Chapitre 41

Je suis assise à même le tabouret bancal que Casper a fait apparaître et je ne jette même pas un regard à Mme Pomfresh qui m'ausculte avec attention. Autour de nous, les élèves vont et viennent entre les gradins dans un brouhaha ininterrompu en commentant allègrement la destruction du plafond de l'arène.

Je crois que je devrais moi-aussi me soucier des dégâts matériels que nous avons causés, mais ça n'est pas le cas. Nos deux arbitres nous ont informé que Dumbledore avait protégé les élèves de l'incendie qui avait ravagé le lieu et c'est finalement ça le plus important ; désormais, plus rien n'a d'intérêt à part Rabastan. Celui-ci est assis face à moi et, penchés l'un vers l'autre, nous sommes plongés dans une conversation à bâtons rompus.

-Mes parents m'ont toujours dit que seuls les sang-purs pouvaient manipuler ce type de magie ! m'explique-t-il en passant un baume sur ses mains rougies. Que ça venait des gènes et qu'aucun sang-mêlé ou même né moldu ne pourrait jamais le faire.

-Ils n'en savent rien, hein ! Ils n'ont aucune idée de ce que c'est et d'où ça vient, c'est aussi simple que ça. Toi aussi tu as senti le sol pulser quand tu as invoqué ton serpent ?

-Non, pas au début. Ce n'est que lorsque je me suis concentré pour doubler sa taille que j'ai ressenti le flux de magie entrer en moi.

-Entrer ? De mon côté, j'avais plutôt l'impression qu'il coulait autour de mes mains.

Rabastan acquiesce et reporte son attention sur les gradins animés. Dumbledore est en plein débat avec les autres directeurs, ainsi qu'avec nos professeurs et nos parents. Personne n'a l'air d'accord et ça me fatigue un peu tout ça, pour être honnête.

-Si on doit faire d'autres combats, dis-je d'une voix morne en contemplant les piliers gisant à terre. Qu'ils ne comptent pas sur moi pour me donner à nouveau en spectacle ! Ça sera des bêtes stupefix et pis c'est tout !

-Vraiment ? Tu ne veux pas voir tous les sorts que je t'ai gardé en réserve ?

Nos yeux se croisent et se font complice.

-Pas besoin de combat pour ça mon très cher Rabastan. Montre-moi les incantations que ce bon Galaad t'a fabriqué, ça m'ira très bien.

-Pour que tu me les piques ? Hors de question.

-Tu es bien peu partageur comme jeune homme, je trouve.

Un pâle sourire vient écorner son visage las et il me tend le baume réparateur pour que je m'en applique à mon tour. Non loin, Casper et Galaad discutent sérieusement tandis que Jasmine se mord les doigts de l'autre côté de la barrière sans oser la passer.

-À ton avis, à qui vont-ils attribuer le point ? je demande en grimaçant devant mes doigts pleins de gerçures.

-Sans doute toi, tu avais presque détruit mon serpent au moment où ça a explosé. Tes coups allaient beaucoup trop vite pour que je le reconstruise à temps, donc on peut dire que tu as gagné.

Je fais la moue et secoue la tête de dénégation.

-J'étais au bout du rouleau quand tout a pété. Je n'aurais pas tenu bien longtemps sans ça et, si tu avais réussi à reprendre la main, j'aurais été incapable de te contrer efficacement. À mon avis, le point mérite amplement de t'être accordé, tu as beaucoup plus d'endurance que moi.

Je le vois qui s'amuse de mes dires et lève un sourcil.

-C'est un point de vue. N'oublie pas que je m'entraîne depuis un petit bout de temps et que ce type de magie m'est beaucoup plus familier qu'à toi. C'est d'ailleurs fou que tu aies réussi à le maîtriser aussi vite, quand on y pense.

Je hausse les épaules et vois Arkwood nous observer avec agacement.

-Jasmine m'a dit que ton père était capable de faire de la magie sans baguette grâce à ça, c'est vrai ?

Je vois mon ami afficher une mine narquoise et jeter un œil plein de morgue vers la loge des invités.

-Oui et non. La seule fois où il a essayé, ça s'est plutôt mal passé et il n'aime pas que l'on en parle.

-J'imagine bien. Tu crois que Dumbledore pourrait nous éclairer ? Je l'ai déjà vu faire des petits tours, genre j'éteins les bougies en passant la main devant pour épater les première années.

-Qui te dit qu'il ne se contente pas de souffler dessus en douce ?

-Ton manque de foi me consterne…

-Ta crédulité est affligeante.

Je lui lance le pot de baume comme toute réponse et il se protège le visage en ricanant. Je ne me souviens pas l'avoir déjà vu aussi détendu et joyeux ; du coup, je comprends mieux pourquoi Jasmine me le décrit complètement différemment.

-Ça va aller avec ta famille ? je demande en lui tirant un regard étonné devant mon brusque changement de conversation. Je veux dire, ça avait l'air de chauffer ce midi, alors bon…

Il me scrute avec ce regard bien particulier de Serpentard pure souche qui te rappelle chaque fois ton rang de petite souris. J'ai bien conscience que ce n'est pas voulu de sa part et que les apparences sont trompeuses, mais l'impression est bien là.

-Ça va aller, me dit-il d'une voix neutre en croisant le regard de Jasmine. L'avis de ma famille ne compte plus, désormais seul le sien est le plus important.

Il se tourne à nouveau vers moi et un pâle sourire étire ses lèvres.

-Nous allons devoir faire un choix, continue-t-il sans montrer la moindre émotion. Elle et moi. Si nous voulons envisager de vivre librement après Poudlard, il faudra que nous choisissions comment nous voulons passer les prochaines années… et surtout où. Du moins, si elle veut toujours de moi à ce moment-là.

J'acquiesce sans grande conviction en lisant entre les lignes et je sens mon cœur se serrer.

-Vous allez partir loin ? dis-je d'une voix légèrement cassée.

-Je ne sais pas.

C'est à mon tour de me tourner vers Jasmine. Elle trépigne près du professeur Flitwick qui empêche à quiconque de descendre sur l'arène et je la vois tenter par tous les moyens de négocier son passage.

-Prends soin d'elle, c'est le principal…

Ma voix se brise et je lui présente un pauvre sourire dans lequel je tente d'y mettre toute ma conviction.

-Je te le promets.

Je concentre de nouveau mon attention sur mes mains abimées et un silence s'installe entre nous. De longues minutes passent pendant lesquelles nous observons le va-et-vient des professeurs ainsi que des élèves, jusqu'à ce que notre directeur se décide à lever les mains en l'air. Le calme revient immédiatement et je vois l'ensemble des spectateurs retourner à leur place.

Pour notre part, nous nous levons et rejoignons Casper et Galaad qui sont debout au centre de l'aire. Casper me prend le poignet avec un sourire rassurant et se penche à mon oreille.

-Peu importe qui obtient le point, tu peux être super fière de toi, me dit-il tout bas. Personne n'aurait pu faire mieux.

Je lui rends son sourire complice et me tourne vers Rabastan et Galaad. Tous deux nous regardent avec amitié, malgré ce suspense qui nous dira qui de nous a véritablement gagné ce combat. Rabastan me tend sa main et je la prends avec reconnaissance tandis qu'il fait de même avec Galaad. J'entends ce dernier grogner un "je ne crois pas que ça soit nécessaire" mais Rabastan attrape sa main d'autorité et nous nous tournons enfin tous les quatre vers le professeur Dumbledore.

Autour de nous, un brouhaha de plus en plus sonore s'élève et le professeur Mc Gonagall doit réclamer le silence avec de grands gestes agacés.

-Chers élèves, chers professeurs, commence-t-il d'une voix grave. Chers Directeurs et parents, merci à vous tous d'être venu assister à la soixante-douzième édition de duels inter-écoles. Je crois que nous pouvons dire que le niveau était extrêmement élevé cette année et je me réjouis d'avoir été présent pour assister à pareille démonstration. Nos deux concurrents n'ont certes pas réalisé leurs combats jusqu'au bout, mais nous avons décidé - et cela pour plus de sécurité vous en conviendrez - de consacrer le ou la futur championne au vu de cette unique rencontre.

Il croise ses doigts devant lui et nous adresse à tous les quatre un regard que je jugerais volontiers de paternaliste.

-Comme je le disais, il faut bien du talent pour prétendre monter sur cette arène, mais également beaucoup de courage et de volonté. Nos deux champions ont démontré qu'ils en avaient chacun beaucoup à revendre et je vous annonce - avec l'accord unanime du jury ici présent - que notre choix a été fait relativement aisément.

Il lève à nouveau les mains en l'air et sa voix tonne plus fort. Pour ma part, je sens mon cœur battre à mille à l'heure sans savoir ce que je préfèrerais. Avoir fait tout ce chemin pour être deuxième serait si frustrant et en même temps si futile. Je n'ai pas besoin de titre pour me prouver quoique-ce-soit à moi-même, mais je crois que j'en ai tout de même envie.

-Je déclare - par les pouvoirs qui m'ont été octroyés - vainqueur de cette soixante-douzième édition, les élèves Tio et Rowle.

Un brouhaha monte immédiatement entre les gradins et je vois le directeur faire des gestes pour calmer tout le monde.

-Et oui, pour la première fois depuis que cette compétition amicale a été créée, le vainqueur ne sera pas seul sur le podium car nous avons décidé qu'il y en aurait deux. Mademoiselle Tio, Monsieur Rowle, je vous déclare donc vainqueur à égalité parfaite ! Bravo à vous.

Une seconde de battement s'étire, puis un tonnerre d'applaudissements explose sous le toit détruit de l'arène. J'ouvre de grands yeux sidérés et me demande vaguement si c'est une blague de mauvais goût ou s'il a vraiment le droit de nous faire un coup fumeux comme ça. J'entends Rabastan exploser d'un rire clair tandis que Galaad semble partagé entre le dépit et le soulagement.

Le serpentard se tourne ensuite vers moi et m'attrape par les épaules pour me taper dans le dos et me féliciter chaleureusement. Pour ma part, je ne sais pas trop ce que je dois faire, rire ou pleurer ? Je rends bien piètrement son étreinte à mon ami tandis que Casper tape dans la main de Galaad. Soudain, une masse de cheveux bouclés entre dans notre champ de vision en même temps qu'un poids tombant sur nos épaules et Jasmine se met à hurler à nos oreilles.

-VOUS AVEZ GAGNÉ ! braille-t-elle en couvrant le bordel sans nom de la foule se déversant sur le bois de l'arène. C'est vous les meilleurs ! Je vous aime !

Elle nous embrasse ensuite tour à tour en nous ballotant sans que je ne réussisse à m'extraire de ses bras. Casper se joint à nous et je suis alors prise d'un élan de gratitude envers mes amis qui se sont démenés tous ces mois pour me faire arriver si haut. Finalement, je crois bien être heureuse d'avoir gagné en leur offrant la victoire comme tout paiement de leur confiance. Du moins une demi-victoire, une victoire en indivision, une colocation de podium ? Bref, je sens toute la tension accumulée quitter enfin mes épaules et j'accompagne alors mes amis dans leurs éclats plein d'une joie imbridable.

Bientôt, des centaines d'élèves hystériques viennent envahir le parquet et des visages hilares passent devant mes yeux flous sans que je ne les reconnaisse. Aaron manque de me briser en deux lorsqu'il vient nous féliciter et Soneïs se pend à mon cou pour me biser la joue sans faire mine de vouloir s'arrêter. Les cris et les exclamations de mes camarades emplissent si fort mes oreilles que je peine à réfléchir correctement et mon sourire étire mes lèvres sans vouloir faire mine de s'en aller.

J'ai gagné, oui. J'ai réussi à me prouver à moi-même que malgré une petite taille et une grande gueule, on peut faire bien plus lorsqu'on est efficacement poussé au cul. Je tourne la tête et je croise soudain le regard fier et droit de mon père. Il est debout devant moi, tel le roc au milieu de la marée, inébranlable, alors que des centaines d'élèves turbulents courent autour de nous en laissant les pleins pouvoirs à leurs cordes vocales. Il lève une main à son front et me fait un salut militaire en faisant claquer ses talons. Je réponds à son geste et la foule l'engloutit alors à nouveau pour le faire disparaître de ma vue.

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Je suis assise sur un accoudoir de canapé et j'essaye en vain de comprendre ce que Galaad me raconte. Dans la tour de Serdaigle où se déroule la fête, une musique des Trolls Disco se démène pour couvrir les paroles des invités sans que personne n'y puisse rien. Chaque fois qu'un élève tente de baisser le son, il y en a un autre - Bastian, pour ne pas le citer - qui le monte encore plus fort. Au bout d'un moment, je fais signe à mon interlocuteur que je dois aller reprendre une bière et je m'efface alors dans les étages pour souffler.

Je ne devrais pas me plaindre, je le sais. Si notre très cher directeur était présent, il serait ravi de voir des élèves de toutes les maisons faire la fête ensemble car ce genre de cas ne risque sans doute pas de se reproduire avant longtemps. J'ai pourtant les tempes prises dans un étau et la vague impression que ce n'est pas dû au bruit.

Je profite de ce temps mort dans les festivités pour me rafraîchir dans la salle de bain de mon dortoir et observe mon reflet dans le miroir. Pourquoi suis-je si livide ?

Lorsque je dévale les marches, je saute sur Rabastan et l'arrache de sa conversation avec Casper et Henry pour le coincer dans un angle de pièce.

-Je me sens pas bien, mec, dis-je à son oreille pour me faire entendre. J'ai super mal à la tête et ce n'est pas à cause de l'alcool, j'ai à peine bu une bière.

Il tourne son beau visage vers moi et m'ausculte de ses grands yeux clairs sans cacher son inquiétude. La promiscuité me rend un peu mal à l'aise, mais je n'en montre rien et le laisse froncer les sourcils.

-As-tu perdu connaissance durant notre combat ? me demande-t-il finalement en s'approchant davantage pour se faire entendre. Même pour une demi seconde. As-tu eu la tête qui tournait ?

-Heu, un peu oui, je crois. Mais c'était la fatigue, nan ?

Il me présente une mine encore plus sombre et continue.

-As-tu ressenti des douleurs quand tu maîtrisais ta panthère ? Au niveau des articulations ou de la nuque ?

-Vers la fin j'avais très mal au crâne, oui. J'avais même les larmes aux yeux… Tu penses que c'est grave ?

Il est maintenant sérieux et je le vois jeter un regard vers nos amis, avant de revenir à moi.

-Suis-moi, il faut qu'on parle.

Il m'attrape ensuite par la main et me fait traverser la salle commune bondée jusqu'à la porte de sortie. À un moment, je croise le regard d'Arkwood et celui-ci à l'air aussi sombre que Rabastan. Qu'est-ce que j'ai fait, encore ? J'ai gagné, mec, tu pourrais arrêter de faire la tronche deux secondes tout de même !

Je me désintéresse du sujet en me disant que j'irais le voir une fois que j'aurais entendu ce que Rabastan doit me dire.

Nous sortons enfin dans le couloir et croisons quelques couples et groupes qui discutent avec enthousiasme, un verre à la main et les yeux pas forcément en face des trous.

-Tu te souviens de ce que je t'ai dit à propos de mon père ? me demande-t-il une fois que nous nous sommes trouvé un coin de couloir tranquille.

-Heu… que c'était un con ?

-Oui certes… mais non. Je t'ai dit qu'il avait tenté de maîtriser la magie sans baguette, tu t'en souviens ?

J'acquiesce et le laisse continuer.

-Un peu après avoir commencé ses expérimentations, il s'est plaint d'avoir mal partout, dans les bras, les épaules et surtout d'avoir une migraine qui ne voulait pas passer. Il s'est vite arrêté avant que ça n'aille trop loin et on a compris qu'il ne fallait pas pratiquer autant en si peu de temps, c'est bien trop dangereux.

-Et qu'est-ce que t'appelles "autant en si peu de temps" ?

Je le vois croiser ses bras sur sa poitrine et réfléchir.

-Un mois de pratique, je dirais. Il a essayé de faire bouger un verre chaque jour par la seule force de sa volonté. De ce que j'ai compris, le premier niveau de maîtrise nécessite de ressentir cette magie bien particulière et de l'utiliser comme une matière brute pour faire de simple tour, du genre pousser un verre. Elle peut également être utilisée pour renforcer nos sorts, comme durant notre combat.

Je fais une moue pas convaincue et il continue en comprenant que je ne saisis pas tout.

-Tu ne l'as pas senti car tu tenais ta baguette, mais cette magie est bien différente de celle que nous utilisons tous les jours. Elle est protéiforme et nécessite d'être modelée par la simple volonté, un peu comme une force que toi seule peut visualiser, tu saisis ?

-Mais alors, c'est quoi le second niveau ?

-L'incantation. Réussir à incanter sans baguette et que cette magie la remplace pour les sorts basiques.

-Comme Dumbledore !

-Oui, comme Dumbledore.

Je hoche de la tête mais cela ne m'aide pas à me rassurer.

-Et qu'est-ce qu'il risque d'arriver si je pratique trop intensément ?

Rabastan hausse les épaules et passe une main dans sa nuque rasée en m'observant à nouveau avec attention.

-Je n'en ai aucune idée. Je pense simplement qu'il faut apprendre à ressentir la façon dont ton corps encaisse le flux et, surtout, il ne faut pas que tu réitères ton expérience avant un petit bout de temps pour que ton organisme se remette. C'est la meilleure des choses à faire pour le moment.

-Mais toi, tu es en pleine forme ! Et tu as aussi utilisé cette magie pendant le combat, n'est-ce pas ?

-Oui, mais ça faisait des mois que j'entraînais méthodiquement mon esprit pour la manipuler sans danger. J'ai remarqué que la méditation aide à se concentrer et surtout que ça me permet de ne pas avoir mal. Et, chose plus importante, je ne l'utilise pas chaque jour. Une fois par semaine pour commencer et en faible dose, pour ensuite augmenter progressivement les utilisations.

-Et tu en es rendu à combien d'utilisations actuellement ?

-Trois fois par semaine, en faible quantité. Parfois, je force un peu plus et alors je ne pratique qu'une fois par semaine. Sans compter que Jasmine est chaque fois là en cas de problème.

Je hoche de nouveau de la tête avec un air un peu hébété. Ce qu'il me dit remet tellement de choses en question ! Comme s'il repoussait les murs de la compréhension que j'ai toujours eu de la magie. C'est à la fois grisant tout en me faisant un petit peu peur.

-J'aimerais savoir comment ton père a découvert ça, dis-je au bout d'un moment. Jeter un œil aux grimoires qu'il a utilisés et connaître les auteurs qu'il a lus. Tu les connais, toi ?

Je le vois se rembrunir et regarder à travers une des fenêtres. Il finit par inspirer longuement et revenir à moi sans se départir de son air fermé.

-Non. Il n'a jamais voulu que je mette les pieds dans sa bibliothèque. Il m'a appris à ressentir la magie, mais il ne s'intéressait pas à son origine, seulement à ce que lui, un sang-pur, pourrait faire de ce pouvoir.

-Je vois... Écoute, je veux que tu me l'apprennes à moi-aussi. J'ai essayé de ressentir à nouveau la magie quand on est rentré, mais j'en suis incapable. C'est possible qu'elle soit repartie ?

-Non, ce n'est pas quelque chose qui est personnel. Cette magie coule à même le sol, contrairement à celle que nous utilisons avec notre baguette et qui provient directement de notre corps. Tu pourras de nouveau la ressentir si tu t'entraînes, mais il faudra faire très attention.

J'acquiesce et sens l'excitation monter en moi devant ce mystère fascinant.

-Mais je ne t'aiderais pas tant que tu ne seras pas remise de notre dernier combat, assène-t-il sans cacher cette même excitation de partager un mystère incroyable.

J'acquiesce vigoureusement et ne peux m'empêcher de sourire comme une folle.

-Merci Rabastan, c'est toi le meilleur !

Je lui saute dans les bras et il me rend mon étreinte en me tapotant le dos.

-Je vous dérange ?

Je sursaute lorsque la voix grave d'Arkwood résonne à deux pas de nous. Comme une gamine prise la main dans le paquet de bonbons, je m'écarte de Rabastan d'un bond et le regarde avec un air étonné. En vrai, qu'est-ce qu'il fait là, lui ? Il m'espionne ?

Je croise le regard de Rabastan et réponds à sa question silencieuse d'un mouvement du menton. Il comprend mon message et me souhaite une bonne soirée avant de contourner Arkwood pour retrouver la salle commune bruyante. Il reste tout de même nous observer quelques secondes et je lui signifie de filer. Au besoin, je sais me défendre, hein !

-Salut, finis-je par dire au jeune homme qui n'a pas bougé ni entrepris de parler.

-Salut.

La tension est palpable et je m'agace. Est-ce que j'ai une tête à me prendre le bec pour des quiproquos à la noix ? Et bien non, figurez-vous. J'ai plein d'autres trucs à faire, genre piller la bibliothèque pour essayer de trouver des indications sur ce que j'ai découvert. Comment ça, elle est fermée à cette heure-ci ? Boarf, des serrures ça se force et c'est pour la bonne cause en plus !

-Tu passes une bonne soirée ? me demande finalement Arkwood en s'approchant de son pas souple.

Sa question n'est ni cordiale, ni anodine et je ne réponds rien. À la place, je le laisse s'approcher et faire battre mon cœur par sa simple présence. Il fait glisser une première main le long de ma mâchoire et cela m'électrise. Faut-il qu'il ait autant de pouvoir sur mes émotions par un simple geste ? C'est désespérant et en même temps incroyablement grisant.

-En bonne Serdaigle, toi aussi tu vas aller te taper notre nouveau super champion ?

Ses mots me font reprendre pied et je lève une paume en l'air pour le baffer. Sa poigne arrête mon geste et je remarque alors la colère contenue au fond de ses prunelles. Je ne tente pas de me dégager et il attrape vite mon cou pour coller ses lèvres contre les miennes. Son baiser est dur et je le repousse lorsqu'il me mord douloureusement la lèvre.

-Soit tu sors avec moi, soit c'est la guerre, Tio, me dit-il en me regardant me tâter les lèvres. Mais il va falloir être clair.

-La guerre ? je réplique sèchement. Arrête ton numéro de grand méchant mafieux, Doyle, ça ne marche pas avec moi. Si tu comptes me faire un caca nerveux à chaque ami avec qui je parle, ça va vite m'énerver !

-Et moi ? Tu crois que ça m'énerve pas de te retrouver accrochée à un mec dès que j'ai le dos tourné ?!

-Dès que…

Ma voix s'étouffe dans ma gorge tellement je trouve la chose grotesque et je lève les bras en l'air en maudissant Merlin et toute sa clique. Je ne trouve définitivement rien de sensé à répondre à ses idioties et je le contourne alors pour retourner à la tour. Il attrape mon bras lorsque je le dépasse et colle mon dos contre la tapisserie murale du couloir.

-Où tu vas ? me demande-t-il d'une voix sourde en passant une main sur mes reins. C'est avec toi que je veux passer la soirée.

Il m'embrasse à nouveau et ses doigts s'aventurent sous mon pull sans que je ne cherche à l'en empêcher. Ses baisers se font plus pressés, ses gestes deviennent impatients et je sens à mon tour ce désir insatiable qui me secoue de haut en bas. Je glisse ensuite mes mains sous sa chemise et sens sa peau chaude sous mes paumes tandis qu'il passe une jambe entre les miennes.

Des rires gras résonnent soudain de l'autre côté du couloir et s'arrêtent quand Arkwood foudroie les jeunes idiots du regard.

-Viens, me dit-il finalement en prenant ma main dans la sienne.

-Où va-t-on ?

-Là où il n'y a personne et où on sera tranquille : mon dortoir.

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Jasmine claque des doigts devant mon nez mais je ne sors pas de mon hébétude pour autant. Je devrais, pourtant. Autour de nous dans la grande salle, ça chante à tue-tête une chanson à la noix du genre "Serdaigle a gagné, Serpentard a été pistonné, Serdaigle a gagné…" du grand art.

-Tu crois qu'elle est encore bourrée ? demande mon amie à Casper qui discute avec une jolie fille qu'il a croisée la vieille.

Ce dernier ne lui répond pas et elle plante sa fourchette dans ses côtelettes pour faire passer son agacement. Son regard revient vers moi mais je ne dis toujours rien. Je ne saurais pas quoi dire de toute façon. "Alya, où étais-tu hier soir ? Avec qui ? Il parait que tu es parti vers les cuisines avec Arkwood, qu'est-ce qu'il s'est passé entre vous ? tu te sens bien au moins ? Tu es malade ?"

Bref, rester dans mon monde cotonneux m'évitera ce genre de discussion à laquelle je ne veux pas avoir affaire. Ce que j'ai fait de ma soirée ? Un truc approchant ce qu'elle-même fait dans la salle des trophées avec Rabastan quand tout le monde pense qu'ils dorment. Comment c'était ? Je pense que c'est bien la question que je veux éviter. Est-ce que c'était bien ? Oui et non. Je n'en sais rien, un peu comme lorsque vous goutez du chocolat noir pour la première fois. C'est bon, tout en possédant une saveur étrange que vous ne pouvez oublier, mais qui vous laisse entrevoir ce que ça pourrait donner… autrement. Oui, c'était étrange. Pas mauvais, pas merveilleux, juste étrange.

Jasmine recommence à agiter sa main devant mes yeux et, pour ma part, j'essaye de savoir si j'ai envie que cette nuit se reproduise. Peut-être bien que oui, parce que jamais je n'avais ressenti pareilles sensations ; peut-être bien que non, parce que je ne suis pas sûre que c'est ce que je voulais réellement. Là est finalement toute la question : est-ce que j'étais vraiment préparée à donner autant, à livrer mon corps sans compromis ni regrets ? Comment pourrait-on affirmer avoir un consentement libre et éclairé sur quelque-chose que l'on n'a jamais essayé ? Vaste question que voilà et je n'ai pas le temps de réfléchir plus que c'est Soneïs qui arrive à la charge.

-Brian dit que ça sera mille gallions et un voyage ! affirme-t-elle en me poussant pour se faire une place près de moi. Si c'est le cas, je veux en être !

-Moi aussi ! renchérit Jasmine en sautillant sur place. Les îles ça serait génial !

-Non, l'Alaska !

Jasmine lève un sourcil perplexe devant la réponse incongrue et je me réveille enfin pour acquiescer aux dires de ma sœur.

-La dernière fois que j'ai été balancée sur une île, dis-je. C'était pour apprendre à survivre un mois sans eau ni électricité ! Ras la baguette des îles, vive le continent et la civilisation !

Soneïs me tapote gentiment l'épaule et acquiesce en se souvenant de ce stage commando-survie auquel j'ai eu le "droit" avec mon paternel, alors qu'elle-même apprenait la poterie avec notre mère.

-Et si c'est des sous, je rachète le fonds de commerce de chez Honeydukes !

-Ton estomac n'y survivrait pas, me répond Casper en se glissant dans la conversation.

-Pari tenu !

Il me tend sa main et je tape dedans avant de me concentrer à nouveau sur Jasmine et Soneïs. Elles sont en train d'observer la table des professeurs en quête d'un indice, mais ceux-ci sont tous concentrés sur leur repas tandis que Dumbledore discute joyeusement avec la Directrice de Beauxbâtons.

Pour ma part, je m'en fiche un peu de savoir ce que ça sera et je croise alors le regard d'une jeune femme blonde que je ne connais pas. Elle est assise à la table des professeurs et discute avec le professeur Rogue qui donne l'impression de vouloir se noyer dans son potage aux légumes. Lorsque je remarque le gros appareil photo posé près d'elle, je comprends qu'elle est la journaliste de la Gazette du Sorcier venue couvrir l'événement. Elle s'aperçoit d'ailleurs de mon regard braqué sur elle et son sourire s'éclaire en même temps qu'elle lève son appareil pour me photographier de loin. Puis, elle le repose et reprend là où elle en était avec le professeur de potion. Je cligne plusieurs fois des yeux sans trop comprendre et me replonge dans mon repas en essayant de suivre ce que se disent Jasmine et Soneïs.

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Quatorze heures sonnent et je grommèle quand Casper m'attrape le coude pour me mettre sur les pieds, sans que je n'ai fini mon carot cake.

-C'est l'heure de la récompense bien méritée, championne ! claironne mon ami de sa voix de tenor. Regarde, les mecs viennent vers nous !

En effet, nos trois amis Serpentard ne tardent pas à se frayer un chemin dans la foule compacte qui se déverse par la grande porte.

-Vous êtes prêts ? nous demande Rabastan en se coulant près de Jasmine. Si tu veux un conseil, Alya, évite de parler à Rita Skeeter. Fuis-là comme la dragoncelle, c'est la meilleure chose que tu feras.

Je hoche la tête sans trop comprendre, mais il ne s'explique pas davantage et nous nous dirigeons tous ensemble vers le parc pour rejoindre l'arène. Les élèves se poussent naturellement pour laisser passer notre petit groupe et cela a l'avantage de nous éviter d'attendre que l'embouteillage de sortie disparaisse.

-Il est un peu tendu mon colocataire de titre, tu ne trouves pas ? je demande à Galaad lorsque nous passons le grand hall. C'est de recevoir des sous qui le rend nerveux comme ça ? À Gringott ils n'offrent pas une carte de membre quand tu possèdes le tiers de la banque ? Genre : un tour en train acheté, le deuxième offert avec serre-tête à oreilles de gobelin inclus ?

Mon interlocuteur me regarde, un sourcil levé, et je hausse les épaules : j'avais oublié qu'à Serpentard ils n'étaient pas drôles. Pourtant, il se penche vers moi et accepte de me répondre.

-C'est à cause de l'article de ce matin, souffle-t-il à mon oreille pour ne pas que son ami l'entende. Ça n'a pas été très bien accueilli par sa famille.

-L'article ? Quel article ?

Le jeune homme sort la gazette du jour de sa poche et me la tend pour que je contemple la première page. Sur celle-ci, on annonce que les Vagabonds de Wigtown ont remporté leur dernier match de première ligue, mais je me doute que ce n'est pas de ça qu'il veut parler. Je baisse les yeux et j'aperçois alors une petite photo en noir et blanc sur laquelle s'embrassent Jasmine et Rabastan.

Cette image a été prise la veille et le texte accolé est plutôt sec. Le titre écrit en gras annonce "Monsieur Rowle, champion Européen de duel et bourreau des cœurs" et la suite fait état de son statut de sang-pur ainsi que des divergences d'opinion qu'il a avec sa famille. "Des parents brisés par la volonté revancharde d'un homme au sang chaud" annonce l'article. "Comment cette illustre famille va-t-elle affronter l'humiliation de voir son nom être traîné dans la boue par leur propre enfant ?".

Je pouffe devant tant de bêtises, mais Galaad ne quitte pas son air sombre quand je lui rends son torchon.

-C'est ridicule, dis-je pour m'excuser. Personne ne va croire que Rabastan est un bourreau des cœurs ou que les Rowle se sentent humiliés ! Chafouin à la rigueur, mais pas plus !

-C'est toi qui le dit. Dans tous les cas le mal est fait et ses parents l'accusent d'avoir monté la presse contre eux pour pouvoir faire ployer l'avis de sa famille et continuer à fréquenter Jasmine.

Je tourne mon regard vers les deux jeunes gens qui avancent main dans la main et je me dis que ça peut finalement être un mal pour un bien, quand on y pense. Si les Rowle les laissent vivre comme ils l'entendent grâce à ça, alors c'est tout bénef !

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Nous pénétrons enfin dans l'enceinte de l'arène et nous montons tous sur l'estrade qui a été aménagée en de beaux podiums décorés. Je n'ai jamais été très à l'aise dans ce genre de représentation et je me dis que j'aurais dû échanger ma place avec ma sœur. Elle est très douée pour ça et, avec un poil de maquillage et une queue de cheval, on l'aurait facilement prise pour moi… En plus réveillée et plus souriante.

En venant me positionner près de Casper, je remarque une fanfare des plus ridicules, ainsi qu'une tripotée de gens qui doivent être important au vue de leurs robes de sorciers richement ornementées et de leur couvre-chef plutôt originaux. Des appareils flashent à tout va et je dois cligner des paupières pour chasser les points blanc qui m'aveuglent momentanément.

Casper glisse vite sa main dans la mienne en sentant mon trouble et je me raccroche à lui pour me rassurer. Notre Directeur entame ensuite un discours sans fin sur tout un tas de trucs, il nous gratifie même d'un petit jeu de mot et une blagounette qui fait bien rire Aaron. Puis, il nous demande de venir prendre place sur les longs podiums en même temps que la fanfare démarre.

Je mentirais en disant que cette heure n'a pas été la plus chiante qui m'ait été donnée de vivre. Applaudissements, musique, flashs, poignées de mains, sourires, partout des sourires. Ma migraine me reprend et Casper doit me tenir par les épaules pour ne pas que je m'écroule. Nous finissons par une poignée de main de la part de Dumbledore et celui-ci sonne la fin des hostilités en nous autorisant à rejoindre nos amis. Une fois près d'eux, Rabastan remarque ma mine pâle et me propose de m'accompagner à l'infirmerie.

-Reste, lui dis-je en le poussant gentiment. Tu n'as qu'à récupérer les prix pour moi. En plus, c'est toi le champion et il y a plein de gens vachement importants qui voudront te parler.

-Tais-toi, donc, me répond-t-il d'une voix cassante. Il faut que tu t'allonges et que je parle de ce qui s'est passé avec Madame Pomfresh. Moi seul sais ce qu'il t'arrive, et pas question que tu nous fasses un malaise ici !

Je me laisse convaincre et nous nous excusons pour filer à l'anglaise vers le château. Une fois dans le parc, je me sens un peu mieux et ma tête cesse de cogner à tout va. À la place, je ne sens qu'une langueur s'imposer à mon esprit et celle-ci me colle aux sens sans que je ne réussisse à m'en défaire.

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Enfin, nous arrivons devant une Madame Pomfresh surprise de nous trouver là et qui me mène jusqu'à un tabouret haut pour m'ausculter. Rabastan tente de lui expliquer comme il peut ce qu'il m'arrive, mais il abandonne quand elle lui demande de la laisser faire son travail. À la place, elle me refile tout un tas de potions au goût indescriptible et me demande d'enlever mon pull. Elle repart ensuite dans son bureau et je me retrouve en débardeur à simple bretelle devant un Rabastan sombre.

-Fait pas cette tête, lui dis-je pour le dérider. Tu t'attendais à quoi ? Qu'elle comprenne de quoi tu parles en quelques secondes ?

-Ce n'est pas ça qui me dérange, répond-t-il en passant distraitement ses mains dans ses cheveux pour refaire son catogan. Non, ce qui m'ennuie c'est pour la suite.

-La suite ?

-Lorsque ça nous arrivera à nouveau. À qui nous adresserons nous pour être soigné ?

-Dumbledore ? je propose en me grattant le bras. Il sait forcément de quoi on parle.

-Nous ne resterons pas à Poudlard éternellement, Alya, me répond-t-il en se levant et en faisant les cent pas. Un jour, cela recommencera et je ne veux pas que nous nous retrouvions comme mon père, usé et cassé par la magie sans que quiconque ne puisse faire quoi que ce soit pour nous aider.

Je me lève de mon siège et l'attrape par le bras pour le forcer à me regarder.

-On va en parler à Dumbledore, dis-je avec aplomb. Lui seul peut nous apporter une réponse. Tu ne finiras pas comme ton père et moi non plus ! Nous serons précautionneux et nous ne laisserons rien nous arriver en faisant plus attention, d'accord ?

Il acquiesce et son regard se porte vite au-delà de mon épaule. En me retournant, j'ai la surprise de voir Arkwood et Caussman dans l'encadrement de la porte de l'infirmerie. Je lâche le bras de Rabastan comme s'il m'avait brûlé et Madame Pomfresh arrive sur ces entrefaites en agitant des mains agacées.

-Vous aussi vous êtes souffrant ? demande-t-elle ensuite aux jeunes hommes toujours silencieux.

Aucun d'eux ne lui répond et ils font vite demi-tour en me foudroyant du regard. Je prends alors conscience de toute l'étendue de l'incompréhension qui doit agiter Arkwood à cet instant et pousse un juron. Je me fait réprimander par l'infirmière, mais je ne l'écoute pas et je saute sur mon pull pour filer hors de la longue pièce. Les cris de ma soignante retentissent jusqu'à ce que le battant se soit refermé et je cours alors vers les deux Poufsouffle que je vois au loin dans le couloir. Une fois devant eux, je m'appuie sur mes genoux pour reprendre ma respiration, mais aucun d'eux ne s'arrête.

-A… Arkwood ! je m'exclame ensuite d'une voix blanche.

Celui-ci stoppe enfin son pas et fait signe à Thomas de poursuivre sans lui.

-Alya, me répond-t-il entre ses dents serrées.

Je remarque, à cet instant-là, ses yeux bleus brillants d'une rage contenue et ses poings crispés à s'en faire blanchir les jointures. Je reconnais l'homme que j'ai côtoyé jadis et dont une colère constante teinte ses traits durs.

-C'est… C'est pas ce que tu crois, lui dis-je en ignorant totalement ce que je suis censé faire. Je ne vais pas bien et Rabastan m'a...

-Si c'est ce que tu veux, alors c'est la guerre, Tio ! crache-t-il en posant un doigt sévère sur mon torse. Je t'avais prévenu, mais Madame s'est crue plus maline que ça. Si tu pensais pouvoir faire tes petites affaires en douce, tu vas vite comprendre qu'on ne me prend pas pour un con sans en subir les conséquences !

-Ce n'est pas...

-Oh si, gronde-t-il sans vouloir m'écouter. C'est tout à fait ce que je crois, alors maintenant tu prends tes responsabilités et t'assumes tes conneries !

Ma voix reste bloquée dans ma gorge et j'ai l'impression d'être pétrifiée par le feu de ses yeux impitoyables. Je hoche la tête de dénégation sans trouver autre chose à dire et attrape sa manche quand il fait mine de se détourner.

-C'est la magie ! je m'exclame d'une voix chevrotante. Elle…

Elle quoi ? Que pourrais-je lui expliquer sans passer pour une folle ou une idiote ? "C'est la magie qui me ronge le crâne, mais moi je veux en apprendre plus, quitte à souffrir davantage ?" Ridicule, je ne connais pas pire excuse.

À la place, je m'accroche à son cou et l'embrasse comme si c'était la dernière fois que je le faisais. Peut-être est-ce le cas et je prends alors conscience que je ne veux pas qu'il parte. Pas alors que nous venons à peine de nous découvrir.

Mon cœur bat vivement à ma poitrine quand ses lèvres restent closes, mais il change vite d'avis et répond à mon baiser avec ardeur en me collant contre une tapisserie. Ses mains attrapent ensuite mes hanches et ses doigts remontent jusqu'à ma mâchoire pour l'enserrer fermement.

-T'es à moi, me souffle-t-il d'une voix dure.

J'acquiesce vivement en espérant que ma bonne volonté le fera cesser de me regarder ainsi.

-Il n'y a rien avec Rabastan, je réussis à souffler. Je te le jure.

Il plante ses yeux dans les miens et ce qu'il y voit semble le rasséréner car il desserre sa prise et je sens alors comme un grand poids s'élever de mes épaules.

-Je te préviens, si tu me mens -

-Je mens pas ! Si j'avais voulu sortir avec lui ça fait longtemps que ça aurait été fait, bien avant toi et moi.

Il hoche doucement la tête et je me sens revivre. Je m'aperçois que ma respiration s'était bloquée dans ma gorge face à sa colère et son mépris, et je me prends à sourire.

-Je supporterais pas que tu me trompes avec ce Serpentard, t'entends ? me dit-il d'une voix plus calme. Ça me foutrait hors de moi, et je veux pas te faire du mal...

Je l'embrasse à nouveau pour le faire taire et ses caresses me tirent un soupir de plaisir que je ne peux dissimuler. Oui, je ne veux pas le perdre, je le veux près de moi car il me fait vibrer comme jamais personne ne l'a jamais fait. Sa peau, son odeur, ses lèvres contre les miennes, tout en lui semble chaque fois réveiller ce félin qui dort sous ma poitrine.

-T'as raté ta remise de prix, idiote, me dit-il après que nous nous soyons embrassés longuement. T'as gagné une coupe en or massif que je te conseille de faire fondre et cinq cents gallions.

-Super ! Tu crois qu'un être humain normalement constitué peut ingérer combien de kilo de chocolat par jour ?

Arkwood se contente de lever les yeux au ciel et il m'attrape ensuite la main pour s'enfuir à travers les couloirs déserts sans faire fi de mon mal de crâne.

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Après cette remise des prix, l'ambiance de fête qui règne au sein de Poudlard retombe rapidement aux vues des examens qui arrivent pour une partie d'entre nous. Arkwood, Rabastan et tous nos amis se plongent rapidement dans leurs révisions et j'essaye de faire de même sans vraiment y arriver.

Plusieurs fois, je me retrouve seule dans mon lit à essayer de ressentir cette magie, ce flux, comme m'enseigne de temps à autre Rabastan. C'est embryonnaire mais, petit à petit, je commence à percevoir une énergie bien particulière à la limite extrême de mon champ de vision. Comme un être s'agitant lorsqu'il pense que je ne l'observe pas et qui disparaît vite une fois les yeux posés dessus.

Je me confie bien souvent à mon ami Serpentard et il tente de m'ouvrir l'esprit en explications à rallonges qui ne m'aident pas forcément plus. À court d'idée, nous décidons de nous retrouver dans la salle des trophées pour de longues séances pendant lesquelles nous nous concentrons. Lorsque je ressens enfin de véritables vibrations, nous rigolons nerveusement comme des idiots et je manque de lui sauter dans les bras de joie. Pourtant, nous déchantons rapidement car aucune évolution supplémentaire ne se fait sentir par la suite.

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Les ASPICs arrivent enfin, mais aussi les ennuis.

Oui, car je passe beaucoup trop de temps avec Rabastan… Du moins ce sont les paroles d'Arkwood. Casper s'énerve à chaque fois qu'il me récupère au bord des larmes après que nous nous soyons pris le bec et je me sens vite perdue. J'ai l'impression de manquer de respect à l'homme que j'aime, comme il ne cesse de me le répéter ; tout en perdant peu à peu de ce précieux libre arbitre que Casper m'enjoint à conserver. Rabastan, pour sa part, ne dit rien et m'affirme comprendre lorsque je décline une séance pendant laquelle j'aurais sans doute réussi davantage à ouvrir mon esprit à la magie.

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La fin de l'année arrive enfin rapidement et ma relation avec Arkwood se dégrade à mesure que les semaines ensoleillées passent. Nous recommençons à nous affronter à coup de sorts dans les couloirs, pour nous réconcilier ensuite sous ses draps ou sous les miens, sans que rien ne soit résolu, ni dans un sens ni dans un autre.

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Lorsque le dernier jour de l'année arrive, je suis usée. Mais également déçue car je n'ai pas pu avancer plus sur mon ressenti auprès du flux. Je passe ce dernier jour avec Rabastan à écrire des kilomètres de conseils sur un parchemin que je rallonge d'un sort à chaque heure. Nos amis s'amusent au bord du lac ou sur le terrain de Quidditch, mais pas nous. Nous qui partageons ce secret si incroyable, si précieux et qui nous rapproche comme deux aimants contraires dont les pôles tourneraient les uns autour des autres sans jamais vouloir se toucher.

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Lorsque nous prenons enfin le train de retour, notre peine est grande à tous de quitter nos amis, mais nous nous promettons de nous écrire, de nous voir et de ne jamais nous oublier. Durant le trajet, Casper organise son futur voyage en Nouvelle Zélande avec Aaron tandis que Galaad et Jasmine parlent confection de sort et que, de mon côté, je regarde le paysage défiler. Rabastan m'accompagne dans cette contemplation attentive et il tend bien vite sa main vers moi pour que je la prenne.

-Allez, Alya, une dernière fois, me dit-il en fermant les yeux pour se concentrer.

J'acquiesce et fais de même pour ressentir la magie passer à travers ses doigts. Depuis quelques jours, nous avons découvert que nous étions capables de transmettre un peu de flux que nous façonnons comme nous le pouvons. Nous le faisons ensuite passer à travers nos bras pour que l'autre le réceptionne et le renvoie à son partenaire. Rabastan appelle cela l'exercice du rebond et je n'ai pas cherché à trouver un nom moins moche.

De toute façon, je suis si fatiguée dans mon corps et dans mon âme que plus grand chose ne m'atteint. La magie est devenue beaucoup trop importante dans ma vie et, sans m'en apercevoir, la recherche constante de ce flux si précieux a commencé à régir ma vie en laissant le reste derrière.

Et le reste porte le nom de Doyle Arkwood.

Sa jalousie, ses colères, sa volonté de me séparer de mes amis et notamment de Rabastan... tout cela a rongé ma patience et je l'ai quitté la veille. Étrangement, il m'a juste dit que je reviendrais vers lui un moment où un autre. Et vous savez quoi ? Je sais qu'il a raison.

Car lorsque la magie s'en va, le vide revient. Ce gouffre incroyable qui creuse votre poitrine lorsque celui que vous aimez n'est pas près de vous. Ce creux que vous n'aviez jamais remarqué jusqu'à présent et que vous combliez inconsciemment par un tas d'autres trucs. Je sais que Doyle m'est devenu aussi indispensable que cette magie incroyable et je crois bien que l'inverse est vrai.

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Lorsque nous descendons du train, je le vois s'avancer vers moi à pas pressés et m'écarter du groupe en me prenant par la taille. Ses gestes, sa peau, son odeur, ses yeux durs, tout me donne déjà envie de revenir sur ma parole et de l'embrasser ici et maintenant. J'ignore s'il perçoit mon trouble, car il tourne un regard amusé vers le train en me désignant un wagon en particulier.

-Un cadeau pour toi, petite souris, me dit-il sans une once de colère dans la voix.

Cela me surprend, mais je ne prends pas le temps de creuser la question car des exclamations stupéfaites se font vite entendre. Arkwood rit et me serre davantage sans quitter le quai des yeux. Enfin, un mouvement de foule nous fait entrevoir l'origine du chahut et un juron sonore s'échappe de ma bouche.

Devant les marches du train, Burke et ses amies se pressent les unes aux autres tandis que leurs vêtements viennent tout juste de disparaître. Des plumes jaunes sont apparues sur leur derrière et des rires fusent de la part des élèves présent dans la gare. Je ris à mon tour en les regardant se cacher derrière leurs grosses valises avec des cris suraigus et vois Arkwood se tourner vers moi. Il m'embrasse ensuite avec fougue et disparaît dans la foule avec un dernier clin d'œil complice.

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Je ne l'avais pas compris sur le moment, mais c'était la dernière fois que nous échangions un véritable baiser rempli d'amour passionné. Sans jalousie ni ressentiment, sans que ses dents ne mordent mes lèvres et sans que mes ongles ne s'enfoncent dans la peau de son dos.

Oui, car nous nous sommes revus. Durant cet été caniculaire fait de soirées entre élèves au bord du lac et de barbecues avinés. Comme il l'avait prédit, je suis revenue bien vite dans ses bras car Casper n'était plus là pour me gronder. Il n'était plus là non plus lorsque nous nous engueulions et je ne voulais pas embêter Jasmine avec mes peines de cœur.

Elle avait ses propres problèmes à régler.

En ce qui les concerne, Rabastan et elle passèrent leur été dans la maison secondaire des Tio afin de fuir les représailles de la famille Rowle. Comme mon père l'avait affirmé, il aida au mieux mes deux amis qui peinaient à trouver leur place dans cette société et tous deux lui en furent extrêmement reconnaissants.

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Lorsque Septembre arriva, Rabastan s'était trouvé un poste dans une grosse entreprise d'import-export bossant avec le marché sud-américain et Jasmine dû se résoudre à revenir à Poudlard en sachant qu'ils ne se verraient pas pendant toute sa scolarité. Pour ma part, Arkwood m'avait fait promettre de lui écrire et m'avait assuré qu'il viendrait me voir autant de fois qu'il le pourrait. Casper - qui était revenu entre-temps - ne cessait de me réprimander et c'est donc avec un moral plus bas que l'élastique de mes chaussettes que j'entamais ma dernière année d'étude.