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Interlude - Deuxième partie

Chapitre 6 : La rage

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Tristram est en feu. Je prends appuis sur la fontaine pour me relever. J'ai un peu la tête qui tourne. Devant moi se dresse l'auberge d'Odgen, dont la façade est noircie et dont les fenêtres ont toutes perdues leurs carreaux, comme si elle avait subit une explosion de l'intérieur. Des flammes rongent toujours une partie du bâtiment mais le feu semble dater.

Je balaie la grande place du regard. Tous les bâtiments du centre ville sont ainsi. Soit en train de brûler, soit déjà effondrés. J'entends des ricanements résonner dans les ruelles adjacentes. Il y a des déchus ici aussi. Je m'arme de mon arc de fortune et d'un projectile. Je l'enchante immédiatement et déploie simultanément ma Vision Intérieure. Je détecte bien du mouvement. Il y a de petites créatures qui courent et se cachent de moi et de plus grosses qui rampent sur le sol dans les ruines des habitations.

Je contourne la fontaine et me dirige vers la forge. S'il n'y a plus personne à Tristram, je dois récupérer du matériel. Étrangement, je suis presque insensible à l'horreur autour de moi. Il semblerait que l'attaque que nous ayons subit au monastère m'ait anesthésié le cœur et l'esprit. A la vérité, j'ai plutôt le sentiment que je ne peux pas ressentir plus de douleur et de colère. J'ai atteint un seuil d'intolérance.

Je suis horrifiée de ce constat, mais à la fois soulagée de pouvoir garder l'esprit clair.

Alors que je m'approche, un déchu armé d'un coutelas jaillit de derrière un muret. Ma flèche de glace le cueille en plein vol et il retombe en vrac à mes pieds.

- "Si vous en voulez aussi, venez me chercher!" Je crie à l'intention de ceux qui se tiennent en embuscade.

J'entends des piaillements et des ricanements puis je distingue du mouvement. Les autres déchus s'éloignent en bondissant. Ma flèche aura fait forte impression. Je sais que ce n'est qu'un répit de courte durée et qu'ils reviendront certainement plus nombreux pour me déborder. En attendant, je peux ranger mon arc.

La forge est sans dessus dessous. La moitié du bâtiment s'est effondrée et des pillards sont déjà passés. Je fouille les premiers décombres et trouve une large sacoche de cuir partiellement brûlée. Je teste sa résistance. Ça fera l'affaire. Je récupère au milieu des gravas quelques matières premières. Il ne reste quasiment plus d'armes dans les râteliers encore accessibles. Je ramasse des pleines poignées de clous et de lanières de cuirs. Je sais que Charsi saura quoi en faire.

En soulevant une planche, je trouve l'enclume et le marteau de Griswold. Si je ne peux certainement pas transporter la première, je prends sans hésiter le second. Il est un peu lourd mais c'est définitivement quelque chose qui nous sera utile. Lorsque je le prends en main, je sens une vibration me parcourir le bras. Je souris par réflexe. Évidemment, il est enchanté.

Un peu plus loin, je trouve un carquois entier de flèches caché dans un meuble, miraculeusement encore debout. Mon cœur manque un battement lorsque je vois les plumes de corbeaux à l'empennage. Je sers les poings alors que je replonge quelques secondes dans l'horreur de ce matin même. Je revois la terrible transformation de Moiraine et le visage de Maeko, figé dans la mort. Je prends une grande inspiration. Je dois me reprendre. Si je me laisse envahir par la douleur, je me mets en danger.

Je jette mes brindilles ridicules et les remplace par les flèches qui étaient autrefois destinées à ma sœur puis je quitte les lieux. Le marteau de Griswold pèse un peu dans ma besace mais je pense pouvoir transporter ma charge sans problème. Je ne pourrai hélas pas prendre d'avantage de choses avec moi. Je doute que les maisons contiennent quoi que ce soit de comestible et je doute que je trouverai âme qui vive, mais je ne peux partir sans en avoir le cœur net. Si quelqu'un a pu survivre, c'est sans doute le prince. Je me dirige donc vers le quartier nord et le manoir de la famille royale.

Sur le chemin je passe devant la maison de Cain. J'ai un pincement au cœur lorsque je vois qu'elle a entièrement brûlé. Avec elle s'est envolé tout le savoir des Horadrims. J'avance dans les ruelles dévastées par les incendies. Ici plus qu'ailleurs, ça sent la charogne. Je grimace. Je n'aimais déjà pas ce quartier, mais là j'ai envie de le quitter au plus vite. Je remarque dans le lointain que la cathédrale semble toujours intacte. Est-elle à nouveau la source du chaos qui règne ici?

Je reprends mon arc en main lorsque mes sens détectent du mouvement un peu plus loin devant moi. Je m'approche avec prudence. Des déchus sont regroupés sur la place devant les grilles du manoir. Ils discutent, autour d'un feu de camps improvisé, dans ces horribles borborygmes qui leurs servent de langue. L'un d'entre eux a une peau sombre aux reflets bleutés et des peintures guerrières. Sans aucun doute, il s'agit du chef de ce groupe là. Si je l'abats, les autres se disperseront.

Je réajuste mon sac et mon carquois. Je dois avoir le champ libre pour tirer et me déplacer. Dès que je le peux, j'enchante ma flèche et tire. J'atteins le déchu en pleine poitrine. Même avec mon arc sous dimensionné, la force de mon tir l'envoie valser sur plusieurs mètres. Comme je l'avais prévu, la panique s'empare des autres et ils se mettent à courir dans toutes les directions en criant. Je ne sais pas ce qui me prend alors.

Je suis prise d'une envie de meurtre. Sans même réfléchir, je décoche flèche après flèche. Aucun n'en réchappe. Je prends presque un plaisir sadique à les voir tomber les un après les autres. Dans ma tête se rejoue, l'attaque du monastère. Ils étaient des centaines à être vomis par les portes du cloître. Des centaines à nous massacrer. Prise dans le tourment de ce souvenir monstrueux, je ne vois pas tout de suite que le déchu à la peau bleue n'était pas mort. C'est une voix familière qui m'avertit du danger. Je n'ai pas le temps de tirer. Je lâche arc et flèche. Ma main trouve le marteau de Griswold dans ma sacoche et je le dégaine au moment même où l'ignoble créature saute sur moi. Le métal rencontre son torse et je relâche l'enchantement que je sens vibrer dans le manche juste à temps. Le déchu prend feu instantanément et la force de mon coup le renvoie dans les grilles du manoir, où il périt enfin.

Je me retourne vers la voix qui m'a sauvé la vie. C'est alors que je remarque une cage grossière dans lequel est enfermé un vieil homme. Je le reconnais immédiatement. Decard Cain. Dans sa prison, il n'est pas seul, mais il est le seul encore en vie. Son regard reflète toute l'horreur qu'il a vécu lui aussi.

Sans un mot, je m'approche de la cage et brise à l'aide du marteau les entraves. La porte tombe et Cain sort aussitôt.

- "Je n'y croyais plus." Me dit-il en m'agrippant par les épaules. "Je n'y croyais plus." Sa voix se brise.
- "Je ne suis pas venue vous sauver. J'étais venue chercher de l'aide. Le monastère est tombé." Dis-je d'une voix monocorde. Pourtant prononcer ces mots m'arrache le cœur. Le vieil Horadrim semble partager ma douleur.
- "Qu'est-il arrivé?"
- "Un mal ancien dormait sous nos pieds et un portail démoniaque aurait été ouvert. Le monastère a été pris d'assaut par des hordes de monstres. Nous avons été contraintes de fuir." Je sens le sceau s'agiter en moi. Je trouve naturellement les mots pour ne pas évoquer ce qui ne doit pas l'être. "Reste-t-il un endroit où je pourrai trouver du tissus ou des vêtements? Nous avons beaucoup d'enfants avec nous. En cette saison, le froid et la pluie vont bientôt poser problème." Cain me dévisage.
- "Vous avez changé, sœur Annor." Dit-il.
- "Je pense à la survie de mes sœurs, c'est tout."

Je sais qu'il voit la rage contenue en moi, mon envie de tout détruire, mon envie de tuer tous ces monstres des enfers qui grouillent ici et ailleurs.

- "Bien-sûr. Laissez-moi juste un moment pour me reprendre. Je ne suis plus tout jeune et je suis resté enfermé pendant longtemps."

J'acquiesce et me charge pendant ce temps de récupérer les flèches encore utilisables sur le corps des déchus que j'ai abattus. Rien qu'à les voir, la colère et la douleur me submergent. J'ai envie de les réduire en miettes. Cain me rejoint. Il s'est fait une canne à l'aide d'un morceau de bois qui traînait. Je regarde en direction du manoir. Il semble comprendre ma pensée.

- "Le prince a disparu. Vous ne trouverez pas de gardes non plus."
- "Je vois..."
- "Nous ne devons pas rester là." Me dit-il. "Les morts finissent toujours par se relever. Tant que j'étais dans la cage, je maintenais un sort de purification."

Je regarde en direction de la prison et constate avec horreur qu'il a raison. Je distingue un léger mouvement parmi des corps.

- "Suivez-moi." Me dit-il.

Il reprend la direction du centre ville mais par une rue que je n'avais jamais empruntée. Nous nous arrêtons devant ce qui devait être une mercerie. Elle a presque entièrement brûlé mais nous trouvons effectivement quelques étoffes. À l'aide d'un grand pan troué, il se fabrique un baluchon. Nous y fourrons le peu que nous trouvons, c'est à dire simplement des morceaux de tissus déchirés. Cain ne discute pas. Il voit le désespoir dans mes yeux. Il sait que même le plus petit morceau de tissu trouvera une utilité.

Après notre pillage en règle, nous prenons la direction du sud. C'est lorsque nous passons la dernière maison avant la route qui mène aux portes de la ville qu'une nouvelle vision meurtrit mon cœur déjà blessé. Moi qui pensais ne plus pouvoir ressentir, je découvre douloureusement que je me trompais...

Je n'ai aucune difficulté à reconnaître ce bon Griswold. Il porte même son tablier. Il lève lentement les bras vers nous et pousse un râle guttural en nous voyant. Il n'y a toutefois aucun doute sur le fait qu'il soit bien mort. Son regard vitreux est là pour en témoigner. Je ne peux retenir mes larmes. Je le mets en joue et m'apprête à tirer alors qu'il s'approche de nous en traînant les pieds, mais ma main tremble. Pas lui… Je ne peux pas… Ma haine ne suffit pas. Je rengaine mon arme et je m'incline vers lui.

- "Lorsque nous le pourrons, nous viendrons pacifier Tristram et vous apporter le repos que vous méritez. Malgré toute la rage que je peux ressentir, je suis navrée mais c'est au dessus de mes forces."

Ma voix s'étrangle. A la vérité, je me sens étrangement coupable d'avoir eu la force de vouloir le faire pour Moiraine. Et j'ai l'horrible impression d'avoir déjà tué un ami aujourd'hui. Je ne pourrai pas ôter la vie de quelqu'un comme Griswold. Ni maintenant, ni peut-être jamais. Je me reprends.

- "Nous ferons bon usage de votre marteau." Dis-je. "Charsi saura. Adieu et merci pour tout."

Je me redresse. Le forgeron n'est plus qu'à quelques pas de nous. Ses mains font mine de vouloir nous saisir, mais il avance si lentement que nous n'avons qu'à marcher un peu pour le distancer.

- "Il s'est battu jusqu'au bout." Me dit Cain lorsque je me tourne vers lui. Il me sourit tristement.
- "Je m'en doute pas." Je sèche mes larmes du revers de la main.

Nous prenons la direction de la grand route. J'ouvre la marche. Je ne veux pas que le vieil homme voit ma peine. Je ne sais pas combien de coups je pourrai encore prendre dans le cœur avant de m'écrouler pour de bon. Je sais que je ne tiens que parce que j'ai la rage. Je sais que ce n'est pas une bonne chose, mais il ne me reste plus que ça.