Le colonel Fitzwiliam

Je n'étais pas mécontent de faire une pause entre deux campagnes pour protéger notre beau pays et rejoindre un certain temps la compagnie de Darcy et de sa sœur.

Georgiana semblait à nouveau enchantée de me retrouver. Elle est de plus en plus ravissante au fil des mois. Je l'ai trouvée particulièrement attentionnée envers moi, à moins que ce soit simplement le plaisir de la revoir qui me donne cet effet.

Je l'observais et me demandais si elle n'avait pas quelque soupirant pour afficher de telles joues rosies et ces yeux de biche attendrie. Si cela devait être le cas, Fitzwilliam ne devrait point en être informé, sinon il se serait empressé de me le raconter!

Dieu, que le temps passe vite! Je me souviens d'elle si petite ! Et bientôt, il me faudra doubler de prudence lorsque la demoiselle aura fait sa première sortie. Une ribambelle de prétendants viendront se briser le cœur à la vue de ces yeux charmants. Et moi, comme tuteur au même titre que son frère, je vais devoir faire preuve de fermeté auprès des jeunes assaillants.

Dès le lendemain, nous avons laissé la donzelle à ses activités, bien sagement chaperonnée, afin de nous rendre comme chaque année à Rosings dans le Kent afin d'y accomplir notre devoir sans grand enthousiasme.

Le trajet était morose. Les dernières pluies avaient créé des ornières dans lesquelles les roues de la calèche des Darcy aimaient s'y glisser, nous faisant ballotter abondamment. J'ai l'habitude des conditions précaires et des véhicules bien moins confortables que celui-ci mais l'ambiance maussade provenait davantage de la mine renfrognée de mon voisin de voyage que du temps qu'il faisait au dehors. Je profitais donc de ce long trajet qu'il nous restait encore pour me plonger dans mes pensées.

Je me remémorais les promesses que Darcy et moi-même avions faites il y a peu d'années à notre oncle Sir Lewis de Bourgh, sur son lit de mort. Darcy lui avait promis de gérer la gestion de Rosings et de mon côté je devais prendre soin de notre cousine, sa fille unique Anne, que notre regretté oncle affectionnait particulièrement.

Pour Anne, ce fut la pire journée de sa vie ! Elle ne fut plus jamais la même. Je me souviens lorsque nous étions enfants et que nous jouions dans ce magnifique jardin de topiaires. Elle aimait tant s'y cacher. J'ai toujours eu à cœur de la protéger, sentant très tôt sa grande sensibilité et sa grande fragilité.

Pauvre cousine. Je me souviens que sa mère, Lady Catherine, avait eu un jour cette idée saugrenue de la marier à mon frère aîné. Il n'était alors encore qu'un jeune vicomte mais déjà énormément orgueilleux à l'idée de devenir le futur earl de Matlock en lieu place de notre père.

Nos parents n'avaient pas d'aprioris sur cette union mise à part le jeune âge d'Anne. Après tout, elle était une future lady avec une dote conséquente et issue d'une famille réputée.

Mais mon frère ainé, âgé alors de vingt-trois ans, avait d'autres ambitions pour sa future épouse qu'une jeune fille d'à peine quinze ans. Il m'a avoué la trouver peu présentable, inadaptée et probablement incapable d'enfanter un héritier. C'est depuis lors, que je ne peux plus le supporter.

Il a, par la suite, épousé une fille de comte très fortunée qui lui a donné quatre filles et toujours aucun héritier. Ils forment un couple très assorti par leur dédain des autres et leur grande vanité.

Du peu que je m'en souvienne, Lady Catherine fut fortement outrée du refus de mon frère d'épouser sa fille. Et, sans porter attention à ce que pensaient son mari ou les principaux intéressés, elle décida que le jeune Fitzwilliam Darcy ferait en fin de compte un excellent parti ! Il n'avait, certes, pas de titre pompeux à arborer mais la moitié du Derbyshire lui reviendrait.

De ma personne, il n'en fut jamais question, alors que j'étais le suivant par ordre de naissance, assurément parce ce que je n'aurai jamais ni titre ni propriété, à peine un grade de colonel acheté à grands frais !

Lady Catherine prétend depuis que sa chère sœur Lady Anne, la mère de Fitzwilliam, était à l'origine de cette idée. Il est toujours facile de prêter aux morts les mots que l'on souhaite entendre. Tout comme maintenant à Sir Lewis de Bourgh de ne point refuser.

C'est pourquoi, chaque année, nous nous rendons, Darcy et moi, le pas lourd, rendre hommage à notre tante par pure obligation. S'il n'y avait pas la promesse faite au nom d'Anne, je pense que j'hésiterais à l'accompagner !

Mais Darcy est comme un frère et je lui dois beaucoup, aussi je me rends disponible à ses côtés dès qu'il est nécessaire.

Nous longions les terres de notre tante, Darcy soupirant silencieusement déjà à cette idée, lorsque notre transport freina brusquement. Un petit homme à la tenue d'église passa sa tête prestement à la fenêtre de la portière afin de vérifier l'identité des occupants.

L'homme faisait des courbettes ridicules à l'attention de mon cousin qui s'était de suite renfrogné. Je trouvais le spectacle particulièrement amusant. Celui qui se présenta comme le nouveau pasteur connaissait visiblement déjà Darcy et se targuait devant moi d'avoir comme bienfaitrice notre généreuse tante. Collins, ce nom me disait vaguement quelque chose...

Alors qu'il nous proposait gentiment de saluer sa tendre épouse, Darcy se redressa vivement. Du pommeau de sa canne, il se mit à toquer à la cloison qui nous séparait du cochet afin de donner l'ordre de reprendre la route et se cala ensuite au fond de sa banquette. J'eus à peine le temps de distinguer, derrière le pasteur surpris, la silhouette d'une femme à l'allure simple et au visage avenant.

Collins ! Je me souvenais ! Ce nom figurait dans la lettre que notre tante avait adressée à Darcy et qui l'avait fait réagir si vivement. Voilà donc une intrigue qui pourrait pimenter ce séjour et qui risque de le rendre bien plus distrayant qu'à l'accoutumée... je suis enchanté!