Oyez Oyez, gentes dames et gents messieurs, voici venir la finale !
Je vous retrouve en bas pour un petit mot, en espérant que vous apprécierez la lecture ^^
Chapitre 40
Je serre la main de Rabastan et celle de Galaad, tandis que Casper fait de même. J'aimerais les prendre dans mes bras, qu'on se gratifie de grandes tapes dans le dos et qu'on rit de ce combat d'avance. Mais bon, il parait qu'on est adversaire et mon père m'a dit que le public ne comprendrait pas. À la place, nous nous souhaitons bonne chance et retournons à nos places respectives sans un mot.
Sur les gradins, Jasmine se ronge les doigts parce qu'elle est en plein combat silencieux pour réussir à savoir qui encourager. Je lui ai dit mille fois que je m'en fichais qu'elle encourage Rabastan parce que ça ne changerait rien, mais ça ne l'a pas aidé à moins se prendre la tête. Pas très étonnant venant de sa part.
En tournant la tête, j'aperçois Arkwood et Caussman aux premiers rangs tandis que plusieurs de leurs gars repoussent les élèves qui essayent de se frayer un chemin pour mieux voir. Ceux-ci m'adressent un vague geste de la main, puis, je remarque que Bastian tient une banderole multicolore avec mon nom inscrit dessus et qu'il l'agite vigoureusement avec ses amis. Je réponds à leurs saluts et me reconcentre sur le combat à venir sans jeter un œil à mes parents et ma sœur situés dans les gradins des invités.
-Tu es sûre de toi pour l'engagement ? me demande Casper en me regardant me chauffer les poignets. C'est de Rabastan qu'on parle quand même, pas de n'importe qui.
Je hausse les épaules et il n'insiste pas. Mc Gonagall s'avance enfin au centre et nous fait signe de venir nous placer dans l'aire. J'obéis en serrant ma baguette pour dissimuler le tremblement de mes mains et la laisse lever l'enchantement de la barrière de protection.
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-En garde ! crie-t-elle. Allez !
Mon stress disparaît aussi vite qu'il est apparu. Ma respiration se régule d'elle-même et je rive mon regard à celui de mon adversaire. On y est, c'est la fin du chemin, de cette course effrénée qu'à été mon année scolaire. J'ignore encore si je veux gagner, perdre ; si tout cela a une importance quelconque malgré ma volonté de vaincre, mêlée à ce désintérêt total que je ressens au fond de moi.
C'est un sentiment étrange que cette ambivalence qui ne veut pas se décider à pencher d'un côté ou d'un autre. Je sais que l'ensemble des élèves pensent que je suis une battante, que je veux vaincre à tout prix pour être la première, être celle qui sera consacrée championne d'Europe à la fin de cette journée. S'ils savaient.
Je prends une longue inspiration et lève ma baguette devant moi. Rabastan ne bouge pas et j'agis. D'un geste vif, j'effectue un mouvement de baguette et crie.
-Stupéfix !
Surpris, Rabastan lève un protego au dernier moment et me regarde avec des yeux ronds, avant d'exploser de rire. Je lui réponds par une moue amusée et entends Casper soupirer. Quoi ? On pouvait toujours essayer, nan ? C'était sans doute le dernier mouvement auquel il pouvait s'attendre venant de ma part, alors je suis sûre que ça aurait pu passer ! En vrai, ça aurait été très drôle de gagner grâce à autant de culot.
Mon adversaire reprend son sérieux et agite sa baguette à son tour. Je sais qu'il a gardé plusieurs atouts dans sa main pour cette finale et ça tombe bien car moi aussi, alors je ne vais lui faire aucun cadeau. Aussitôt, un rideau de feu se lève de part et d'autre de l'aire et celui-ci vient se déverser vers moi en me forçant à reculer précipitamment.
Je ne fais pas l'erreur de dépasser les limites et tente de couper sa progression en faisant apparaître plusieurs lames d'eau qui viennent se déverser sur les flammes. À cet instant, il invoque de hauts piliers de pierre qui se dressent vers le ciel. Menaçant et imprévisible : je ne prends pas de risque.
-Protego maxima !
Mon dôme transparent s'étire au-dessus de ma tête avec une lenteur insoutenable et je serre les dents lorsque les lourdes colonnes s'abattent vers moi. Le fracas de la pierre, couplé au bruit de verre brisé de ma barrière m'assourdit et je m'accroupis ensuite pour éviter un sort qu'il me lance. À peine le sol touché, je vois la caillasse se recomposer et je devine les serpents avant même qu'ils ne se forment devant mes yeux. Ce petit gars est beaucoup trop prévisible.
-Aguamenti Levitatum !
Ma langue d'eau apparaît au moment où la pierre morcelée termine de s'agglomérer et je l'enroule autour de moi avant de la geler. Les bruits de la foule sont immédiatement étouffés et le froid de ma barrière passe vite mon pull en simple coton. Cependant, une fois que suis en sécurité, j'ânonne un sort qui me demande un peu de temps. J'entends plusieurs fois ma glace encaisser les essais de Rabastan pour la détruire, mais je sais qu'elle ne se brisera qu'une fois que l'aurais décidé.
-Flumenum Furis, Flumenum Furore, dis-je en espérant que je ne me trompe pas sur la prononciation.
Je répète ces mêmes mots plusieurs fois, autant que je peux, comme l'a bien précisé Jasmine. Je crois sentir la magie glisser de mes doigts pour venir s'accumuler au bout de ma baguette et j'essaye alors de percevoir sa nature. Je sais - pour avoir entendu Jasmine en parler - que la maîtrise qu'a Rabastan du feu est uniquement affaire de ressenti. Comme le revers d'une pièce : visible que si l'on accepte de se plonger dans ce savoir ésotérique sans se poser de question, simplement en acceptant de croire. Croire qu'il y a autre chose, une magie différente dans laquelle nous baignons tous, mais que nous ne pouvons imaginer sans frissonner devant l'inconnu.
-Flumenum Furis, Flumenum Furore.
Oui, je la vois, du moins je crois. C'est d'abord un picotement dans le bout de mes doigts, une caresse le long de ma colonne, enfin, le souffle glacé de quelqu'un située à une longueur de bras sur ma gauche.
-Flumenum Furis, Flumenum Furore.
Est-ce une paire d'yeux bleus ? Non, l'adrénaline courant massivement dans mes veines me fait imaginer des choses, mais je ne dois pas perdre ma concentration, car alors tout sera fichu.
Une première brèche apparaît sur ma protection. Une lézarde courant vers le sommet, encouragée par les flammes que je vois danser à travers la glace épaisse.
-Flumenum Furis, Flumenum Furore !
Je lève ma baguette au-dessus de ma tête et annule mon sort de gel. L'eau redevient liquide et éclabousse le sol enflammé pour me révéler l'état de l'aire face à moi. Plus aucune parcelle de bois n'est visible, seul le feu crépitant recouvre ses lames et six serpents de pierre s'agitent autour de moi. Leurs yeux sont des braises, leurs langues s'agitent à ma vue et je sais qu'il est désormais temps.
-Neptunum Furis !
Devant moi, le sol se met à vibrer intensément tandis que je me sens drainée encore et encore par cette magie incroyable. Je ne cherche pas à l'arrêter et la laisse prendre son dû.
Soudain, un mur d'eau jaillit du sol pour s'élever jusqu'aux tentures du plafond. Son grondement monstrueux couvre l'ensemble des sons, son eau tente de repousser les barrières de l'aire qui gémissent et son écume glacée projette des milliers de dards gelés autour de lui.
Puis, il s'abat.
Je couvre mes oreilles de mes mains et garde les yeux grands ouverts. La gigantesque lame tourbillonnante avale les serpents, les projette violemment contre le sol et les détruit comme de simples poupées de chiffon. Il engloutit ensuite le feu en même temps qu'il se jette sur Rabastan, s'écrasant dans les angles de l'aire en de multiples vagues furieuses.
Magnifique, splendide.
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Il faut quelques secondes pour que l'eau se calme et s'écoule doucement entre les lattes du parquet. Lorsque le niveau redescend assez, je prends conscience du petit igloo de roche posé là où se trouvait Rabastan une seconde auparavant. Celui-ci s'ouvre d'ailleurs dès l'instant où l'eau disparaît entièrement et mon adversaire se relève de sous sa protection de fortune. Il remet en place une mèche de cheveux et s'incline ensuite grotesquement devant moi.
Pour ma part, j'esquisse un sourire mauvais et resserre mes doigts sur ma baguette. Cela a le mérite de l'amuser mais pas moi. J'entends mes oreilles bourdonner en même temps que les cris des spectateurs s'accentuent et je décide de mon prochain mouvement avec soin. Rabastan également puisque je le vois agiter sa baguette une seconde avant moi.
Soudain, une brume épaisse se matérialise autour de moi et je peste, même si je n'ai finalement pas besoin de voir mon ennemi pour agir. Un tremblement de terre de magnitude 5 fait tout à coup tanguer l'arène tandis que l'ensemble du sol se transforme en sable, à l'exception de mon coin d'aire. Je tends alors l'oreille mais n'entends rien de l'autre côté qui puisse me laisser croire que mon adversaire s'est enfoncé. Agacée de ne rien voir, à part la blancheur de ces gouttelettes en suspension, j'invoque un faible tourbillon pour dissiper l'apparition. À mon grand étonnement, celui-ci est inefficace et je râle en devinant que ce n'est pas une matérialisation, mais bien une illusion.
J'agite ma baguette pour tenter de l'annuler, mais c'est à ce moment-là que j'entends un raclement de mauvais augure quitter le fond de l'aire pour venir vers moi. J'ignore ce que c'est, mais je pense tout de même avoir une idée. Mon pouls s'accélère et je m'active frénétiquement pour créer une plateforme avec un peu de sable qui traîne sur le côté. Je saute dessus lorsqu'elle est assez épaisse pour supporter mon poids et puise dans mes ressources pour me projeter vers le haut le plus vite possible. L'immense mur de pierre qui déboulait sur moi me frôle lorsque je suis éjectée vers le plafond et je sors alors du nuage qui m'entourait. Au sol, Rabastan n'a pas bougé de sa place tandis qu'une dalle de roche matérialisée à la va-vite l'empêche d'être avalé.
Il lève les yeux vers moi dès l'instant ou je quitte son illusion et je vois son sourire d'ici. Cela m'irrite encore plus et je lui lance plusieurs projectiles de glace à mesure que ma plateforme redescend vers le centre de l'aire. Je ne m'arrête pas d'incanter une fois arrivée au sol et je sens vite mes épaules se tendre sous l'effort que je leur demande.
De son côté, Rabastan dévie une partie de mes tirs avec plusieurs protego qui explosent à chaque impact. Une partie d'entre eux réussissent tout de même à passer et viennent entailler ses bras et ses jambes. Il décide de changer de tactique lorsqu'il comprend qu'il ne parviendra pas à les contrer tous et il crée alors une haute barrière de feu afin de les faire fondre.
J'aimerais rire, mais mon souffle est trop court pour ça. À la place, je continue d'agiter mon bras pour noyer mon adversaire et je vois alors mes projectiles affutés se liquéfier lorsqu'ils traversent le feu ardent. Sous la glace se dévoile une masse sombre que j'ai cachée et les nombreux liens désormais libérés de leur gange se jettent alors sur lui pour se nouer à ses membres.
Rabastan lâche une exclamation lorsqu'il comprend qu'il s'est fait avoir et c'est à mon tour de lui faire une révérence ridicule. Je le vois s'agiter pour tenter de s'extraire des cordes mouvantes qui réussissent à coller un de ses bras contre son corps et à bloquer un de ses genoux. Je l'entends ensuite crier un "Répulvis" et ricane. Rien ne se passe et je sais qu'il est temps pour moi d'agir avant qu'il ne se défasse par d'autres moyens.
Sans cacher la joie diabolique qui m'étreint à cet instant-là, je lève ma baguette vers un point situé au-dessus de sa tête et incante. Un gros cube de gelée verte apparaît tandis que je laisse la gravité le faire tomber sur le jeune homme, toujours à demi entravé. Celui-ci a vu mon mouvement et il écarquille les yeux quand il comprend qu'il va se faire engluer. Il attrape alors sa baguette dans sa main valide et incante à son tour à une vitesse incroyable. Autour de lui, six fins pylônes s'élèvent à une vitesse prodigieuse et viennent empaler la matérialisation à moins d'un mètre de sa tête.
Tss. Dire que je l'avais teinté en vert pour que ça aille avec son pull. Il pourrait faire l'effort de tomber dans le piège, tout de même !
Je jette un rapide coup d'œil vers Galaad situé derrière la barrière translucide et devine que ces espèces de pics en pierre sont de son fait. Le contrecoup de cette débauche de magie s'abat cependant sur moi à ce moment précis. Des points lumineux apparaissent devant mes yeux et je me sens tanguer sur mes jambes flageolantes. Heureusement pour moi, Rabastan est trop occupé à se défaire des différents sorts pour faire attention et je reprends pied au moment où il détruit de cube de gelée.
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Un long silence s'étire à cet instant entre nous. Un silence d'une qualité particulière malgré les beuglements de la foule, malgré les encouragements, les applaudissements, les vivas. Oui, un silence que nous seuls sommes finalement capable d'entendre.
J'ai l'impression que plus rien n'existe désormais entre nous que cette volonté farouche de gagner, de faire mordre la poussière à son adversaire pour qu'enfin ce combat cesse.
Rabastan s'époussette sans me quitter de ses yeux clairs. Son rire nerveux rebondit entre nous et je ne peux m'empêcher de laisser, à mon tour, libre cours à mes éclats. Ils sont libérateurs et me donnent presque envie de marcher vers lui pour le prendre dans mes bras.
Presque.
Je retrouve mon sérieux en même temps que lui et nos divers enchantements disparaissent à ce moment précis. Le sable ainsi que la roche le couvrant s'effacent pour redonner place au parquet, la brume n'est plus qu'un souvenir et je recule alors d'un pas. Rabastan plisse ses yeux de contentement avant de me faire un élégant geste de la main pour me signifier que je peux aller me replacer au bout de l'aire. J'incline la tête de remerciement et marche à reculons pour retrouver ma place initiale. Derrière moi, Casper est crispé et serre les poings à s'en faire blanchir les phalanges.
Je lève la main devant moi et soudain je la sens. Presque aussi palpable que cette eau glacée qui m'est si familière.
La magie, oui.
Je lève une seconde main et bouge doucement mes doigts devant mes yeux. Ils sont pâles, presque bleuit par un froid que je ne ressens pas, tâchés de minuscules fleurs de glace que je crois voir refléter la lumière des torches. En fermant les yeux, je peux presque visualiser le trajet qu'elle emprunte dans mon corps.
Rabastan penche légèrement la tête sur le côté sans comprendre mes gestes inhabituels. Il n'attaque néanmoins pas, car il est bien trop pétri de principes et je sais qu'il ne veut pas d'une victoire par défaut.
Soudain, un coup de sifflet retentit et je relève la tête de mes mains toujours brillantes de gel. J'aperçois le professeur Bibine s'avancer à grands pas vers moi et Casper courir à ma rencontre.
-Demande de temps-mort accordé à Mademoiselle Tio, suite à la demande de son second ! annonce Mc Gonagall en levant une main en l'air.
Cela a pour effet de faire brailler l'assistance encore plus fort et je me tourne vers mon ami sans comprendre. Lorsqu'il arrive à ma hauteur, je le vois attraper mes mains pour les tourner dans tous les sens.
-Il se passe quoi, Aly ? me demande-t-il avec un peu de panique dans la voix.
-Heu, rien pourquoi ?
-Tu agis bizarrement, il y a un souci avec tes mains ?
-Non… Non, il n'y a rien. Pourquoi t'as demandé un temps-mort ? Je vais très bien.
Il fronce les sourcils sous ses mèches blondes et Madame Bibine me scrute à son tour avec attention. Lorsqu'il est clair que je suis en bonne santé, Casper accepte de repartir hors de l'aire. Il me gratifie cependant d'une tape sur l'épaule avant de me quitter et j'accepte son geste d'affection avec reconnaissance.
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Le second coup de sifflet relance le combat et je m'aperçois que mes mains sont redevenues normales. Dommage. Pourtant, j'ai l'impression que quelque chose en moi a changé, quelque chose de très important, de primordial même.
Plus loin, Rabastan à fait apparaître un serpent de feu et celui-ci agite sa tête triangulaire de manière menaçante. Je reprends pied dans la réalité à ce moment-là et fais à mon tour apparaître un élémentaire d'eau. Je l'ai fait presque inconsciemment, sans même prononcer l'incantation et je vois alors une gigantesque panthère se matérialiser sur le parquet. Ses griffes gelées rayent le bois lorsqu'elle s'agite d'excitation et son large museau blanc se tourne vers moi en même temps qu'une exclamation s'échappe de ma gorge.
Ses yeux me transpercent, me reconnaissent. Elle est la magie, elle est moi. Je suis muette d'ébahissement et ma gorge se serre. J'ai l'impression qu'on m'a volé ma voix et qu'on a attrapé mon être pour le matérialiser ensuite hors de mon corps transit.
La bête se tourne à nouveau vers l'adversaire et rugit. Son mugissement est assourdissant, il me frappe avec la force du tonnerre tombant sur la terre desséchée et m'ébranle au plus profond de mon être. Au-devant, Rabastan semble lui aussi stupéfait. Ses yeux sont grands ouverts et son visage levé vers la formidable apparition qui nous surplombe désormais tous.
Sans quitter le félin liquide des yeux, il incante à nouveau et je le vois fermer les paupières tandis que son serpent se contorsionne à ses côtés. Ses anneaux de flammes s'allongent et s'étirent, sa tête rougeoie davantage et son corps double alors de volume. Sur les tempes de Rabastan, une sueur poisse vient perler et goutter le long de ses joues. Il ne s'en soucie pas car, devant lui, s'agite désormais le plus terrifiant des reptiles. Ses yeux aux orbites creuses sont animés par un incendie sans fin et ses écailles flamboient intensément en carbonisant le bois sous lui.
Mon cœur tambourine si fort que j'ai l'impression qu'il tente de s'extraire de ma poitrine.
J'ai peur, je ris. J'ai chaud, alors même que je tremble de tous mes membres. Sous mes pieds, je sens pulser le parquet comme le pouls imperturbable d'une force démesurée dans laquelle, lui comme moi, sommes en train de puiser. Pourtant, je ne fatigue pas ; pas encore. J'ai l'impression d'être le réceptacle de cette magie plutôt que le créateur.
C'est indescriptible et en même temps si évident.
Ma baguette se lève. Les deux créatures sont aussi gigantesques l'une que l'autre, elles se jaugent, s'évaluent, hument cet air si particulier qui les entourent. Je déglutis car j'ignore ce que je suis censé faire, est-ce vraiment moi qui dirige ce monstre merveilleux ?
D'une pensée, je lui intime de bouger et la bête avance alors d'un pas souple vers le reptile brûlant. Celui-ci agite sa lourde tête triangulaire, fait jaillir sa langue fendue d'un sifflement sinistre.
Il est temps.
Si j'avais pris conscience du monde qui nous entourait à cet instant-là, j'aurais alors noté les gestes fébriles de nos deux professeurs. Je les aurais vues tenter de renforcer les défenses de l'aire avec empressement. J'aurais aperçu Dumbledore se lever de son siège et les professeurs Harvey et Chourave filer vers les escaliers pour tenter de rejoindre l'arène à temps. J'aurais même vu le regard admiratif de ma sœur et le large sourire satisfait de mon père.
Pourtant, à ce moment précis, plus rien ne compte que la magie. Celle qui m'entoure et qui se déverse sur le plancher sans plus aucun contrôle.
Ma baguette s'agite et la panthère plante profondément ses griffes dans le sol. En face d'elle, le serpent se grandit et étire son corps aussi haut qu'il le peut. Sa gueule de feu s'ouvre pour dévoiler deux immenses crocs mortels. De mon côté, je plie les genoux comme si j'allais moi-même encaisser le coup et ma panthère fait de même en bandant ses muscles de glace. Son grondement résonne haut sous les dais et emplit l'espace. L'adrénaline coule dans mon corps comme il ne l'a jamais fait.
Je hurle.
Rabastan m'imite et les deux puissances se précipitent alors l'une sur l'autre dans un fracas épouvantable. Je vois la gueule dentelée de la gigantesque panthère plonger dans le corps sinueux du serpent tandis que ses anneaux puissants s'enroulent autour de son corps. Les griffes déchirent le ventre du reptile, ses entrailles se déversent sur le sol en un brasier insoutenable. La queue du serpent arrache une patte à son opposant et des milliers d'éclats brillants explosent en une gerbe magnifique.
Je sens la magie faire trembler mes bras. j'ai l'impression que je suis moi-même aux prises avec le monstre et que je lutte pied à pied pour ne pas finir broyée.
D'un geste de baguette qui me tire un grognement, je fais valser le reptile d'un coup de patte magistral. Son corps s'écrase sur la barrière de l'aire et celle-ci se met à crépiter méchamment. Pourtant, la bête se relève immédiatement et se rue à nouveau sur la panthère. Elle est prête, ses crocs cueillent son opposant au moment où il arrive à sa portée. La force du choc les font tous deux à nouveau basculer vers le bord de l'aire qui gémit alors plus fort encore.
Je sens la chaleur du brasier d'ici lorsque les anneaux infiniment puissants du serpent s'enroulent autour de son adversaire. Je recule précipitamment pour ne pas prendre un coup de queue par inadvertance et remarque que Rabastan s'est lui-aussi replié dans un coin de l'aire.
Mais je n'ai pas de temps à perdre et je me concentre à nouveau sur mon invocation. Je vois de l'eau répandue à terre et j'agite ma baguette pour reconstituer le membre arraché. À leur tour, les entrailles du serpent réintègrent leur propriétaire en se fondant dans l'incendie. Revigorés par ce nouvel afflux de force, je vois les deux monstres redoubler de férocité pour tenter de se détruire mutuellement.
Les rugissements incroyables de ma panthère me transpercent les tympans tandis que les sifflements du serpent crissent comme des ongles sur un tableau noir. Ce dernier est de nouveau projeté contre le bord de l'aire et je sens la barrière crépiter furieusement sans réussir à couvrir les hurlements bestiaux. Je lance à nouveau mon félin sur lui en profitant qu'il est à terre et tente de mettre en charpie son corps qui se tord de douleur et de rage.
Le feu liquide qui se répand sur le sol s'agite sans tarder à mesure que Rabastan incante et un râle passe mes lèvres lorsqu'une douleur me transperce le crâne. Pourtant, je ne dois pas lâcher, pas maintenant !
Je lance de nouveaux coups de griffes sur le serpent et le feu s'accentue, il dévore mes pattes pourtant si résistantes. Je vois l'eau s'agiter, grossir sous l'assaut de l'incendie incontrôlable qui se reforme en un monstre encore plus gros.
Comment est-ce possible ? Des larmes coulent librement de mes yeux à mesure que je sens ma tête prise dans un étau, mais je ne lâche toujours pas.
Je hurle.
Ma panthère rugit. Elle se jette sur l'être de flamme et percute violemment la barrière. Une première fissure apparaît, mais je ne la vois pas. Mes yeux embués ne distinguent plus que le feu et la glace, que les deux titanesque corps enchevêtrés en un combat à mort.
Nouveau mouvement brusque de baguette et j'écrase le crâne du reptile contre la barrière. Je l'entends siffler de douleur, ses flammes brûlent d'un feu vert tandis que des étincelles crépitent autour de lui. Je ne m'arrête pas. Je projette encore et encore sa tête sur l'enceinte translucide malmenée jusqu'à en perdre le compte.
Je ne suis que rage et douleur.
Le serpent tente d'échapper à ma poigne de fer et enserre le corps gelé avec plus de force encore. Le feu fait fondre une partie de la glace, il s'en nourrit et grossit davantage. Il emplit désormais toute l'enceinte, ses flammes me brûlent le visage et je dois lever mon bras devant moi pour me protéger.
Je ne lâche rien, plutôt crever !
De mes griffes redevenues intactes, je projette à nouveau le crâne du serpent contre la barrière et fracasse sa mâchoire de mon poing gelé. Ses cris d'agonie sont insoutenables et je défonce encore et encore sa gueule enflammée.
Je rugis, ou bien est-ce ma panthère qui le fait ? Je l'ignore et je m'en contrefiche. Mes pattes mortelles déchirent son cou tandis que ses anneaux liquéfient mon bassin et font disparaître l'arrière de ma bête.
Je frappe, encore et encore. Ma tête est sur le point d'exploser sous la douleur.
Je frappe et c'est alors que la barrière de l'aire explose. La déflagration me cueille au creux de l'estomac et l'onde de choc me projette loin en arrière. Dans le même temps, un ouragan de feu et de glace se déverse dans l'immensité de l'arène en couvrant les cris d'horreur de son grondement sonore. Les dais s'enflamment, les poteaux gèlent puis explosent en milliers d'échardes qui se carbonisent avant même de toucher le sol. Je sens les flammes lécher mes cheveux et le parquet geler sous mes doigts tandis que mes oreilles se mettent à siffler si fort que j'ai l'impression qu'on vient de me déchirer les tympans.
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Je ne sais pas combien de temps je reste allongée à terre mais, lorsque je rouvre les paupières, je ne vois que du jaune. En levant une main, je comprends que c'est un dais qui s'est déposé sur moi et qu'il me cache du reste de la pièce.
Je crois que j'aimerais rester là. Ainsi allongée, j'ai l'impression que ma tête me pèse moins lourd et que mes tempes cessent peu à peu de pulser douloureusement. Mes oreilles recommencent progressivement à entendre et je perçois une cacophonie inintelligible faite de gémissement et de cris stridents.
Oui, je vais rester là. Avec un peu de chance, on ne me trouvera jamais et je pourrais m'endormir comme j'en ai si envie.
Je ferme les yeux et une lumière vive passe mes paupières pourtant closes. En les rouvrant, je vois le ciel à travers le plafond détruit, ainsi que le grand sourire de Rabastan. Il tend une main vers moi et j'accepte de la prendre pour qu'il me remette sur mes pieds. Une fois debout, il m'attrape par les épaules et je me raccroche à ses bras pour ne pas tanguer.
Nous ne disons rien. Nos yeux ne se quittent pas et je ris la première. Il m'imite et nous nous prenons dans les bras avec force, sans réfréner notre hilarité nerveuse. Si cet homme n'était pas déjà engagé auprès de deux filles différentes, je crois bien que je l'épouserais sur le champ !
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Me revoilà ! Vous l'avez peut-être remarqué, mais ce chapitre aborde plus explicitement le fil rouge de cette histoire : la magie. Où plutôt un type de magie dont je vais développer la nature dans les chapitres prochains.
Pour information, il me reste trois chapitre à publier pour clore les trames scénaristiques de tout ce petit monde et faire venir un nouveau personnage que vous connaissez tous ^^ bref, je vous dis à demain pour la suite !
