Mot de l'auteur
/!\ Cette histoire est une réécriture en version boy x boy de "La quête des Livres-Monde" de Carina Rozenfeld, l'histoire et les personnages lui appartiennent ! Les livres peuvent être acheter sur amazon, fnac et en librairie ! (Environ 5 à 14 euros le livre et environ 30 euros l'intégrale) pour soutenir l'auteur et la financer dans ses projets ! /!\
PS : Les personnages autres que Nathan, Zayn, Lia et Aela ne m'appartiennent pas ! Ils sont de Carina Rozenfeld, une écrivaine très talentueuse que j'admire !
C'est la plus vaste de la planète. La plus mystérieuse aussi, car personne n'a réussi à en percer tous les secrets, en raison de son immensité et de sa densité. La forêt des Palpates. Évidemment, le défrichement en a fait disparaître une bonne partie, mais elle a su conserver malgré tout ses secrets. Le moyen le plus « simple » d'en découvrir une partie est de prendre un bateau et de remonter le fleuve Piax, qui la coupe en deux sur une petite étendue. De là, on peut remonter quelques bras de rivière asséchés ou non. Ceux qui sont encore à flot se transforment en marécages bourbeux et dangereux, au fur et à mesure que les racines des arbres gigantesques de la forêt se mêlent à l'eau. Terre, cailloux, feuilles mortes, racines filandreuses, tous ces éléments transforment les petits torrents en labyrinthes de sables mouvants infestés d'insectes et de pièges.
Si on part à pied par les canaux desséchés, on aura plus de chances de découvrir les merveilles des Palpates. Des animaux endémiques aux allures incroyables. Prenez le grimtu, par exemple. C'est une créature fascinante au pelage couvert de points phosphorescents. À la nuit tombée, on les voit briller dans les branches et se déplacer à toute allure, formant des nuées de feux follets. Chaque animal présente une implantation de points différente qui participe à son identité. En vieillissant, de nouvelles tâches apparaissent et semblent être le symbole de l'expérience de chaque individu.
Il y a aussi les roborèzes, que l'on pourrait comparer à des papillons géants d'au moins un mètre d'envergure. Leurs couleurs sont ahurissantes, bariolées, violentes, à l'image de leur environnement. Quand ils meurent, ils se posent sur le tronc d'un roboratien, qui sont les arbres les plus gigantesques de la planète. Et, au fil du temps, leurs ailes, restées ouvertes, se fondent dans l'écorce pour finir par en constituer une couche. C'est pourquoi les troncs des roboratiens sont recouverts eux aussi d'éclats colorés incroyables, qui créent des formes étranges et souvent effrayantes à travers le feuillage dense des Palpates. Je pourrais parler des heures de cette forêt, que j'ai la chance d'avoir vue durant une expédition sur les traces de la civilisation mtopée. Mais, pour décrire la richesse et la diversité incroyables des Palpates, il me faudrait des cahiers entiers et je n'ai ni le temps ni l'énergie de me consacrer à un tel travail. Espérons qu'elle bruissera à nouveau de son chant de feuilles et de branches parcourues par le vent quand Chébérith sera recréé. J'y retournerai me perdre. Elle m'a envoûté et continue de m'appeler depuis les limbes de l'oubli...
Zayn posa le carnet de Mélior quand le téléphone sonna. Le nom de Nathan s'afficha sur l'écran et il s'empressa de décrocher, persuadée qu'il l'appelait pour lui annoncer que Lodan avait terminé sa traduction. Mais la voix de son ami n'était ni à la fête ni à l'enthousiasme.
- Nath, qu'est-ce qu'il se passe ?
- L'Avaleur de Mondes a attaqué encore une fois.
- What ?
- Et il s'en est pris à ma mère…
Nathan raconta l'épisode dramatique qu'il avait vécu un peu plus tôt dans la journée.
- Elle sait tout, maintenant. Elle a vu mes ailes et elle a partagé ses pensées avec le monstre. Chébérith, les Livres-Monde... C'est bon, je n'ai plus besoin de lui mentir pour la suite de notre aventure...
- Comment elle l'a pris ? chuchota Zayn, encore sous le choc des révélations de son ami.
- Elle, plutôt bien. C'est mon père qui a du mal à s'en remettre. Parce que, évidemment, on a eu un conseil de famille pendant le dîner. La salle de bains est détruite, il a bien fallu tout lui expliquer...
- Mince... Il te parle toujours ? Enfin, je veux dire...
Nathan resta silencieux quelques secondes et Zayn en profita pour éteindre la lampe de chevet. Dans le noir de sa chambre, il avait l'impression que Nathan était près de lui et ça le réconfortait.
- Oui, il me parle, mais ça lui a fait bizarre. Il a regardé mes ailes sans rien dire un long moment, puis il m'a posé plein de questions.
- Quel genre de questions ?
- Bah... Sur Chébérith, pourquoi je ne leur avais rien dit avant, s'il y en avait d'autres comme moi... Et il m'a demandé si on pouvait se faire greffer des ailes sur Chébérith.
Zayn ne put s'empêcher de pouffer de rire.
- Really ? Il a dit ça ? Pourquoi ?
- Je ne sais pas trop. Ma mère l'a fixé avec son regard de tueuse... Enfin, bref, c'était très bizarre. Depuis, je suis enfermé dans ma chambre et je n'ose pas en sortir de peur de les recroiser.
- Ça va se tasser, laisse-les digérer tout ce qu'ils ont appris. Je suis sûr que dans quelques jours tout sera redevenu à peu près normal.
- Oui, aussi normal que depuis le jour où mes ailes sont sorties ! Je ne crois pas que ma vie sera normale à nouveau. Enfin, dans le sens où elle l'était avant. Ça sera un autre genre de normalité, je suppose.
Zayn aurait voulu être avec Nathan. Il l'aurait réconforté, aurait passé une main sur sa joue. Il mourait d'envie de le toucher, qu'il le touche, qu'il le prenne dans ses bras. Il était tellement protecteur qu'on devait se sentir en sécurité tout contre lui... Devinant la rougeur qui envahissait ses joues à ces pensées, il répondit, avec une légère précipitation :
- Tu veux que je vienne te voir ?
Il entendit Nathan soupirer dans le vide de sa chambre.
- Franchement ? J'adorerais. J'aurais bien besoin que quelqu'un me fasse un câlin et me réconforte...
Le cœur de Zayn s'accéléra dans sa poitrine. Lui aussi voulait être dans ses bras. Il se redressa d'un bond, prêt à s'envoler par la fenêtre pour le rejoindre, même à cette heure avancée de la nuit.
- Mais il est trop tard et je ne voudrais pas que tu te balades seul dans les rues de Paris à cette heure-ci.
- Je ne vais pas me balader dans les rues de Paris, je vais voler !
- Je sais bien, mais l'Avaleur de Mondes rôde peut-être encore et je ne veux pas que tu prennes de risques. Cette nuit, je crois qu'il est plus raisonnable de rester chez nous, au cas où.
Le jeune homme se recoucha sur son lit, dépité, mais Nathan reprit, en chuchotant cette fois :
- Zayn...
- Yes ?
- Merci d'être là. Et, tu sais ? Des nuits tous les deux, on en aura, j'en suis sûr. J'en ai envie...
Cette fois, il eut l'impression d'être tellement mou qu'il s'enfonçait dans son matelas, ayant perdu toute consistance.
- Moi aussi, répondit-il sur le même ton.
Il entendit presque le sourire de son ami au bout du fil.
- Je vais tenter de dormir maintenant, et j'espère rêver de toi.
- Si tu me dis des choses comme ça, je ne vais jamais réussir à dormir.
- On se voit très vite.
- Bonne nuit, Nath.
- Bonne nuit, Zayn.
Ils raccrochèrent. Les yeux rivés sur le plafond, la poitrine gonflée de bonheur, Zayn dit à la nuit :
- Je ťaime, Nath.
Quand le numéro étranger s'afficha sur l'écran du téléphone d'Aela, elle sursauta légèrement. Ses mains se mirent à trembler et c'est avec un léger frisson qu'elle décrocha.
- Allo ?
- Léa ? C'est Lodan.
Elle aurait voulu pouvoir lui dire « je sais », mais ce qui était acceptable avec ses copines ne passerait pas avec un Chébérien de l'âge de son père qui vivait de l'autre côté de la planète.
- Bonjour, Lodan.
Elle aurait préféré qu'il rappelle à un moment où ils étaient tous ensemble, que ses amis puissent écouter ce qu'il avait à lui dire. Pourquoi s'adressait-il à elle ? Pourquoi pas à Zayn ou à Nathan ? Cette aventure était la leur plus que la sienne. Elle se considérait un peu comme une pièce rapportée, même si sa décision de rejoindre l'équipe et de s'impliquer était sincère.
- J'ai pris le temps d'éplucher le carnet de Mélior, annonça t-il sans s'embarrasser de politesses. J'avoue que j'ai été très touché de découvrir ses mots, ses pensées, ses souvenirs. J'ai retrouvé le Chébérith que j'ai connu et qui me manque, à travers ses descriptions.
Il marqua une petite pause. Aela, qui n'avait pas lu ce fameux carnet en entier, laissa le silence planer entre eux. Lodan reprit rapidement :
- J'ai bien évidemment pris le temps de me concentrer sur toutes les parties écrites en chébérien qui font mention des Livres-Monde. Je les ai traduites et je vais vous les envoyer par mail.
- Vous avez déniché l'indice qui nous permettrait de retrouver le dernier livre ?
Lodan sembla hésiter et Aela se sentit s'engourdir alors que les battements de son cour ralentissaient.
- Non... Je suis désolé. Il n'y a rien à ce sujet. J'ai bien repéré les indices dont vous m'aviez parlé, qui vous ont permis de retrouver les deux premiers livres, mais rien sur le troisième. Je ne comprends pas. Je vous assure que j'ai vérifié plusieurs fois, j'ai cherché des codes cachés, comme celui des numéros de page qui étaient en fait des glyphes de la civilisation mtopée. Mais je n'ai rien trouvé. Rien du tout. J'ai tout cherché, tout envisagé. Je suis désolé. Vraiment. Pour vous, qui vous êtes donné tant de mal, mais également pour nous, qui perdons l'espoir de revoir notre monde.
Sa voix se brisa sur les derniers mots. Aela sut qu'il disait vrai. Il n'avait aucun intérêt à leur mentir ni à faire une croix sur Chébérith. Quelques jours auparavant, suite à leur première conversation sur Messenger, ils lui avaient donné de l'espoir en lui faisant miroiter l'inimaginable : une porte vers son monde, la chance de le recréer à l'identique, afin que lui et les siens puissent en retrouver chaque merveille, chaque parfum, chaque couleur. Et cette porte se fermait brutalement, leur claquait au nez comme pour les narguer.
Aela sentit son cœur se transformer en pierre et tomber jusque dans ses talons. Sa bouche s'assécha alors que ses yeux s'humidifiaient.
- C'est impossible... Ça n'a pas de sens...
- Peut-être que Mélior s'est effacé avant d'avoir pu retranscrire cette information ? hasarda le Chébérien.
Aela fouilla sa mémoire. Nathan lui avait tout raconté dans le détail, et il y avait quelque chose qu'il avait dit à ce sujet...
- Non, Mélior est allé voir Eyver pour lui annoncer que les trois livres avaient été cachés. Je suis certaine de cela.
- Alors il y a un problème. Il s'est passé quelque chose entre le moment où Mélior a fini de rédiger son carnet et le moment où vous l'avez récupéré.
- Certainement, oui...
Lodan soupira bruyamment. On sentait qu'il se faisait violence pour ne pas laisser exploser sa déception et son chagrin.
- Je vais appeler Nathan et Zayn, dit Aela. Je vais leur annoncer la nouvelle. C'est eux, bien plus que moi, qui sont impliqués dans cette quête. Peut-être qu'ils sauront quoi faire.
Elle espérait arriver à simuler un semblant d'optimisme, alors qu'elle n'en ressentait pas une once. Non, elle était comme Lodan : persuadée que l'aventure s'arrêtait. Que tous les efforts fournis pour retrouver les deux premiers livres n'avaient servi à rien. Que le sacrifice d'Eyver avait été vain. Et que son père était mort pour de bon.
Lodan reposa le combiné du téléphone lentement, comme s'il voulait reculer le plus possible la fin de cette histoire. La première fois qu'il avait parlé à ces jeunes, un espoir fou avait éclos dans sa poitrine, comme une belle fleur lumineuse. Son monde, Chébérith, allait être sauvé, recréé, et lui et sa famille, exilés depuis tant d'années, pourraient retourner chez eux. Enfin. Le village dans lequel il vivait, au Pérou, était habité par les Chébériens qui s'y étaient installés près de trente ans auparavant et s'était agrandi avec les années : des mariages, des naissances, des enfants ailés étaient nés, d'autres, fruits d'amours avec des Terriens, sans ailes. Au départ, ils n'étaient qu'une dizaine, mais maintenant leur petite communauté isolée, presque cachée dans ce coin du Pérou, comptait une centaine de personnes de tous âges. Lodan et son frère Riguel faisaient partie des plus anciens.
Les enfants nés ici entendaient parler de Chébérith tous les jours. Dans les conversations quotidiennes de leurs parents, de leurs voisins, mais également en cours, dans la petite école créée au village. On leur apprenait l'histoire de la Terre, celle des hommes, mais aussi celle de Chébérith. Assis derrière leurs pupitres en bois, ils découvraient un monde où chacun possédait des ailes, où le ciel était mauve, habité par deux lunes, une blanche et une rose. Ils apprenaient la révolution de Mortbige, qui avait libéré les peuples de l'autre côté de l'océan, la découverte du mirage de l'Igée, une cascade d'une hauteur de plusieurs centaines de mètres dans laquelle des images belles et mystérieuses défilaient, se formant dans les remous de l'eau. Des images venues d'où ? de qui? on l'ignorait encore.
Un monde disparu et pourtant tellement vivant dans la mémoire de tous ceux qui y avaient vécu et qui, malgré leur acclimatation à la Terre, regrettaient chaque jour la mort de Chébérith et de toutes ses merveilles.
Et voilà que, durant quelques jours, Lodan avait tenu entre ses mains la solution. Le carnet de Mélior, les mots qu'il contenait et qui faisaient revivre la mémoire d'un homme effacé depuis longtemps mais qui avait porté lui aussi le souvenir de sa planète. Un homme qui aurait dû déposer entre les lignes la clef du retour.
Ces jeunes, Zayn, Nathan, Lia et Aela, étaient bien sympathiques, et surtout très courageux. Ils avaient déjà retrouvé deux Livres-Monde, affrontant le même danger que celui qui avait anéanti une planète entière. Et ils avaient réussi. Contre toute attente, alors qu'ils n'étaient qu'une poignée face à une entité destructrice aussi ancienne que l'univers lui-même, ils avaient réussi. Cela tenait du miracle et, pour lui, ces victoires inconcevables représentaient le signe que Chébérith devait renaître un jour. Au départ exalté par la lecture des pages que Zayn lui avait scannées et envoyées par mail, il avait fini par déchanter. Alors qu'il avançait dans sa lecture il avait dû se rendre à l'évidence : aucune mention du troisième et dernier livre, en dehors de sa description - un livre doré à la couverture ornée d'une spirale - et de son rôle. Il contenait les puces renfermant l'histoire de Chébérith à travers l'intégralité des chroniques de ce peuple multimillénaire. Mais également, et c'était le plus précieux aux yeux de Lodan, dans ce livre se trouvait le mécanisme permettant d'activer le système qui devait réécrire Chébérith, de le ressusciter, d'inventer son futur. Le Livre du Temps.
Mais il n'y avait rien d'autre. Rien du tout, pas la moindre indication de sa cachette, pas le moindre indice pouvant les aider à les mettre sur la voie. En arrivant à cette conclusion, il s'était félicité de n'avoir mis personne d'autre au courant, même pas Riguel, à qui il confiait pourtant tout depuis leur plus jeune âge. Il avait eu peur que la bonne nouvelle se propage dans le village comme une traînée de poudre, que l'espoir prenne trop de place dans les esprits et que les tâches de chacun passent au second plan, dans l'attente du retour de Chébérith.
Il n'avait rien dit, et c'était mieux ainsi. Il ne pouvait imaginer l'affliction dans laquelle ses compatriotes seraient plongés à présent. Lodan avait gardé sa joie pour lui, comme un trésor précieux, un secret à chérir jusqu'au jour où il serait capable de le partager avec d'autres, il ferait de même avec sa déception et sa souffrance.
Lentement, il rangea la pile de feuilles qu'il avait imprimées dans le tiroir de son bureau, qu'il verrouilla. Il enfouit la clef dans la poche de son bermuda, et, comme au ralenti, il se leva et sortit de chez lui. C'était le matin, ici. Le soleil commençait tout juste à se lever, faisant surgir de l'ombre les reliefs montagneux et les teintes grises du sol. Un paysage que Lodan admirait tous les matins depuis des années. Aujourd'hui, il n'y avait pas de brouillard, cette fameuse garúa qui obstruait le ciel tout l'hiver entre les mois de mai et septembre. Ce serait une belle journée, une des rares de la saison. Il soupira en faisant quelques pas dans le village encore endormi. Les petites maisons hétéroclites étaient nichées le long d'un cours d'eau qui descendait de la cordillère des Andes, dans un site difficilement accessible. Une route cahoteuse et poussiéreuse reliait les hauteurs où il se cachait à la plaine désertique, et c'était tout. Mais cet isolement était volontaire. Chez les Chébériens, on n'aimait pas trop les visites, car en ce lieu, dernier bastion de la civilisation disparue, on se promenait librement, y compris dans les airs...
Lodan lui-même portait un débardeur blanc qui laissait ses immenses ailes blanches libres de tout mouvement. Il pouvait s'envoler quand il le voulait. Mais aujourd'hui, sans la garúa, il faudrait être plus prudent. En effet, la brume, si elle masquait le soleil, les protégeait également des regards indiscrets. Parfois, des avions de tourisme survolaient la région et il leur fallait alors redescendre se cacher sous les auvents des maisons à toute allure.
Chaque petite habitation était entourée d'une profusion de verdure : des fleurs multicolores qui dégoulinaient des fenêtres, des pots suspendus sous les avant-toits, des buissons touffus..., leur petit monde était charmant, chaleureux. Malgré le manque de Chébérith, Lodan aimait cet endroit où ses enfants avaient grandi, où il avait enterré sa femme, partie trop tôt. Ils étaient heureux, et il valait mieux que personne ne sache qu'un retour aux origines avait été presque possible. Autant apprécier ce que l'on avait et continuer à sourire à la vie plutôt que de vivre dans les regrets permanents. Les enfants nés ici ne connaissaient rien d'autre que la Terre, et un jour tous les Chébériens nés là-bas disparaîtraient, arrivés au bout de leur chemin. La vie continuerait et les derniers êtres ailés devraient continuer ici, comme ils le faisaient depuis trente ans. C'était aussi bien.
Ces arguments tournaient dans sa tête, il se les répétait afin de se convaincre que oui, c'était bien. Mieux. Presque, en tout cas. Peut-être que, s'il se le répétait suffisamment souvent, il finirait par y croire vraiment.
Allez, il devait se ressaisir ! Ses recherches n'étaient pas terminées et une nouvelle journée sur le terrain l'attendait. Il avait juste le temps de se préparer un café avant de grimper à bord de sa jeep et d'aller ramasser de nouveaux échantillons...
- QUOI ? hurla Lia.
- Ce n'est pas la peine de crier, le reprit Zayn. On a tous bien entendu, je crois.
- Mais je ne peux pas y croire. C'est impossible.
Aela haussa les épaules.
- Tu n'es pas la seule à ne pas y croire. Je ne vous raconte pas la tête que j'ai dû faire quand Lodan m'a annoncé la nouvelle.
Tous se tournèrent vers Nathan comme s'il détenait secrètement la solution. Mais le jeune homme resta silencieux, le visage fermé, et croisa ses bras devant sa poitrine.
- C'est la cata, finit-il par dire d'une voix sourde. La cata totale. J'avais tellement cru à cette nouvelle chance qui s'offrait à nous...
Il soupira et se tut, dévisageant chacun de ses amis l'un après l'autre.
- Et on a un autre problème.
- Quoi encore ? demanda Lia.
Visiblement, les effets du mémo que Jérôme lui avait injecté ne s'étaient pas dissipés. Elle était toujours aussi survoltée, comme si elle avait bu trente tasses de café d'affilée.
Nathan entreprit de raconter à Lia et Aela ce qui s'était passé dans sa salle de bains deux jours plus tôt. L'attaque de l'Avaleur de Mondes, la découverte que sa mère avait faite. Nathan, quant à lui, continuait à trouver que sa vie avait pris une tournure encore plus étrange, maintenant que son père le scrutait tous les jours d'un air bizarre.
- Ma mère m'a expliqué qu'il était jaloux de mes ailes. Non, mais vous vous rendez compte ? Mon père a dix ans d'âge mental ! conclut-il.
- J'ai toujours su que ton père et moi avions beaucoup de points communs, dit Lia en faisant une petite grimace.
Zayn souffla d'un air énervé. Tout cela, ce n'étaient que des broutilles à ses yeux.
- Ça lui passera. Ce qui est le plus grave, c'est que l'Avaleur de Mondes a décidé de s'attaquer à nos proches. Ben a déjà reçu son injection de mémo, les parents de Nathan aussi, maintenant. Il reste les tiens, Lia, étant donné que, pour le moment, ceux d'Aela sont loin d'ici.
Lia se redressa, les yeux arrondis comme des soucoupes.
- Quoi ? Qu'est-ce que j'entends ? Tu veux que mes parents reçoivent du mémo ? Et comment je suis supposée leur expliquer la situation? Comment leur expliquer pourquoi on va leur faire une piqûre d'un produit dont on ne connaît pas les effets secondaires ? Vous n'êtes vraiment pas bien dans votre tête ?
- Zayn a raison, souligna Nathan. On n'a pas le choix. Toi-même, tu as eu l'honneur de recevoir l'Avaleur de Mondes dans ton crâne pendant quelques minutes, et tu as vu ce qu'il fait, alors même que tu étais protégée. On ne peut pas prendre de risques.
Pour une fois, Lia resta silencieuse. Elle se renfrogna en se rasseyant.
- Bon, on fait quoi maintenant ? demanda Zayn. On abandonne ?
Tous les regards se tournèrent vers lui. Zayn, celui qui n'abandonnait jamais, qui avait une volonté de fer, celui qui était le plus décidé de tous depuis le début, qui se considérait comme un ange de la vie, Zayn osait poser la question fatidique.
- Je ne peux pas admettre que ce soit terminé, murmura Nathan en secouant la tête. Non, je ne peux pas. C'est impossible. Il nous manque quelque chose. Eyver me l'a bien précisé, Mélior lui avait déclaré que tous les Livres-Monde avaient été cachés et qu'il avait consciencieusement consigné dans son carnet les informations nécessaires pour les retrouver.
- Peut-être que le mémo l'a conduit à oublier de le faire mais qu'ensuite il était persuadé d'avoir tout indiqué ? hasarda Zayn.
- Non, non et non. Je refuse de m'avouer vaincu.
Ce fut au tour de Nathan de se lever, comme s'il voulait donner plus de poids à ses paroles.
- Je suis convaincu, en effet, que Lodan n'a rien trouvé. Je ne crois pas qu'il nous ait menti ou qu'il nous cache quelque chose. Mais, s'il n'a rien trouvé dans le carnet, c'est que l'information se trouve ailleurs. Il nous manque une donnée.
- Laquelle ? l'interrompit Aela.
- Je ne sais pas encore. Je dois y réfléchir. Je vais en parler avec Jérôme. Peut-être qu'Eyver lui a dit quelque chose, à un moment, qui ne semblait pas important mais qui va nous paraître essentiel maintenant.
- Je suis d'accord avec toi, Nath, approuva Zayn. Moi aussi, ça me paraît étrange qu'on ne trouve rien. Mélior n'aurait jamais abandonné, jamais. On le sent quand on le lit. Sa volonté, son amour pour son monde, sa femme, sa famille, tous ces éléments étaient assez puissants en lui pour le faire tenir jusqu'à la dernière minute, tout comme le fait Eyver. Ce ne sont pas des hommes à abandonner leurs proches. Ils n'auraient jamais laissé sombrer dans l'oubli des millions de vies. Je le sais, je le sens, parce que nous-mêmes, autant que nous sommes, nous sommes animés par la même flamme, n'est-ce pas ? Malgré les difficultés, malgré l'Avaleur de Mondes, nous ne lâchons rien, et il nous paraît impossible que Chébérith ne soit pas recréé un jour.
Le discours de Zayn avait galvanisé toute l'équipe. Lia s'était levé à son tour, les yeux d'Aela brillaient. Non, ils ne se laisseraient pas abattre. Des obstacles, ils en avaient rencontré depuis le début de cette aventure. Nathan dégaina son téléphone et appela Jérôme. Ils éplucheraient chaque parole d'Eyver s'il le fallait, mais ils finiraient par trouver le détail qui leur manquait.
