Le bureau des héros - 10
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Le dîner entre les quatre amis fut assez gai. Ils ne parlèrent pas de leur projet de la soirée. Nino et Alya plaisantèrent sur les quatre années où Adrien et Marinette s'étaient croisés sans se reconnaître. Ils revisitèrent aussi certaines situations où leurs amis avaient dû s'éclipser et leur reconnurent un certain génie de l'excuse.
Dans la journée, Tom était venu avec une valise supplémentaire pour sa fille, sa machine à coudre et son mannequin de couture. Il avait aidé Marinette à déplacer quelques meubles du salon pour tout caser. Nino demanda à Adrien ce qu'il pensait de sa nouvelle décoration. Ce dernier sourit béatement en réponse :
— Mon salon commence à avoir un peu de personnalité, estima-t-il. Je ne m'y étais jamais vraiment intéressé.
— Je sens que cela va changer, pronostiqua Alya.
— Tu vas bientôt ne plus reconnaître ton appartement, le prévint Nino. Fais attention à ne pas te laisser déborder.
— Dois-je y entendre un message caché ? demanda Alya.
— Hein ? s'étonna Nino.
— Tu as des projets pour l'appartement, Marinette ? s'enquit Adrien.
— Pas réellement, mais si tu as envie qu'on y réfléchisse ensemble, ça peut être sympa.
Ils se sourirent, heureux d'avoir des projets agréables à partager.
— Tu as pu caser toutes tes collections dans les placards ? interrogea Alya.
— Non, j'en ai laissé une grande partie à la maison, ce n'était pas le plus urgent.
— Je t'aurais prévenu, fit Nino à voix basse.
— Tu veux qu'on achète une nouvelle armoire ? demanda Adrien à Marinette, manifestement plus amusé que paniqué à l'idée des chamboulements à venir.
— Rien d'urgent. Ce sont des modèles que je crée pour mon école et que j'expose sur mon blog, expliqua-t-elle. Mais pour tous les jours, je n'ai pas besoin de grand-chose.
— On trouvera de la place pour que tu puisses continuer ton blog, assura Adrien.
— Merci, Petit Cœur, sourit-elle tendrement.
— Y'a des petits copains plus sympas que d'autres, susurra Alya, en référence à ce qu'avait dit Nino la veille quand elle avait refusé de l'accompagner sous la douche.
— Dites, vous deux, vous n'envisagez pas de vous installer ensemble ? s'intéressa Adrien.
— On en reparlera quand on travaillera, confia Alya. Mais j'ai l'impression que Nino pense que partager son armoire avec une autre garde-robe est un gros sacrifice.
— Je n'ai jamais dit ça ! protesta Nino.
Alya regarda Marinette qui lui fit un clin d'œil.
— Elles se sont liguées contre moi, protesta Nino.
— La communication, ce n'est pas facile, hein, Milady ? intervint courageusement Adrien en soutien de son ami.
— Mais ça se travaille, tenta de temporiser Marinette.
— Moi, c'est en cuisine que je vais devoir progresser, avoua Adrien. Depuis que Marinette est arrivée, mon ordinaire s'est bien amélioré. Je ne réalisais pas qu'on pouvait se faire des choses aussi bonnes sans être un professionnel.
— Tu fais très bien les pâtes, le félicita Marinette.
Après le dîner, ils firent un tournoi de jeux vidéo que Marinette gagna – comme d'habitude. Adrien raconta comment, à cause de sa suprématie, il avait dû voir toute une série de films romantiques.
— Si tu ne m'avais pas menacé de choisir un film de zombis, je t'aurais laissé gagner quelquefois, lui révéla Marinette.
— Hein ? C'est vrai ? Mais pourquoi tu ne me l'as pas dit plus tôt ?
— Parce que j'aime te battre, le taquina Marinette, les yeux rieurs.
— Tu parles, que tu m'aurais laissé gagner ! douta Adrien amusé.
— Bon, peut-être pas, admit-elle, mais je t'aurais laissé choisir le film.
— Si j'exclus les zombis, tu me laisses pour la prochaine fois ?
— Pas de films d'horreur non plus !
— Je serai là pour te rassurer. Mais, bon d'accord. Juste un film d'action sans histoire d'amour dégoulinante.
— Tope là !
Finalement, minuit arriva. L'atmosphère changea radicalement. Tous se préparèrent à ce qui allait suivre.
— Bon, c'est l'heure, dit finalement Marinette. Tout le monde a sur lui de quoi nourrir son kwami ?
— Oui, Milady, répondirent-ils, le visage sérieux.
Tous quatre sortirent par le balcon et sautèrent sur les toits en direction du manoir Agreste. Chat Noir et Carapace vérifièrent que leur liaison audio marchait bien avant que les filles sautent sur le rebord de la coupole et se glissent par la petite porte.
Elles refermèrent la porte derrière elle, au cas où une ouverture plus longue déclenche une alarme. Elles étaient dans le noir complet. Après avoir tendu l'oreille et entendu aucun bruit, Ladybug se décida à utiliser son yoyo comme lampe de poche. Au contact du rayon de lumière, une sorte de voile blanc s'éleva du sol. Non, pas un voile. Des centaines de papillons blancs, exactement les mêmes que ceux qui sortaient du yoyo de Ladybug après la purification. Rena et sa partenaire se regardèrent. Elles étaient dans le repaire du Papillon, là d'où partaient les akumas. Mais elles s'en doutaient avant de venir. Ce n'était pas ce qu'elles étaient venues chercher.
Elles parcoururent la pièce pour trouver comment en sortir. C'était un plateau circulaire, surmonté d'une coupole qui ne laissait pas passer la lumière du jour. Elles parcoururent la paroi qui les entourait sans trouver d'autre passage que celui par lequel elles étaient entrées. Ce fut Ladybug qui pensa la première à chercher une trappe dans le sol. Après tout, c'était ainsi qu'on accédait à sa chambre. Il leur fallut ensuite quelques minutes pour trouver comment l'ouvrir. Ou, plus exactement, déclencher le mécanisme qui la fit descendre, tel un ascenseur vers un passage souterrain.
Seule Ladybug descendit dans un premier temps, décrivant ce qu'elle voyait à son équipe :
— Je m'enfonce vers le bas. Je vois des petites loupiotes vertes tout le long de la paroi qui m'entoure. Comme celles qui mènent à une sortie de secours. J'ai l'impression d'être descendue d'un étage au moins… Deux maintenant, et je vois une lueur au niveau de mes pieds. J'arrive en bas, c'est la porte de sortie. Et… Oh ! Non, rien, c'est juste que la lumière s'est allumée.
— Milady, tu vas bien ?
— Oui, oui, Chat Noir. Je suis juste en train de découvrir ce qui m'entoure. C'est comme une grande serre. Il fait chaud et humide et la lumière est forte. Attends, je regarde quelque chose. Ok, d'après mon yoyo, je suis sous le jardin qui est sous le manoir. Je suppose que si je continue tout droit, il y aura un passage pour y entrer.
— Ce n'est pas ce qu'on avait prévu, dit Chat Noir d'une voix inquiète.
— Je n'irai pas si je trouve ce que je suis venue chercher. Je continue à progresser, mais il y a…. Je… je crois que j'ai trouvée, dit Ladybug d'une voix émue.
— Qu'est-ce que tu vois ? demanda Chat Noir d'une voix étranglée.
— Elle est comme dans un cercueil transparent. Elle a l'air paisible, souffla Ladybug. Elle est exactement comme sur les photos que tu as d'elle.
Il y eut un silence que personne ne troubla. Ladybug avança vers sa trouvaille et prit des photos du cercueil, et aussi de l'environnement. Elle vit alors de l'autre extrémité de la serre une cage d'ascenseur transparente qui devait mener au manoir. Elle la photographia aussi. Puis elle revint sur ses pas, tout en continuant à tout documenter. Elle trouva comment faire remonter l'ascenseur et rejoignit Rena qui était restée à l'attendre. Ladybug prit des clichés du lieu et des papillons, puis les deux héroïnes repartirent par là où elles étaient arrivées. Par les toits, ils retournèrent tous chez Adrien.
Ils se détransformèrent tous et restèrent silencieux, attendant les instructions de Marinette.
— On va tout de suite aller chez le maire, indiqua-t-elle. Chat Noir et moi. Je pense, Alya et Nino, que vous pouvez aller vous coucher. La suite ne dépend plus de nous.
— Si vous persuadez monsieur Bourgeois d'aller parler à monsieur Agreste, comment allons-nous savoir s'il le fait réellement ? questionna Alya. Et si notre expédition est découverte dans l'intervalle, comment être certains qu'il ne va pas déplacer la mère d'Adrien ?
— Tu penses qu'il faudrait qu'on surveille les lieux ? interrogea Marinette.
— Oui, un jour ou deux au moins. Enfin, jusqu'à ce que le maire intervienne. On peut s'en charger, hein, Nino.
— Oui, je suis d'accord, affirma leur ami. On peut s'en charger tous les deux.
— Je pense que c'est inutile avant demain matin, jugea Marinette. À quelle heure se lève ton père ? questionna-t-elle en se tournant vers Adrien.
— Il prend son petit déjeuner à sept heures précises. Il se lève à 6h 30, normalement.
— On sera à 6h 30 à notre poste, indiqua Alya.
— Bien. Allez dormir, maintenant, leur conseilla Marinette.
Quand leurs amis furent partis, Adrien demanda :
— Je peux voir tes photos ?
Marinette le contempla en silence, avant de demander à Tikki de la transformer. Elle ouvrit son yoyo et fit apparaître l'image qu'elle avait prise du cercueil et la tendit à son petit ami. Elle fixa ensuite le sol, jugeant indiscret de guetter son expression. Elle l'entendit soupirer et refermer le yoyo. Elle tendit la main pour le récupérer et se détransforma. Elle ouvrit les bras et Adrien ne se fit pas prier pour s'y blottir.
— Je veux qu'elle repose en paix, murmura-t-il.
— On va faire notre possible pour que ce soit le cas, répondit-elle.
Il la lâcha.
— Allons-y alors, dit-il. Plagg, transforme-moi !
Sans autre parole, ils partirent par les toits et furent bientôt en vue de l'hôtel du Grand Paris. Ils atterrirent sur la terrasse.
— Il y a un code pour ouvrir la porte-fenêtre qui mène à la chambre de Chloé, indiqua Chat Noir. J'espère qu'il n'a pas changé.
C'était le bon. Ils pénétrèrent tous les deux dans la chambre désertée de l'amie d'enfance d'Adrien, toujours aux États-Unis. Ils en sortirent par un couloir. Il était une heure du matin, tout était dans le noir, Monsieur Bourgeois était couché. Ils frappèrent à la porte de sa chambre.
— Qu'est-ce que c'est ? s'enquit une voix endormie.
— Excusez-nous, Monsieur le Maire. C'est Ladybug et Chat Noir.
— Lady…
On entendit le matelas grincer et des pas pressés. Monsieur Bourgeois apparut sur le seuil de sa chambre en train d'enfiler une robe de chambre.
— Que se passe-t-il ? demanda-t-il d'une voix ferme.
— Nous devons vous parler, expliqua Ladybug. Nous avons besoin de vous pour faire cesser les attaques du Papillon.
— De moi ? Je ne suis pas sûr de bien comprendre. Venez dans mon bureau.
Les jeunes héros le suivirent dans la pièce d'à côté.
— Bon, expliquez-moi tout, les invita le maire une fois qu'ils furent tous assis.
— Nous avons démasqué le Papillon, commença Ladybug. Et nous savons pourquoi il tient tant à nous prendre nos Miraculous. Il veut exaucer un vœu. C'est là que vous pouvez intervenir.
— Qui est le Papillon ? Et que veut-il ? interrogea le maire.
Ladybug plongea la main dans sa poche.
— Il veut ressusciter son épouse, révéla-t-elle en montrant le cliché qu'elle avait pris du cercueil d'Émilie Agreste.
Le maire en resta bouche bée de stupéfaction.
— Mais c'est… C'est impossible ! Où avez-vous pris cette photo ? Et quand ?
— Il y a une demi-heure, dans la maison de son mari, expliqua Ladybug.
Elle fit défiler sur son yoyo toutes les images qu'elle avait prises durant l'expédition : le manoir, le dôme empli de papillons blancs, l'ascenseur, la serre. Au fur et à mesure, alors que Monsieur Bourgeois se laissait convaincre de la culpabilité de son ami, son expression s'assombrissait.
— Quelle folie, murmura-t-il enfin.
— Il est temps de la faire cesser, appuya Ladybug.
— Qu'attendez-vous de moi ?
— Que vous persuadiez votre ami de faire enterrer son épouse. Que vous l'y obligiez s'il n'obtempère pas. C'est le seul moyen de faire cesser rapidement les attaques.
Le maire regarda les héros d'un air songeur.
— Il y aurait une autre solution, dit-il après un moment de réflexion. Lui permettre de réaliser son vœu, en échange de l'arrêt des combats.
— Non ! prononça avec force Chat Noir qui n'avait pas prononcé un mot jusque-là. Cette femme est morte depuis cinq ans. Quel que soit l'amour que ses proches ont pu avoir pour elle et la peine qu'ils ont éprouvée, il n'est pas raisonnable de la faire revenir. Ce serait contre nature. Je suis certain qu'elle ne pourrait éprouver que de l'horreur quand elle réalisera qu'à cause d'elle les Parisiens ont vécu dans l'angoisse pendant plus de quatre ans.
Monsieur Bourgeois contempla Chat Noir, manifestement étonné par l'intensité de sa plaidoirie. Ladybug renchérit :
— Ce serait un acte de haute magie. Ce ne sera pas sans contrepartie. Je n'ose imaginer ce qui peut être demandé en échange d'une vie. Sans compter que nous ne sommes pas certains de ce qui résulterait de ce vœu. Reviendrait-elle vraiment ? Avec tous les souvenirs, ses sentiments ? Avec son âme ? Nous en savons peu sur les Miraculous, mais une chose est certaine : mal utilisés, ils peuvent être redoutables. Nous ne confierons pas nos Miraculous à une personne qui a dévoyé à ce point celui qu'il possède.
— Je comprends votre point de vue, dit finalement le maire.
— Monsieur le Maire, vous devez agir très vite, le pressa Ladybug. Dès demain matin. Il est possible que Monsieur Agreste remarque notre intrusion en se levant. Il saura que nous connaissons ses projets. À ce moment, il faut que vous soyez là pour lui faire entendre raison. Sinon, nul ne sait ce qui pourra advenir. Les Parisiens vous ont fait confiance, Monsieur Bourgeois.
— Je vais réfléchir à la meilleure manière d'aborder ce problème, promit le maire.
— Cela ne nous suffit pas, répliqua froidement Ladybug. Nous avons pris le risque d'éveiller la rage du Papillon pour vous apporter ces preuves. Maintenant que vous les avez, vous n'avez plus le temps d'hésiter. Vous devez agir immédiatement. Parce que si vous lui laissez le temps de contre-attaquer ou de déplacer le corps de sa femme, nous ne répondons plus de rien. Ou plus exactement, la seule chose que nous pouvons vous affirmer, c'est qu'au moment de la prochaine attaque, tous les journaux apprendront le nom du Papillon et le fait que vous n'avez pas accepté de collaborer avec nous pour mettre fin à ses méfaits.
— Vous me menacez ? demanda le maire d'une voix glaciale.
— Nous vous mettons simplement au courant de nos intentions, rétorqua Ladybug. Nous sommes ici avec nos renseignements, nous vous offrons une manière de mettre fin au calvaire de Paris, nous vous laissons le choix de livrer ou non à la justice la personne du Papillon. Nous avons pris des risques, pour ça. Nous ne pouvons pas nous permettre de vous laisser rater le coche.
Chat Noir se pencha pour donner plus de poids à ses paroles :
— Si vous voulez aider votre ami, Monsieur le Maire, suivez nos conseils. Intervenez au plus vite. Sortez-le de cette spirale de folie. Songez à ce qu'Émilie Agreste vous demanderait aujourd'hui, si elle pouvait s'exprimer.
Le maire fixa Chat Noir qui lui rendit son regard. Si l'aspect du héros était aussi juvénile que lors de sa première apparition, son expression était loin d'être enfantine. Ses traits renvoyaient une détermination et une réflexion profonde qui trahissait son âge véritable. Ladybug se demanda si Monsieur Bourgeois n'était pas en train de deviner l'identité de celui qui se cachait sous le masque. Aurait-elle dû envoyer Adrien, plutôt qu'intervenir en superhéroïne ?
Quoi qu'il en soit, le maire hocha lentement la tête et capitula :
— Je serais demain à l'aube devant le manoir Agreste. Si je ne suis pas reçu, j'en appellerais à la force publique.
Ladybug se leva, ainsi que son partenaire.
— Merci, Monsieur le Maire. Nous comptons sur vous.
Voilà, la situation est en train d'évoluer. Cela vous parait plausible ?
