Si j'avais essayé d'ignorer Alice ces derniers jours, notamment pour éviter la colère qui montait dès qu'elle me fuyait dans un geste devenu presque automatique, il fut particulièrement difficile de le faire ce soir. Peter la faisait visiblement beaucoup rire dans notre salle commune. Nous les entendions clairement du canapé. Je soupirai. James m'avait vraiment retourné le cerveau avec ses histoires de vacances.

Alice me manquait ; toute connasse qu'elle avait été, je n'avais pas arrêté de l'avoir à l'esprit ces dernières semaines. En toutes autres circonstances, nous serions en train d'insulter les Parker ; elle aurait inventé toute une histoire sur la manière dont le destin pouvait s'y prendre pour rendre justice, à coup de scénarios tout aussi absurdes que symboliques. Probablement les aurait-elle imaginé confrontés à toujours moins de Sang-Purs avec lesquels perpétuer leur sang et finir par s'enlaidir de consanguinité jusqu'à devenir de véritables monstruosités qu'elle aurait parfaitement décrites ; Alice aurait trouvé un nom rigolo à cette malédiction tragique et nous en aurions pleuré de rire.

Je n'avais pas envie de la perdre mais je n'avais rien fait de mal. Les larmes me montèrent subitement aux yeux et je les essuyai rapidement. J'étais ridicule. J'arrivais à parler de choses difficiles avec Lilith plutôt calmement – bien que je pouvais être particulièrement stressée, mais dès que j'imaginais une conversation avec Alice, la colère revenait. C'était agaçant et épuisant. Pour autant, je ne pouvais plus me contenter de l'ignorer ; nous devions prendre le Poudlard Express dans trois jours. Et je me retrouvais perdue sur le canapé de notre salle commune en ayant trop mal au ventre pour en bouger.

C'était la première course annuelle de balais que nous ne passerions pas ensemble ; cette tradition hivernale était née parce qu'Alice était venue avec ses parents et que mon père avait voulu leur faire découvrir des activités locales. Nous n'y avions jamais assisté avant et je ne voyais pas l'intérêt d'y assister à nouveau sans elle. Je n'avais même pas osé avouer à mon père qu'elle ne viendrait pas ; peut-être qu'une partie de moi n'avait pas osé lui dire pourquoi nous en étions là, ou peut-être que j'avais espéré qu'Alice finisse par s'excuser avant les vacances. Clairement, il me fallait accepter que cela n'arriverait jamais. Elle n'en avait rien à faire de voir notre amitié dans cet état. James m'avait définitivement retourné le cerveau avec ses histoires de vacances. Il m'avait inconsciemment donné l'impression qu'il existait une barrière au-delà de laquelle les choses ne seraient plus pareilles ; qu'après ce week-end, j'allais définitivement perdre Alice. Je n'avais jamais réellement envisager que les choses ne puissent revenir à une certaine normalité ; il suffisait juste, après tout, qu'elle s'excuse. Je réalisai brutalement que ce que signifierait de ne pas revenir à la normale. Ce n'était plus vraiment de la colère qui me prenait les tripes, mais une immense sensation de… déchirement. Elle ne reviendrait jamais sur ce qu'elle avait dit. Nous ne redeviendrions jamais ce que nous avions été.

Je me levai soudainement du canapé pour rejoindre Alice et Peter ; ce n'était pourtant pas à moi de faire ça.

- Ne t'inquiètes pas, dis-je rapidement alors qu'Alice relevait les yeux vers moi, je vais rester à bonne distance. Pas besoin de t'éloigner. J'en ai pour une seconde. Je ne voulais pas interrompre… peu importe ce qu'il se passe ici, hasardai-je en jetant un œil à la proximité entre les deux.

- Je devais aller… finir mon parchemin de toute manière, enchérit Peter en se levant.

Il quitta la table et mon ventre se serra brusquement. Pendant un instant, j'eus simplement envie d'insulter cette connasse de me mettre dans cette position ; ce n'était définitivement pas à moi de faire ça. Mais le penser me suffit et je continuai plus calmement :

- Alice, inspirai-je, je pense que je suis en droit d'attendre que ma meilleure amie soit contente pour moi. Si tu n'es pas capable… Si tu n'es pas capable d'être contente pour moi, alors peut-être que nous devrions clairement convenir que nous ne sommes plus amies. Je ne veux pas que ce soit le temps qui nous sépare, c'est trop facile. C'est de ta faute si nous en sommes là. Est-ce que je dois dire à mon père que tu ne seras pas avec nous ?

- Tu ne lui as pas encore dit ? demanda-t-elle, surprise.

Ce fut à nouveau sa voix particulièrement calme qui me brisa le cœur. Mon corps entier attesta réception de son message par une douleur aiguë et diffuse. J'eus l'impression que mon corps souhaitait s'effondrer sur le sol mais qu'il n'y arrivait pas ; la sensation de tiraillement qui en résultait était insupportable. Je secouai la tête alors que je remarquai enfin que je pleurais. J'avais besoin d'air ; mon corps, lui, avait besoin de lâcher.

- Je lui dirais que tu ne seras pas avec nous, répondis-je avant de m'échapper dans les escaliers.

Je grimpai rapidement les marches pour atteindre nos dortoirs. Ma Lundqvist était planquée sous plusieurs chemises et je mis quelques secondes à la retrouver ; il faisait froid et il était tard, je ne voulais pas tomber malade avant les fêtes. Mon grand-père était particulièrement pénible lorsqu'il pensait que j'étais malade à constamment harceler ma grand-mère pour qu'elle me fasse des tisanes ; franchement, les Moldus avaient une vision toute relative des potions. Ma vue se brouilla alors que les larmes continuaient de tomber et j'eus sincèrement envie de foutre le feu au lit de cette connasse pour me mettre dans un état pareil.

Cape sous le bras, je sentis une main m'agripper alors que je sortais des dortoirs ; Alice. De toute évidence, elle était soudainement devenue capable d'être à mes côtés sans fuir à l'autre bout de la tour.

- Eyrin…

- Lâche-moi, soufflai-je en me libérant.

Il me fallait de l'air ; et de l'espace, cette tour allait finir par m'écraser.

- Eyrin, s'il te plaît, implora-t-elle.

Sa voix soudainement triste et pressée m'arrêta net et j'essuyai mes larmes comme je le pus.

- Pourquoi est-ce que tu es incapable de t'excuser ? demandai-je en me retournant enfin vers elle, la voix pleine de sanglots. Tout serait plus facile si tu t'excusais juste. C'est tout ce que je te demande...

Je remarquai enfin qu'elle pleurait aussi. Mon cœur se serra. Tout devint subitement trop lourd, ma tête, mon corps, même mes pensées ; j'étais épuisée. Poudlard était censé être simple, cette année. Nous étions censés revenir ici afin de retrouver un semblant de normalité et pouvoir passer à autre chose ; au lieu de ça, tout avait foutu le camp. Ces dernières semaines, j'avais survolé les cours sans vraiment y prêter attention, il y avait trop de choses autour de moi ; le château, les maisons, même le Quidditch me semblaient stupides et je ne comprenais pas l'intérêt de perpétuer tout ce cirque, les élèves étaient tous complètement perdus et nous nous retrouvions à devoir régler des problèmes pour lesquels nous n'avions aucune réelle clé de compréhension, les Parker étaient franchement des enfoirés et j'allais perdre Alice. J'avais vécu plus d'années avec elle que je n'en avais vécu sans elle ; littéralement, c'était encore une partie de ma vie qui allait partir en fumée et un trou béant qu'Alice allait laisser derrière elle. Je n'avais pas envie de revivre tout ça. C'était trop douloureux. Pourquoi était-elle incapable de s'excuser ? Je n'avais rien fait de mal, c'était injuste de me mettre dans cette position.

Je n'en pouvais plus de toutes ces histoires et n'avais plus la force d'être en colère. C'était comme si toute la colère et les craintes accumulées ces derniers jours contre Alice – entre autre, avaient soudainement disparues pour ne laisser place qu'à une fatigue bien trop grande. Mon corps s'effondra subitement et j'implosai contre la pierre froide des escaliers. Les larmes ne s'arrêtaient plus et je planquai finalement mon visage dans mes bras ; j'étais pitoyable assise comme ça dans les escaliers, recroquevillée sur moi-même, mais mon corps semblait ne plus pouvoir s'arrêter. Je ne savais même plus pourquoi je pleurais ; pour tout, pour rien, tout allait trop vite dans ma tête et, en même temps, il ne restait plus grand chose dans mon esprit.

- Je ne veux pas te perdre, soufflai-je malgré les larmes.

- Je ne veux pas te perdre non plus, Eyrin, répondit-elle en s'agenouillant à mes côtés.

Les larmes coulèrent encore un moment ; ma Lundqvist, dans laquelle j'avais fini par me réfugier, avait fini par être trempée, avant que je sois à nouveau capable de penser convenablement. Les spasmes étranges de mon corps se calmèrent un instant et je relevai légèrement la tête. Nous étions toujours dans les escaliers menant aux dortoirs, Alice sur ses genoux à côté de moi. Ses yeux semblaient particulièrement rouges.

- Arrête, Alice, soupirai-je en essuyant mon visage. Tu fais tout pour. Pour une fois que c'est moi qui me retrouve dans cette situation-là, et que je ressens toutes ces choses, tout ce que tu trouves de mieux à faire, c'est de me dire que tu aurais voulu que je ne ressente jamais tout ça.

- Ce n'est pas ce que je voulais dire, se défendit-elle.

- C'est ce que tu as dit. Tu as été très claire sur le fait que tu aurais voulu que je ne sois jamais avec Lilith en potions. Vraiment très claire.

- Je voulais juste dire que je voulais que tout redevienne comme avant. Que tu me parles.

- Tu recommences. Que « tout redevienne comme avant » ? insistai-je. Que je ne sois pas avec Lilith, c'est ce que ça veut dire. Tu réalises quand même que tes mots ont un sens, non ?

Elle soupira et changea de position pour venir s'assoir directement sur les marches. Peut-être ses genoux lui faisaient-ils mal.

- Ce n'est pas à propos de Parker et toi, Eyrin. C'est à propos de nous. De toi et moi. Si tu trouves… la reine de glace attirante, c'est ton problème, pas le mien. Mais tu ne peux pas me demander d'être contente de la situation. Tu ne peux pas me demander d'être contente de te perdre. Tu es la personne la plus importante à mes yeux, comment tu peux sincèrement me demander d'être contente ?

- Mais de quoi tu parles, Alice ? Je te demande d'être contente que j'ai rencontré quelqu'un avec qui je me sente bien. Ce n'est pas ce que tu voulais ? Tu m'agaces avec ça depuis notre troisième année.

- Eyrin, s'il te plaît… fais un effort. Essaye de comprendre ce que je te dis. Ce n'est pas à propos de Parker et toi. C'est à propos de nous, répéta-t-elle.

- Un effort ? Je n'ai rien fait de mal, ce n'était très certainement pas à moi de venir vers toi, mais je l'ai fait, et regardes ce que ça a donné. Tu n'es pas venue t'excuser et tu ne t'es, d'ailleurs, toujours pas excusée. Et ça fait des jours que tu me regardes comme si j'allais t'agresser dès que je suis à moins d'un mètre de toi ! Ne me parle pas de faire des efforts et ne me parle pas de « nous ». Parce que de nous deux, ce n'est pas moi qui ne fait pas d'effort.

- Je te signale tout de même que tu as été la première à m'ignorer, Eyrin. Et excuse-moi si le fait de savoir que tu aimes les filles me fait questionner certaines choses dans nos interactions. Je ne vois pas où est le problème.

- J'espère sincèrement que tu n'es pas en train de me dire que tu es comme ça parce que tu crois que je suis attirée par toi. Rien que l'idée est franchement dégueulasse, Alice.

- Eh bah merci !

Elle sembla sincèrement vexée ; cette situation était surréaliste. Je cherchai un bout de cape qui aurait pu être à l'abris de ma crise de nerf, avant d'abandonner et d'utiliser ma manche pour m'essuyer définitivement les yeux. Ils me faisaient mal. J'avais mal.

- Mais merde, Eyrin, fit brusquement Alice. Tu sais très bien que tout le monde me sexualise constamment dès que je me rapproche d'eux. Je dois tout le temps faire attention à ce que je dis, à ce que je fais, à comment je me comporte avec les garçons. Alors oui, apprendre qu'une des seules personnes avec qui j'avais l'impression de pouvoir être moi-même sans qu'elle attende quoique ce soit de moi est tout à fait en mesure de me sexualiser me fait tout remettre en question. Comment est-ce que tu peux imaginer une seule seconde que ça ne me fasse pas tout remettre en question ?

Je relevai les yeux vers elle ; Alice s'était remise à pleurer et, pour une quelconque raison, je me sentis coupable. Il était vrai qu'elle avait toujours eu des problèmes dans ses relations interpersonnelles avec les garçons ; ils avaient toujours fini par vouloir plus et elle avait arrêté d'essayer d'être amie avec la plupart d'entre-eux. Tout comme il était vrai que Madame correspondait parfaitement aux standards de beauté des Sorcière Hebdo et consœurs et que certaines personnes avaient la manie désagréable de ne la voir qu'à travers son physique. Pour autant, je ne comprenais pas ce que j'avais à faire dans cette histoire, elle s'était mise en tête une idée franchement étrange.

- Je suis désolée Alice, ok ? Mais combien de fois est-ce que je dois te dire que ce n'est pas comme ça que je te vois ?

- Ce n'est pas comme ça que tu voyais Parker avant non plus à ce que je saches.

- Toute cette situation est ridicule putain, soupirai-je ahurie.

- Peut-être à tes yeux, Eyrin. Mais pour moi elle est tout sauf ridicule. J'essaye vraiment de te parler, tu sais. Tu n'en as clairement rien à faire.

- Arrête Alice. Tu ne veux pas comprendre que je ne suis pas attirée par toi, comment est-ce que tu veux que je m'y prenne à la fin ?

- Tu ne comprends pas ce que je te dis. La question n'est pas ce que tu ressens ou non maintenant. C'est dans la possibilité de.

- Donc quoi ? Tu es en train de dire qu'on ne peut plus être amies parce qu'il y a une infime probabilité qu'un jour un putain d'hippogriffe me tombe sur la tête et que je me réveille à Sainte-Mangouste avec une envie soudaine de te rouler une pelle ?

Elle resta silencieuse et je soupirai. La situation était si absurde que je ne savais même pas quoi en penser. Elle ne pouvait pas réellement imaginer qu'une chose pareille me viendrait à l'esprit ; c'était particulièrement égocentrique comme réaction, même pour Alice.

- Pourquoi es-tu incapable d'admettre que le fait que tu aimes les filles change notre relation ? demanda-t-elle soudainement.

- Parce que, déjà, tu as décidé que j'aimais les filles. Moi, j'en sais rien. Je n'y ai même pas pensé avant que tu en parles. Et parce qu'ensuite, je ne vois pas en quoi le fait que je sois avec Lilith change quoique ce soit à notre relation. Aux dernières nouvelles, c'est pas toi que j'embrasse. Si c'est pour ça que tu ne me parles plus, franchement Alice, c'est vraiment une raison de merde. J'avais besoin de toi, accusai-je.

- Tu n'as jamais pensé à ça ? demanda-t-elle comme si c'était la chose la plus incroyable qu'elle ait entendu de l'année.

- Mais quand est-ce que tu veux que j'y pense, à la fin ? J'ai mis deux mois à comprendre ce qu'il me prenait avec Lilith. Deux mois. Emily voyait probablement des choses que je ne voyais pas moi-même. Tu ne peux quand même pas sérieusement imaginer que j'ai pensé à ce genre de choses, moi ! insistai-je.

- Mais comment tu peux ne pas t'être posé la question ? demanda Alice visiblement perdue. Tu n'as jamais été avec un garçon, si tu ne m'as pas menti à ce sujet, et tu as embrassé une fille ! Comment ça peut ne pas être la première chose à laquelle tu penses ?

- Qu'est-ce que tu veux que je te dise, Alice ? Pour toi c'est une fille, pour moi c'est juste Lilith. Je n'ai franchement pas cherché plus loin. Je devais déjà gérer la situation en elle-même. J'ai essayé de gérer le rejet, puis après mes propres émotions et ensuite toutes les… complications qui viennent avec Lilith. Et il y a toutes ces rondes et toutes ces réunions et toutes ces tensions, et je suis épuisée. A quel moment je suis censée, dans tout ce bordel, me demander si j'aime les filles ou pas ? Sérieusement ? Et puis franchement, qu'est-ce que j'en ai à faire ? J'ai juste essayé de gérer ce qu'il m'arrivait au fur et à mesure que les choses arrivaient.

- Mais tu es sexuellement attirée par elle ?

- Par Merlin…

Qu'est-ce qu'Alice pouvait être agaçante ; notre relation était clairement en train de s'éparpiller en mille morceaux dans les escaliers de la tour, mais il fallait évidemment qu'elle se concentre sur un point de détail – et de tous les points de détails, celui-ci.

- Enfin, j'imagine que tu ne serais pas avec elle si ce n'était pas le cas, répondit-elle à ma place. C'est une fille. Donc tu aimes les filles. Ce n'est pas plus compliqué que ça.

- C'est aussi une Serpentard. Est-ce que je dois en conclure que je suis sexuellement attirée par tous les Serpentards ?

- Tu es vraiment de mauvaise foi, c'est incroyable, soupira-t-elle.

Je secouai la tête. Elle ne m'écoutait pas mais c'était moi qui était de mauvaise foi, évidemment.

- Depuis qu'on a 7 ans, Eyrin, reprit-elle plus calmement. 7 ans. Et à aucun moment durant toutes ces années tu ne me dis quoique ce soit sur… mais merde, ça t'ait pas venu comme ça en regardant Parker non plus putain.

- Si, c'est à peu près comme ça que ça s'est passé.

Au moins, cela eut l'effet de lui faire fermer la bouche. Elle avait l'air de s'être pris un cognard en pleine figure et je ne voyais pas bien ce qui pouvait la mettre dans cet état. Ce que je lui disais n'était quand même pas incroyable ; combien de fois ne lui avait-il fallu qu'un regard pour se dire intéressée par un garçon avant de se désintéresser subitement lorsqu'il ouvrait malheureusement la bouche ?

- Donc tu regardes une autre fille, dit-elle manifestement abasourdie, tu as une envie soudaine de l'embrasser, et tu ne me dis rien ? Depuis quand… Pourquoi est-ce que tu ne m'as rien dit ?

- J'avais peur que tu réagisses exactement comme tu as réagis.

- Non, ça c'est trop facile. Ca fait des mois que tu es distante, bien avant votre… rencard ou je ne sais pas ce que c'était avec le première année. Ca fait des mois que tu ne me parles plus. Tu as tout fait pour que je réagisse comme ça en ne me disant rien. Tu as décidé que je le prendrai mal et tu as tout fait pour que je le prenne mal, répéta-t-elle. Et franchement, j'arrive pas à croire qu'Emily t'ait laissé me faire ça.

- Ne t'en prends pas à Emily, répliquai-je. Elle a juste essayé de m'aider. Et j'avais bien raison.

- Ma meilleure amie m'aurait au moins laissé le bénéfice du doute. Ma meilleure amie m'aurait au moins fait confiance.

Les souvenirs de la réunion des préfets me vinrent subitement à l'esprit ; peut-être avais-je tendance à ne pas faire confiance et anticiper des réactions négatives, je secouai la tête. Ce n'était pas pareil. Je connaissais Alice suffisamment pour anticiper sa réaction ; ce n'avait pas été gratuit, pas comme ma façon de gérer la maladie moldue. Alice avait cependant réussi à me mettre suffisamment le doute pour que j'ai un moment de faiblesse.

- Alice…

- Non. Tu ne m'as pas fait confiance. Quelque chose d'important se passait dans ta vie et tu ne m'as pas fait confiance. Et maintenant tu réagis comme si c'était moi le problème ? s'indigna-t-elle.

- Ne dévie pas la discussion. Le problème, c'est ta réaction quand je te l'ai dit et ta réaction après te l'avoir dit. Pas le fait que j'ai eu besoin de temps pour t'en parler. Et je te signale que je t'en ai parlé et que je t'ai fait confiance : regarde le résultat. J'étais terrifiée à l'idée de te le dire, absolument terrifiée et j'ai eu mal au ventre pendant des jours. Je savais que tu réagirais mal. Mais, félicitations, tu as dépassé toutes mes attentes. Tu es tellement dans le jugement Alice, soupirai-je. Tu ne fais que ça constamment. Juger tout le monde. Et je suis assez stupide pour en avoir quelque chose à faire de ce que tu penses de moi, ajoutai-je particulièrement agacée de l'admettre.

- Tu réalises que je ne t'ai pas jugée, mais que c'est toi qui m'a jugée, pas vrai ?

- Je suis désolée, Alice. Je n'aurais pas dû dire ce que j'ai dit et je sais que c'est faux. Mais…

- Mais quoi ? coupa-t-elle. Ma meilleure amie m'a traitée de salope en plein milieu de la salle commune, Eyrin. Explique-moi comment tu peux en venir à faire ça parce que franchement, tu étais méconnaissable.

- J'ai attaqué avant que tu attaques.

Elle secoua la tête et s'adossa contre le mur dans un long soupir. Le silence finit par s'installer et nous restions ainsi de longues minutes sans esquisser le moindre geste. Alice était de toute évidence persuadée qu'aimer les filles changerait notre relation ; elle utilisait ses expériences avec les garçons pour tenter de faire sens de la situation et c'était particulièrement désagréable. J'étais en train de payer le prix des erreurs des autres. Elle devrait franchement songer à réactualiser quelque peu son rapport à l'autre ; bien que je comprenais d'où ces idées lui venaient, ses expériences ayant été ce qu'elles avaient été, il n'empêche que cela restait étrange d'être autant persuadée ne pas pouvoir être amie avec quelqu'un du sexe opposé.

- J'ai l'impression d'être subitement devenue un garçon à tes yeux, soupirai-je finalement en rompant notre silence, enfin en tout cas que tu me considères comme tu considères les garçons, et c'est vraiment désagréable. Je suis toujours… moi et je suis toujours une fille.

- Je sais, avoua-t-elle, Emily m'en a déjà parlé. J'ai déjà eu la leçon au complet, tu sais. Comme quoi ça ne veut pas dire que tu es attirée par toutes les filles de Poudlard, comme quoi un garçon n'aime pas forcément les filles non plus et que je confondais le genre et l'orientation sexuelle de manière générale. J'y ai déjà eu le droit, deux fois, d'ailleurs. Mais ça ne change rien au fait que j'ai l'impression que je ne peux plus être exactement pareille avec toi maintenant. Si je ne peux plus être pareille avec toi, ça me donne aussi l'impression de te perdre d'une certaine manière. Je te l'ai dit, je peux être moi sans devoir me restreindre et sans devoir me demander constamment si je ne suis pas en train de faire quelque chose qui peut être interprété comme des « signaux » ou je ne sais pas comment ils appellent ça, et maintenant, je perds cet aspect de notre relation. Je sais que tu me demandes d'être contente de tout ça, mais je ne le suis pas et je ne sais pas comment l'être. Je ne suis pas contente de ce changement et de ce qu'il veut dire pour nous parce qu'il rend tout plus compliqué. Je ne peux pas m'empêcher de vouloir que tout redevienne comme avant.

Si une partie de moi pouvait – bizarrement, comprendre ce qu'elle disait, Alice était pourtant en train de négliger un point important dans toute cette histoire.

- Tu comprends que ça veut dire que tu aimerais que je ne connaisse jamais tout ça ? C'était mon premier baiser et mon premier rencard et…

- Je sais, d'accord ? me coupa-t-elle. Je sais tout ça. Et je suis contente pour toi si tu es contente de tout ça - même si, franchement, Parker !?, insista-t-elle, mais je ne suis pas contente que la situation soit ce qu'elle est. Tout serait plus simple si tu n'aimais pas les filles.

- Je t'ai déjà dit que je n'en savais rien, la coupai-je à mon tour. Tu pourrais au moins faire l'effort de m'écouter.

- Ouais ouais, parce que quand vous êtes ensemble toute la soirée, vous ne faites que réviser.

- Par Merlin Alice, de quoi est-ce que tu parles ? m'agaçai-je.

- Hier soir, tu as disparue après les cours pour ne réapparaitre qu'à 23h. Tu n'es même pas venue manger. Elle n'était pas là non plus, d'ailleurs, au diner.

J'avais bien raison de croire qu'Alice me monitorait, c'était de toute évidence ce qu'elle faisait pour avoir connaissance de ce genre de choses. Une partie de moi fut rassurée de cette habitude étrange, au moins n'en avait-elle pas eu rien à faire de ma personne.

- J'avais des rondes à faire, répondis-je.

- Oh, je n'en doute pas, des rondes avec Parker. J'imagine qu'il fallait vérifier qu'il n'y avait aucun élève dans les salles de classe vides du château.

- On a discuté d'un sujet… sérieux, je te signale d'abord, et ensuite qu'est-ce que ça peut faire si on a passé le reste de la soirée ensemble ? Et j'avais vraiment des rondes à faire à 22h.

- Ca fait que tu passes la soirée à embrasser une fille et que tu oses ensuite me dire que tu ne sais pas si tu aimes les filles ou non. Tu t'entends parfois, Eyrin ? Et franchement, tu pourrais faire l'effort d'au moins venir manger. Ce n'est pas bon de sauter des repas comme ça. Tu n'as même pas mangé ce que je t'ai laissé sur la table en bas en rentrant, soupira-t-elle. Et, entre nous, ta copine n'a certainement pas besoin de devenir plus mince qu'elle ne l'est déjà. Elle ne s'est pas évanouie en sautant un repas ? Enfin, tu vas me dire, elle fait bien du quidditch, ce qui n'a pas grand sens quand on y pense. Mais ça, c'est les familles de Sang-Purs. Ils sont toujours tellement dans le contrôle, ça passe par la nourriture aussi, tu sais. Soit ils sont super fins, soit ils sont super gros. Il n'y a pas d'entre-deux chez eux.

C'était tellement Alice ; les jugements faciles, qui avaient le malheur de parfois reposer sur un bout de vérité qu'elle extrapolait, et cette façon particulière de faire elle-même la discussion, je ne pus empêcher un sourire, toute aussi rassurée qu'agacée de la retrouver un court instant. Lilith n'était très certainement pas mince à ce point – Alice grossissait beaucoup trop le trait, et même si elle l'avait été, je ne voyais pas où serait le problème. Alice n'était d'ailleurs pas beaucoup plus épaisse que Lilith et mangeait deux fois plus que moi sans avoir le quidditch pour éliminer quoique ce soit ; la corpulence ne voulait absolument rien dire et n'était certainement pas révélateur de potentiels problèmes de contrôle. Mais évidemment, c'était Alice ; elle n'aurait probablement même pas mentionné le physique de Lilith si celle-ci n'avait pas été une Sang-Pur - et si Alice n'avait pas une vision toute personnelle de ce qu'ils devaient être.

- Tu ne peux pas juste accepter que je ne sais pas si j'aime les filles ou non ? demandai-je enfin.

- C'est important de mettre des mots sur les choses, Eyrin. C'est Emily qui me l'a dit.

- Très bien Alice, le mot que tu cherches, c'est : incertitude.

Elle leva les yeux au ciel - réflexe définitivement agaçant lorsque ce n'était pas Lilith qui l'avait, prise à son propre jeu. Plus le temps passait, plus il devenait évident que le problème concernait en réalité aussi peu ma relation avec Lilith que ma relation avec Alice ; le problème, c'était plutôt son propre rapport à l'autre. Pour autant, cela n'avançait pas particulièrement l'état de notre amitié. Je soufflai, soudainement stressée ; notre discussion était bien trop éparse pour que son issue soit claire et j'étais épuisée. J'avais besoin d'une réponse.

- Qu'est-ce que tout ça veut dire, pour nous ? demandai-je après m'être raclé la gorge.

- J'ai de toute évidence besoin de... travailler sur certaines choses, et j'essaye de le faire depuis le début, tu sais. Vraiment. Mais tu agis comme si la situation dans laquelle je suis n'existait pas réellement. Est-ce que tu peux au moins concevoir, qu'à mes yeux, la situation n'est pas aussi anodine que tu souhaites le croire ? J'aimerais juste que tu reconnaisses la situation dans laquelle je suis.

- Est-ce que tu peux concevoir, qu'à mes yeux, il n'y a strictement aucune ambiguïté et aucune raison valable pour que notre relation ne redevienne pas comme elle était avant ?

- Je comprends qu'il y a des questions que, de toute évidence, tu ne t'es pas encore posé, oui. Et j'ai bien compris, qu'à tes yeux, l'idée-même était dégueulasse. Tu as été très claire à ce sujet, accusa-t-elle. Et je ne dis pas que notre relation ne redeviendra jamais ce qu'elle a été, tu sais. Je te dis juste que j'ai besoin de temps pour... travailler sur certaines choses et essayer de comprendre d'autres choses encore, mais que c'est difficile de le faire si tu ne reconnais pas le fait-même que la situation nécessite, pour moi, de repenser certaines choses. Et, entre nous, Eyrin, tu ne m'as même pas laissé trente secondes pour réagir. Tu m'as insulté et tu es partie.

- Alice, arrête, tu avais commencé bien avant que je t'insulte. Tu as été une connasse et je t'ai répondu. Je ne l'ai fait que parce que je me suis sentie prise au piège et que je ne voulais pas... Peu importe, soupirai-je, tu es clairement incapable de t'excuser, de toute manière. Je continue d'espérer comme une idiote quelque chose qui n'arrivera pas.

- Bien sûr que je suis désolée, Eyrin, s'exaspéra-t-elle soudainement. Je suis désolée de t'avoir blessée. Comme je suis désolée de t'avoir donné l'impression que tu ne pouvais pas me faire confiance sur ce genre de sujet. Je m'en veux de t'avoir fait croire que tu ne pouvais pas me parler de tout ça. Tu devrais te sentir à l'aise sur tous les sujets avec moi. Et je suis désolée d'avoir sous-entendu que tu n'aurais jamais dû être avec Parker en potions, c'était déplacé. Peu importe ce que j'en pense, je n'avais pas à dire ce genre de choses. Et je suis désolée si apprendre au bout de 9 ans que ma meilleure amie aime les fi… est avec une fille, corrigea-t-elle devant mon regard agacé, me désoriente légèrement.

- « Légèrement » ? Vraiment ? insistai-je en soupirant. Je ne comprends pas ce que ça veut dire. Qu'est-ce que je dois faire, au juste ? Ne pas m'approcher trop près de toi, ne pas te toucher ? C'est ça « reconnaître la situation dans laquelle tu es » ? Parce que laisse-moi te dire que si c'est ça, c'est vraiment ridicule.

- Bien sûr que non. Je suis désolée, d'accord ? C'était idiot de ma part. J'avais toutes ces pensées en tête et c'était plus facile de mettre de la distance, c'est tout. Je ne voulais pas te blesser.

- Eh bien, c'était vraiment très blessant.

- Je suis désolée.

Elle avait l'air de l'être sincèrement et je soupirai. Je me débarrassai de ma cape qui me donnait bien trop chaud sur mes genoux avant de me tourner vers elle pour la première fois depuis que je m'étais affalée dans les escaliers.

- Qu'est-ce que ça veut dire, « reconnaître la situation dans laquelle tu es » ? demandai-je.

- Rien de particulier, Eyrin. Ne pas t'attendre à ce que tout redevienne normal tout de suite et me laisser un peu de temps pour poser les choses, ce serait déjà beaucoup. Peut-être ne pas t'énerver tout de suite si je fais ou dis une connerie, aussi. Ou en tout cas, ne pas partir tout de suite après t'être énervée. Tu peux simplement m'expliquer ce qui ne va pas.

Elle me demandait donc d'être calme – ou de ne pas partir, lorsqu'elle était blessante ; je soupirai mais acquiesçai tout de même. J'étais tout à fait en mesure de lui crier dessus plutôt que de m'en aller, si c'était ce qu'elle préférait. C'eut l'air de lui suffire car Alice ramena ses jambes contre elle comme elle le faisait lorsqu'elle s'apprêtait à conter ses récentes découvertes sur les habitants du château ; je sus immédiatement à quoi m'attendre et secouai la tête avant qu'elle ouvre la bouche.

- Je n'ai pas envie de parler d'elle ce soir, dis-je.

- Tout ce qu'Emily a bien voulu me dire, c'était que vous vous étiez embrassées. Enfin, elle n'a pas vraiment fait exprès, s'amusa-t-elle, visiblement fière d'avoir réussi à faire dire à Emily ce qu'elle avait souhaité.

- Donc on va tout simplement prétendre que tu ne riais pas avec Peter tout à l'heure ?

- Tu essayes de dévier la conversation, mais ça ne prendra pas cette fois.

Je soupirai avant de me relever légèrement quand je vis Alice lever soudainement les yeux. Je tournai la tête ; Emily montait les escaliers. Elle eut l'air surprise de nous retrouver là.

- Ca fait un moment que vous aviez disparues, expliqua la brune, je voulais juste vérifier que tout allait bien. Je ne m'attendais cependant pas à vous trouver… dans les escaliers.

- Eyrin allait nous expliquer ce qu'elle trouve à Parker, répondit Alice.

- Je n'allais rien faire du tout, répliquai-je agacée.

- Par Merlin, Alice… soupira Emily.

- Non mais sérieusement, fit la blonde, tu n'es pas curieuse ?

- Un peu, admit la brune tandis que je levais les yeux au ciel.

Emily s'installa à son tour dans les escaliers, face à nous ; heureusement que les plus jeunes qui se couchaient à ces heures-ci étaient dans les étages inférieurs de la tour, où notre discussion aurait eu une vingtaine d'oreilles indiscrètes.

- Tu vois ? Je suis sûre qu'Emily ne t'a posé aucune question. Elle attend toujours que ce soit moi qui les pose et profite lâchement des réponses, accusa Alice. J'imagine que Parker doit être calme, en tout cas, vu qu'elle ne parle pas à grand monde. Elle te parle de la même manière dont elle parle d'habitude ?

- Je croyais qu'elle ne parlait pas à grand monde, répondis-je ennuyée.

- C'est donc qu'elle reste pompeuse même dans l'intimité. La prochaine fois que tu la vois, tu pourras peut-être penser à lui enlever la baguette qu'elle a dans le cul, rit-elle soudainement.

Je lâchai un long soupir ; Alice était malheureusement redevenue Alice et le reste de la soirée allait être particulièrement pénible. Je ne pus cependant retenir un sourire amusé de voir Alice se trouver visiblement très drôle - elle était toujours en train de rire à sa propre blague.

- Si je dois subir ça toute la soirée, soufflai-je, je veux au moins pouvoir manger ce que tu as ramené de chez Honeydukes. Surtout les chocogrenouilles. Spécifiquement les chocogrenouilles.

Le sourire d'Alice s'agrandit et nous nous retrouvions deux minutes plus tard avec une tonne de sucreries échouées entre nous trois ; la soirée mit mes joues à rude épreuve mais retrouver Alice fut particulièrement agréable, jusqu'à ce que les élèves plus âgés n'aient besoin que nous nous dispersions pour rejoindre leurs dortoirs.


Et voici pour le chapitre 17 :)