Chapitre 35 : When can I See you Again ?

Désert de Lanelle…

Link sentit le mur s'incurver sous sa main. Il n'avait que cette sensation de pierre sous ses doigts et ce petit papillon Azur sous les yeux pour tout repère.

Depuis combien de temps errait-il ainsi, dans le noir le plus absolu ? Il n'en avait pas la moindre idée. Il avait bien tenté de compter le nombre de ses pas pour avec un repère de distance parcourue mais avait abandonné aux alentours de 8 000 pas. En comptant un mètre à chaque foulée, alors il avait largement dépassé les 8 kilomètres d'errance. Et il ne comptait depuis très longtemps !

Si encore il avait eut quelqu'un à qui parler, le chemin lui aurait semblé moins long. Quelqu'un comme Ghirahim. Il voulait le revoir…

Un nouvel angle du corridor.

C'était devenu une obsession. Il voulait être avec Ghirahim en cet instant précis. Nul doute que l'obscurité lui aurait donné des idées ! Et c'était loin de lui déplaire.

L'inclinaison du sol sous ses bottes.

Ils pourraient se toucher, s'embrasser, à l'abri des regards du Bien et du Mal sans avoir à se justifier.

Le changement de la pierre en sable crissant à chaque pas.

Plus de dragons pour leur dire qu'un humain et un démon n'avait rien à faire ensemble. Que l'Ombre et la Lumière ne pouvaient en aucun cas se lier.

Une complainte à donner froid dans le dos.

Link devait se rendre à l'évidence, Ghirahim lui manquait.

La lumière éblouissante qui jaillit soudainement au détour d'un couloir le força à fermer les yeux. Il lui fallut quelques secondes pour s'habituer à la clarté, comme lorsqu'on se réveille et que le soleil entre déjà à flot dans sa chambre. Situation qui lui arrivait très souvent, soit dit en passant.

Il avança jusqu'à la lumière dorée qui s'avéra être la sortie de l'interminable corridor et arriva dans une vaste gorge envahie par le sable et cernée par de hautes murailles rocheuses. Le soleil couchant parait l'endroit d'or et d'ombres. Un paysage qui, en soit, ne changeait pas beaucoup du reste du désert.

_ Encore du sable…

_ Maitre Link, vous venez d'arriver dans les Gorges de Lanelle. Cet endroit servait de site d'extraction de Chronolithe de qualité supérieure.

Le jeune homme avança jusqu'à un rail rouillé recouvert de sable, s'arrêtant au niveau d'une plateforme circulaire. Il regarda autour de lui plus attentivement et constata que la zone était constituée de nombreuses plateformes de roche surgissant d'un gouffre dont le fond était rendu invisible par d'épais nuages de sable tourbillonnant sous l'effet d'un vent hurlant. C'était ce mugissement sinistre qu'il avait entendu depuis le corridor. Il n'y avait pas d'autre bruit que le vent. Pas le moindre couinement de monstre, aucun chant d'insecte. Pour la première fois, il se retrouva enveloppé de silence. Un silence morbide que venait renforcer le squelette d'une sorte de serpent gigantesque enroulé autour d'un rocher. Les os blanchit par les âges semblait presque briller sous les derniers rayons du soleil couchant. Link s'approcha doucement et regarda le crâne aussi gros que lui, les sinistres orbites vide posées sur lui, les cornes brisées à son sommet. Ce n'était pas un crâne de serpent.

_ Le dragon… Fay, voilà pourquoi tu ne pouvais pas sentir la présence du dragon. Il est mort ! Et depuis longtemps si j'en juge par l'état des os. Donc j'avais raison, Ghirahim n'y est pour rien.

En inspectant plus minutieusement les restes de l'antique dragon, le jeune homme repéra une étrange chaine rouillée enroulée autour de son bras. Il la suivit jusqu'au bord de la plateforme et vit en découvrit une autre, beaucoup plus petite, en dessous de celle sur laquelle il se trouvait. Elle était presque entièrement noyée par le sable et la chaine s'y était effondrée, les maillons ayant lâché quelques centimètres après le bord de la plus grande.

_ Il y a quelque chose en bas… Si seulement j'avais un moyen de descendre… Et de remonter surtout. A moins que… Kaï !

Link siffla en espérant que la Gorge de Lanelle soit accessible à son oiseau et que le sable et le vent ne le gêneraient pas.

Son Célestrier se posa en chancelant et secoua la tête en éternuant comme seuls les oiseaux savent le faire.

_ Je dois te demander ton aide, mon vieil ami. Je vais descendre, mais je n'aurais aucun moyen de remonter. Le sable va t'empêcher de voler dans le gouffre, mais en restant au-dessus tu devrais y arriver.

L'oiseau se redressa fièrement et son élu passa tendrement sa main sur son large bec. Il détacha ensuite la sangle enroulée autour de son thorax et l'enroula autour de son poignet, la fixant avec la boucle. Il prit ensuite son Parachâle et le déplia. Malgré le temps passé, il était toujours aussi immaculé que le jour où Zelda le lui avait offert. Il avait l'impression que cela remontait à une éternité…

Sans se laisser déconcentrer par ses souvenirs, il sauta en direction de la petite plateforme, se servant de son Parachâle pour ralentir la chute d'une dizaine de mètre.

Ce qu'il trouva sur la petite plateforme l'interpela. Il s'agissait d'une petite clé d'acier d'un gris terne. Elle semblait l'attendre, au centre des restes rouillés de la chaine enroulée. Il la rangea soigneusement dans une de ses sacoches et leva les yeux vers la plus haute plateforme.

La tête vermeille de Kaï l'observait par-dessus bord, légèrement inclinée, dans l'attente de son signal.

_ Viens !

L'oiseau déploya ses ailes et s'éleva. Il tournoya plusieurs fois haut dans le ciel avant de se rapproche de son maitre, cherchant le meilleur angle pour le récupérer en évitant de s'écraser contre la paroi rocheuse.

Il glissa sous le vent et replia ses ailes pour ne pas abimer la pointe contre la roche.

Link fit tournoyer la sangle accrochée à son poignet et la projeta en l'air au moment au Kaï passait au-dessus de lui.

Le Célestrier referma son bec sur la lanière de cuir et s'éleva à nouveau dans les airs en ouvrant largement ses ailes rouges. En quelques battements il ramena son maitre sur la plus grande plateforme.

_ Merci, Kaï.

Il rattacha la sangle autour de son thorax et laissa son oiseau repartir. Il se tourna ensuite vers le squelette du dragon en réfléchissant.

_ Fay, tu as dit que cet endroit servait de carrière d'extraction de Chronolithe… Je dois en trouver un. Si je peux remonter le temps jusqu'au moment où le dragon est encore vivant, je pourrais lui parler.

Il regarda autour de lui. Au loin il voyait un vieil arbre décharné qui n'avait probablement jamais produit le moindre fruit.

Le jeune homme se hissa sur le rocher autour duquel le dragon était enroulé et fronça les sourcils en voyant un choc à sa surface, comme si quelqu'un l'avait frappé d'un violent coup de poing. De son perchoir, il remarqua alors une petite porte enfoncée dans la muraille rocheuse, de l'autre côté du gouffre, accessible en sautant sur plusieurs petites plateformes. Il prit la clé dans sa sacoche et l'observa avant de relever les yeux vers la porte au loin.

Inutile d'être un géni pour comprendre ce qu'il fallait faire.

Il descendit du rocher et se précipita vers la succession de plateforme. Il passa de l'une à l'autre en sautant, préférant ne pas penser à ce qui allait lui arriver s'il tombait.

Une fois devant la porte, il glissa la clé dans la serrure et ne fut guère étonné de la voir s'ouvrir en grinçant.

Il entra alors dans une petite salle servant d'entrepôt. Les caisses se trouvant là étaient remplies de Chronolithes de toutes tailles d'un violet profond.

Il en prit un de bonne taille, rond et lisse, et fit demi-tour sans attendre.

Link retourna devant le squelette du dragon et frappa le cristal. Il s'illumina immédiatement de bleu et une vive lumière s'étala sur une dizaine de mètre autour du jeune homme qui le posa doucement au pied du rocher.

Dans un flash de lumière, les os disparurent.

Le dragon de Lanelle apparut alors, ses écailles ocre ne brillaient pas et son kimono jaune pendait lamentablement sur ses épaules voutées. Il s'appuyait lourdement sur le rocher. Son visage ridé était à moitié mangé par une épaisse barbe blanche rappelant des volutes de sables. D'inquiétantes quintes de toux secouaient son long corps reptilien. Le dragon posa son regard jaune sur le jeune homme.

_ Un humain… un visiteur plutôt rare… Quel est ton nom ?

_ Link.

_ C'est un nom étrange… Tu ne préfèrerais pas t'appeler DL-Link-16 ? C'est ainsi que se nomme les habitants de mon domaine.

_ Je ne vis pas ici, je viens du ciel.

_ Du ciel ? Alors tu es l'Elu de la Déesse… Tu viens quérir le Chant du Héros, n'est-ce pas ? Je ne peux pas t'aider pour le moment, je te pris de m'excuser… Comme tu peux le voir, je ne suis pas au mieux de ma forme… Je ne pourrais jamais te chanter ma partie du Chant du Héros… Je suis en train de mourir. Si seulement la pousse de l'Arbre de Vie que les petits robots ont plantée pouvait donner un fruit…

Link tourna brièvement la tête vers l'arbre décharné poussant au loin.

Il eut soudainement l'image d'Hergo bêchant son lopin de terre au Temple du Sceau. Il lui avait demandé de lui ramener des graines…

_ La terre n'est pas bonne par ici… Vous reste-t-il une pousse ?

_ Malheureusement non… Mais peut-être pourrais-tu récupérer celle qu'ils ont plantée là-bas ?

Link hocha la tête et s'éloigna avec le Chronolithe. Le dragon retrouva son état de squelette sitôt sorti du champ d'effet. Il se dirigea vers l'arbre décharné, le sable disparaissant sous une herbe sèche lorsque le Chronolithe rendait à la zone son aspect originel.

Après quelques minutes, le jeune homme atteignit l'arbre et celui-ci disparut dans un éclat de lumière. A sa place se trouvait une minuscule pousse constituée d'une grosse graine et d'un germe de feuille bleutée. Link la déterra délicatement et la regarda avec attention.

_ Hergo saura quoi en faire…

_oOo_

Vallon du Sceau, Temple du Sceau…

Link entra sans faire de bruit par la porte arrière du temple et soupira de soulagement en ne voyant la vieille Impa nulle part. Hergo non plus ne paraissait pas être là, ce qui l'arrangeait beaucoup moins.

Il s'avança jusqu'à l'aile gauche du temple, là où son camarade de classe avait ratissé un grand lopin de terre pour y planter de nombreuses graines différentes. Des fleurs colorées commençaient à pousser un peu partout, embaumant l'air de leurs parfums suaves.

_ Link ? Tu es arrivé depuis longtemps ?

Le jeune homme sursauta et se retourna vers le fond du temple. Hergo sortait de la salle du fond où reposait Zelda, les bras chargé d'outils.

_ Qu'est-ce que tu fais avec tout ça ?

_ Des aménagements et des réparations. Ce vieux temple en à bien besoin. Mais dis-moi plutôt ce qui t'amène ici ? Si c'est la mamie que tu viens voir, elle prend le soleil devant le temple, je peux aller la cher…

_ Surtout pas ! Euh… C'est toi que je suis venu voir. Voilà, j'ai trouvé une pousse et j'ai besoin des fruits produits par son arbre. Je me suis dit que tu saurais m'aider.

Hergo se gratta la tête et observa l'étrange pousse que lui présentait Link.

_ Un arbre, ça ne pousse pas en quelques jours…

Il leva les yeux vers la Porte du Temps avant de se tourner vers le jeune homme en vert.

_ Mais si tu allais le planter dans le passé, je suis sûr qu'il poussera et sera un arbre magnifique à notre époque ! La terre est bonne, par ici, il n'y a aucune raison que cela soit différent dans le passé !

_ Tu as sans doute raison... Mais c'est toi qui iras la planter. Moi je n'ai pas la main verte. La seule fois où j'ai aidé Tironne à planter ses citrouilles, elles ont toutes pourries sur place…

_ Tu es sûr ?

_ Certain.

Hergo sourit joyeusement et se précipita vers la Porte du Temps, toujours ouverte et tournant lentement en émettant une lueur bleu. Il n'avait jamais osé la franchir, sans vraiment savoir pourquoi.

Link le regarda disparaitre et n'eut que quelques minutes à attendre avant qu'un aveuglant flash de lumière n'illumine tout le temple. Lorsqu'il s'évanouit, un arbre immense se trouvait dans une petite salle de l'aile gauche, son immense ramure vert sombre s'épanouissait dans toute la salle, les rayons du soleil tombant par les brèches du plafond jouaient entre ses feuilles. Son tronc noueux d'un brun sombre était si large qu'il aurait fallut au moins deux personnes pour en faire le tour. Un unique fruit poussait sur sa plus haute branche semblable à une pêche grosse comme un potiron. Il brillait d'un éclat doré au reflet rosâtre.

_ Incroyable…

_ Tu l'as dit…

De retour à son époque, Hergo s'arrêta à côté de Link, les mains sur les hanches, contemplant lui aussi l'arbre majestueux qu'il avait planté à l'état de pousse à peine quelques instants plus tôt. Plus de mille ans, en vérité.

_ Le temps, c'est quelque chose, quand même !

_ Oui… Il a l'air lourd ce fruit. Kaï ne va pas apprécier de devoir le transporter jusqu'à Lanelle… Quoique, il a bien transporté Ghirahim jusque chez Morcego… Et contre Narisha aussi…

_ Ghirahim ? La mamie a déjà parlé de lui. C'est le démon qui veut tuer Zelda ? Attend, je ne comprends pas bien. Tu dis que ton piaf rouge l'a laissé monté sur son dos ? Mais même Zelda n'a jamais put ne serait-ce que le toucher sans y laisser ses doigts ! Et c'est qui Morcego ?

Link soupira et passa sa main sur son visage.

_ Morcego est… un habitant du ciel. Tu ne le connais pas. Et oui, Kaï a laissé Ghirahim monter sur son dos, parce que je le lui ai demandé.

_ Tu lui avais demandé pour Zelda aussi… Tu sais aussi bien que moi qu'un Célestrier ne laissa jamais personne d'autre que son maitre monter sur son dos ! Même des couples ensemble depuis des décennies ne montent pas l'oiseau de leur partenaire !

Link préféra ignorer sa dernière remarque et commença à escalader l'arbre pour aller chercher le fruit.

_ Link ! Ton démon, il est venu ici.

Le jeune homme perdit l'équilibre et tomba de la branche sur laquelle il venait de se hisser.

_ Pardon ?!

_ Il cherchait la Porte du Temps. Je pensais vraiment qu'il allait me tuer, surtout après avoir écouté la mamie me parler des démons ! Mais non. J'ai refusé de lui répondre et il est reparti. Il… Il a dit que c'était à toi de remporter le contre-la-montre.

Link se mordit la lèvre et recommença son ascension, sous le regard attentif d'Hergo.

_ Et toi, Hergo, qu'est-ce que tu en penses, des démons ? Si Impa t'a fait son sermon, ton opinion doit déjà être faite.

_ Je ne sais pas… Mais ce qu'il y a de sûr, c'est que ce soi-disant monstre ne m'a pas tué alors qu'il l'aurait put. Alors peut-être qu'il a une idée en tête, mais je pense qu'il était sincère sur une chose.

Link s'arrêta à mi-hauteur de l'arbre pour reprendre son souffle et baisa les yeux vers Hergo.

_ Quoi donc ?

_ Toi.

Le jeune homme recommença à monter, incapable de répondre.

Il décrocha le fruit et promena ses doigts sur sa surface lisse et brillante. Nul doute qu'il était gorgé de jus.

Il lança le fruit à son camarade pour redescendre plus facilement.

_ Merci pour l'arbre, Hergo.

_ C'est ma contribution au sauvetage de Zelda !

Link inclina la tête et salua son camarade. Il s'éloigna vers la petite porte arrière.

_ Au fait, Link… Il y a un truc dont les filles aiment bien parler, à Célesbourg. Une rumeur comme quoi le Célestrier et son élu seraient lié par leur cœur. Imagine un peu que le cœur de cet élu ne soit pas vraiment complet, et qu'un jour il trouve son autre moitié, absolument identique. Les filles y croient, en tout cas. Elles disent que c'est très rare, mais que quand ça arrive, alors le Célestrier obéit à l'un comme à l'autre, parce qu'ils sont deux cœurs en un…. Ou quelque chose dans ce goût-là. Je t'avoue ne pas y avoir prêté une grande attention, parce qu'un oiseau avec deux maitres, on a jamais vu ça !

Link esquissa un léger sourire et quitta le Temple du Sceau.

Comme il l'avait supposé, Kaï lui adressa un regard agacé en voyant le fruit rebondit qu'il allait devoir transporter.

_ Ne me fait pas cette tête, mon vieil ami, il doit peser moins lourd que Ghirahim, ou bien ces énormes poutres de bois que tu transportes à travers le ciel pour moi ! Regarde, je peux le soulever d'une seule main !

Septique, Kaï laissa malgré tout son élu accrocher le fruit à sa sangle, sans se priver de lui pincer douloureusement la pointe de l'oreille au passage.

Link se hissa sur son dos et ils décolèrent immédiatement vers la direction du Désert de Lanelle.

Le jeune homme posa sa main sur le cou vermeil de son Célestrier.

_ Dis-moi, Kaï… Pourquoi est-ce que tu as accepté Ghirahim sur ton dos ? Qu'est-ce qui t'a poussé à aller contre ton instinct ? Est-ce parce que je t'ai menacé de me faire du mal ? … Ou bien cette histoire de deux cœurs en un est-elle vrai ? Non, ça ne peut pas être ça…

Kaï émit un sifflement agacé, trouvant visiblement les interrogations de son maitre parfaitement inutile. N'avait-il pas déjà la réponse ? Alors pourquoi l'agacer avec ses questions ?

_ Tu as raison… C'est seulement parce que je t'ai menacé…

Le Célestrier poussa un soupir propre aux oiseaux et plongea en piqué un peu trop abruptement. Décidément, son maitre s'était mit tout seul des œillères ! Ou alors il était juste stupide.

Cette seconde possibilité lui paraissait même être la plus plausible.

_ Je ne sais pas… mais j'ai envi de le revoir…

Kaï stabilisa son vol. Finalement, son maitre se débrouillerait très bien tout seul.