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Interlude - Deuxième partie
Chapitre 5 : Cérémonie
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Nous n'avons rien avec nous, seulement nos armes, mais nous nous mettons au travail tout de suite. Charsi prend la tête des aménagements tandis que Kashya reste auprès d'Akara qui semble très affaiblie. La forgeronne nous ordonne de ramasser tout le bois et les pierres que nous pouvons à la mesure de nos forces.
Le cœur lourd et en silence, comme toutes mes camarades, je commence la récolte dans le bois proche. Maintenant que la pression retombe un peu, je sens grandir en moi un conflit intérieur. Je sens s'agiter dans mon cœur blessé un sentiment de haine latent. J'essaie de me concentrer sur ma tâche mais il accapare mes pensées. Les événements qui ont conduit à notre exil tournent dans mon esprit et j'arrive toujours à la même conclusion. Akara et Kashya ont abandonné Moiraine. Rien ne serait arrivé si elles avaient pris en compte mes inquiétudes et ses mises en garde. Elle n'aurait jamais trahi sans cela. J'en suis convaincue. Et, Akara s'est montrée si promptes à ôter la vie de nos sœurs qui étaient restées en arrière. Un massacre… une gabegie dont je la tiendrai toujours pour responsable. Je sers les dents. Pourtant, une part de moi-même voit aussi l'incommensurable sacrifice qu'elle a fait pour sauver le peu d'entre nous. Elle a presque dû offrir une grande part de sa vie aux énergies primordiales pour arrêter l'armée des enfers. Qui sait combien de temps il lui faudra pour retrouver ses forces pleinement. Dois-je la prendre en pitié? Dois-je la haïr, la remercier? Je ne sais trop quoi penser.
Des cracs bruyants attirent bientôt mon attention. Je me retourne. Charsi est en train de déraciner de jeunes arbres à main nue. Elle est la dernière représentante du peuple barbare de notre communauté. Je savais que sa force était sans égale mais cela va au delà de ce qu'il est naturel de faire. Je devine aisément que c'est la douleur qui lui donne présentement autant de force. Dans ses gestes transpirent toute la rage qu'elle ressent lorsqu'elle arrache et brise le bois. Comme je la comprends.
Nous construisons quelques abris de fortune pour la nuit et un immense bûcher au milieu du campement. Les corps de nos camarades y sont disposés en attendant une crémation. Akara a offert le tissu de sa robe pour couvrir ne serait-ce que leur visage.
A la nuit tombée, nous sommes affamées, épuisées et démoralisées mais également prêtes à toute éventualité. Kashya a demandé à toutes celles capables de défendre le camp de veiller cette nuit. Il y a beaucoup trop de novices pour peu de sœurs confirmées. Charsi a donné les flèches restantes à celles qui ne peuvent utiliser les arcanes et aux autres, comme moi, un stock de brindilles rigides, vaguement droites. On m'a confié l'arc d'une novice âgée de dix ans pour remplacer le mien. Il est bien trop petit pour moi, mais il devra faire l'affaire. Postées à intervalles réguliers nous scrutons l'obscurité.
Dans notre dos, la cérémonie commence. Akara parle longuement de ce qui s'est passé. Elle choisit ses mots avec attention mais l'émotion est palpable dans sa voix.
- "Ce qui est arrivé est de ma faute." Dit-elle au bout d'un moment. Je sers mon arc d'enfant jusqu'à m'en faire blanchir les jointures. Elle avoue. J'ai envie de crier mais je me retiens de toutes mes forces. "Je n'ai pas su faire confiance dans le jugement de personnes qui m'étaient proches, car les signes divinatoires me voilaient le regard. Pourtant si Moiraine a trahi aujourd'hui en ouvrant un portail infernal au cœur de notre maison, c'est parce que je ne l'ai pas écoutée, lorsqu'elle m'a signalé que des choses étranges se passaient dans nos murs. J'ai cru que la blessure dans son corps éthéré avait altéré sa perception. Mais la vérité est qu'elle avait compris bien avant tout le monde…"
Cet aveu me fait bouillir de colère. C'est pire que ce que je pensais. Je peux comprendre qu'on ignore mes mises en garde, je ne suis qu'une novice après tout, mais de la bouche Moiraine, c'est intolérable. Quel gâchis ignoble tout cela aura été. Akara poursuit son discours.
- "Cette créature qui s'est infiltrée dans notre monde est bien plus sournoise et discrète que toutes celles que j'ai connues. Elle a agi dans l'ombre pendant longtemps, ne révélant sa présence qu'au dernier moment.
Moiraine n'est pas la seule à avoir succombé au mal. Nombre des nôtres étaient déjà sous l'influence démoniaque lorsque tout a basculé. Je n'ai rien vu… rien..."
J'écoute à peine le reste de ses explications, cela me fait trop mal, mais dans mon état de veille, je ne peux qu'entendre. Je tente de retenir mes larmes lorsqu'elle parle de celles qui sont tombées au combat et de toutes celles qu'elle n'a eu le choix de sacrifier.
Le visage de Maeko s'imprime dans mon esprit. J'entends son rire. Je revois sa joie de vivre. Elle était ma première amie véritable. La seule...
Je sens une vague de chaleur s'élever dans mon dos et j'entends le crépitement du bois qui brûle. Le brasier a été allumé. Les pleurs de celles qui sont autorisées à se laisser aller me brisent le cœur. Je ne peux retenir mes larmes. Et toujours ce conflit en moi. Je crois que la haine est en train de gagner lentement du terrain dans mon cœur.
Peu de temps après, une main se referme sur mon épaule. Je ne sursaute pas. J'avais reconnu le pas de ma maîtresse d'armes. Je m'essuie le visage d'un revers de la main. Je ne veux pas qu'elle me voit ainsi.
- "Ce n'est pas la peine. Il n'y a pas de honte à avoir." Me dit-elle en regardant dans la même direction que moi. "Nous pleurons toutes."
Je cherche du regard les autres sentinelles. Même à la faible lueur de la Lune, je distingue les rigoles sur leur joues. Puis, je me tourne hébétée vers elle. Ses yeux sont effectivement baignés de larmes. Le mythe de la grande Kashya qui n'a pas de cœur s'écroule définitivement. Toutefois, à ce moment précis, je n'accepte pas de la voir ainsi. Elle n'a pas le droit! Pas elle!
- "Je viendrai te relever plus tard dans la nuit. Akara souhaite te parler."
Sans d'autres explications, elle retourne dans le campement et je reprends ma surveillance, le cœur déchiré entre deux extrêmes.
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Comme prévu, elle vient prendre la relève plus tard dans la nuit. Elle me demande de laisser mon arc là, sur le tas de bouts de bois ridicules qui me servent de flèches. Sur le moment je ne comprends pas trop car je sais qu'elle ne peut utiliser les enchantements arcaniques mais très vite je réalise qu'elle craint que je tente d'assassiner Akara. Elle aura certainement vu ou plutôt simplement deviné la colère que je nourris à leur égard. Je jette mon arc d'enfant à ses pieds. Elle m'attrape par le bras. Elle sert si fort que j'ai l'impression qu'elle va me le briser.
- "Je sais que tu nous hais en ce moment…" dit-elle, confirmant ma supposition. "... mais l'insubordination n'est pas tolérée." Je vois dans ses yeux brûler une colère indicible qui m'effraie et me déstabilise un instant.
- "Oui, madame." Je bégaie. Elle me relâche.
- "Vas"
Je retourne dans ce qui nous sert de campement. Le bûcher brûle toujours. Quelques sœurs forment un cercle autour et génère une sorte de bouclier qui contient certainement l'incendie qu'il pourrait provoquer et les éventuels désagréments liés à la combustion de corps. Je grimace. C'est à la fois terrible et absolument nécessaire.
Plus loin, derrière une petite palissade de fortune, les novices ont été regroupées. Les plus jeunes dorment ensembles et les plus âgées les surveillent à tour de rôles, par petits groupes. Quelques sœurs se reposent également, couchées à même le sol. Charsi est toujours debout. Visiblement elle n'arrive pas à dormir. Elle s'affaire à consolider l'abri qui a été aménagé pour Akara. Elle ne remarque même pas ma présence.
Je rejoins la Grande Prêtresse. Elle aussi est couchée à même le sol dans ce qui reste de sa robe. Elle me suit du regard alors que je m'assieds en tailleur près d'elle.
- "Je comprends ta rage." Me dit-elle.
A ses mots ma colère m'embrase. Kashya avait vu juste. J'ai envie de la tuer. Heureusement que je n'ai pas d'armes. Je lui réponds effrontément. Chose que je n'aurai jamais pensé faire avant aujourd'hui.
- "Si c'est pour me demander pardon, il est trop tôt." Je m'apprête à me relever. Je n'ai pas envie d'écouter.
- "Je devrai probablement, mais ce n'est pas pour cela que je t'ai fait demander."
Je suis à la fois outrée et admirative de sa réponse. Je l'observe un moment, cherchant dans ses yeux la vérité. Très vite, je ne peux soutenir son regard. Elle souffre autant que nous autres, peut-être même plus. C'est difficile à dire. A la voir ainsi j'ai envie d'avoir de l'empathie pour elle, mais je la lui refuse. C'est plus facile de la haïr pour le moment. Toutefois, j'écoute ce qu'elle a à dire.
- "Que voulez-vous de moi?" Je demande la tête basse.
- "Nous allons avoir besoin d'aide et rapidement. Tu es la seule des survivantes à être allée à Tristram. Tu connais la route et les gens. Ils sont les plus prêts. Nous manquons de tout et il faut protéger les enfants en priorité."
Je regarde par dessus le maigre rempart. Les plus petites sont blotties les unes contre les autres.
- "Si j'ai bien reconnu les lieux, c'est à deux jours de marche. Au moins le double pour l'aller-retour." Dis-je avec lassitude.
- "J'ai peut-être le moyen de t'y envoyer directement." Elle se redresse sur un coude. "Je peux t'y téléporter si nous partageons le souvenir du lieu. C'est un aller simple, il faudra que tu rentres par tes propres moyens. Nous tiendrons le coup, ne t'inquiète pas de cela."
- "Je vois." Je me souviens que Jarzeth avait fait cela avec Moiraine pour nous ramener au monastère.
- "Je vais envoyer d'autres sœurs au Nord, chercher le renfort des Barbares, mais cela prendra beaucoup de temps. Certainement quelques semaines. Il nous faut une solution rapidement. Les plus jeunes sont fragiles." Je hoche la tête. Je suis d'accord avec cette proposition.
- "Quand pouvez-vous m'y envoyer?"
- "Dès que tu seras prête."
- "Alors, je vais chercher de quoi me défendre."
Sans attendre son consentement, je me lève et rejoins Kashya. Je ramasse l'arc d'enfant qui m'a été attribué et ramasse plusieurs tiges qui me serviront de projectiles. Je compte profiter de la forge de Griswold pour faire le plein de vraies flèches.
- "Akara va m'envoyer à Tristram. Je pars chercher des renforts." Dis-je à ma maîtresse d'armes pour justifier que je reprenne mon arc.
- "Très bien." Répond-elle sans me regarder. Je pense qu'elle me fait confiance cette fois-ci pour ne pas assassiner notre chef. "Je prends ta place pour ce soir. Je replanifierai les rotations pour les prochains jours."
Je retourne auprès d'Akara sans dire un mot et attends ses dernières instructions. Elle s'est péniblement redressée et se tient fébrilement accroupie. Elle a l'air si faible, mais elle a l'air déterminée. Je m'agenouille devant elle. Elle me prend par la nuque et pose son front contre le mien.
- "Je préfère te prévenir, le sort n'est pas aussi doux que ce que tu as pu connaître jusque là. Dans mon état, il m'est aussi difficile de le générer. Je le lancerai dès que je serai certaine de la destination. Alors concentre-toi sur un endroit précis. Rappelle-toi en dans les moindres détails." Je choisis la place du village et plus précisément la fontaine de pierre en son centre. "C'est bien, voilà." Me dit-elle alors que l'image se forme dans mon esprit.
Ses doigts pianotent sur ma nuque. Elle forme les mots de pouvoir. Bientôt, je sens les fils arcaniques se tisser autour de moi. L'instant suivant, je me sens comme projetée violemment à travers l'espace. Le choc est rude lors de l'atterrissage. Je m'étale de tout mon long. Il me faut une seconde pour recouvrer mes esprits. Lorsque j'ouvre les yeux, je suis bien arrivée à destination, mais c'est bien loin d'être ce que je m'imaginais.
Combien de temps Annor va-t-elle supporter la pression ? Elle tient sur les nerfs...
A bientôt pour son retour à Tristram qui n'est pas ce qu'elle espérait.
