Mot de l'auteur
/!\ Cette histoire est une réécriture en version boy x boy de "La quête des Livres-Monde" de Carina Rozenfeld, l'histoire et les personnages lui appartiennent ! Les livres peuvent être acheter sur amazon, fnac et en librairie ! (Environ 5 à 14 euros le livre et environ 30 euros l'intégrale) pour soutenir l'auteur et la financer dans ses projets ! /!\
PS : Les personnages autres que Nathan, Zayn, Lia et Aela ne m'appartiennent pas ! Ils sont de Carina Rozenfeld, une écrivaine très talentueuse que j'admire !
Ils avaient fait traîner le dîner, plaisantant, riant autant que possible avant de reprendre les affaires sérieuses. Mais le portable de Zayn semblait leur faire signe malgré l'écran de veille sombre. Finalement, quand il ne resta plus que des miettes de la pizza et des cookies, que les bouteilles furent vidées, ils n'eurent pas d'autre choix que de s'asseoir en demi-cercle devant la machine silencieuse, qui s'éveilla dès que Zayn posa son doigt pour le déverrouiller.
- Il est temps, non ? demanda-t-il en inspirant profondément.
- Je crois, oui, répondit Nathan.
Aela tendit le numéro de téléphone à Zayn, qui le composa sur le clavier numérique.
- Vous croyez que ça va appeler où ? C'est peut-être le milieu de la nuit là-bas ? s'inquiéta Lia.
- Tant pis, on prend le risque, déclara Zayn en achevant d'entrer le numéro.
Ils avaient tous le cour battant et les mains moites quand il cliqua sur le bouton vert qui allait lancer la communication. Puis le jeune Chébérien se leva et fit signe à Aela, qui pâlit. Elle n'avait encore jamais eu à jouer un rôle principal dans toute cette histoire, mais, cette fois, c'est à son père que le message était destiné, c'était à elle d'entrer en action.
La petite stridulation indiquant que la communication était en train de s'établir retentit. Léa sentait ses tempes bourdonner. Elle avait la gorge tellement sèche qu'elle ne savait pas si elle arriverait à parler.
Enfin, la ligne sonna, quelque part à la surface de la Terre. Ils comptèrent les sonneries en retenant leur souffle. Une... deux... trois... quatre... Et puis quelqu'un décrocha.
- ¿ Aló ? demanda une voix très grave.
Aela reconnut aussitôt celle qui avait laissé le message, bien qu'elle ait répondu en espagnol. Elle aspira une grande goulée d'air et se lança.
- Bonjour, monsieur, je suis Aela, la fille de Larchael. Vous avez laissé un message chez moi il y a quelques jours.
Elle crut entendre un soupir de soulagement.
- Oh ! Bonjour, Léa, je suis heureux que vous me rappeliez. (Il avait un fort accent mais parlait parfaitement le français.) Je voulais parler à votre père. Je suis Lodan, un ami de longue date.
La jeune fille flancha légèrement et chercha du courage dans les regards de ses amis. Lia lui fit un sourire, Nathan lui serra l'épaule.
- Je suis désolée, Lodan, mais mon père n'est plus là... Il a disparu. Effacé...
Sa voix s'étrangla sur ces paroles.
À l'autre bout de la ligne, la respiration de l'homme se fit plus forte.
- Je suis désolé d'apprendre cette mauvaise nouvelle, murmura-t-il. Larchael m'avait prévenu que ça lui arriverait un jour, mais je ne pensais pas...
Aela essuya rapidement ses yeux humides et continua :
- Vous avez contacté mon père pour une raison particulière, je crois.
- Oui, c'est juste. Avez-vous été victime, vous aussi, de crises de douleurs qui s'en prennent aussi bien au corps qu'à l'âme ? Je n'ai pas de mots justes pour décrire le phénomène, mais c'est très violent.
- Je n'ai pas ressenti ces douleurs parce que je ne suis qu'à moitié chébérienne, répondit Aela, mais j'ai deux amis chébériens, qui sont près de moi, pour qui c'est le cas. Ils appellent ça « la distorsion ».
- La distorsion ? Des amis chébériens ? Mais... comment ?
On sentait que des dizaines de questions se bousculaient dans l'esprit de Lodan à l'autre bout de la ligne. Zayn se pencha vers le portable et prit la parole.
- Bonjour, je m'appelle Zayn et je suis un Chébérien de seize ans. Je crois que nous avons beaucoup de choses à nous dire. Est-ce que vous accepteriez une communication par visio sur messenger et que nous nous voyions par caméra interposée ?
Il y eut un silence, puis Lodan répondit avec empressement.
- Oui, bien entendu ! Quel est votre identifiant ? Je vous contacte tout de suite. Je suis curieux de vous connaître.
Zayn lui donna son identifiant et ils raccrochèrent. Très rapidement, une fenêtre s'ouvrit sur l'écran. C'était une demande de mise en contact de Lodan avec Zayn Malik. Zayn l'accepta dans ses « amis ». Dès qu'ils furent en communication, l'image du Chébérien inconnu apparut dans la lucarne de discussion.
Il avait une cinquantaine d'années, des cheveux blonds qui viraient au blanc, des yeux marron tendant vers le kaki, entourés de petites rides qui creusaient jusqu'aux tempes sa peau hâlée, une mâchoire carrée volontaire. Et, comme Nathan, Zayn et Eyver, il n'avait pas la moindre trace de barbe sur le visage. Zayn mit en marche sa caméra, ce qui permit à Lodan de les voir, car il leur sourit.
- Vous êtes Aela ? demanda-t-il à la jeune fille qui se trouvait au premier plan.
- Oui, c'est moi.
- Vous ressemblez à votre père.
Aela fit un petit signe de tête affirmatif mais ne réussit pas à prononcer le moindre mot. L'émotion était trop forte.
Quand elle se décala pour laisser la place à Zayn devant la caméra, Lodan ouvrit de grands yeux et eut un cri de surprise.
- Vous être un garçon de Goth, souffla-t-il.
- Je suis Zayn et, en effet, on m'a dit que je devais venir du continent de Goth, mais je suis née sur la Terre.
- Comment est-ce possible ?
Sous le regard encourageant de ses amis, Zayn entreprit de raconter toute l'histoire qu'il avait lui-même découverte il y avait quelques semaines de cela. Nathan se plaça également devant la caméra et se présenta à son tour, complétant de temps en temps le récit de son ami.
Lodan observait les deux jeunes gens à l'écran. Il était bouleversé. Deux Chébériens de plus sur la Terre, et dont il avait ignoré l'existence pendant tout ce temps ! Dans le village, ils étaient une cinquantaine purement chébériens, avec des ailes et deux parents nés sur la planète. Une autre cinquantaine étaient métis : moitié chébériens, moitié terriens. Ils n'avaient pas d'ailes mais portaient en eux une partie de l'histoire du monde disparu. Lodan croyait que c'était tout ce qui restait de l'héritage de son monde. Un héritage bien gardé, qui avait pu se développer dans un coin désertique de la planète Terre.
Il passa une main fébrile sur son visage. Son cœur battait à tout rompre. C'était une émotion tellement intense ! Un descendant du continent de Goth ! Il n'y en avait aucun au village, et il pensait que ces être ambrés comme la poudre d'or qui recouvrait le sol de leur pays étaient à jamais éteints. Et le garçon, avec ces yeux bleus, c'était une particularité des Chébériens vivant depuis des générations au bord de l'océan Majilpuûr. Ils étaient nombreux à naître avec les yeux de couleur claire et on disait alors qu'ils avaient en secret, durant les mois de leur gestation, parlé aux agrales, ces cétacés qui changeaient de couleur selon leur humeur.
Des souvenirs enfouis depuis longtemps remontèrent à la surface de son esprit. Ses voyages au bord de la mer, son père qui l'avait emmené survoler les agrales avec Riguel, leurs éclats de rire quand l'énorme bête scintillante sous le soleil rasant leur avait envoyé un jet d'eau glacé à la figure avant de virer à des tons de rouge et de s'enfoncer très loin sous les vagues veloutées d'écume rosie par le crépuscule. Le mal du pays le submergea, plus violent que jamais. Il ne pouvait admettre qu'il ne reverrait jamais Chébérith, les deux lunes, le désert de Mourmir, vaste étendue de sable mauve où poussaient une journée par an des milliers de fleurs pourpres dansant dans le vent. Leur pollen léger comme du coton s'élevait dans les airs, formant un rideau lilas qui finissait par retomber sur le sol. En séchant, les graines se transformaient en ce sable si particulier, aux gros grains craquants. Celles qui arrivaient à pénétrer dans les profondeurs de la terre et à trouver de l'eau finissaient par pousser l'année d'après, pour reproduire le cycle immuable de Mourmir.
C'était moins dur pour la génération née sur la Terre. Ils n'avaient jamais connu Chébérith et ne pouvaient pas regretter ce qu'ils n'avaient jamais vu. Ils étaient heureux au sein de leur petite communauté et pouvaient toujours voler discrètement la nuit ou en hiver, comme en ce moment, quand la garúa recouvrait la région et permettait aux Chébériens de planer entre les écharpes de brume épaisse.
Il écouta attentivement leurs explications, le rôle des Chébériens venus cacher les Livres-Monde, Eyver le passeur, et surtout l'Avaleur de Mondes, son arrivée sur Terre, les attaques dont ils avaient été les victimes. Il frémit en imaginant leur angoisse, leur solitude, deux êtres ailés isolés sur cette planète, il salua également leur courage. Ils avaient déjà retrouvé deux livres sur trois ! Chébérith allait bientôt renaître. Sa gorge se serra à cette pensée. Cela faisait des années que tous, au village, entretenaient la mémoire de leur planète disparue à travers des contes et les chansons qu'ils se transmettaient dans les familles ou à l'école, à travers des fresques peintes par de grands artistes qui faisaient appel à leurs souvenirs pour faire revivre les paysages grandioses de leur monde d'origine. Une fois que tous les Chébériens nés là-bas auraient disparu, il ne resterait que ces témoignages pour les générations terriennes.
Il toussa afin d'éclaircir sa voix enrouée par l'émotion.
- Merci de faire tout ce que vous faites pour permettre à notre planète de revivre. Si vous arrivez au bout de cette lourde tâche, c'est un peuple entier qui vous sera à jamais redevable.
Il vit que Nathan et Zayn échangeaient un regard empli de complicité et d'affection. Ah ! la vie... Elle prenait toujours le dessus quelle que soit la situation. L'amour était là pour la sublimer, lui donner un sens, au-delà des douleurs et des peines. Nathan se tourna vers l'écran.
- Vous n'avez l'air qu'à moitié surpris d'apprendre tout ça. Êtes-vous venu sur Terre en même temps qu'Eyver, Mélior, Suméor et Larchael? Est-ce que vous prenez aussi du mémo ? Pourtant, vous n'avez pas l'air malade.
Lodan eut un petit sourire. C'était à lui de leur raconter son histoire, celle de son village perdu dans le désert.
- Oui, en effet, je suis déjà au courant de beaucoup de choses. Je ne prends pas de mémo, ni aucun des Chébériens qui vivent avec moi ici, au Pérou. Nous sommes arrivés sur Terre il y a une trentaine d'années, avant que l'Avaleur de Mondes ne sème l'oubli dans les esprits de mon peuple.
- Trente ans ? souffla Zayn. Mais comment...?
- Larchael avait créé la porte qui a servi de passage entre nos deux mondes bien avant le drame, rappelez-vous. Nous étions toute une équipe de scientifiques à nous être installés ici pour étudier la Terre, son histoire, ses habitants. Larchael faisait partie de la première expédition avec moi-même, mon frère Riguel et une dizaine d'autres Chébériens. Quand il est apparu que ce passage demandait trop d'énergie, il nous a proposé de rentrer sur Chébérith avant de le refermer. Nous avons choisi de rester, fascinés par la découverte de tout un monde à étudier. Il devait venir nous chercher le jour où la porte serait rouverte, car, il nous l'avait assuré, il chercherait un moyen de la rouvrir, mais autrement, sans puiser autant dans l'énergie de Chébérith. Nous n'avons pas eu de ses nouvelles pendant quelques années, mais cela ne nous a pas dérangés. Nous étions installés en France, où nous avons appris le français, avant de découvrir qu'un autre pays pouvait nous offrir un champ d'études passionnant : le Pérou. Nous avons déménagé dans la région de Nazca, à une cinquantaine de kilomètres de la côte pacifique, entre deux de ses visites ici. Larchael nous y a retrouvés quand il est revenu sur Terre quelques années plus tard. Il est resté un moment avec nous, il a participé à nos recherches. À son retour, nous pensions qu'il allait nous annoncer que le passage entre les deux planètes était rétabli, mais à la place il nous a conté le malheur qui avait touché Chébérith : l'Avaleur de Mondes, l'oubli implanté dans les esprits des nôtres. Nous n'avons jamais su exactement ce qu'il voulait dire quand il nous expliquait qu'il était là pour sauver Chébérith. Il n'a jamais parlé des Livres-Monde... Mais maintenant je comprends mieux ce qu'il entendait par « être investi d'une mission sacrée », ce qu'il répétait sans cesse… Il est reparti à Paris au bout de quelques mois. Il avait rencontré une Française qui dirigeait un programme d'échange d'étudiants au Pérou.
- Ma mère..., souffla Aela, les yeux brillants de larmes qu'elle tentait de retenir.
- Exactement, acquiesca Lodan en lui adressant un grand sourire pour lui transmettre autant d'affection que possible. Il a continué à me donner des nouvelles depuis Paris, et puis un jour plus rien... Je savais qu'il allait disparaître, il me l'avait dit, m'avait confié ce qui le rongeait, mais je n'étais pas certain que le mal avait déjà accompli son forfait. C'est pourquoi j'ai tenté de l'appeler, me disant que, vu tout ce qu'il m'avait révélé à propos de la disparition de notre monde, il en saurait davantage que nous sur ces crises étranges... Mais je comprends mieux maintenant…
Après avoir coupé la communication, Lodan resta longuement immobile devant son écran à la lucarne vide, encore sous le choc de tout ce qu'il venait d'apprendre. Après plusieurs minutes de stupeur, il finit par se lever. Finalement, il irait rejoindre Riguel au labo. Il avait besoin de se changer les idées, de reprendre pied dans sa réalité. Les caisses d'échantillons seraient un bon dérivatif. Pour le moment, il ne dirait rien à son frère ni aux autres. Le jeune Nathan lui avait bien expliqué qu'ils n'étaient pas encore au bout de leurs peines pour trouver le troisième livre. À demi-mot, il lui avait expliqué que leur mentor, Eyver (il ne l'avait pas connu sur Chébérith), était mal en point... Alors, pour le moment, il garderait toute cette histoire pour lui. Hors de question de faire naître un espoir inutile dans les cœurs, si c'était pour l'étouffer un peu plus tard.
Dehors, le brouillard s'était levé, comme tous les jours ou presque pendant la saison hivernale. La garúa se formait au-dessus du Pacifique, en raison du courant froid qui baignait la côte, et se trouvait bloquée par la cordillère des Andes. C'est pourquoi elle stagnait sur toute la région pendant les mois d'hiver.
Lodan haussa les épaules, ignorant le ciel bouché. Dans sa tête, un autre ciel, mauve celui-ci, éclairait ses pensées…
