29 juin 1507 : mes essais avec les talismans restent infructueux. L'idéal serait d'en acheter un tout prêt, mais même avec l'or que j'ai reçu des Indiens, cela reste bien au-delà de mes moyens... Je passe donc mon temps entre le campement sur la plage, et des excursions pour explorer l'intérieur de l'île et ses montagnes restées sauvages.

Il reste cependant une bonne nouvelle. Les heures passées avec Aloi et Soualiga commencent à payer, du moins, suffisamment pour que j'arrive à prononcer quelques phrases simples. Nous bavardons ainsi tous les trois, un soir, lorsque j'arrive enfin à demander, en Arawak :

« La langue des oiseaux, est-ce la langue ? Celle qu'il faut que je parle ? »

Les yeux d'Aloi s'éclairent tout à coup d'une lueur joyeuse, et elle me répond par une tirade à laquelle je ne comprends pas grand-chose.

« Moins vite, parle moins vite, lui dis-je en riant. »

Avec un nouveau sourire, elle me fait signe de la suivre. Je jette un regard perplexe vers Soualiga, assis de l'autre côté du feu. Cependant, il semble aussi confus que moi et hausse les épaules. Nous nous levons donc pour suivre Aloi, qui se dirige vers la jungle.

Je m'en doutais un peu, mais l'oiseau rouge et or est là, à quelques dizaines de mètres à peine du campement. Est-ce qu'il est resté là à m'observer depuis tout ce temps ? Ou est-ce qu'il vient d'arriver suite à un signal d'Aloi ?

Quoiqu'il en soit, le sorcier reprend sa forme humaine, toujours aussi resplendissant dans ses parures de plumes aux couleurs vives. A force, je ne suis plus aussi impressionné qu'au début par cette Métamorphose. Mais vu l'expression de Soualiga, la manière dont sa mâchoire tombe de surprise, c'est la première fois qu'il voit une transformation comme celle-ci.

« Kalinago sait, me dit Aloi. »

Et Kalinago, je finis par le comprendre, est le nom du sorcier. Soualiga ne m'aide pas beaucoup pour traduire. Il a l'air sous le choc, bégaie en montrant le sorcier, comme s'il n'avait jamais vu de Métamorphoses de sa vie. Moi qui avais fini par croire que tous les Indiens connaissaient l'existence de la magie… Mais il faut dire que Soualiga a passé l'essentiel de sa vie à La Isabela. Heureusement, il finit par se reprendre, et joue son rôle d'interprète, même s'il continue à écarquiller les yeux comme une grenouille. Grâce à lui, le dialogue devient beaucoup plus facile.

Le sorcier commence par me demander comment vont mes blessures, et pourquoi je suis parti si soudainement. Après l'avoir rassuré sur ma santé, je lui explique être retourné en Angleterre, pour voir un guérisseur et donner des nouvelles à mes proches. Il ne comprend pas. Et au bout d'un moment j'en détermine la raison : ce sorcier ne sait pas transplaner. Il n'a aucune idée de comment voyager aussi vite et aussi loin. Comment maîtrise-t-il autant sa magie sans connaître un sort aussi commun ?

Il ne donne hélas que des réponses évasives, et je n'insiste pas, pressé d'aborder la question qui me brûle les lèvres : qu'est-ce que cette fameuse langue ? Aidé par un Soualiga abasourdi, je lui explique ma théorie sur une langue universelle parlée par les oiseaux. Le sorcier a l'air confus. Je continue, expliquant comment, de ce que j'ai compris, si nous parlons chacun la comme les oiseaux, nous pourrons nous parler directement dans la même langue… Mais plus j'explique, plus le sorcier a du mal à garder son sérieux, et il finit par éclater de rire ! Est-ce qu'il se moque de moi ?

« Il dit, traduit Soualiga, qu'il n'existe pas de mots en espagnol pour traduire son savoir. Il dit qu'il faut parler Arawak pour apprendre ce qu'il sait. Et il dit (à ce moment-là, le sorcier se tenait les côtes suite à un nouvel éclat de rire), que les oiseaux ne parlent pas, ils chantent ! Il dit qu'il faut être malade dans sa tête pour vouloir parler comme un oiseau ! »

Puis cessant de traduire, il se tourne vers moi, et demande :

« Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Tu essaies de parler aux oiseaux ?

- Non, héhé, non, bien sûr que non… »

J'éclate d'un rire nerveux :

« Vouloir parler aux oiseaux, quelle idée… Non, je plaisantais c'est tout. »

Comment ai-je pu me tromper à ce point ? Mais peu importe ! Je voulais en savoir plus sur la magie indigène, et c'est l'opportunité idéale.