, dans la chambre, le chevalier assis dans le lit, et le disciple sur une chaise, près de lui.
Milo aimait bien le gamin, il devait se l'avouer. Il le trouvait attendrissant. Il avait son petit caractère légèrement colérique, qu'il cachait bien derrière une couche de courtoisie et de politesse que Camus lui avait sans doute apprise. Le chevalier l'avait bien observé, et il trouvait cela intérieurement tordant de voir le jeune blond essayer de reproduire maladroitement la conduite impeccablement impassible de son maître. Non seulement parce que Milo voyait bien que Hyôga n'y arrivait absolument pas, mais aussi parce qu'il trouvait de toute manière que même la carapace de Camus était imparfaite. Son problème, c'étaient ses yeux, se disait Milo en repensant à son amant. Ses beaux yeux aussi froids que ses pouvoirs, d'un bleu foncé magnifique. Ils trahissaient ses émotions en permanence en changeant d'éclat. Le disciple ne semblait pas avoir réellement compris que son maître était sans doute pris de tous temps dans une tornade d'émotions, derrière son maintien solide. D'ailleurs, pensait Milo, il valait peut-être mieux pour Hyôga qu'il ne s'en aperçoive jamais. Milo apprit à comprendre rapidement que pour celui-ci, Camus était un point d'ancrage profond, et que si cette image-là s'effritait d'une quelconque manière, toute la stabilité et la vie du jeune homme s'écroulerait avec. Camus se montrait sans doute fort pour que Hyôga trouve de la paix et de la tranquillité dans la maison. Milo, ayant compris cette donnée, faisait de son mieux pour être rassurant avec lui, à sa manière, en l'absence de l'hôte des lieux. Il avait tout de suite décelé une fragilité latente chez Hyôga. L'apprenti était manifestement un enfant qui voulait bien faire, et qui avait grandi dans la crainte de décevoir, et d'être abandonné, s'il n'était pas à la hauteur des attentes sans doute très hautes de Camus. Car Milo ne se leurrait pas sur ce point. D'après ce que Hyôga lui avait un peu raconté de ses entraînements avec Camus (et autant dire qu'il y avait prêté une oreille plus qu'attentive, avide de savoir), le mage des glaces était exigeant. Même très. Milo se doutait assez que Camus devait être un perfectionniste dans l'âme, et ce n'était pas étonnant au vu de la manière dont il était aussi exigeant avec lui-même en permanence. Milo se souvenait parfaitement que Camus lui avait dit que Hyôga avait subi un traumatisme en perdant sa mère. Le chevalier avait l'impression d'instinctivement ressentir que cette chose-là était bien ancrée dans l'esprit de l'adolescent. Et qu'elle devait faire partie de cette impression de fragilité qu'il avait en le regardant. Pourtant, le disciple mettait toute la volonté du monde à se montrer fort. Certainement dans l'optique inconsciente de rendre fier son maître, réfléchit Milo en le contemplant. S'il y avait une chose que ce gamin semblait rechercher activement, c'était la reconnaissance et l'affection des gens autour de lui. Et surtout, surtout, celle de Camus. Et au vu de la manière dont le mage pouvait être distant… Ce genre de démonstrations devaient avoir été assez rares pour lui.
Milo ne savait pas trop comment se passerait leur entente à tous les trois, à la condition que Camus revienne. Il était bien conscient que sa présence allait changer l'économie de leurs relations. Et d'après ce qu'il comprenait, Camus était un peu différent dans sa manière de se comporter avec Hyôga depuis qu'il était revenu de leur mission. Hyôga lui avait dit que son maître le complimentait davantage que la moyenne, et qu'il avait même l'impression de ne pas mériter du tout ses louanges. Il lui avait avoué qu'il doutait de même pouvoir un jour égaler Camus tant ses pouvoirs lui semblaient au-dessus des siens. Milo, lorsque l'apprenti le lui avait révélé, s'était tout de suite dit que sa théorie sur ce qu'il avait analysé du comportement de Hyôga devait être cruellement juste. Celui-ci avait la peur profonde et constante de ne pas être à la hauteur, et de décevoir. Milo avait bien fait de dire à Camus d'assurer à Hyôga qu'il l'aimait et qu'il était fier de lui. Cela avait dû lui faire beaucoup de bien.
Au terme de cette journée difficile car tout de même placée sous le signe de la crainte, que ce soit pour l'amant ou pour le disciple, Milo s'endormit assez tôt dans le lit de Camus. Il avait enfin réussi à faire une journée complète sans faire la moindre sieste, à part quelques envies de somnoler çà et là, et le sommeil le trouva massivement dès qu'il se réinclina au fond de son lit. Hyôga jeta un dernier coup d'œil au pendentif de Milo avant de quitter son chevet, pour rejoindre sa chambre à lui, rassuré de constater qu'il brillait toujours. Il avait laissé Milo s'endormir sans le déranger, un peu culpabilisé malgré tout par le fait qu'il soit aussi épuisé. Il avait été touché de voir Milo faire tout son possible pour lui accorder son temps, s'enquérir de lui et lui raconter quelques histoires. Il lui devait bien de le laisser se reposer le plus possible.
La matinée suivante était très avancée lorsque Camus arrima son bateau sur l'île de l'Aurore.
Celui-ci, le visage pâle, et tiré par l'épuisement de son voyage quasiment sans sommeil, avança néanmoins avec vivacité à travers les terres, chargé de toutes les affaires qu'il avait achetées à la Citadelle Bénite. Il avait trouvé un bon paquet de vêtements pour Milo… Et il regrettait presque d'en avoir pris autant, d'un coup. C'était lourd, et il était à bout… Mais il avait vraiment voulu faire plaisir. Il n'y était pas allé de main morte… Mais il assumait ses actes. Milo le méritait.
Ce matin-là, comme à l'accoutumée, Milo et Hyôga avaient partagé un petit déjeuner ensemble. Puis, toujours très anxieux pour Camus, ils avaient décidé d'un commun accord de lire un moment, chacun son livre, pour occuper tant bien que mal leur matinée, dans l'espoir que le mage ne revienne.
En effet, ce fut un claquement de porte qui tira instantanément Hyôga de sa lecture. Celui-ci releva la tête en sursaut. Ce bruit… Cela ne pouvait qu'être maître Camus qui…
Choisissant de ne même pas y réfléchir davantage, Hyôga sauta de sa chaise devant le regard étonné de Milo. Sans même dire quoi que ce soit au chevalier, il se rua hors de la pièce.
« Hyôga, attends ! » S'exclama Milo, qui avait compris.
Le disciple ne prit pas l'ordre en compte. Il courut à travers la maison, et il arriva bien vite dans le salon, où il vit effectivement son maître en train de poser plusieurs effets par terre, dans l'entrée. Le jeune homme, en voyant Camus, s'illumina.
« Maître Camus ! S'écria-t-il, comblé. Vous êtes revenu ! »
Hyôga ne réfléchit pas. Il ne laissa pas à Camus le temps de faire le moindre mouvement. Il se précipita sur lui, et le prit fermement dans ses bras.
« Vous êtes là ! Je suis tellement heureux ! S'exclama-t-il de plus belle. Avec Milo, on s'est tellement inquiétés !
- Oui, je suis là, Hyôga », fit le mage en lui rendant l'étreinte. Devant l'empressement de son disciple, il ponctua sa phrase d'un léger rire.
« Alors ! Vous avez réussi, maître, n'est-ce pas ?! Continua Hyôga en ne le lâchant pas.
- Oui, j'ai réussi, lui confirma Camus, semblant assez fier de lui. Tu vois… ? Je t'avais dit que je reviendrais.
- Vous êtes vraiment le meilleur, maître ! Fit sincèrement le plus jeune.
- N'exagérons rien, Hyôga », minimisa Camus.
Seul le rire d'un Hyôga très heureux lui répondit.
« Comment va Milo ? Lui demanda-t-il ensuite. Il faut que j'aille lui annoncer la bonne nouvelle.
- Il va bien, maître, il est toujours dans votre chambre, le renseigna le disciple en le lâchant, finalement.
- Je vais aller le voir. Il a dû mourir d'inquiétude, le pauvre… Murmura Camus.
- Allez-y, moi, je vais vous aider à ranger un peu, si vous voulez, lui offrit Hyôga.
- Merci », fit le mage en avançant davantage dans la pièce.
Camus traversa la maison en de grandes enjambées. Il avait hâte de revoir Milo. De pouvoir le serrer à nouveau contre lui. Il lui avait manqué… Simplement en deux jours. Il espérait seulement que le chevalier ne lui en voulait pas trop d'être parti sans prévenir.
En entrant dans sa chambre, Camus se figea sur place.
Milo était bien là… Mais le mage ne le vit pas à l'endroit escompté. Celui-ci n'était pas dans son lit. Il était debout, se tenant péniblement au mur à côté du lit pour rester droit. Mais il était à la verticale. De lui-même. En voyant cela, Camus écarquilla les yeux. Puis il s'illumina complètement en croisant le beau regard de Milo. Il était debout ! Debout !
« Milo ! » S'écria-t-il en se ruant vers lui.
Camus le prit immédiatement dans une étreinte ferme et possessive. Milo s'affaissa légèrement dans ses bras, lorsqu'il l'attira à lui, si bien que Camus dut le porter en partie pour éviter qu'il ne s'effondre. De toute évidence, si le chevalier avait réussi à se lever de lui-même, il n'était pas assez fort pour tenir tout seul ou marcher.
« Camus… Espèce d'idiot… Murmura Milo en lui rendant son étreinte. T'es vraiment un abruti d'inconscient… J'ai eu tellement peur pour toi… »
Camus se contenta de planter un baiser ferme dans le cou de son amant.
« Milo… Tu es debout… Tu ne peux pas savoir comme je suis heureux de te voir ainsi.
- Ouais… Debout… C'est vite dit », grimaça le chevalier en se sentant glisser.
Le mage le rattrapa avant qu'il n'ait le temps de tomber davantage.
« En effet, pour l'instant, tu n'as rien à faire hors de ton lit, le gronda-t-il gentiment.
- Je t'ai entendu rentrer… Je voulais te rejoindre, expliqua Milo lorsque Camus l'aida à revenir sur son lit.
- Je suis là, maintenant, lui assura Camus en le rasseyant contre ses coussins. Je suis là. »
Milo alla lui prendre la main lorsqu'il fut installé. Camus s'assit tout proche de lui sur le matelas.
« T'as l'air crevé, s'inquiéta le chevalier.
- Je le suis… Confirma platement le mage. J'ai à peine dormi en deux jours… Mais qu'importe… C'était nécessaire.
- Tu sais que je te déteste de m'avoir rien dit ?
- Je sais.
- Ne me refais plus jamais un coup pareil, Camus, lui ordonna vivement Milo. J'ai cru mourir de peur. Et je ne me serais jamais pardonné si tu n'étais pas revenu…
- Je suis désolé pour toutes ces choses… S'amenda son amant à voix basse. Je ne voulais pas t'inquiéter autant. Excuse-moi d'être parti comme ça. »
Le silence se fit entre eux.
« Milo… J'ai réussi. J'ai réussi ce que je voulais faire…
- Tu as réussi ?
- Shion t'a gracié.
- Impossible.
- Si… Tu ne seras plus pourchassé, Milo… Tu as le droit de vivre… Ici. Si tu le veux. »
A ces mots, Milo étreignit immédiatement Camus avec toute l'énergie dont il était capable. Le mage tomba dans son giron, surpris de la force que son amant mettait dans le contact.
« C'est vrai ? C'est vraiment vrai ? S'empressa Milo. Mais, et toi ? Tu es libre ? Personne ne va te faire de mal ?
- Non, Milo… Je suis libre… Le rassura Camus. Je me suis un peu fait engueuler par Shion, mais… Je suis libre…
- Camus, je n'arrive pas à croire à quel point tu es extraordinaire, tu le sais, ça ?
- Tout de suite les grands mots.
- Ah, non ! Tu ne me fais pas ton numéro de modestie, s'exclama immédiatement Milo. Tu es une véritable bénédiction, depuis que tu es entré dans ma vie… A tel point que j'ai peine à y croire… Laisse-moi te le dire.
- Bénédiction, je ne sais pas, minimisa Camus, plus grave. Milo, il faut tout de même que tu saches une chose… Shion a bien voulu te gracier… Mais il t'a banni du Continent Béni, en contrepartie. Il m'a dit que tu serais emprisonné si jamais tu y retournais. »
Il y eut un silence entre eux. Milo ne lâcha pas Camus.
« Ça ne fait rien, affirma-t-il, plus sombre malgré tout. Je suis déjà rassuré… De savoir que personne ne cherchera à s'en prendre à toi à cause de moi. C'était mon unique crainte. Grâce à toi… Elle n'a plus lieu d'exister.
- Non. Tu seras tranquille, désormais… Tu vas pouvoir te rétablir sans crainte… Vivre.
- Oui… Camus… Je ne te mérite pas. Je ne mérite pas tout ceci.
- Cesse de dire ce genre d'idioties, Milo, le gronda sévèrement Camus. Immédiatement.
- Mais… C'est vrai, pourtant… Le contredit Milo. Tu as réalisé l'impossible, Camus. Tu ne peux pas savoir à quel point je t'en suis reconnaissant.
- Ça ne te rend pas pour autant moins méritant, le réprimanda le mage. Arrête de parler de toi ainsi, tu sais que ça m'énerve. Tu as eu le temps de reprendre cette mauvaise habitude, pendant notre séparation… Crois-moi que je vais corriger ça définitivement. »
Milo laissa échapper un léger rire. C'était vrai que Camus lui avait dit… Qu'il ne voulait plus rien entendre de désobligeant à son encontre, la nuit avant qu'il ne parte à la Citadelle. Ses propos devaient être valables pour lui aussi. Pas seulement pour son élève.
« Mmmh… Tu veux me dresser ? Se moqua le chevalier.
- Ferme-la, Milo.
- Ça veut dire oui ?
- Ça veut dire, arrête de raconter tes bêtises. Je suis fatigué… »
Milo se détacha un peu de l'étreinte pour observer Camus. Il contempla attentivement un visage ostensiblement éreinté. Le mage avait vraiment besoin de se reposer, en conclut Milo, soucieux. Le chevalier pressa brièvement ses lèvres sur les siennes, avant de lui sourire.
« Dors, dans ce cas, lui enjoignit-il. Tu as l'air… Vraiment à bout. Ne t'inquiète pas… Tu me raconteras tout une fois que tu te sentiras mieux. Moi, je ne vais pas m'envoler. Y'a aucun risque. »
Camus ne fit que hocher de la tête positivement. Sans dire un mot de plus, il se laissa aller à s'effondrer sur le lit depuis là où il était, en travers des jambes de Milo. Celui-ci éclata de rire en le voyant faire, attendri.
« Mets-toi au moins dans une position plus confortable, lui conseilla-t-il à travers son rire.
- Sommeil, marmonna Camus. Je veux rester contre toi… »
Un grand sourire ravi étira les lèvres de Milo. Il essaya tant bien que mal de hisser Camus un peu mieux sur le matelas. Celui-ci, en le sentant faire, fit un dernier effort pour bouger. Il roula sur le lit, pour que son corps soit dans une position plus correcte, au côté de Milo. Sa tête trouva les cuisses du chevalier, toujours assis sur le lit. Ses paupières se fermèrent instantanément au moment même où il prit appui sur son amant. Le sourire de Milo se fit plus tendre, lorsque celui-ci constata que Camus le prenait toujours pour une grosse peluche. L'une de ses mains alla trouver ses beaux cheveux lisses pour les caresser doucement. Camus, ainsi installé, s'endormit comme une masse. Milo continua de le contempler amoureusement, fasciné et comblé.
« Maître Camus, vous sauriez où je dois ranger le… » Fit la voix de Hyôga, qui toqua sommairement à la porte déjà ouverte. Milo, en l'entendant parler aussi fort, plaça immédiatement son index devant sa bouche pour lui intimer de se taire.
« Oups, pardon », chuchota le disciple en comprenant. Il resta de ce fait à la porte.
Milo, de sa main qui était libre, car l'autre était toujours logée dans les cheveux de Camus, l'invita à s'approcher. Hyôga obtempéra et s'avança avec appréhension dans la pièce.
« Il est crevé, il vient de s'endormir, lui expliqua Milo à voix basse. C'était quoi, la question ?
- Je… C'est juste que je rangeais les affaires qu'il a rapportées dans la maison, expliqua Hyôga en chuchotant. Et y'a un grand sac rempli de choses… Que je ne sais pas où mettre, c'est pour ça. Mais c'est pas grave… Je suppose qu'il le gèrera quand il sera réveillé.
- Un grand sac ?
- Oui, il y a tout un tas de trucs que j'ai jamais vus dedans. Je ne sais pas pourquoi c'est. Il nous dira sûrement plus tard.
- Sûrement, oui.
- Dis, Milo… Hésita Hyôga en regardant son maître, ainsi assoupi sur ses jambes.
- Oui ?
- Il fait souvent ça avec toi, maître Camus ? » Voulut savoir le disciple d'une petite voix.
Milo étira un sourire malicieux.
« On s'aime bien, justifia-t-il sommairement. T'as remarqué qu'on tenait l'un à l'autre, je suppose ?
- Oui, c'est vrai, j'ai remarqué, agréa Hyôga en haussant un sourcil. Mais… Moi aussi, il m'aime bien, et je l'ai jamais vu comme ça.
- Il vient de faire deux jours entiers de bateau, d'après ce que j'ai compris, fit Milo d'un air détaché. Il est fatigué, c'est tout.
- Il doit vraiment beaucoup tenir à toi pour avoir fait tout ça, commenta Hyôga, étonné. D'ailleurs, en parlant de ça, il m'a dit qu'il avait réussi à te faire gracier. Félicitations, Milo.
- C'est plutôt à lui qu'il faudrait dire ça, déclara l'intéressé en reportant un instant son attention sur Camus. C'est lui qui s'est donné tout ce mal.
- C'est vrai. Enfin… Je suis quand même content pour toi. Si le Grand Pope te laisse la vie sauve, c'est que tu le mérites. Bravo à toi.
- C'est gentil, Hyôga. Merci. »
Milo ponctua sa phrase d'un sourire bienveillant. Hyôga faisait des progrès avec lui, depuis qu'il lui avait jeté à la tête ses incertitudes. Le chevalier sentait tout à fait que celui-ci faisait tout pour se rattraper des choses malheureuses qu'il lui avait dites. Milo avait beau l'avoir rassuré, lui avoir dit que ce n'était pas grave… Hyôga semblait avoir naturellement tendance à culpabiliser pour tout et n'importe quoi.
Le disciple aurait quelques progrès à faire pour avoir davantage d'assurance… Et puisque Milo était désormais voué à rester dans cette maison… Il se promit qu'il ferait tout pour rendre ses hôtes les plus heureux possible. Hyôga y compris. Le gamin n'avait qu'à bien se tenir…
