Cette fic est écrite dans le cadre de la 136ème nuit écriture du FoF (Forum Francophone) pour le thème "Rejet". Le FoF est un forum regroupant tous les francophones de ffnet où l'on peut discuter, demander de l'aide ou s'amuser entre nous. Le lien se trouve dans mes favoris. Rejoignez-nous !

Note de l'auteur : Je ne suis pas du tout habituée à ce format-là, mais à partir du moment où j'ai eu l'idée, je ne voyais aucun autre moyen de l'écrire. J'espère que ça vous plaira tout de même ?


Tu permets qu'on discute deux secondes, ma chérie ? J'aurais quelque chose à te dire. Je sais, t'es déjà en train de soupirer que ma démarche est ridicule, totalement ridicule, et peut-être que tu as raison, peut-être qu'elle l'est. Je te dirais bien que tu as besoin d'entendre ce que je vais te dire, mais non, j'en sais rien en fait, peut-être que ça ne va rien changer. Tout ce que je sais, c'est que je m'en voudrais trop si je n'essayais pas. Alors installe-toi. J'ai du thé, du coca, du jus de fruit, du chocolat, un canapé, des coussins. Installe-toi, prends ce que tu veux, et écoute-moi.

Je ne vais pas revenir sur ton histoire. On la connait, toutes les deux, et même si tu affirmes t'en ficher, on sait qu'elle est triste à pleurer. Une mère qui n'a jamais voulu de toi, ou a pensé vouloir de toi sans jamais parvenir à t'aimer comme un parent est censé le faire, et qui a fini par partir. Alors bien sûr il y a pire que toi, on le sait toutes les deux. Tu as un père qui t'aime, qui ferait tout pour toi et t'offre tout ce dont tu as besoin. Tu aimerais croire que ça te suffit, et tu arrives souvent à être convaincante quand tu l'affirmes. Mais il suffit que ta mère revienne dans ton champ de vision pour que tes convictions s'effondrent et que tu te souviennes que c'est d'elle dont tu as besoin, elle dont tu ne comprends toujours pas ce qui l'a poussée à t'abandonner. Alors quand elle revient tu essaies de la rendre fière de toi : te comporter comme elle, snober les autres comme elle, les mêmes mimiques, les mêmes tics, dans l'espoir qu'un jour elle te regarde comme une égale. Ça ne suffisait pas alors que tu faisais tout pareil, donc tu t'es dit qu'il y avait forcément une raison, qu'elle devait savoir que tu n'étais pas exactement cette fille là dès qu'elle repartait à New-York. Alors tu as continué à agir comme ça, à mépriser tout le monde, à haïr tes ennemis et utiliser tes amis, tout le temps. Si tu deviens la même femme qu'elle, elle finira forcément par t'apprécier, ce serait logique non ?

Sauf qu'il y a une faille dans ton plan, et même une sacrée faille. Tu ne la vois pas, c'est normal. Je ne la voyais pas non plus quand j'avais ton âge, et c'est pour ça que j'ai tenu à t'en parler : Si j'arrive à te faire économiser quelques années avant la désillusion, alors cette discussion n'aura pas été vaine. Cette faille, la voici : Tu n'as aucune idée de si ça fonctionnera. Peut-être qu'à force de te conformer à ses standards, elle finira par te remarquer, te considérer comme fréquentable voire même comme une source de fierté. Et après ? Cette relation future avec ta mère, tu ne peux que l'idéaliser, parce que tu n'as en vérité aucune idée d'à quoi elle ressemblera, et surtout si elle en aura valu la peine. La peine de quoi ? La peine de tout ce à côté de quoi tu passes pendant que tu t'échines à courir après elle. Être odieuse, hautaine et méprisante parce qu'elle l'est elle-même et qu'il faut l'être pour attirer son attention, c'est à double tranchant. C'est probablement la chose la plus difficile que je vais te dire ici, et je sais à quel point c'est difficile de l'accepter. Je ne te demande pas d'approuver tout de suite, ce n'est pas possible, je le sais. Juste, réfléchis à ceci : Peut-être que même quand tu seras son sosie parfait, ta mère ne te regardera pas plus que cela. Parce qu'en vérité, tu ne connais aucune des raisons qui l'ont poussée à t'abandonner il y a dix ans et à te rejeter encore aujourd'hui. Tu ne sais rien de ses motivations, de ce qui se passe dans sa tête et son cœur quand elle pense à toi, et parce qu'elle le niera toujours en bloc, tu ne pourras jamais avancer sur ce point-là. Il n'y a rien que tu puisses faire pour que ça aille mieux entre elle et toi. Je sais, à cet instant tu te demandes comment il est possible d'accepter une vérité aussi cruelle. Je ne sais pas s'il est possible de l'accepter – j'ai le double de ton âge et j'ai encore du mal aujourd'hui.

Mais il y a autre chose qui dépend encore de toi, et c'est pour ça que je tenais à t'en parler. Une autre chose difficile à admettre mais moins impossible, et crois-moi sur parole, chérie, je te jure que ça te permettra d'atténuer la douleur bien plus que tu ne pourrais l'imaginer. Tu ne peux rien pour la façon dont ta mère te considère mais tu peux beaucoup sur la façon dont les autres te considèrent. Hélène Ségara avait raison : Y a trop de gens qui t'aiment. Et ces gens-là, ils sont prêts à te donner tellement et à recevoir tellement de toi si jamais tu osais leur donner une chance. Ladybug t'en a donné un aperçu. Tu passeras ta vie à le nier, mais ce que tu as aimé quand tu étais Queen Bee, ce n'était ni la renommée ni les super-pouvoirs. C'était la façon dont Ladybug te regardait, la façon dont elle te faisait confiance, à toi, pour endosser des super-pouvoirs, la façon dont elle te considérait comme une égale. Tu ne seras plus jamais Queen Bee mais tu peux retrouver ce respect et cette considération des autres dans la vie de tous les jours. Ouvre les yeux. Ils sont pleins, au collège, Sabrina en premier bien sûr, mais tous les autres également, à n'attendre qu'un pas vers eux de ta part pour t'accueillir à bras ouverts. Essaie. Ce sera dur, je le sais, surtout au début, mais s'il te plaît, crois-en mon expérience, essaie de faire ce pas vers eux.

Ta mère ? Oui, je sais, accepter l'amour des gens qui t'entourent ne changera strictement rien à la façon dont elle te considérera, bien au contraire. Elle haïra tes amis et il y en a certains dont tu sais que tu ne pourras jamais les lui présenter sans qu'elle ne les critique en te demandant comment tu as pu tomber si bas. Tu préférerais largement ne pas prendre le risque, continuer à te conformer à ce qu'elle attend de toi et ne prendre cette voie de secours que lorsque tu te seras fait une raison. Et c'est là, ma chérie, que j'estime que tu vas avoir besoin de mon recul et de mon expérience : Ça ne peut pas fonctionner dans ce sens-là. Ça ne fonctionnera pas et tu resteras éternellement dans l'état d'aujourd'hui, à être haïe par tout le monde et ignorée par la seule à qui tu espères plaire. Alors crois-moi, s'il te plaît, et prends le problème dans l'autre sens. Rejoins ces gens capables de t'aimer et qui t'attendent, découvre la vie auprès d'eux, découvre ces notions de respect, de considération, d'amitié que tu pensais ne jamais connaître. Et quand tu auras essayé, maladroitement d'abord, puis en kiffant plus que jamais ta nouvelle vie, regarde en arrière. Et tu verras ce que j'essaie de te montrer : Ça en valait la peine, parce que cette vie-là, même dans tes rêves les plus fous, ta mère ne te l'aurait pas offerte.

Je ne dis pas que tu l'oublieras, qu'un jour tu finiras par l'ignorer comme elle-même t'ignore. Je te le souhaite mais je te l'ai dit, je n'ai aucune idée de si c'est possible. Ton pincement au cœur et ta tristesse en pensant à elle, ils ne partiront jamais. Parfois, quand tu verras d'autres membres de ta famille ou de ton entourage recevoir du respect et de la considération de sa part, ça fera plus mal que d'habitude. D'autres fois, quand tu reviendras d'un week-end avec tes amis et que tu la retrouveras pour subir ses piques sur ton physique et ton comportement, tu sauras que tu as fait le bon choix et parviendras à passer outre. Pour tous les moments entre les deux, ceux où tu douteras, terriblement, où tu te demanderas si tu as fait le bon choix et si tu n'as pas encore une chance de revenir dans ce qu'elle considère être le droit chemin, tes amis seront là pour t'assurer que grâce à tes prises de conscience et tes choix, tu es devenue quelqu'un de bien, et ces mots – que tu aurais rêvé d'entendre d'elle – achèveront de t'apaiser.

Il y a trop de gens qui t'aiment, ma chérie, et tu mérites d'être heureuse à leurs côtés. Donne-leur une chance, accepte l'idée que tu es quelqu'un qui mérite d'être aimée, et fais ce deuil de la relation idéalisée que tu n'auras jamais avec ta mère. Pas en un jour, bien sûr. Prends ton temps. J'ai le double de ton âge et c'est le temps qu'il m'a fallu pour parvenir à poser ces mots-là.


En espérant que ça vous ait plu :)

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