30 août 1507 : deux mois se sont écoulés depuis mon premier dialogue avec Kalinago. Deux mois riches en émotions, pendant lesquels j'ai pu en apprendre bien plus sur cette magie indigène.

Le mois de juillet se déroula d'abord de façon assez calme. Aloi et Soualiga me rendaient visite régulièrement, parfois accompagnés par le sorcier. Celui-ci voulait en savoir plus sur ma magie, et nous arrivâmes rapidement à un accord. Lui m'apprendrait ses secrets d'homme-médecine, ou chaman dans la langue Arawak. De mon côté je lui en dirais plus sur la magie européenne.

A vrai dire le marché m'était très favorable. Sans baguette, et ne sachant pas lire mes grimoires, Kalinago ne risquait pas d'apprendre quoi que ce soit d'important. Je répondis cependant de mon mieux à ses questions, lui faisant parfois aussi des démonstrations. Même un simple Wingardium Leviosa semblait l'impressionner.

Je lui expliquais également comment notre savoir était transmis à travers les générations grâce à l'écriture. Puis, dans un élan de générosité, je lui offris un magnifique livre sur les talismans, ainsi qu'un superbe pendentif argenté en forme de croissant de lune, pour le protéger des mauvais esprits.

Quant à lui, il me montra comment repérer les herbes qui guérissent, et comment les appliquer sur chaque type de plaie. Sans baguettes, ne pouvant pas lancer de sortilèges, Kalinago et les siens avaient développé une toute autre approche de la magie. Plus encore qu'une maîtrise de la botanique, le chaman avait développé une sensibilité extraordinaire : il savait toujours où trouver chaque herbe, jusqu'aux plus minuscules, comme s'il était guidé par un sixième sens. Depuis des mois que j'arpentais l'île, je n'avais vu aucune plante magique, non pas parce qu'il n'y en avait pas, mais parce que je ne savais pas où regarder.

Ce qui passait à première vue pour un paysage banal recelait des trésors cachés. Kalinago m'apprit à observer patiemment, et bientôt je m'émerveillais devant la diversité des orchidées lunaires et des fleurs-papillons. Ces dernières, indiscernables des autres fleurs la plupart du temps, mais qui, dans les derniers rayons du soleil couchant, prenaient leur essor comme de minuscules insectes aux couleurs chatoyantes.

Je récupérais dès que possible des graines des ces plantes magiques, au cas où elles puissent être utiles à nos guérisseurs anglais. Je fis cependant l'erreur de vouloir semer quelques « haricots magiques » dans un petit carré de terre près de mon campement. Au matin, un tronc énorme montait jusqu'aux nuages, des feuilles gigantesques masquaient le soleil. Des gousses de près d'une tonne se balançaient dans le vent, menaçant d'écraser ma tente en contrebas.

Je passais la journée à corriger le tir à coup de sortilèges de rétrécissement, en essayant d'ignorer le rire moqueur d'un oiseau rouge et or, qui volait paresseusement à quelque distance. Après cet incident, je décidais d'être plus prudent avec les graines.

Au-delà des plantes, nous vîmes plusieurs créatures magiques. Tout d'abord des sortes de méduses bleu vif, que Kalinago pêchait pour en extraire un antidote puissant contre toutes sortes de poisons. Puis, vers l'intérieur de l'île, de petits mammifères ressemblant à des rongeurs, mais pourvu d'une corne sur le front. Amusé, je pensais à nos licornes des forêts anglaises : sur cette île dépourvue de chevaux, on ne trouve pas de licornes, mais des rats cornus… Des licornes se plairaient-elles sur l'île ? Pourquoi pas, après tout, les Espagnols avaient bien réussi à y acclimater des chevaux…

La créature suivante, cependant, fut un vrai cauchemar. Ces bestioles, que Kalinago appela « Amonhana » et que je surnommais « saleté de moustiques magiques » n'étaient pas affectées par mes répulsifs à moustiques, et venaient nous sucer le sang par essaims entiers. Malgré les dires de mon guide, comme quoi leurs piqures aidaient à purifier le corps des toxines, je n'étais pas convaincu. Se débarrasser d'un poison, d'accord, mais s'il fallait se faire vider de son sang dans l'opération, je ne voyais vraiment pas l'intérêt.

Heureusement, cette engeance ne vivait qu'aux abords de certaines grottes, et je me promis de ne jamais m'en approcher.

Le temps passant, je comprenais de mieux en mieux l'Arawak, et mon apprentissage se fit plus rapide. Tous les deux ou trois jours, je continuais d'échanger par « hibou-portoloin » avec ma famille, et le mois de juillet finit par s'écouler tranquillement, sans aucun signe de mon agresseur de la Cibao.

La seule ombre au tableau venait de Soualiga. Le jeune Indien s'impatientait, rongeait son frein. Déçu par notre expédition précédente, pressé d'agir pour retrouver ses proches, il ne passait pas une journée sans me demander :

« Alors ? Quand est-ce qu'on y retourne ? Tu as promis, tu te souviens ? »

Et c'était vrai, je lui avais promis de revenir vers les mines, de l'aider à faire s'échapper d'autres prisonniers. Mais c'était avant. Avant que je ne sache la vallée surveillée par un puissant mage Espagnol.