Chapitre 37
La magie.
Aussi puissante qu'imprévisible, si mystérieuse et en même temps aisément appréhendable pour qui sait s'y prendre. Oui, la magie est une interrogation à laquelle nous ne réussirons sans doute jamais à obtenir de réponse claire et satisfaisante. Pourtant, nombreux sont les sorciers s'étant penchés sur la question et ayant décortiqué les méandres de son fonctionnement. Jusqu'ici, bien peu de choses nous sont compréhensibles, à l'instar de la surface lisse et accueillante d'un gigantesque glacier plongeant dans la noirceur insondable d'une eau gelée.
Mais saviez-vous que, malgré notre flagrant manque de connaissance sur le sujet, les plus illustres familles de sang-pur ont, à plusieurs reprises déjà, réussi à s'octroyer une part de ce gâteau alléchant ? L'histoire attribue très souvent le pouvoir et la notoriété de leur nom à leur simple rang de sang. La réalité est plus subtile, à la limite d'une légalité dont les frontières n'ont pas encore été clairement établies. Oui, la réalité est celle-ci : la magie la plus obscure a été accaparée par ces sorciers et ces sorcières apeurés par la mixité génétique. Elle est devenue leur fleuron, leur arme secrète face au nouveau monde que nous, les sang-mêlés et les nés-moldus, créons sans eux.
Rabastan est de ces hommes, de ces enfants nés dans le secret d'une force méconnue qu'il pense désormais pouvoir contrôler ; qu'il espère manipuler à sa guise, car c'est là, la meilleure carte qu'il lui reste à jouer.
En face de nous le dragon de flammes fond sur le Serpentard dont les bras sont écartés, semblant accueillir l'invocation brûlante comme un vieil ami. Son feu le frappe à la poitrine avec force, sa puissance tente de le renverser, de le détruire. En réalité, pareil sort ferait chavirer n'importe quel adversaire. Il embraserait ses vêtements, incendierait ses cheveux et ferait fondre la peau de son torse qui se racornirait pour devenir charbon à l'odeur de chair brûlée.
Rien de tout cela n'arrive.
Je l'ai déjà évoqué, mais tout sorcier possède en lui un type de magie qui lui est propre, comme coulant dans ses veines et teintant ses incantations. Pour ma part, j'ai toujours su que la magie du froid m'était plus aisée à manipuler, telle une seconde nature si familière qui me soufflerait mes origines et rappellerait au monde qui je suis.
Car, si je suis la glace, Rabastan est le feu.
Ainsi qu'il en a toujours été, cet élément est le sien. Je sais que les mois d'entraînement que nous avons passés ensemble ont été le meilleur moyen pour lui d'explorer cette facette dont on ne nous parle pas en cours. Cette magie étrange et secrètement protégée, transmise par les siens de générations en générations.
Le dragon le frappe, ses flammes l'entourent avec avidité mais elles ne font qu'effleurer sa peau. Amies et amantes, elles s'enroulent autour de son corps offert, jouent avec les mèches de cheveux sortant de sa coiffure et s'engouffrent dans le creux de ses paumes pour y disparaître enfin.
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Je reprends mon souffle en ayant l'impression d'avoir été moi-même au centre de la tornade incandescente. Un silence incroyable répond au hoquet de stupeur du duelliste de Durmstrang et je ris. Un rire nerveux que je tente de contenir derrière mes mains. Celui-ci précède de peu la rumeur qui envahit progressivement les gradins et glisse sur les bouches stupéfaites.
Rabastan a réussi à contenir le feu, il l'a fait sien à l'instar de ces elfes ou encore de ces gobelins peuplant notre monde. Eux qui n'ont besoin d'aucune baguette, d'aucun outil pour pratiquer leur art. Au creux de ses mains, les flammes ont laissé le souvenir de leur passage par de larges traces brunes.
Nous le voyons ensuite abaisser les bras et ses yeux se rouvrent. Ses doigts attrapent sa baguette pour la lever devant lui et je devine son sort avant même qu'il ne l'ait prononcé.
-Fornacem !
Un feu crépitant sort de sa baguette. Il vient l'entourer, onduler autour de lui tandis qu'il l'insuffle encore et encore. Je sens mes mains trembler d'excitation devant tant de talent déployé, car je sais que je veux me battre contre lui. Aujourd'hui plus que jamais.
Un gigantesque serpent de flammes ne tarde pas à s'élever à ses côtés ; il s'agite doucement, d'abord observateur, puis ses mouvements se font peu à peu menaçants. Les anneaux de sa queue jouent sur le parquet ignifugé, son corps tangue de gauche à droite, emportant sa lourde tête triangulaire.
Son adversaire recule instinctivement d'un pas. Je l'entends incanter un Protego, mais l'issue de ce combat ne fait désormais plus aucun doute. Rabastan était finalement le mieux placé pour battre cet homme dont la force repose uniquement sur pareille pyrotechnie.
Le serpent n'attend pas plus longtemps. Son mouvement est si vif qu'il nous surprend tous et il se rue alors sur l'ennemi tandis qu'un simple stupéfix détruit la protection qu'il a érigée. Le duelliste recule précipitamment, lève les mains devant son visage et le gong sonne tandis que ses pas le mènent hors de l'aire.
Un silence s'étire, puis un tonnerre d'applaudissements retentit dans les gradins. Les élèves de Serpentard hurlent et s'agitent en tous sens en une liesse indomptable. Pour ma part, je m'use les mains en applaudissements hystériques et Jasmine finit par se jeter dans mes bras de joie.
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Il faut plusieurs bonnes minutes à nos deux arbitres-professeurs pour rétablir le calme parmi la foule présente. Pendant ce temps, Galaad et Rabastan rejoignent les élèves de leur maison et je les vois se faire acclamer encore et encore. Polianov, de son côté, ne bouge pas de sa place et semble rager sur son second tandis qu'il attend le second match. Eléonore Picard ne tarde pas à rejoindre le centre de l'estrade et le volume sonore descend enfin lorsque les spectateurs prennent conscience qu'il reste un match. Je suis moi-même curieuse de voir la prochaine confrontation.
-Il va se faire bouffer tout cru ! me glisse Jasmine en semblant beaucoup trop rayonnante.
-Qu'est-ce que tu en sais ?
-Si Rabastan n'a pas réussi à brûler les plantes de la fille de Beauxbatons, ça m'étonnerait que l'autre nigaud y arrive, tu ne crois pas ?
-Arrête de sourire comme une idiote, Mina, ça va finir par se voir que tu es folle de ton homme.
Son rire cristallin couvre temporairement le brouhaha alentour et je me prends à partager sa joie. Un premier appel à présentation des duellistes nous fait tourner la tête vers le centre de l'estrade et c'est ensemble que nous nous accoudons à la barrière. Devant nos yeux, Polianov s'avance vers la concurrente de Beauxbâtons qui affiche une mine sûre d'elle. Je vois d'ailleurs sa seconde cacher tant bien que mal son sourire narquois face aux deux jeunes hommes à l'air sinistre.
Ils se saluent tous les quatre et repartent ensuite rapidement de leur côté. Les encouragements se font nettement moins enjoués de la part des nombreux élèves de Poudlard et je me permets de siffler entre mes doigts pour accompagner les cris des élèves des autres écoles. Ce n'est pas parce qu'ils ne jouent pas à domicile qu'il ne faut pas louer leur courage, après tout.
-Je crois bien que tu as du souci à te faire, petite souris.
Je sursaute lorsque ces quelques mots sont glissés à mon oreille par une voix chaude qui n'est pas celle de Casper. Je me retourne aussitôt sur ma chaise et vois Arkwood s'accroupir à mes côtés. Il ne lève même pas un sourcil au claquement de langue agacé de mon ami et continue de fixer le centre de l'arène avec un discret sourire attentif.
-Ton pote est bien plus fort que prévu, continue-t-il en reportant finalement son attention sur moi. T'as pas intérêt à le laisser te piquer ta victoire.
-Pas d'inquiétude, moi aussi j'ai gardé quelques cartes dans ma manche.
Nous échangeons un regard complice qui me donne envie de me glisser à nouveau sous les draps avec lui. Puis, il me fait un clin d'œil et se relève pour partir. D'un geste vif, je le rattrape par le bras et le force à se pencher vers moi.
-Embrasse-moi, dis-je dans un souffle.
Ses yeux font le tour des élèves curieux nous entourant et il ne bouge pas.
-Pas ici.
-Pourquoi ?
La voix du professeur Mc Gonagall me fait revenir à l'instant présent et Arkwood en profite pour se dégager et disparaître dans la foule. Je me renfrogne en sentant le regard désapprobateur de Casper sur mon profil, mais fais semblant de ne pas l'avoir vu. À la place, je m'accoude à nouveau et reporte mon attention sur le combat à venir.
Celui-ci est lancé et je plaque illico mes mains sur mes oreilles en prévention. Jasmine ainsi qu'une bonne partie du public font de même et la première explosion agresse tout de même mes petits tympans sensibles. Un brasier gigantesque envahit immédiatement l'aire et je vois alors nos deux professeurs lever leurs baguettes pour tenter de maintenir les barrières de protection debout.
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C'est au bout de deux bonnes minutes de feux d'artifices brûlant ininterrompus que Polianov se décide à baisser sa baguette et je remarque son air passablement crispé scrutant le centre du feu agité. Je me fais la réflexion que ce gars n'a décidément aucune stratégie, sans compter la variété de ses sorts qui est aussi étendue que la garde-robe du professeur Rogue. Je me permets d'ailleurs un petit coup d'œil vers Casper et le vois sourire avec un air bien trop suffisant.
-Elle n'a rien senti, me dit-il lorsqu'il prend conscience de mon attention fixée sur lui. Regarde bien, on aperçoit les pétales de ses fleurs à travers les flammes.
Je suis l'indication de mon ami et plisse les yeux en entendant la foule gronder de contentement ou de frustration. Pour ma part, un léger rire nerveux passe mes lèvres et Jasmine m'imite en se penchant davantage contre la rambarde. Elle ne tarde d'ailleurs pas à pousser une exclamation lorsque deux gigantesques fleurs bleues sortent des flammes pour venir s'effriter et disparaître définitivement.
C'est ensuite au tour d'Éléonore de s'avancer et je remarque qu'elle ne présente aucune trace de brûlure quelconque. D'un geste de sa baguette, elle envoie plusieurs lianes se jeter sur son adversaire et celui-ci doit reculer précipitamment pour ne pas être happé. Il sort finalement de l'aire en comprenant que ses explosions jetés à la va-vite ne pourront pas stopper les plantes menaçantes.
Le gong sonne. Casper ricane et Jasmine applaudit. Pour ma part, je jette un regard vers Rabastan et le vois occupé avec Mme Pomfresh qui ausculte ses paumes de mains. Galaad tire une tête de mille kilomètres de long malgré les grands sourires rassurants d'Aaron et je me prends à vouloir les rejoindre pour savoir si notre ami va bien. Je veux également le gronder pour avoir joué avec sa vie pour une simple histoire de compétition, même si je me doute bien que je ne serais pas très légitime de le faire.
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Au bout d'une minute et demie, le gong sonne de nouveau et les concurrents se replacent sur l'aire. Ce combat est aussi expéditif que le précédent et Eléonore ne dévoile aucune autre technique que celles que nous connaissons déjà. La fin des combats de la journée sonne enfin avec sa victoire écrasante et Dumbledore se lève pour nous remercier et nous souhaiter la bonne fin de journée.
Avec une joie non dissimulée, je sors des gradins en discutant à bâtons rompus avec Jasmine et Casper tandis que le soleil d'avril nous accueille. Les frères de ce dernier, ainsi que nos parents, ne tardent pas à nous rejoindre et nous nous asseyons à nouveau au bord de l'eau pour refaire les combats de la journée. À un moment, je vois Jasmine se dévisser la tête pour regarder Rabastan suivre Mme Pomfresh jusqu'à l'infirmerie. Il semble extrêmement fatigué et ses deux amis le suivent comme s'il allait s'écrouler à n'importe quel instant. Je vois alors Jasmine sauter sur ses pieds, sans attendre que Jacob n'ait fini sa phrase, et je me relève à mon tour pour l'attraper par le bras.
-Où tu vas ? je lui souffle en remarquant le coup d'œil inquisiteur de Casper qui discute avec mon père.
-Il faut que je sache s'il va bien, Aly, me supplie-t-elle en me présentant une grimace contrite. Laisse-moi aller le voir, je ne serais pas longue.
-Tu sais bien que ses parents vont le rejoindre, Mina. Tu ne peux pas être raisonnable, pour une fois ?
-Raisonnable ? rétorque-t-elle d'une voix nerveuse. Et c'est toi qui dis ça ? Tu sors avec ce sale con d'Arkwood et tu penses vraiment pouvoir me faire la leçon ?
Ses mots me font l'effet d'une gifle et je la lâche instantanément en ouvrant de grands yeux. Elle se mord la lèvre, mais ne fait pas mine de vouloir revenir sur ses paroles. À la place, elle profite que je ne la tienne plus pour s'échapper vers le château et je la regarde faire sans un mot.
Je savais pertinemment que Casper n'appréciait pas la compagnie d'Arkwood, mais je me pensais vraiment soutenue par Jasmine. J'imaginais qu'elle pouvait me comprendre, que ses mots étaient sincères lorsque nous nous étions retrouvées à discuter sous ses draps, la nuit. Je me trompais finalement et une certaine amertume ne tarde pas à venir noircir mes pensées. J'entends Soneïs m'appeler, mais je décide de remonter également jusqu'au château d'un pas vif sans me retourner.
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Ma marche me mène rapidement jusqu'au gigantesque hall d'entrée envahis par plusieurs groupes d'élèves joyeux. Plusieurs d'entre eux me montrent du doigt lorsque je passe à proximité et je saute sur Bastian quand je le croise. Il arbore un sourire lumineux qui ne passe pas mon humeur.
-Je cherche Arkwood, dis-je après qu'il m'eut félicité pour mon combat.
Il paraît immédiatement embarrassé devant ma question et cela ne m'aide pas à me rassurer. Je souhaite voir le Poufsouffle pour invalider les doutes de Soneïs à son encontre, mais la grimace de mon interlocuteur me paraît un peu trop éloquente à bon goût.
-Dis-moi où il est. Je ne préciserai pas que c'est toi qui me l'a soufflé, d'accord ?
Il jette un œil autour de lui et remarque ses autres amis occupés à discuter entre eux, sans plus nous accorder la moindre attention. Un frisson se glisse dans mon cou et j'ai alors un mauvais pressentiment.
-Il est occupé, marmonne-t-il sans me regarder dans les yeux. Je ne pense pas qu'il soit très content que -
-Je ne te demande pas ton avis, Bastian, dis-je d'une voix froide en le coupant. Est-ce qu'il est en sous-sol ou bien dans les étages ? Réponds et je ne t'accroche pas par le slip sur la plus haute des tours de ce château.
Mes yeux sont désormais froids et il se tord discrètement les mains. En vérité, je ne pensais vraiment pas que ce grand gars jovial soit aussi impressionnable. Il finit par lever un doigt en l'air et je hoche sèchement la tête avant de filer par le premier escalier venu. Je monte un étage, fais le tour en vitesse et atteins le second sans avoir trouvé ce que je cherche. J'interroge plusieurs élèves et je finis par tourner un angle de couloir du troisième étage dans lequel est adossé un Poufsouffle aux aguets. Celui-ci ouvre de grands yeux devant mon apparition et ne tarde pas à venir à ma rencontre d'un pas pressé.
-Mène-moi à Arkwood, lui dis-je sans ambages.
-Fais d'mi-tour, Tio, si tu veux pas de problèmes. J'passerais le message, mais casse-toi d'ici.
J'ai vaguement l'impression de reconnaître ce garçon aux cheveux ternes qui me parle comme si nous nous connaissions, mais je ne l'écoute pas plus et entreprends de le dépasser. D'un pas sur le côté, il tente de m'empêcher d'aller plus loin et ma baguette se glisse naturellement dans ma main.
-N'y pense même pas, grogne-t-il avec humeur. Si j'te laisse passer, Doyle me tuera
-Pas mon problème, Manuflecte !
La cape du jeune homme s'anime soudain à mon incantation et vient s'entortiller autour de son corps en lui tirant un cri de surprise. Elle s'agite, colle ses bras contre son corps, monte jusqu'à son visage et le fait chuter au sol tandis que je m'éloigne dans le couloir. Je fais plusieurs mètres et tourne à nouveau un angle pour tomber sur tout un groupe de jaune et noir entourant une personne assise contre le mur. Je ne réussis pas à voir de qui il s'agit, car Caussman court alors immédiatement à ma rencontre.
-Putain, Tio, qu'est-ce que tu fais là ?! m'apostrophe-t-il avec une mine furieuse. Viens pas foutre la merde !
Sa mauvaise humeur ne me lève même pas un sourcil et je resserre mes doigts sur ma baguette.
-Je cherchais Arkwood, dis-je en tentant de jeter un œil derrière l'épaule du Poufsouffle. Mais je serais curieuse de savoir ce qu'il se passe ici.
Je vois plusieurs de ses potes s'agiter en m'apercevant et leur mouvement me fait alors entrevoir la jeune fille assise au centre. Ses longs cheveux blonds sont défaits et elle semble recroquevillée derrière son écharpe bleu portant le blason de l'aigle. Mon sang ne fait qu'un tour et je pointe ma baguette sur Caussman en le foudroyant du regard.
-Dégage, je gronde. Le harcèlement sur mineur est interdit par le règlement, vous êtes au courant ?
Le petit blondinet attrape à son tour son arme et un grand rire moqueur aux sonorités froides sort de ma gorge.
-Tu penses vraiment faire le poids, mec ? Laisse-moi rire. Maintenant écarte-toi ou je te fais bouffer tes dents.
Il ouvre la bouche pour renchérir, mais il n'en a pas le temps car c'est ce moment que choisit Arkwood pour apparaître à nos côtés. Je le vois faire un discret signe à ses potes et ceux-ci laissent filer la jeune fille sans qu'elle n'ait dit un mot.
-Tout doux, nous dit-il finalement en abaissant la baguette de son ami. Thomas, on a eu ce qu'on avait besoin, plus la peine de s'énerver.
Il aborde un petit sourire confiant et je m'étonne que ça soit lui qui parle de se calmer, alors que c'est le gars le plus colérique que je connaisse. Ses paroles font tout de même effet puisque son pote ne tarde pas à ranger sa baguette et à s'éloigner en me jetant un dernier regard furieux. Pour ma part, je suis toujours remontée et je fusille Arkwodd du regard.
-C'était qui cette fille ? je demande d'une voix brusque. Je te jure que si j'apprends que tu martyrises les nanas de ma maison, ça va vraiment mal aller pour toi.
Le jeune homme ne perd pas son sourire face à mes paroles abruptes et pose une main sur mon épaule. Je me dégage immédiatement et il se fend enfin d'un soupir agacé.
-Suis-moi, je vais t'expliquer, me dit-il finalement en me dépassant et en filant dans le couloir.
Aussi énervée que surprise, je file à sa suite et le rejoins alors qu'il annule mon manuflecte sur son pote se tortillant encore dans sa cape comme un gros vers moche. Il continue ensuite sans un mot et descend les étages jusqu'aux cachots. Ce n'est que lorsque nous arrivons non loin d'une porte cadenassée qu'il se tourne enfin vers moi.
-La fille que t'as vu, commence-t-il en lançant un Alohomora inefficace sur les chaînes. C'est elle qui a déposé la sphère sur ton lit en début d'année.
-Quoi ?! Mais je croyais que c'était Burke !
-Ouais, c'est bien elle, mais comme elle pouvait pas aller la poser en personne, elle a demandé à cette gamine. Thomas pense qu'elle ment, mais elle nous a avoué ne pas savoir ce que c'était, et que la Serpentarde lui avait dit que c'était une surprise pour te féliciter de représenter Poudlard.
Il hausse les épaules et lance un second sort, plus agressif cette fois-ci, qui détruit une partie du loquet.
-Je pense pas qu'elle nous ait menti, continue-t-il. Mais elle était pas fière d'avoir caché ce qu'elle savait pendant tous ces mois.
D'un coup d'épaule, Arkwood ouvre en grand le battant abîmé et pénètre dans la petite pièce sombre en lançant un lumos. Je le suis en voyant la poussière saturée d'humidité s'agiter dans la lumière de nos baguettes et regarde autour de moi. Sur la droite, j'aperçois une haute armoire contenant un alignement de fioles poisseuses remplies d'étranges formes sombres ; tandis qu'en face, un petit bureau couvert de papiers desséchés ne semble tenir que par la couche de crasse fossilisée sur son bois.
-Qu'est-ce que c'est que cet endroit ? je souffle en ayant peur de réveiller un éventuel fantôme acariâtre.
-Un bureau inutilisé. Revelio !
Une vague de magie fait onduler la poussière, mais rien ne vient se révéler à nos yeux. De dépit, je le vois s'avancer vers les ombres du bureau, toquer contre les murs et examiner le parquet usé.
-Et maintenant, tu me dis ce que tu fabriques ? je lance avec exaspération en contournant le bureau. Parce que si tu…
-Je cherche leur cache, me coupe-t-il en se penchant pour regarder derrière une armoire verrouillée.
-Leur cache ?
-C'est ici qu'elles ont planqué la sphère avant de te la déposer. Je dois juste m'assurer que la gamine ne m'a pas menti.
Il tourne une mine froncée dans ma direction et je reconnais son fameux regard de tueur à qui il ne faut pas la faire à l'envers.
-Aide-moi à chercher au lieu de bailler aux corneilles, Tio !
Je lève un sourcil devant sa mauvaise humeur et croise les bras sur ma poitrine, mais il se détourne rapidement pour ouvrir plusieurs tiroirs collés par la crasse. Je le regarde ensuite me contourner et soulever les bocaux de verre ternis. Au bout d'un moment, je viens m'asseoir à même le bureau en ayant auparavant décrassé son bois d'un sort. Le spectacle du jeune homme s'agitant m'occupe quelques minutes, mais je commence vite à m'ennuyer et Arkwood s'en aperçoit.
-Je ne comprends pas pourquoi tu t'agites, je marmonne en croisant les jambes et en posant mon menton dans ma paume. Si cette fille a dit vrai, alors il suffit d'aller voir les professeurs qui trouveront la cache tout seul. D'ailleurs qu'est-ce qu'on attend ? On peut encore aller parler à Flitwick avant de manger si on se dépêche.
Le Poufsouffle s'avance vers moi avec sa démarche bien particulière de matou en chasse et je sens vite son odeur engloutir mes sens.
-Non, me dit-il en poussant mon genou pour que je décroise les jambes.
Il se glisse ensuite entre elles et passe une main sur ma taille pour me forcer à lever le visage vers lui.
-Pas un mot aux profs pour le moment, continue-t-il. Du moins, pas avant que j'en ai décidé autrement.
-Et pourquoi ç…
Son baiser me coupe dans mon élan et je sens mon estomac faire un saut périlleux alors qu'il colle son corps contre le mien. Il ne tarde pas à accentuer son étreinte et m'embrasser jusqu'à ce que sa langue vienne rencontrer la mienne. Je sens cette excitation bien familière se glisser dans mes veines et sa main retirer mon élastique retenant ma lourde chevelure.
-Il reste deux mois avant la fin de l'année, me dit-il en attrapant mes hanches pour me coller davantage à lui. C'est pas un renvoi qui leur fera payer !
Sa main vient emprisonner mon menton et ses lèvres scellent vite de nouveau les paroles que je n'ai pas encore prononcées. Ses gestes, quant à eux, se font peu à peu plus fébriles à mesure qu'il passe ses paumes sous mon pull.
-Je ne te suis pas, dis-je d'une voix légèrement haletante lorsque ses baisers descendent dans mon cou. On ne fait rien ? On les laisse finir leur année sans rien dire ?
-Pas sans rien dire.
Il retire sa cape et défait un premier bouton de sa chemise sans me quitter des yeux.
-On a déjà quelques idées pour leur rendre la monnaie de leur pièce. Thomas est bien remonté pour le coup qu'elles lui ont fait la dernière fois, crois-moi, on va leur faire regretter.
-Regretter ? Je sais que je devrais être d'accord, mais tu ne trouves pas qu'agir comme elles c'est s'abaisser à leur niveau ?
-Non.
Il passe sa main dans mes cheveux et m'attire de nouveau à lui mais je le repousse fermement.
-Si tu relances la guerre avec ces filles, c'est encore mes amis qui vont en pâtir, t'en as conscience ? Elles ont arrêté de nous courir après et on s'en contente très bien, alors il est hors de question que ça reparte de plus belle par votre faute.
-Je fais ce que je veux et on vous protégera, tu le sais bien.
-Non ! Pas question de prendre le risque, c'est trop dangereux, on va aller voir les profs un point c'est tout !
-Tu me donnes des ordres, Tio ? me demande-t-il de sa voix grave et autoritaire. J'ai décidé de les faire payer et c'est pas toi qui m'en empêcheras, compris ?
Je sens sa poigne se resserrer sur mon épaule et la moutarde me monte vite au nez. D'un geste sec, je sors ma baguette et la pointe sous son menton sans le quitter du regard.
-Oui, c'est un ordre ! je gronde. Tu m'as prise pour une de tes poules bien sage ? Je protégerai mes potes contre ton imbécilité, quoi qu'il arrive, alors si je dis "pas de représailles" c'est pas de représailles, ça aussi tu l'as compris ?
L'air se fait électrique. Je sens la tension dans ses épaules et vois la colère dans ses yeux, mais je ne flanche pas. S'il veut se battre, c'est quand il veut car plus jamais je ne laisserais Casper et Jasmine à la merci de ces harpies. Et sûrement pas à cause de lui. Plusieurs longues secondes s'écoulent avant qu'il ne se détende et qu'il ne s'écarte de moi. Sans un mot, il remet sa cape sur ses épaules et finit par se diriger vers la porte. Arrivé à sa hauteur, il m'observe un long moment sans que je ne puisse décrypter son expression, puis, il disparaît dans l'ombre du couloir.
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Il faut une bonne minute à ma respiration pour qu'elle se calme et à mes nerfs pour qu'ils se relâchent. Pendant tout ce temps, je ne cesse de fulminer contre cet abruti et je me tape métaphoriquement la tête contre un mur en me demandant comment je peux être amoureuse de ce sale type. La vérité ? Je suis tombée dans le panneau. Je ne suis qu'une simple gamine de seize ans après tout, les hormones et son air mystérieux, tout ça tout ça…
Je jure à nouveau en Grec ancien et me remets sur mes pieds pour quitter les lieux. Non. La vérité est différente, je le sais. Elle est obscure et étrange, sans réelle logique mais paraît en même temps d'une évidence claire. Je suis amoureuse, un point c'est tout. Le seul problème, c'est que je n'ai aucune idée du pourquoi. Pourquoi lui et pas un autre ? L'humain est si étrange, si complexe que ça me rend encore plus maussade.
Lorsque je débouche au rez-de-chaussée, le brouhaha de la grande salle me rappelle que je dois aller manger sans tarder si je veux reprendre des forces. J'ai aussi promis à Jasmine de réviser mes placements avec elle, sans compter ses positions de yoga à la noix qu'elle veut absolument que j'effectue.
Je me faufile discrètement jusqu'à ma table, esquive les gens qui veulent me parler et me glisse sur le banc entre Casper et Soneïs qui débattent avec force. Ça a l'air de causer bisexualité si je ne me trompe pas et je ne cache pas mon étonnement devant ce sujet sorti de nulle part.
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La soirée passe à une vitesse folle, entre relaxation et révision, même si je ne peux m'empêcher de pester contre Arkwood, mes propres sentiments, les duels de magie et la galaxie toute entière. Je tiens d'ailleurs mes deux amis au courant des plans de ce crétin et Casper ne manque pas de tirer une tronche encore plus sombre que d'habitude. Jasmine, pour sa part, ne me dit rien et se contente d'acquiescer. C'est en lui demandant comment va Rabastan que je comprends son mutisme.
-Je crois que ses parents nous ont surpris, me dit-elle d'une voix contrite. Je ne suis pas sûre parce qu'ils étaient loin et puis il y avait les rideaux et Madame Pomfresh et… Oh Aly, j'espère que je n'ai pas fait de bêtises !
Son visage est défait et ses yeux si brillants que je n'ai pas le cœur à la réprimander. À la place, nous passons une partie de la nuit à discuter sous les draps et je m'endors entre deux phrases chuchotées, sans même m'en apercevoir.
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-Aly, qu'est-ce que je fais ? Je crois qu'ils me regardent.
Avec fatigue, je jette un œil à Monsieur et Madame Rowle qui descendent en même temps que nous la pelouse du parc. Autour, ça crie et ça rigole en pariant sur les combats prochains sans trop se préoccuper du reste. J'ai déjà écopé d'une cinquantaine de tapes sur l'épaule de la part de tout à chacun et je commence à en avoir ras la baguette. Sans compter que je ne vois pas Arkwood parmi ses potes et qu'il ne s'est pas pointé non plus à table ce midi.
-Tu te fais des idées, Mina, je soupire en notant l'air sévère des deux parents. Ils admirent juste le paysage. Allez, dépêche-toi, il ne faut pas louper l'heure de présentation.
Je ne lui dis pas que je veux avoir le temps de chercher Arkwood dans les gradins parce que j'ai besoin de le voir. C'est idiot, mais je ne peux pas imaginer qu'il ne sera pas là pour m'encourager. Qu'il refusera de me regarder combattre et préférera aller jouer à la gueguerre avec les Serpentardes à la place. D'ailleurs je n'ai pas eu le temps d'aller parler de tout ça au professeur Flitwick. J'essaye de me promettre de le faire dès la fin de journée, mais je ne suis même pas sûre de ne pas être prise par d'autres pensées plus impérieuses à ce moment-là.
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Nous nous engouffrons finalement sous la tente réservée aux champions de Poudlard et tombons sur Casper et Galaad qui discutent sérieusement. Ils s'arrêtent dès notre arrivée et je note immédiatement l'air peu avenant du Serpentard. Il ne dit cependant rien et nous adresse un vague signe de tête comme tout salut.
C'est ensuite au tour de Rabastan de s'approcher et de lever une main amicale, mais à aucun moment son masque froid ne tombe. Je leur rends leur salut à tous les deux et sens alors la main de Jasmine se glisser dans la mienne.
-Je dois aller voir un truc, lui dis-je pour la faire me lâcher.
Elle consent à ma demande et je file dans l'arène en passant par la porte nous en séparant. Cachée dans un coin de l'escalier montant jusqu'à l'estrade centrale, je fouille les gradins des yeux pendant de longues minutes, mais en vain. Pas de grand Poufsouffle aux yeux bleus à l'horizon. J'aperçois Bastian occupé à monter des paris avec deux Serpentards et Caussman qui essaye de paraître détendu face à la jolie Gryffondor qu'il convoite. J'ignore ce qu'il lui dit, mais elle n'a pas l'air très convaincue.
Avec un soupir je m'adosse à la paroie et laisse le brouhaha des conversations assombrir mon humeur. Pourquoi faut-il que j'ai autant besoin de le voir ? Pourquoi mon cœur se serre-t-il à l'idée qu'il ne soit pas là, bon sang ? C'est si frustrant que je voudrais hurler.
Soudain, une main se pose sur mon épaule et je sursaute vivement. En me retournant, je tombe sur les grands yeux marron de Soneïs qui semble inquiète de me trouver là.
-Je t'ai cherché dans la tente, me dit-elle de sa voix douce qu'elle prend chaque fois qu'elle sait que je ne vais pas bien. Comment tu te sens ?
Je hausse les épaules et une boule d'angoisse vient se loger dans ma gorge en m'empêchant de répondre.
-Tout va bien se passer, Aly, continue-t-elle en prenant mes mains dans les siennes. Tu es arrivée en demi-finale et, même si tu ne vas pas jusqu'en finale, tu pourras être contente de tout ce que tu as accompli. Je suis tellement fière de ma petite sœur chérie.
Son sourire est si franc, son amour si inconditionnel que je sens mon cœur déborder de gratitude envers elle. Un triste sourire étire mes lèvres et nous nous prenons dans les bras avec force. Nos bras s'enchevêtrent, nos cheveux se mêlent, je me perds dans sa chaleur bienfaitrice.
-Merci, je souffle d'une voix rauque.
Un gong retentit au loin et les hurlements des spectateurs se font plus fort : je sais alors que je dois y aller. En me retournant, j'aperçois les concurrents se placer devant le tableau noir lévitant au-dessus de notre Directeur. Soneïs passe sa main dans mon dos et je me sens doucement poussée en même temps que Rabastan et Galaad arrivent à notre hauteur. Puis, c'est Casper qui attrape ma main et je monte à leurs côtés jusqu'au centre de l'arène survoltée.
