24 juin 1507 : me voici de retour sur Hispaniola. Ma tante et mes amis m'ayant fait promettre de leur donner des nouvelles régulièrement, nous expérimentons un nouveau système. J'espère qu'il sera plus fiable que mes « lettres portoloins » qui avaient atterri au milieu d'une marmite de soupe.
Flash ! A une dizaine de mètres, un éclair lumineux signale l'arrivée du hibou par portoloin. Accroché à sa patte, un morceau de parchemin doit contenir le message envoyé par ma tante. Notre idée est assez simple : plutôt que d'envoyer des lettres directement par portoloin, autant les envoyer avec un hibou. Une fois de l'autre côté de l'océan, celui-ci peut délivrer le message de façon classique, il n'y a pas besoin de calculer exactement son point de chute, contrairement aux lettres qui devaient arriver pile sur la table de la cuisine, et pas à cinq mètres de là, dehors sous la pluie. Il suffit que le hibou arrive dans un espace dégagé, et il fait le reste du trajet en volant.
Et cela fonctionne… Ou pas. A peine arrivé, le pauvre rapace bat frénétiquement des ailes, il semble au bord de la panique. Hum. Peut-être que j'ai sous-estimé les effets d'un voyage pareil sur l'animal. Ou peut-être que projeter d'un coup un oiseau nocturne d'une douce matinée anglaise vers le plein soleil d'une plage tropicale n'était pas une si bonne idée.
Après quelques minutes, je réussis à le calmer et à l'endormir d'un sortilège. Une fois assoupi, le hibou respire plus régulièrement et je l'emmène sous la tente, où j'essaie de l'installer le plus à l'abri du soleil possible. Rassuré sur son état, j'écris une brève réponse pour ma tante, dans laquelle je lui conseille de n'envoyer de messages que le soir, et de ne pas trop fatiguer le hibou. Lorsque l'oiseau ira un peu mieux, je le renverrai en Angleterre.
Je ne peux pas m'empêcher de me demander comment font les sorciers indigènes : il n'y a aucun hibou sur l'île, ont-ils d'autres oiseaux magiques ? D'un autre côté, s'ils ne connaissent pas l'écriture, envoyer des lettres ne doit pas leur être très utile…
Au cours des jours suivants, je passe de longues heures avec Aloi, et Soualiga, revenu de l'expédition de la Cibao. J'essaie d'apprendre leur langue, de mieux les comprendre, mais c'est (beaucoup) plus difficile que pour l'espagnol. Et cette fois, aucune chance de trouver une Grammaire Arawak en librairie, il me faut apprendre sans l'aide des livres.
Le village m'est cependant toujours inaccessible. Dès que j'essaie de m'en approcher, je suis pris de l'envie urgente d'aller voir ailleurs. Le sorcier Indien, quant à lui, reste invisible. Je ne l'ai pas revu depuis le jour où il m'a soigné, et lorsque je cherche à en savoir plus, Aloi me répond son éternel « tu dois parler la langue ».
N'ayant pas forcément la patience résoudre cette énigme, je tente une autre approche. J'ai toujours de côté le livre de ce mystérieux Lovegood, sur la fabrication des talismans. Et justement, certains talismans servent à protéger l'esprit des sorts de confusion, comme ceux qui doivent encercler le village Arawak. Suivant les instructions du livre, je fais fondre à l'aide d'un feu magique un morceau d'argent, avant de lui donner la forme d'un croissant de lune strié de trois rainures, tout en psalmodiant une série d'incantations.
Le résultat est plutôt joli. Je ne sais pas s'il va fonctionner, mais ça ne me coûte rien de le tester ! D'un pas décidé, je marche en direction du village. Puis j'hésite. Est-ce que j'ai vraiment suivi toutes les instructions ? C'est un simple pendentif en argent, cela semble un peu trop facile… Avec une grimace, je fais demi-tour pour relire le livre et vérifier que je n'ai rien oublié. Je n'ai fait que quelques pas lorsque je me rends compte de l'évidence : non ça ne marche pas. La preuve, je viens de faire demi-tour.
