Jane

Je me sens plus sereine grâce à l'entêtement bienveillant de ma chère tante qui veille à ma bonne humeur quotidiennement. J'ai compris que je n'ai pas à m'en vouloir, que la vie est ainsi faite et que mon devoir est de l'accepter. Mais je sens bien qu'au plus profond de moi, je ne peux l'oublier.

Charles. Ce prénom m'entête et brouille mes pensées. Mais bien plus que celui qui s'est enfui sans se soucier de moi, c'est celui que je fantasme lors de mes nuits qui ne me quitte pas.

La honte et la gêne qu'on viendrait à me surprendre sont peu de chose face à l'impatience que j'ai à regagner le soir ma chambrette sous les combles. La porte close et bien fermée à clé, qui pourrait imaginer que la douce et pure Jane a des idées si osées? Je suis moi-même la première à m'en étonner !

Car, bien plus que des rêves, j'ai découvert récemment un amusement qui se joue seule et qui m'apporte beaucoup de contentement. En effet, suite à un de ces songes où je me suis réveillée en nage, j'ai réussi à m'apaiser, la main posée sur mon intimité.

Depuis j'explore toutes les possibilités qui s'offrent à moi, dénudée ou non, au dessus ou sous les draps. Petit à petit, j'affine ma dextérité, retenant ce qui est plaisant et ce qui ne l'est pas. Selon mon humeur et mon envie, un certain nombre de doigts sera requis. Et, la partie terminée, mes nuits sont enfin bien plus sereines et dénuées d'insomnie.

Je profite d'avoir un lit rien que pour moi, dans une pièce loin de tout tumulte et indiscrétion maternelle. Car lorsque je retournerai auprès des miens, tout cela appartiendra au passé et reprendra ma vie habituelle.


Ce jour-là, le temps fut plus calme, aussi ma tante et moi profitâmes de cette éclaircie pour nous promener. Nous avions traversé Hyde Park où nous avait déposé la diligence et nous nous dirigions vers l'Eglise Saint George afin d'en observer l'avancement de sa construction.

C'est alors que je le vis, venant droit sur nous, tête baissée. Il avait beau être encore loin, sa silhouette, sa sature et sa démarche bien caractéristiques, qui m'étaient devenues si familières il y a quelques mois, ne me firent pas hésiter quant à l'identité de l'homme qui approchait. Ma tante sentit que je me raidissais à son bras, elle me regarda et suivit vers qui mes yeux étaient fixés.

Puis il bifurqua, sans un regard vers nous, traversa la chaussée afin d'atteindre le trottoir d'en face. Je me stoppai, masquée partiellement par une calèche qui était arrêtée sur le bas-côté. Je ne pouvais le quitter des yeux. Il arrêta sa marche rapide devant un remarquable hôtel particulier. L'entrée était majestueuse, en pierre blanche et flanquée de deux colonnes sobres et élégantes. De dos je devinais qu'il vérifiait sa tenue et redressait son haut-de-forme.

Puis, du bow-window, les voiles s'écartèrent pour laisser apparaître une jeune femme des plus ravissantes qui le salua avec un sourire chaleureux. Il la salua d'une courbette des plus facétieuse qui la fit rire. À sa place j'aurai ri aussi et cette pensée m'étrangla le cœur dans ma frêle poitrine. Puis on vint lui ouvrir, et derrière le majordome je reconnus immédiatement celui qui devait être le propriétaire des lieux : Mr Darcy de Pemberley.

Sans crier gare, mes jambes se mirent à flageoler et ma tante eut toutes les peines du monde à me soutenir afin de ne pas me laisser tomber. Elle comprit ce qu'il venait de se passer et me pressa de faire demi tour afin de quitter ce lieu et regagner Cheapside sans tarder.

Cette vision de Charles faisant sourire celle que je devinais être la jeune sœur si accomplie de Mr Darcy me retournait l'esprit. Elle me mît face à la réalité que je ne voulais jusqu'alors pas accepter. Les sœurs Bingley avaient raison. Il devait sûrement revenir du Nord où il séjournait et rendait visite à celle qui était peut-être depuis devenue sa fiancée.

Je retins mes larmes durant tout le trajet mais arrivée dans la maison de mon oncle je ne pus les endiguer. Trois jours plus tard, je retournais à Longbourn et laissai à Londres mes espoirs, mes jeux et mes illusions.