Mot de l'auteur

/!\ Cette histoire est une réécriture en version boy x boy de "La quête des Livres-Monde" de Carina Rozenfeld, l'histoire et les personnages lui appartiennent ! Les livres peuvent être acheter sur amazon, fnac et en librairie ! (Environ 5 à 14 euros le livre et environ 30 euros l'intégrale) pour soutenir l'auteur et la financer dans ses projets ! /!\

PS : Les personnages autres que Nathan, Zayn, Lia et Aela ne m'appartiennent pas ! Ils sont de Carina Rozenfeld, une écrivaine très talentueuse que j'admire !


Lenny referma le livre d'un air satisfait. Les photos étaient dans la boîte et il ne s'était rien passé, pas de catastrophe, pas de tremblement de terre ou de tornade, pas de monstres sortis de l'enfer. Rien que la nuit calme et fraîche, et une sirène des pompiers qui hurlait quelque part, plus loin.

Il se frotta les yeux avant d'aller s'asseoir devant son ordinateur. En transférant les photos, puis en les voyant se charger en pièces jointes dans son mail, il se demanda si PassiondesLivres allait trouver ces petites billes noires intéressantes, ou si ces images allaient le décourager.

Il en saurait plus dans quelques heures...

Une fois sa tâche accomplie, il se leva, s'étira en bâillant au milieu de son salon et se prépara à sortir. Il attrapa sa veste et ses clefs d'un geste prompt, en sifflotant, car il était de bonne humeur et avait envie de croire que tout irait mieux le lendemain...

Dans le ciel nocturne, une nuée encore plus sombre que la nuit s'insinuait entre les tours d'immeuble en reniflant, droit vers la sienne...

Zayn et Nathan restèrent un long moment immobiles, incapables de prononcer la moindre parole. Leurs corps étaient engourdis de douleurs, leurs cerveaux vibraient encore contre leurs boîtes crâniennes.

Discrètement, Lia était allée dans la salle de bains chercher de l'aspirine, des verres d'eau et des gants humides pour que ses amis puissent laver leurs visages souillés de sang séché.

- J'ai eu peur, en vous voyant comme ça, murmura la jeune fille en leur tendant tout le nécessaire. J'ai cru que la distorsion ne s'arrêterait jamais.

- Et moi donc, souffla Nathan après avoir avalé une gorgée d'eau fraîche. J'ai l'impression que chaque cellule de mon corps a été broyée.

- Pourquoi il a fait ça ? demanda Zayn d'une voix qu'il aurait aimé révoltée, mais qui n'était qu'un filet entre ses lèvres desséchées.

- Espérons maintenant que la vente ira jusqu'au bout, que le vendeur ne se fera pas attaquer par l'Avaleur de Mondes et que le livre ne sera pas détruit avant.

Les paroles de Nathan firent courir un frisson d'effroi.

- Ce serait trop... Non, je ne veux pas y penser, murmura Zayn. Ce serait la fin de Chébérith, et Eyver...

- Eyver ! Il faut l'appeler ! s'exclama Nathan, qui reprenait doucement des forces.

Il se redressa sur son siège en grimaçant. Décidément, il lui semblait qu'il avait passé les derniers jours à avoir mal. Il avait cru qu'il se ferait à la souffrance, après tout ce qu'il avait traversé, mais visiblement c'était une sensation à laquelle on ne s'habituait jamais.

Il tendit le bras et saisit son téléphone, posé près du clavier de l'ordinateur, du bout des doigts. Rapidement, il composa le numéro du vieux Chébérien.

- J'espère qu'il ne va pas trop mal, dit Zayn, en attendant que la communication se fasse.

Enfin, on décrocha à l'autre bout de la ligne.

- Eyver ! s'écria Nathan, comment allez-vous ?

- Je vous remercie de votre inquiétude, monsieur Sykes, mais Eyver n'est pas en état de répondre.

Nathan se mordit la lèvre inférieure en entendant la voix de Jérôme à la place de celle du vieux Chébérien. Son cœur s'accéléra dans sa poitrine alors qu'une angoisse soudaine le saisissait.

- Ne me dites pas qu'il est...

- Il est toujours en vie, mais la distorsion lui a fait beaucoup de mal. Plus que d'habitude. Le phénomène a été trop long. Eyver est, semble-t-il, dans le coma.

- Quoi ?

Nathan avait presque crié, faisant sursauter ses camarades dont les yeux s'emplirent d'appréhension. Il se passait quelque chose, mais ils ne savaient pas quoi. Toute leur attention était tendue vers le téléphone de Nathan, tentant de donner un sens à la voix incompréhensible qui leur parvenait de très loin dans le combiné.

- Hélas... Je crois que c'était l'épreuve de trop pour le pauvre corps de monsieur.

- Mais... c'est impossible ! Il ne peut pas... abandonner...

Nathan sentait des larmes de détresse lui piquer les yeux. Il voyait les visages pâles de ses camarades figés, cherchant à comprendre la teneur de son échange.

- Le coffre, le carnet de Mélior, on ne va jamais s'en sortir..., continua-t-il, la voix de plus en plus tremblante.

- J'en suis conscient, croyez-moi. En ce qui concerne le coffre, je connais la partie de la combinaison de monsieur Eyver. Il savait que ce genre de chose pouvait arriver et il m'avait confié son secret. Quant au carnet, je ne sais quoi vous dire. Je ne sais pas lire le chébérien, je n'ai pas eu le temps d'apprendre. Il nous faut tous espérer qu'il finira par reprendre connaissance et que son esprit n'aura pas été trop abîmé.

D'une voix blanche, Nathan murmura :

- Il faut faire venir un médecin.

- Vous savez bien...

- Jérôme, coupa Nathan d'une voix tranchante, l'oncle de Zayn sait tout, c'est lui qui m'a soigné...

- Alors... S'il veut bien prendre un peu de temps pour voir monsieur Eyver, je lui en serais très reconnaissant.

- Il le prendra, Jérôme, il le prendra. Tenez-moi au courant de la moindre évolution de son état, vous voulez bien ?

- Évidemment. Comptez sur moi...

- Merci.

Nathan raccrocha. Il se tourna vers Zayn, Lia et Aela qui étaient suspendus à ses paroles, respirant à peine.

- Eyver est dans le coma.

Une larme roula sur sa joue.


Jérôme reposa le téléphone portable et, silencieusement, se rendit dans la chambre d'Eyver. Le vieil homme était allongé sur son lit, une couverture remontée jusqu'à mi-poitrine. Il était parfaitement immobile et sa respiration était inaudible.

Son visage cireux était comme un masque inerte. Même fermés, ses yeux restaient enfoncés dans leurs orbites, et cela faisait comme deux trous sombres et inquiétants. On voyait bien qu'il ne dormait pas, il était trop contracté pour donner l'illusion du repos.

Son majordome soupira et s'assit à son chevet.

Jérôme se trouvait dans son laboratoire quand la distorsion avait débuté et il n'avait pas eu l'occasion de réaliser qu'il se passait quelque chose de grave. Eyver ne l'avait pas appelé, n'avait pas crié, aucun son ne s'était fait entendre. Le majordome était plongé dans ses expériences sur le mémo, comme à son habitude quand il n'avait pas à apporter de soins au Chébérien. Il préparait consciencieusement des doses à distribuer à Zayn, Lia et Nathan, afin qu'ils puissent protéger leurs proches des incursions de l'Avaleur de Mondes. Après ce qui s'était passé avec Aela, c'était une urgence. Il était hors de question qu'une telle situation se reproduise. En priorité, il en avait mis deux de côté : une pour Aela et une pour Ben.

Eyver avait ressenti un bouleversement énorme après avoir appris l'agression de Nathan. Il n'arrivait pas à croire que l'Avaleur de Mondes avait franchi cette ligne : utiliser les autres comme appât pour faire plier Nathan. Et pourtant rien n'aurait dû l'étonner. Si l'entité avait été capable d'anéantir une planète entière, avec tous ses habitants, sans une once de pitié, elle n'en éprouverait pas pour un seul être qui se mettait en travers de ses plans. Pendant quelques heures, le vieil homme s'était senti anéanti, vidé. Certes tous les risques valaient la peine pour le retour à la vie de millions d'être vivants. Mais avait-il envie, malgré tout, de voir ces jeunes gens, auxquels il s'était attaché, les prendre ? Comment pouvait-il les aider à se protéger au mieux des attaques de l'Avaleur de Mondes? Existait-il une solution vraiment efficace contre l'entité ?

Il était plongé dans cet abîme de réflexions quand la distorsion avait débuté...

Jérôme était à l'autre bout du couloir, concentré sur ses mesures, ses mélanges et ses alambics. Il se disait qu'il allait devoir s'injecter du mémo. Il devait se protéger, vu la tournure des événements. Cette idée l'intéressait : il allait pouvoir enfin étudier les effets secondaires de cette plante sur lui-même !

Il n'avait compris qu'il se passait quelque chose de grave qu'en entendant le bruit sourd qu'avait fait le corps d'Eyver en heurtant le parquet. Le majordome avait alors couru dans le long couloir, oubliant sa retenue habituelle, mais il était déjà trop tard. Eyver avait fermé son esprit à la souffrance qui avait atteint des sommets intolérables pour son organisme affaibli. Un filet de sang coulait de son nez et tachait les lattes de bois cirées. Tout doucement, Jérôme l'avait porté, allongé sur le lit et nettoyé. Cette fois la situation était très grave. Il avait bien peur que ce ne fût la fin de tout.

Jérôme observait la poitrine d'Eyver qui se soulevait faiblement. C'était la seule preuve qu'un souffle de vie l'animait encore. Délicatement, il serra la main du Chébérien qui reposait contre son flanc et se pencha vers l'oreille de son maître.

- Vous allez devoir être courageux, monsieur. Ils ont encore besoin de vous. Vous ne pouvez pas les abandonner maintenant, même si je sais que vous êtes las, beaucoup trop las...

Eyver ne broncha pas. Pas même un frémissement ne parcourut son corps décharné et terriblement immobile.


Après cette soirée qui avait tourné au cauchemar, Lia raccompagna Aela chez elle. Elle habitait à deux pâtés de maisons de chez elle. Elle était reconnaissante à cette fille de faire le chemin en sa compagnie.

- Ça va ? Tu tiens le choc ? lui demanda Lia en la regardant de côté. Tu as été projetée un peu violemment dans cette histoire, quand même.

Aela eut un petit rire ironique.

- Comme tu dis, oui, mais ça va aller. Disons que tout ce que je vois me conforte dans ma résolution de vous aider.

- Ben, dis donc, tu m'épates. Moi, ça me donnerait plutôt envie de me barrer très, très loin d'ici ! Tu es bizarre comme fille ! Enfin, c'est normal, tu es demi-chébérienne. J'ai pu remarquer au cours de ces dernières semaines que tous les Chébériens étaient un tantinet... heu... insolites ? Pour parler poliment.

- C'est possible, répondit Aela en s'esclaffant.

Elle redevint aussitôt sérieuse et son front se plissa.

- Tu sais, continua-t-elle d'une voix grave cette fois, mon père a disparu définitivement quand j'avais six ans. J'étais très petite, mais je me souviens de tout avec une acuité incroyable. Il a beaucoup souffert de son effacement, de sa dégradation. Le pire, c'était quand il revenait un peu à lui et prenait conscience de son état... Et ma mère a souffert avec lui. Elle l'aimait passionnément et rêvait de partir vivre avec lui sur Chébérith. J'ai assisté à tout cela, à sa déchéance, à la douleur de ma mère, à la fin de notre famille... Et même si ça remonte à une dizaine d'années, je me souviens aussi de tout ce qu'il m'a dit sur son monde, sur sa mission. J'ai gardé tout ça en moi, tout ce temps. J'ai pensé à Chébérith tous les jours, parfois juste pour me persuader que ce n'était pas un rêve... Et enfin, je peux partager ces sentiments avec des personnes capables de me comprendre et surtout, je peux me rendre utile !

Aela ne répondit rien. Que dire à ça ? Elle ne pouvait qu'imaginer la souffrance de la petite fille qu'Aela était alors. Elle avait toujours pensé qu'elle était un peu nunuche, et elle se rendait compte qu'elle s'était trompé à son sujet.

La jeune fille enchaîna d'une voix sourde, comme si elle avait entendu les pensées de sa compagne :

- Aujourd'hui, je sais que j'ai surtout l'air de la fille parfaite pour le rôle de la blonde des blagues idiotes, mais c'est une apparence. C'est une façon de me protéger, je pense. Personne ne sait qui je suis vraiment au fond de moi. Et je crois que moi même, je ne sais plus très bien où j'en suis !

- Tu m'étonnes. Il y a de quoi... J'espère que tu vas le savoir un jour.

- Oh ! j'en suis sûre. Si on arrive à recréer Chébérith, je pourrai enfin faire connaissance avec une partie de mon identité, de mes racines. J'en ai besoin, terriblement besoin. J'ai l'impression qu'une seule moitié de moi existe vraiment. Je dois construire cette autre moitié qui me manque et, pour ça, je dois marcher sur les traces de mes ancêtres chébériens. Disons que j'ai un léger problème identitaire, conclut la jeune fille en riant avec légèreté.

Cela lui faisait du bien de se confier, et elle avait la sensation, en expliquant tout ça à Aela, de mettre au clair certains de ses sentiments qui étaient restés jusqu'ici embrouillés.

Entre-temps, ils étaient arrivés à destination. Aela s'arrêta devant la porte de son immeuble.

- Merci de m'avoir raccompagnée, Lia. Vous me tenez au courant, d'accord ?

- Oui, ne t'en fais pas, dès qu'il se passe un truc important, on t'appelle.

Aela hocha la tête, lui sourit et entra dans le vestibule aux murs couverts d'un grand miroir d'un côté et de boîtes aux lettres en métal peint en vert de l'autre. Elle fila dans les escaliers et se dépêcha de monter chez elle. Il n'y avait personne à la maison. Sa mère et son beau-père étaient partis en vacances avec ses sœurs. Elle aurait dû les accompagner, mais elle avait décidé de rester. Sa mère avait compris et accepté sa demande après qu'elle lui eut expliqué la situation. Cela faisait longtemps que la veuve de Larchael n'avait pas entendu parler de Chébérith, mais dès qu'elle avait su l'enjeu, il lui avait paru normal de laisser Aela s'impliquer dans l'aventure, tout en lui recommandant d'être prudente... C'était d'autant plus « facile » que sa grand-mère maternelle vivait sur le même palier. Elle n'était donc pas entièrement livrée à elle-même.

Après avoir ouvert la porte blindée, Aela se dépêcha de rentrer dans l'appartement silencieux. Dans l'entrée, sur le petit meuble en bois qui garnissait l'angle du couloir, le voyant rouge du répondeur clignotait. Elle referma la porte à double tour derrière elle, remit en place soigneusement la chaînette dorée de l'entrebâilleur avant d'écouter les messages. Le premier était de sa mère. Elle lui donnait des nouvelles de leur séjour dans les Landes et demandait comment les choses se passaient pour sa fille. Elle la prévenait qu'elle lui avait aussi laissé un message sur son téléphone portable et lui réclamait de la rappeler à n'importe quelle heure.

Aela se sermona intérieurement. Avec tous les événements de la soirée, elle n'avait pas pensé à regarder son téléphone plongé dans les profondeurs de son sac. Sa mère devait s'inquiéter de son silence !

L'enregistrement enchaîna sur le second message. Aussitôt, un long frisson glissa le long de la colonne vertébrale de la jeune fille et ses jambes se mirent à trembler.

Une voix rauque, teintée d'un fort accent étranger avait appelé, à peine une dizaine de minutes plus tôt, et déposé ces quelques mots.

"Bonjour. Je ne sais pas si ce numéro est toujours celui de Larchael, mais si c'est le cas, j'aimerais lui parler. Il se passe des choses étranges, depuis quelques semaines. Nous tous, ici, subissons d'énormes crises de douleurs et nous voudrions savoir si notre ami a une explication à ce sujet. Merci de nous rappeler au numéro suivant."

Une suite de chiffres indiquant un numéro de téléphone étranger concluait l'appel.

Complètement sonnée par le message, Aela resta immobile un long moment, dans l'entrée, malgré ses jambes flageolantes. Puis elle parut se réveiller et se dirigea dans le séjour pour se laisser lourdement tomber dans un fauteuil. Machinalement, elle alluma la télé, afin de ne pas subir le silence pesant de l'appartement.

Bercée par les voix de l'émission qui ne lui parvenaient que comme un bruit de fond, elle laissa ses pensées dériver.

Qui était cet homme qui avait gardé le numéro de Larchael toutes ces années ? Ils n'avaient pas changé de coordonnées depuis sa mort. Après la disparition de son père, Aela et sa mère avaient continué à vivre dans l'appartement qu'ils avaient occupé tous les trois. Puis sa mère avait rencontré un homme, qui était, en l'occurrence, le maître d'école d'Aela. À l'époque, il vivait dans un studio de célibataire endurci. Quand la relation était devenue vraiment sérieuse, il était venu s'installer chez elles. Aela se souvenait encore de son malaise à l'idée de prendre son petit-déjeuner en face de son instituteur !

À la naissance de sa première petite sœur, ils avaient déménagé, mais juste un étage plus haut, dans un appartement plus grand. Et, par conséquent, ils avaient gardé le même numéro de téléphone.

C'est ainsi que ces fantômes du passé resurgissaient, demandant à parler à un homme effacé depuis dix ans... Des Chébériens, d'autres Chébériens qui vivaient sur Terre. Qui étaient-ils? Comment étaient-ils arrivés ici ? Ils avaient connu Larchael, et en écoutant la voix de celui qui avait déposé le message, elle était certaine qu'ils devaient avoir l'âge de ses parents. Que faisaient-ils sur Terre ? Pourquoi n'étaient-ils pas effacés, eux ? C'était incroyable ! Ils avaient subi les douleurs des distorsions successives. La plus longue avait eu lieu ce soir, c'est ce qui avait dû les décider à appeler, pour chercher des réponses. Larchael n'était plus là pour les leur apporter, mais Aela le pouvait. Ce soir, toutefois, elle ne se sentait pas capable d'affronter ce nouveau mystère. Elle voulait d'abord parler à Nathan et Zayn de ce message déroutant. Tous ensemble, ils décideraient si oui ou non ils devaient les rappeler.

Elle saisit pourtant son téléphone, la main tremblante, et composa un numéro. Mais c'était seulement celui de sa mère, qu'elle rappelait pour la rassurer. Aela lui parla quelques minutes, puis elle rassembla ses affaires. Cette nuit, elle dormirait chez sa grand-mère.


Une fois Aela et Lia partis, Zayn et Nathan restèrent seuls dans la chambre du Chébérien. Pendant un long moment, ils n'échangèrent pas un mot. Leurs visages livides, leurs regards éteints étaient les stigmates des chocs consécutifs qu'ils avaient reçus ce soir.

Enfin Zayn secoua la tête comme pour se remettre les idées en place et brisa le silence.

- Je sais que je ne devrais pas, après toutes les épreuves de la soirée, mais je suis affamé.

Nathan émit un petit rire.

- Moi aussi, figure-toi ! Attends, ne bouge pas, je reviens !

Il se faufila dans le couloir et se rendit à pas de loup dans la cuisine. Ses parents étaient couchés et l'appartement plongé dans l'obscurité. Aussi discrètement que possible, il ouvrit la porte du réfrigérateur, en sortit quelques reliefs du buffet. Très vite, il confectionna deux énormes sandwichs qu'il emballa dans du papier aluminium. Il compléta le dîner avec deux parts de gâteau et une bouteille d'eau. Au moment où il réintégrait sa chambre, il trouva Zayn devant l'ordinateur, connectée sur eBay.

- Parce qu'on avait bien besoin d'une mauvaise nouvelle en plus, j'ai la joie de t'annoncer que PassiondesLivres est de retour, annonça-t-il sans se retourner. Les enchères ont repris, la bataille sera rude demain...

Nathan se pencha vers l'écran, par-dessus l'épaule de son ami. Il observa quelques instants le prix qu'avait atteint le livre, avant de murmurer à l'oreille de Zayn :

- Ça te dirait un petit break ? D'oublier tout ça juste le temps d'un repas ? Je te propose un pique-nique impromptu avec vue sur la tour Eiffel. J'ai repéré un bout de toit idéal. Si monsieur veut bien me faire l'honneur...

En souriant, Zayn tourna légèrement la tête. Pas trop, parce que sinon il se serait trouvé tout proche du visage de Nathan, et son souffle chaud dans son cou l'avait déjà troublé plus que nécessaire.

- Ça me va très bien ! Je te suis.

Nathan recula et ôta son tee-shirt pour déployer ses grandes ailes blanches. Zayn baissa les paupières. Il ne voulait pas laisser ses yeux se promener trop longtemps sur le magnifique torse de son ami. Pour s'occuper, il caressa l'extrémité d'une aile de Nathan du bout des doigts. Le garçon frissonna mais ne le laissa pas paraître. C'était la première fois que quelqu'un touchait ses ailes. Même Aela ne l'avait pas fait.

Il jeta un regard à Zayn par-dessus son épaule. Lui aussi avait libéré ses ailes dorées pour se trouver torse nu. Avec ces deux êtres improbables plantés en plein milieu, la chambre paraissait minuscule. Nathan grimpa sur le bord de sa fenêtre et s'élança dans la nuit, suivi par Zayn. Depuis l'orage, les températures avaient baissé et la fraîcheur de l'air les fit frissonner. Toutefois, l'effort de voler les réchauffa rapidement. Ils firent le tour de l'immeuble, remontèrent jusqu'à son sommet et se posèrent sur le toit. D'ici, on voyait en effet la tour Eiffel qui scintillait de milliers d'éclats brefs, apparaissant comme un joyau brillant posé sur une étoffe de velours sombre. Nathan s'assit sur le rebord du toit plat de l'immeuble et laissa ses jambes pendre dans le vide.

Zayn vint s'asseoir en tailleur près de lui, mais un peu en retrait. Nathan lui fit un clin d'oeil :

- Toujours le vertige ?

- Un peu, oui !

Le garçon secoua la tête en riant doucement.

- Pour quelqu'un qui vole, je trouve ça incroyable !

Zayn lui tira la langue.

- Qu'y a-t-il pour le dîner ? demanda-t-il pour changer de sujet.

Nathan farfouilla dans son sac et en tira les deux sandwichs, les parts de gâteau et la bouteille d'eau.

- Voici notre festin de la nuit, monsieur.

Zayn déballa avidement un des sandwichs et mordit dedans à pleines dents.

- Mmm, c'est bon... Tu es un fameux cuisinier.

- N'est-ce pas ?

Puis ils se turent, savourant leur repas en silence. Zayn avait enfilé un pull. Nathan ne sentait plus le froid. Il était du genre à avoir tout le temps chaud. Ils admirèrent la vue. Les miroitements de la dame d'acier avaient cessé, la ville diffusait un éclat orangé qui s'arc-boutait au-dessus des toits comme un halo. Il n'y avait pas d'étoiles ce soir, dans le ciel bouché par une couverture nuageuse humide. Enfin, Zayn poussa un soupir.

- Tu penses à demain ? lui demanda Nathan.

- Oui, c'est le grand jour. Je commence à flipper...

- À qui le dis-tu... Je me souviens, quand j'ai découvert que le livre était sur eBay, les deux semaines d'enchères me paraissaient une éternité. Et puis voilà qu'on arrive au bout.

- Qu'est-ce qu'on fait si le livre est acheté par quelqu'un d'autre ?

Nathan réfléchit un instant avant de répondre lentement.

- Je ne sais pas... Je présume que ça va être l'horreur pour nous.

- Évidemment ! On ne pourra plus recréer Chébérith !

- Je ne parle pas de ça...

Zayn tourna la tête vers lui et observa son profil qui se découpait faiblement dans la nuit. Son nez droit, ses lèvres charnues, comme s'il boudait un peu, ses joues creusées par les épreuves, sa mâchoire carrée... Il avait envie de caresser son visage comme il s'était permis de le faire au parc, alors qu'il était inconscient. Mais il retint son geste et attendit la suite.

- L'acheteur va ouvrir le livre, forcément. Longtemps, souvent. Surtout s'il cherche à comprendre ce qu'il contient. On va vivre des distorsions à répétition. Je ne sais pas si on y survivra. Eyver, c'est sûr que non. Mais nous, au bout d'un moment, on n'en pourra plus.

- Je n'avais pas pensé à ça, souffla Zayn en frissonnant.

Il changea de position, remonta ses jambes devant lui et les entoura de ses bras, avant de poser son menton sur un genou.

- En parlant d'Eyver, même si on arrive à acheter le deuxième livre, on aura besoin de lui pour le troisième, et là...

La voix de Nathan n'était plus qu'un murmure qui s'effilochait dans la brise nocturne.

- Il va s'en tirer, déclara Zayn fermement. Je veux y croire. Il n'a pas fait tout ce chemin, il n'a pas subi toutes ces épreuves pour abandonner.

- J'espère que tu as raison.

Ils laissèrent passer un autre temps de silence. Le regard de Nathan était fixé sur l'horizon. Il sentait celui de Zayn sur lui, mais il ne voulait pas le croiser. Ce moment d'intimité retrouvée avec Zayn lui faisait le plus grand bien. Mais il ne se sentait pas le droit de montrer ses sentiments. Pas encore. Il venait juste de quitter Aela, il trouvait que cela aurait été de manquer de respect que de sauter dans les bras de quelqu'un d'autre aussi vite. Mais manquer de respect à Aela et à Zayn, en leur donnant l'impression qu'ils étaient interchangeables. Non, mieux valait laisser passer un peu de temps…

La brume descendait en écharpes froides autour d'eux, estompant les contours des immeubles, des arbres, des lampadaires.

Une autre pensée s'insinua dans l'esprit de Zayn.

- L'Avaleur de Mondes va retrouver la trace du livre maintenant.

Nathan détacha son regard du vide et eut un petit sourire résigné.

- Je sais.

- Alors, imagine que nous remportions les enchères et que l'Avaleur de Mondes soit là-bas, chez le vendeur. On fait quoi ?

Nathan se concentra.

- Je crois que j'ai une idée... On détourne son attention !

Zayn eut un mouvement de recul.

- Comment ? Je lui fais un strip-tease ? Je ne suis pas sûre qu'il soit sensible à mes charmes masculins !

- Pas grave, répondit Nathan du tac au tac en riant, il y en aura d'autres pour en profiter. (Zayn rougit et remercia l'obscurité de camoufler ses émotions.) Non, je pensais à autre chose. Je crois que j'ai un plan. J'en parlerai demain. J'aurais besoin de Jérôme et je dois lui demander son avis avant...

- Tu veux injecter du mémo dans le corps du vendeur ?

Zayn tentait d'imaginer la scène. Nathan rit encore, mais un peu plus bas cette fois.

- J'aurais pu y penser, mais je ne vois pas l'effet sur l'Avaleur de Mondes. Au pire, il sortirait du corps du type... Ça ne l'empêcherait pas de détruire le livre.

- Alors ?

- Tsss ! Petit curieux. J'ai dit demain.

- Comme tu veux, céda Zayn en soupirant.

Le téléphone de Nathan vibra dans sa poche. Il le sortit et déchiffra le message qui venait de lui être envoyé.

- C'est Lia, très classe comme toujours.

- Elle dit quoi ?

- Colis livré sans encombre, je rentre me coucher, à demain, lut Nathan d'un ton sarcastique.

- Sympa pour Aela !

- Tu m'étonnes. D'ailleurs, ajouta-t-il en regardant le petit écran rétroéclairé, on est déjà demain... Dans quelques heures, c'est la fin des enchères.

- Je vais rentrer chez moi alors. Il faut que je me repose pour être à fond..., déclara Zayn en dépliant ses genoux.

Nathan étira ses longs bras en arrière en bâillant.

- Oui, moi aussi ! Je sens que demain ne sera pas de tout repos, quoi qu'il arrive.

Zayn sauta sur ses pieds et ôta son pull afin de libérer ses ailes.

- Bonne nuit, Sykes, murmura-t-il en souriant tout se penchant pour déposer un baiser sur la joue du Chébérien.

- Ça fait bizarre de t'entendre m'appeler comme ça. Bonne nuit, Zayn, rentre bien.

Il le regarda s'élancer du bord du toit et décoller dans le ciel escamoté par la brume. Il lui fit un dernier signe de la main avant d'être complètement absorbée par le brouillard qui s'était déposé comme un couvercle sur la ville. Nathan attendit quelques instants avant de se lever à son tour, perdu dans ses pensées. Son cerveau fonctionnait à toute allure. Il avait eu une illumination. S'ils remportaient les enchères et si l'Avaleur de Mondes arrivait avant eux, il savait exactement quoi faire. Chaque facette de son plan se mettait en place. Enfin, satisfait par l'agencement de ses idées, il se redressa de toute sa hauteur et ébroua ses ailes perlées d'humidité. Il se tint quelques instants tout au bord du toit, la pointe de ses baskets dans le vide, puis il se laissa tomber en avant, les bras en croix, vers le sol. Enfin, il laissa ses ailes le soulever grâce à leurs battements rapides et sa chute ralentit. Il se redressa, remonta et s'élança comme une flèche dans le ciel, se laissant lui aussi engloutir par les volutes de brume. Il monta haut, très haut, jusqu'à sentir le froid perçant se poser sur sa peau, son visage se couvrir de gouttelettes glacées. Il ne voyait plus rien autour de lui, perdu dans la fumée épaisse, complètement isolé du monde, de ses propres pensées. Il vola un long moment, ressentant le besoin de décharger une partie de l'adrénaline qui circulait dans son sang. Il sentait ses ailes battre dans son dos en mouvements amples et réguliers, frappant l'air autour de lui en un claquement sec. Il éprouvait encore un plaisir intense à découvrir les possibilités que son corps lui offrait depuis sa transformation. Quand il était seul ainsi dans les cieux, il se sentait immensément libre. C'était plus grisant que de courir au parc, et il se promit de se préparer une liste de lecture, sur son iPod, pour l'accompagner dans un prochain vol. Il pensait déjà à des titres planants...

Au bout d'un moment, la fatigue se manifesta à nouveau. Il fit demi-tour et redescendit en frissonnant. Les éclairages de la ville devenaient plus nets, passant d'un halo diffus à un collier de perles de lumière enfilées sur le fil de la route. Le large rayon blanc qui tournait au sommet de la tour Eiffel et qui transperçait les nuages le guida jusqu'à son retour au-dessus de Paris. De là, il retrouva facilement son immeuble et la fenêtre de sa chambre qui était restée ouverte. Frigorifié, il se dépêcha de se préparer pour la nuit et se glissa avec plaisir entre ses draps qui le réchauffèrent rapidement. Il était content de se sentir tellement fatigué, car le sommeil était déjà aux portes de sa conscience, alors que tant de pensées s'agitaient en lui. Il se laissa saisir par la douce torpeur sans chercher à la combattre.

Dans quelques heures, tout serait joué…