Juliet

— Vous en êtes bien certaine, Juliet ? me demande une dernière fois Dumbledore en plissant les yeux.

Je tourne la tête vers Adrian, assis à côté de moi en face du bureau du Directeur de Poudlard. Après avoir brièvement expliqué la situation au vieil homme, nous lui avons fait comprendre qu'il est plus que temps de dire au revoir au XXème siècle. Rester ici devient trop dangereux. Surtout pour Adrian qui est à présent l'ennemi public numéro un de Voldemort.

Dumbledore n'est pas stupide, il a compris de lui même qu'un traitre rodait dans ses rangs. Aussi, il a eu la sagesse de ne pas demander de qui il s'agissait puisque dans tous les cas, d'ici quelques minutes il n'aura plus aucun souvenir de notre discussion.

— Oui, acquiescé-je. Certaine.

— Vous comprenez bien tous les deux que vous vivez là vos derniers instants, insiste Dumbledore. À cette époque.

J'échange un nouveau regard avec Adrian puis j'acquiesce, non sans expirer profondément. Oui, je réalise que la situation est critique et qu'accompagner mon fiancé dans son présent est la meilleure option que nous ayons. Mais de là à réaliser que toutes celles et tous ceux que je connais vont disparaître, ça non. Je ne réalise pas.

— On comprend, répond Adrian à ma place, la voix nouée.

— Puis-je savoir de qui vient cette idée ? demande Dumbledore avec scepticisme.

— De moi, avoué-je. Enfin... c'est un commun accord.

— Je n'aurais pas imposé une telle chose à Juliet si elle n'en avait pas été l'initiatrice, ajoute Adrian.

Le Directeur nous scrute attentivement, ses yeux descendant sur la paume d'Adrian posée sur ma cuisse. Il revient vers nous et hoche la tête.

— Aussi folle votre décision puisse l'être, je pense que c'est effectivement la meilleure, obtempère le vieil homme. Compte tenu de la situation, vous devez agir vite. Et surtout nous devons nous assurer que la venue d'Adrian ne perturbera plus l'histoire.

— Que proposez-vous dans ce cas ? demande le brun, la mâchoire serrée.

Je sais que lui et Dumbledore n'ont pas vraiment de très bonne relation. Je n'ai jamais trop compris pourquoi, même en connaissant à présent toute l'histoire. Ce qui est certain c'est que le Directeur est rassuré de savoir qu'Adrian va retourner dans son présent et que ce dernier est plus que pressé d'abréger cette séance.

— Une pluie d'oubli, apprend l'homme en faisant venir jusqu'à son bureau un chaudron en terre cuite.

Je fronce les sourcils et l'observe, curieuse et intriguée.

— C'est un vieil instrument de magie qui permet de déclencher une pluie torrentielle dans tout le pays, apprend le sorcier. Je vais mettre de la potion d'oubli dedans, ainsi toutes les personnes du pays oublieront qui était Adrian Potter et sauront que Juliet Thorn est décédée le même jour que Marlene McKinnon et sa famille.

— Donc nous ne pouvons pas faire nos adieux aux membres de l'Ordre ? percuté-je en pensant aussitôt à Sirius et Lily.

— Si, éventuellement, soupire Dumbledore. Mais ils ne s'en souviendront plus dès que le nuage aura atteint Birmingham.

— Ça nous laisse combien de temps ? coupe Adrian, soucieux.

— Si je le déclenche maintenant, le temps que le nuage se déplace de l'Ecosse vers le sud de l'Angleterre, il faudra compter plus ou moins deux heures. Dès que la pluie d'oubli aura touché la terre ferme, plus personne ne se souviendra de vous, Adrian.

Le brun grimace à mes côtés, comme si un détail l'embêtait.

— Peut-on empêcher que le nuage aille dans une ville en particulier ? demande-t-il en se penchant en avant.

— Oui. Laquelle ?

— Tyneham, dans le Dorset, apprend Adrian. Je veux que Gideon Prewett reste tout de même informé de mes différents... allers et retours. Au cas où quelque chose tourne mal. Je veux qu'il y ait tout de même quelqu'un qui sache qui j'étais.

— Bien. Ce sera fait. Autre chose ?

J'échange un regard avec mon fiancé qui reste relativement calme. Un poids de plomb pèse au-dessus de nos têtes. Voldemort se dédie corps et âme pour le retrouver dans le but de m'utiliser pour le faire parler. Lui comme moi sommes en danger de mort imminente.

— Non, cloue froidement le jeune homme en soupirant.

— Très bien... , sourit Dumbledore en se levant de son siège. Dans ce cas, au revoir Adrian et Juliet.

Il nous tend sa paume que je serre chaleureusement. Adrian l'effleure à peine et croise furtivement son regard comme si le soutenir lui était insupportable.

— Je vous adresse toutes mes félicitations et… soyez heureux.

J'ai un mouvement d'hésitation. Comment a-t-il deviné ? Comment le sait-il ? Serait-il aussi… Legilimens ?

— Ouais c'est ça, grommelle le brun. À jamais.

— Merci, réponds-je pour nous deux.

— Bon voyage, sourit malicieusement le mage en nous adressant un clin d'œil taquin.

Je lui renvoie un sourire poli tout en me relevant. Adrian m'entraine avec lui, une paume posée dans mon dos. Nous nous plantons au milieu de la pièce, le Portoloin dans mes mains.

— Bon… On se donne une heure pour dire au revoir à tout le monde, réfléchis-je. Ça ira comme ça ?

— C'est surtout à toi que je dois poser cette question. T'en es vraiment certaine ? C'est vraiment ce que tu veux ?

— Ça te fait peur ? Que je vienne avec toi ? m'enquis-je.

— Je…

Il se mordille la lèvre d'embarras et se passe une main dans les cheveux avant de se ressaisir et planter ses yeux gris dans les miens.

— Non, je n'ai pas peur pour moi. J'ai peur pour toi et que tu regrettes.

— Je ne regretterai pas Adrian, soufflé-je bien que déterminée. Je refuse de continuer sans toi et rester ici c'est compromettre l'avenir… alors non, je ne regretterai pas. Ça va certainement être dur et compliqué pour moi, dans les premiers temps mais je… j'ai bon espoir. De toute façon tu l'as bien vu, si on veux vivre en paix, on doit fuir. Reg et Olivia l'ont bien compris et s'ils n'étaient pas revenus en Angleterre, ils ne seraient jamais morts. Marlene et Gaige aussi, l'ont compris. C'est la meilleure option que nous ayons. Sans compter que toi, tu as encore une famille qui t'aime et qui t'attend. Moi non, je n'ai plus personne. À part toi. Alors je te suis, sans hésiter.

Le grand brun m'observe avec intensité. Je devine à l'éclat brillant dans ses pupilles qu'il est touché par mon discours mais qu'aussi, je l'ai convaincu. Il s'approche plus encore de moi, prend mon visage en coupe et dépose un doux baiser sur mes lèvres.

— Il semblerait que tu vas rencontrer beau-papa et belle-maman en fin de compte, se moque-t-il en affichant enfin son fidèle sourire en coin.

Je roule des yeux et pouffe de rire.

— Je compte sur toi pour plaider ma cause et affirmer que je ne suis pas une horrible fille qui fait perdre la tête à leur fils !

— Oh mais c'est certain qu'ils te détesteront, se marre-t-il en me faisant une pichenette.

Je me débats contre lui et nous pouffons de rire en chœur, comme des enfants, avant d'être rappelés à la réalité par le raclement de gorge de Dumbledore qui nous observe au bout de son bureau, debout devant le chaudron en terre cuite.

— Le temps presse, jeunes gens, signale-t-il.

— Euh oui… Allons-y.

Je relève les yeux vers Adrian qui m'adresse un sourire confiant. Je crois qu'il réalise peu à peu ce que nous nous apprêtons à faire et l'idée qu'il retrouve son époque et ses proches lui procure une joie immense, clairement visible dans ses iris.

Je joins mes mains aux siennes, attends l'activation du Portoloin puis nous disparaissons du bureau de Dumbledore, pour ne plus jamais y revenir.

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— Oh, souffle Lily en papillonnant des cils. Alors… On ne se souviendra plus de toi, Adrian ?

Attablés dans la salle à manger de l'appartement des jumeaux, tous les membres de l'Ordre que nous avons convoqués en urgence pour des adieux larmoyants nous fixent en silence, secoués par la nouvelle.

— C'est pour votre sécurité, assure le grand brun, debout devant toute l'assemblée. Et pour préserver l'histoire. Voldemort pourrait s'en prendre à vous, vous torturer pour vous faire parler afin d'en apprendre plus sur moi. On ne peut pas prendre ce risque.

Comme toujours, nous frissonons tous à l'entente du nom du Mage Noir et comme toujours, Adrian ne s'en formalise pas, bien trop habitué. Cependant, tous comprennent la situation. James, Lily, Harry, Remus, Sirius, Sturgis, Gideon et Emmeline sont là. Tous nos proches de cette époque. Ils acquiescent tout en soupirant, conscients qu'ils vont vivre ma disparition comme un nouveau deuil.

— Je suis désolée, formulé-je, en proie à la culpabilité.

— Tu déconnes ?! intervient James. Tu as une porte de sortie en or, tu dois la saisir. On t'en voudrait de passer à côté d'une telle chance.

— Je vous aurais bien tous pris avec moi mais… Vous avez votre part à jouer dans l'histoire, grimacé-je.

— Avec un peu de chance, on se reverra dans quatre-vingts ans, indique Sturgis.

J'échange un regard malheureux avec Adrian et je réprime alors une mine crispée. Je baisse la tête et triture mes doigts contre mon ventre. Comment leur dire qu'ils n'ont plus beaucoup de temps à vivre ? Ils vont tous mourir dans les mois qui viennent. Sauf Sirius et Remus qui s'apprêtent à vivre les quinze prochaines années les plus difficiles de leur vie. Emmeline également ne sera pas là lorsque nous réapparaîtront au XXIème siècle puisqu'elle ne survivra pas à la seconde guerre des Ténèbres. Il n'y aura que Sturgis et Gideon qui connaîtront une vie plus paisible. Malheureusement, le grand blond n'aura jamais l'occasion d'aller vivre sa vie de rêve au soleil. D'après Adrian, il meurt aux alentours de soixante-quinze ans après des années de bons et loyaux services auprès du Ministère. En revanche, il retrouvera l'amour et aura deux filles. Gideon aussi, ses meilleures années sont clairement devant lui bien qu'il devra apprendre à composer sans son jumeau.

— Bon… Très bien, comprend James en se raclant la gorge. Alors, on devrait se dire au revoir.

— Oui, approuve aussitôt Lily, soucieuse.

Mon cœur se pince. Tous sont secoués par l'attaque dans les Highlands et pensent Marlene morte. Voilà que je viens rajouter une couche à leur peine en leur apprenant que dans quelques heures, une pluie torrentielle va s'abattre sur Birmingham et qu'ils vont également me penser morte. Ce sera un énième coup dur.

Mais je ne pouvais pas me résoudre à partir comme ça, comme une voleuse. Je ne pouvais pas leur tourner le dos même si j'ai conscience que je dois les abandonner à leur funeste destin.

Mon amie se lève de table et les yeux larmoyants, elle s'approche de moi. Mon cœur bat tellement vite dans ma poitrine que j'ai du mal à respirer. Dans un même mouvement, Lily et moi fondons dans nos bras. Elle a été ma plus fidèle alliée. Depuis toutes ces années, elle, Marlene et Mary ont été mes meilleures amies. Celles à qui je pouvais tout dire, celles avec qui je pouvais rire à en avoir mal au ventre, celles contre qui je pouvais me consoler lorsque nous étions au plus bas.

Le parfum fleuri de Lily me percute de plein fouet alors qu'elle fond dans mes bras. Elle tremble contre moi et je devine son visage baigné de larmes. Lorsqu'elle recule, je récupère son visage en coupe et ancre mon regard navré dans le sien. Ses yeux verts laissent échapper de longues larmes brûlantes qui me paralysent. Je prends sur moi et rassemble toutes mes forces et mon courage pour ne pas craquer.

— Je te souhaite d'être heureuse là-bas, me souffle Lily en me ramenant contre elle. Apprécie un monde en paix pour moi, s'il te plaît.

— Oh Lily…

— Promets-moi que tu profiteras de chaque instant, demande-t-elle, lucide sur le fait qu'elle ne goûtera jamais à cette terre promise. Promets-le-moi Juliet.

— Je te le promets, Lily, baragouiné-je en fondant en larmes.

Nous éclatons en sanglots en même temps et resserrons aussitôt notre prise l'une sur l'autre.

— Tu vas tellement me manquer, avoue-t-elle entre deux expirations chaotiques.

— Toi aussi. Tellement.

Vous allez me manquer.

Je comprends alors qu'elle fait référence à Marlene. Mon cœur se comprime un peu plus et mes sanglots redoublen.t J'aurais tellement voulu lui dire au revoir à elle aussi. L'enlacer une dernière fois comme je le fais en cet instant avec Lily. Et je sais qu'elle aussi l'aurait souhaité. Notre accolade se resserre plus encore et nous fermons nos paupières de toutes nos forces. Mes bras encadrent ses épaules et nous nous mettons à nous imaginer que Marlene est également là. Contre nous. Et que nous nous blotissons toutes les trois l'une contre l'autre.

J'ignore les regards qui se déposent certainement sur nous. Les gars doivent nous observer, le cœur serré également mais je m'en contrefiche de leur œillade ou même de leur jugement. Tout ce qui compte en cet instant précis, c'est mon amie et personne d'autre.

Au bout de quelques instants à se consoler l'une contre l'autre jusqu'à en manquer d'air, Lily s'écarte enfin. Elle dépose ses iris larmoyants sur mon visage et m'adresse un sourire contrit. Je la vois déglutir avec difficulté et passer une mèche de mes cheveux derrière mon oreille. Soucieuse et sérieuse, elle capte mon regard.

— Toi plus que quiconque mérite d'être heureuse, m'assure-t-elle en reprenant son souffle. Tu as vécu tellement de choses. Si dures. Tu le mérites, Juliet. Vraiment.

— Tu ne le mérites pas moins, baragouiné-je. Et puis…

Mes mains se déposent contre son ventre arrondi. Elle pose ses mains sur les siennes et m'adresse un air tendre et apaisé.

— Ma place est ici, assure-t-elle. La tienne là-bas. J'en suis certaine. Ça ne peut en être autrement. Vous êtes faits pour être ensembles. Peu importe l'époque. Et rien ne me soulage plus que de savoir que ma meilleure amie sera un jour, un membre de ma famille. Même si je ne serai pas là pour le voir.

Je déglutis péniblement et acquiesce furtivement. Je n'ai malheureusement pas eu le temps de lui parler de la proposition d'Adrian mais qu'importe. J'inspire et expire profondément, rassemblant mon courage pour tarir mes larmes et mettre fin à ces aurevoirs plus que déchirants.

Confiante, Lily m'adresse un sourire rassurant et s'écarte peu à peu de moi pour revenir auprès de son mari. James, qui porte Harry dans ses bras, passe une main autour de ses épaules tout en m'observant également d'un air serein. Son regard chocolaté va de moi à Adrian, qui reste quelque peu en retrait.

— Je compte sur vous pour assurer la dynastie des Potter, blague le grand brun.

Moi et tous les autres nous esclaffons. Je roule des yeux tout en séchant mes larmes et viens vers lui. Il confie le bambin à sa femme pour me réceptionner contre lui.

— T'es con, pouffé-je.

— Lily a raison, tu seras bien là-bas, assure-t-il en me berçant délicatement contre lui.

Je prends sur moi pour faire bonne figure. Honnêtement je ne sais pas à quoi m'attendre de cette époque et je ne préfère pas y penser pour l'instant. Tout ce qui importe, ce sont mes aurevoirs avec mes amis.

Des bras de James, je passe à ceux de Sturgis qui me décolle presque du sol lorsque je viens vers lui. J'éclate de rire, surprise, avant de regagner la terre ferme, déstabilisée.

— Toi et Adrian, vous êtes des sorciers incroyables. J'ai vraiment été heureux de partager un instant de ma vie avec vous.

— Et nul doute que la vie te réservera encore de belles surprises mon couillon, lance au loin Adrian en lui adressant un clin d'œil.

Resté en retrait, les bras croisés sous ses pectoraux, ses yeux gris vont et viennent sur moi alors qu'un faible sourire s'étire sur ses lèvres. Pourtant, il ne peut dissimuler cette veine d'inquiétude dessinée sur son front. Je n'ose imaginer les mille et une questions qui l'assaillent. Je devine d'ici qu'il a peur… Peur que je regrette. Peur que je ne m'adapte jamais. Peur de ce que sera notre vie, une fois là-bas car plus rien ne sera comme avant.

À regret, je détourne la tête et reviens vers Emmeline, qui à son tour, me prend chaleureusement dans ses bras. Même si j'étais moins proche d'elle, il n'empêche que nous nous apprécions beaucoup. Depuis le décès de Fabian, je sais combien elle se sent seule et perdue. Elle ressent exactement ce que je ressentais lorsqu'Adrian était reparti à son époque, trois ans auparavant. Du désespoir. Et pourtant, elle devra se montrer forte et courageuse.

— Passer à côté de l'amour de sa vie est la pire des tortures qu'il soit, confesse-t-elle au creux de mon oreille. Ne laisse pas passer ta chance.

Malheureuse, je hoche faiblement de la tête et la remercie. Je quitte ses bras puis je me tourne vers Remus et mon regard s'illumine. Remus ! La vie ne sera pas clémente avec lui mais au moins, je suis rassurée de savoir qu'il connaîtra le bonheur sur les derniers mois de sa vie. Lui aussi, plus que quiconque le mérite.

— Tes œufs brouillés me manqueront, avoué-je.

Le brun pouffe de rire avant de m'attirer contre lui.

— Toi c'est ton rire qui me manquera. La maison ne sera jamais aussi calme, regrette-t-il, peiné.

— Je suis certaine que toi et Sirius parviendrez à…

Ma voix se meurt alors que je cherche du regard le grand brun. Mais je ne le trouve pas. Aussitôt, les battements de mon cœur s'accélèrent. Je parcours la pièce mais je dois me rendre à l'évidence, Sirius a décampé.

— Où est Sirius ? soufflé-je, alarmée.

Les autres se mettent à chercher le brun, ignorant également où il a pu disparaître. Non ! Je veux également lui dire au revoir. Je délaisse Remus et mes pas me guident aussitôt hors de la salle à manger. Je tombe dans le couloir et je distingue au loin la silhouette de Sirius.

Il me tourne le dos et visiblement, il part. Il quitte les lieux. Me laissant alors là, sans un regard, sans un au revoir. Non ! Il n'a pas le droit de faire ça ! Pas après tout ce qu'il s'est passé.

— Sirius ! m'écrié-je.

Le cœur au bord des lèvres, je n'attends pas. Mes jambes prennent le contrôle et se mettent à courir. Surpris, le brun se retourne et me dévisage au loin avec interdiction. Je vois de l'incompréhension dans son regard lorsqu'il me voit arriver à toutes jambes vers lui.

Dès que je rejoins sa hauteur, je ne lui laisse pas le temps de réfléchir que je me jette à son cou. Pris de court, il me réceptionne maladroitement et nous titubons sur place.

Ses mains s'aplatissent sur mon dos alors que je m'écrase contre son torse. Son parfum citronné me percute de plein fouet et je m'autorise aussitôt à me fondre sur lui tout en fermant les paupières. Un poids lourd me compresse la gorge, m'empêchant de respirer convenablement. Mon cœur bat tellement vite que c'en est douloureux. Très vite, mes yeux se gorgent de larmes en comprenant qu'il a voulu me fuir.

— Pourquoi t'es parti ?!

Je recule la tête pour me confronter à son regard d'acier. Je décèle mille et une émotions dans ses iris, ce qui finit de m'achever. C'est tellement dur ! Je ne veux pas lui dire au revoir. Sirius, mon ami. Celui sans qui je n'aurais pas tenu ces trois dernières années.

Le brun cale son front contre le mien comme s'il luttait contre ses propres démons et appuie sa tête contre la mienne tant tout ce qu'il ressent est dur et compliqué. Sa respiration est rapide et chaotique et ses paupières sont closes comme s'il prenait sur lui pour ne pas… Ne pas quoi, au juste ?

— Évidemment que je suis parti, souffle-t-il, la voix lourde et pleine de ressentiments. Tu penses vraiment que j'allais continuer à assister à ça ?! Sachant que d'ici quelques minutes, je ne me souviendrai de rien à part que tu es morte.

Les larmes me viennent à nouveau. Les doigts du brun passent dans mon cou pour venir agripper mon visage avec autorité. Je suis confrontée à ses prunelles grises où une bataille semble faire rage.

— Je suis tout simplement incapable de te dire au revoir Juliet, exprime-t-il, yeux dans les yeux.

Nos corps imbriqués l'un contre l'autre, tanguent dans le couloir. Je n'ai pas la force de relever la tête et m'inquiéter du fait que nous sommes seuls ou non tant je suis absorbée par son regard. Mon palpitant pulse comme un détraqué et est tellement serré, que je le sens saigner. Il est meurtri et en proie à la peine et à la désolation. Merlin… Dire que je n'entendrais plus jamais son éclat de rire rocailleux, que je ne parlerais plus des heures la nuit avec lui, qu'il n'y aura plus de mission ensemble, plus de soirée, plus de moment complice. Plus rien. Plus d'avenir ensemble.

— Sirius, exprimé-je d'une voix douloureuse. On ne s'oubliera jamais, ça doit nous faire tenir.

Le brun me rapproche encore plus près de lui, si près que je sens son souffle s'abattre sur mon visage. Je prends peur et tente de reculer mais il m'en empêche.

— C'est évident qu'on ne s'oubliera pas. Je ne pourrais pas t'oublier. Tout chez toi m'obsède et m'attire. Je vais penser à toi tous les jours de ma vie, Juliet, susurre-t-il, sincère. Surtout après ce qu'on a partagé ensemble, ce matin. Pas un jour ne passera sans que je t'imagine à nouveau à mes côtés. Tu seras là, tout le temps. Dans mes pensées. Dans mes rêves. Et parfois, ils seront tellement réels, que j'en deviendrais fou. Cette vie que tu t'apprêtes à vivre, elle serait avec moi. C'est moi qui te rendrais heureuse. C'est moi qui t'aimerais comme un dingue parce que devine quoi ? C'est exactement ce que je ressens en ce moment-même et je sais que ça ne diminuera pas avec le temps.

Mon cœur s'emballe et ma tension chute. Je m'affole contre lui alors qu'il me déballe ses sentiments. Je ne peux m'empêcher de l'imaginer alors, pour les treize années à venir, à Azkaban, coincé dans sa cellule à rejouer sans cesse nos moments de complicités et d'intimités, comme une âme en peine. Inlassablement.

J'éclate en sanglots en m'accroche encore plus fort à lui. Il ne mérite pas ça !

— Sirius…

— T'en fais pas, rassure-t-il en me caressant de sa respiration effrénée. Je ne vais rien te faire. Je ne vais pas t'embrasser même si j'en crève d'envie. Je vais simplement m'imprégner une dernière fois de toi, de ton odeur, de ta chaleur et ça, rien ni personne ne pourra me l'enlever. Je vais me la rappeler chaque jours de ma putain de vie, OK Juliet ?! Et toi, tu vas aller vivre la tienne. Tranquillement. Loin de moi. Fais ça pour moi. D'accord, Juliet ?

Je suis secouée de spasmes alors que les larmes coulent sans s'arrêter sur mes joues. Pourquoi me dit-il tout ça ? Pourquoi rend-il tout ça aussi compliqué ?!

— Je ne veux surtout pas que tu changes d'avis Juliet, continue-t-il, penché à quelques centimètres de mes lèvres. Même si je sais pertinemment que s'il n'était jamais venu, toi et moi on aurait eu nos chances. Mais je préfère quand même cette issue. Je préfère savoir que tu vis et que tu vas être heureuse, même si c'est sans moi. Parce que sans cet enculé, on est d'accord que tu n'aurais pas fait long feu, hein ?

Il exprime un sourire amer contre moi, alors que je suis incapable de bouger. Incapable d'articuler le moindre mot. Un bras enroulé autour de ma taille, ma poitrine comprimée contre son torse, nos yeux imbriqués l'un dans l'autre et sa main glissée derrière ma nuque.

Je comprends alors qu'il ne pourra jamais être mon ami. Je comprends aussi l'intensité de ses sentiments à cet instant précis. Ce qu'il éprouve pour moi est tout aussi fort que ce que je ressens pour Adrian. Il ne peut pas lutter. C'est fort, c'est puissant, destructeur et addictif et on ne peut s'en défaire. C'est comme un poison ou une drogue.

— Je, baragouiné-je, complètement perdue. Je ne sais p…

— Tu n'es pas obligée de parler, susurre-t-il contre moi. Il n'y a rien à dire de toute façon.

Sa main délaisse ma nuque pour monter contre mes pommettes avec délicatesse. Il chasse mes larmes avant de me caresser tout doucement le visage, d'un revers du doigt. Ses yeux sont toujours ancrés aux miens et ma respiration s'est calquée sur la sienne.

— Je ne veux simplement pas t'oublier, souffle-t-il en fermant les paupières.

Son front se dépose à nouveau contre le mien. Je clos à mon tour mes paupières et glisse mes mains le long de sa mâchoire. Il frissonne à mon contact et expire bruyamment, comme si supporter mon toucher était une horrible torture.

— Je n'arrive pas à te laisser, avoué-je. Pas comme ça.

— Tu m'as fait le plus beau des adieux déjà, ce matin. Maintenant pars Juliet, implore-t-il en rouvrant les yeux. Si tout ce qu'on a vécu ensemble importe pour toi, alors pars et vis. Vis et sois heureuse. Fais ça pour moi, s'il te plaît.

Je hoche frénétiquement la tête contre lui et renifle chaotiquement, complètement anéantie par cet au revoir, semblable à un déchirement.

— Je t'aime vraiment, tu sais ? murmuré-je en posant une main tremblante sur son visage.

— Je sais.

J'encadre ses pommettes, me fonds dans ses iris et caresse délicatement son visage, la pulpe de mon doigt roulant sur sa peau brûlante pour finir dans sa barbe rugueuse.

— La véritable tragédie grecque, elle est entre toi et moi, finalement, fait-il remarquer en arquant un sourire malheureux.

— Il n'est pas forcément nécessaire que ce soit une tragédie, contredis-je. Si tu souhaites te souvenir, de tout, exprimé-je avec difficulté. Va chez Gideon. Là-bas le nuage ne passera pas. Tu te souviendras de cet instant.

— Et je saurais que tu n'es pas morte ? comprend-il. Et que tu seras partie heureuse avec Adrian ?

J'acquiesce doucement la tête avant de fondre dans son cou. Mes bras s'enroulent derrière sa nuque et je me blottis contre lui. Il me répond chaleureusement, passant ses doigts dans mes cheveux.

— Merci.

À regret, je me décolle de lui. J'imprime les contours de son visage, une dernière fois. De ses iris gris, de son nez droit, son sourire insolent, sa barbe de trois jours encadrant sa mâchoire carrée. Je retiens tout, puis lui adresse un dernier sourire.

Peu à peu, je me défais de son enveloppe et recule d'un pas. Puis d'un autre. Et ainsi de suite.

— Prends soin de toi Ju'.

Le cœur gros et la gorge serrée, je recule encore.

— Toi aussi Sirius.

Il m'adresse un faible sourire, attarde une dernière fois son regard sur moi puis tourne sur lui-même et disparaît.

Interdite, je me retrouve seule.

Il n'est plus là. C'est fini. Il est parti. Définitivement parti. Il ne m'a pas dit au revoir. Car c'est tout simplement impossible.

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Les poches pleines des derniers Gallions que m'a légué mon père, je pénètre son ancienne échoppe, Adrian sur mes talons.

Ce dernier jette un dernier coup d'œil en arrière et s'attarde sur le ciel, gris et menaçant. La tempête lancée par Dumbledore s'est déjà abattue sur plus de la moitié du pays. Dès que les premières gouttes tapisseront le sol, lui et moi ne seront plus qu'un ancien souvenir.

Le grand brun claque la porte derrière lui et passe son regard alerte sur l'ensemble de la pièce.

— Prête ? me demande-t-il en revenant sur moi.

Je dépose ma valise à sangles sur le sol et hoche la tête.

— Oui. J'aimerais juste récupérer d'anciennes photos à l'étage.

— Ok vas-y. Je prépare le cadran.

J'acquiesce et traverse la boutique mais Adrian me retient par le bras. Il plante son magnifique regard dans le mien et m'observe avec interdiction.

— Tu es toujours…

— Sûre de moi ? Oui. Plus que jamais Adrian.

— Je ne réalise toujours pas ce qu'on s'apprête à faire, souffle-t-il en me ramenant contre lui.

Je me blottis contre son torse et m'imprègne de sa chaleur et de son odeur. Mes doigts glissent derrière son cou pour l'attirer vers moi et l'embrasser délicatement. Il m'adresse ensuite un regard contrit avant de soupirer.

— Elle va ressembler à quoi notre vie à ton époque ? demandé-je, complètement plongée dans le flou total.

— J'en sais rien… mais ce sera toujours mieux qu'ici, non ?

J'acquiesce doucement avant de me hisser sur la pointe des pieds et déposer un second baiser sur sa bouche. Puis je m'éloigne et monte directement à l'étage, dans les appartements que j'ai occupés pendant toute mon enfance.

Lorsque je pénètre dans le salon, je prends conscience que je vivrai dans ce même environnement mais à une époque différente. Tout sera pareil et en même temps, tout sera différent.

Je ferme les yeux et tente de visualiser tout ça, mais je n'y arrive pas. Je ne sais absolument pas à quoi m'attendre. Si ce n'est que je n'aurais qu'Adrian comme repère. Ça devrait me rassurer et pourtant… je ne veux pas dépendre uniquement de lui. Et je sais très bien que lui non plus, ne supportera pas de m'avoir collée à lui toute la sainte journée. Alors je suppose qu'il faudra que je vois ce voyage dans le temps comme un… déménagement. Une expatriation. Et qu'il faudra que je trouve mes propres repères. Mes propres habitudes, activités, amis… Tout recommencer à zéro en somme.

Ça me fera du bien. J'en ai besoin.

Je ne m'attarde pas trop longtemps et fourre quelques clichés de mes parents et de mon enfance dans mon sac à main. J'embarque également quelques objets magiques qui appartiennent à ma famille depuis des siècles, avant de redescendre.

Je retrouve Adrian penché au-dessus du comptoir de la boutique. À sa posture décontractée, j'en déduis aussitôt qu'il a l'habitude de se tenir là, à ce même endroit, dans son présent. Il a déroulé un vieux morceau de parchemin sur lequel sont inscrites des runes anciennes. À sa mine dépitée, je comprends qu'il ne parvient pas à décrypter les symboles.

— C'est quoi ? demandé-je en me postant à ses côtés.

Je dépose ma main sur son dos en une douce caresse et viens reposer ma tête contre son épaule alors qu'il plisse les yeux et se concentre au maximum sur l'instrument.

— Euh… Un genre de mode d'emploi mais je t'avoue que mes souvenirs en runes sont assez lointains et médiocres. Notre prof était chiant à mort.

— Je comprends mieux pourquoi tu t'es trompé de trois ans, souligné-je.

Il réprime un rictus avant de tendre un bras et le passer au-dessus de mes épaules. Ses doigts se glissent dans mes cheveux et me rapprochent de lui, comme s'il était incapable de ne pas me toucher lorsque je me tiens près de lui. Je ferme les yeux quelques instants, soulagée de le sentir contre ma peau.

— Ça a été avec Sirius ? grommelle-t-il, les yeux toujours dirigés vers le parchemin.

Je hausse les épaules. Que suis-je censée lui dire ? Qu'il m'aime sans limite et sans condition mais que je ne serai jamais capable de lui offrir ce qu'il souhaite ?

— Pas terrible, avoué-je, le cœur serré.

— Tu veux en parler ?

— Pas vraiment. Je… Je veux juste partir.

Adrian acquiesce, comprenant et respectant parfaitement mon choix. Depuis que nous avons couché ensemble, tous les trois, nous en avons bien évidemment reparlé et force est de constater qu'un lien encore plus fort s'est établi entre lui et moi. La jalousie qui jusque-là le poussait à provoquer Sirius, s'est complètement évanouie. Il sait qu'il n'a aucune raison de le jalouser car il s'est bel et bien rendu compte, ce matin, qu'importe la personne, c'était lui et lui seul qui avait mon cœur. Et c'était avec lui que je partais. Sans détour.

Ainsi, il ne cherche pas plus loin et revient se concentrer sur la boussole. Je le vois déglutir et sa pomme d'Adam, particulièrement proéminente, monte et descend le long de sa trachée. Je glisse ensuite mon regard sur les veines nervurées et apparentes de ses avant-bras avant de remonter sur ses biceps habillés d'un tee-shirt noir. Sans m'en rendre compte, je me mordille la lèvre inférieure, soudainement tentée. Ses doigts encore enfouis dans mes cheveux vont et viennent en de douces caresses qui m'électrisent de la tête aux pieds.

Bon sang Juliet… Tu t'apprêtes à passer le restant de ta vie avec cette personne. Rien que l'idée de me dire que je vais vivre et vieillir à ses côtés, avec lui, et qu'il fera partie intégrante de ma vie, me donne envie de me jeter à son cou et de l'embrasser fiévreusement. Est-ce qu'il se rend compte de l'effet qu'il me fait ?! Je pourrais définitivement le suivre jusqu'en enfer.

— Ok alors… d'après mes souvenirs le cadran de gauche c'est pour les années, intervient mon fiancé en ramenant le retourneur de temps vers moi. Il faut le tourner huit fois pour quatre-vingt ans.

— Euh… ?

— Quoi ?

— Ce n'est pas correct, percuté-je en fronçant les sourcils. Tu n'as pas remonté le temps de quatre-vingt ans.

— Bah… Si ?

— Non. Vu que tu es arrivé trois ans plus tôt que prévu, on doit programmer le retourneur de temps sur soixante-dix-sept ans. Sinon on risque d'arriver trois ans en retard dans ton présent.

Adrian me regarde silencieusement avec interdiction avant de soupirer longuement et se passer une main sur le visage, complètement dépité.

— Putain heureusement que t'es là, souffle-t-il. La boulette qu'on a failli faire ! T'imagine un peu ? Mes darons m'auraient cru mort au bout de trois ans d'absence, obligé.

— Sûrement. D'ailleurs à ce propos, qu'est-ce que t'en penses si on revient dans ton présent juste après que tu disparaisse ? Comme ça ta famille et tes amis n'auront pas à subir ton absence.

Adrian lève un sourcil, intrigué et visiblement, subitement subjugué par ma proposition.

— Putain… Et j'aurais pas besoin de payer ma putain d'amende auprès du Ministère pour détention de stupéfiants ! réagit-il.

— Éventuellement, pouffé-je. C'était si gros que ça comme somme ?

— Euh… 4,800 Gallions.

— Quoi ?! Mais c'est énorme !

— Ouais je m'en serais bien passé. Mes comptes sont à sec.

— Oui mais attend… Ça n'ira pas. Si on revient à la période où tu as pris le retourneur de temps pour la première fois, ton autre toi de ce présent là va disparaître en 1977 mais Haley et Aaron n'auront pas de raison d'aller le récupérer puisque nous serons là. Alors ton autre toi du passé restera prisonnier à mon époque et lui et mon moi n'auront jamais l'opportunité de revenir dans le futur comme nous le faisons aujourd'hui. L'histoire ne se répétera pas. Il y aura une faille. Tu me suis ?

— Vaguement… Mais je vois où tu veux en venir.

— Par contre on peut revenir quelques jours après que tu aies utilisé le deuxième retourneur de temps, suggéré-je.

— Donc en mai 2058 ?

— Oui. Juste après que tu disparaisses une deuxième fois. Qu'est-ce que t'en penses ?

Adrian se tait et plisse les yeux, signe qu'il cogite à plein régime. Une veine apparente gonfle sur son front alors que ses doigts vacants tapotent le plan de travail dans un rythme régulier.

— Ok. On va faire ça, admet-il. On va revenir trois mois plus tôt que prévu, comme ça mon second voyage dans le temps passera incognito.

— Désolée pour ton amende, grimacé-je.

— Pas grave. Tu vivras juste avec un mec fauché comme les blés, se marre-t-il. Tu auras une pâquerette en guise de bague de fiançailles, ça ira j'espère ?

Je pouffe de rire et le chahute d'un coup d'épaule. Il me renvoie sa moue taquine avant de m'attirer contre lui.

— Pas de pression là-dessus, rassuré-je. On fera les choses bien quand on le pourra. Et de toute façon, notre promesse me suffit. Pour l'instant.

Adrian glisse sa main derrière mon cou et fond son regard dans le mien avant de m'adresser un air séducteur.

— J'ai bien noté le « pour l'instant », se moque-t-il.

Je roule des yeux, un sourire mutin sur les lèvres. Puis délicatement, je me dresse sur la pointe des pieds et viens nouer mes bras derrière sa nuque. Ma bouche titille la sienne et comme à chaque fois que je me retrouve tout contre lui, le monde peut s'effondrer que je ne vois et n'entends plus rien.

— Y'a qu'une fille amoureuse pour accepter une demande de fiançailles sans bague, fais-je remarquer.

— Ou bien une fille stupide, provoque Adrian en étirant son sourire.

Je réagis au quart de tour et lui donne un coup dans l'abdomen. Il sursaute en poussant un cri surpris puis avant que je ne m'esquive de ses bras, il me rattrape par le coude et me plaque à lui. Ses mains fondent sous mon menton et sa bouche s'écrase sur la mienne.

Je souris contre ses lèvres avant de me laisser complètement aller, les yeux fermés. Ma langue vient rencontrer la sienne et je retiens un gémissement dès qu'il approfondit un peu plus le baiser, ses mains passant lascivement sur mon corps. Je me liquéfie entre ses bras, transportée ailleurs.

BAM !

J'écarquille des yeux et mets fin au baiser dès que je vois la porte de la boutique s'ouvrir à la volée et que trois figures encagoulées franchissent l'entrée.

— Ils sont là !

Avada Kedevra !

Je me jette sur le col d'Adrian et le tire à terre vers moi, nous cachant derrière le comptoir. Affolée et horrifiée, mon cœur explose dans ma poitrine. Qu'est-ce qu'ils fichent ici ?!

Je sens une désagréable sensation d'étroitesse de resserrer autour de ma gorge tant je panique. Non, non, non… Pas maintenant. Pas encore. Tout me revient en pleine tête, quatre ans auparavant, lorsque ces mêmes personnes sont venues s'attaquer à mon père dans ce même endroit.

Adrian n'attend pas et sa baguette est déjà dégainée.

— Tiens ! Prends ça et active-le ! ordonne-t-il en me confiant le cadran dans les mains.

— Quoi ? bégayé-je.

Un sortilège ricoche et des morceaux de bois explosent dans tous les sens. Non… c'est un cauchemar. Je ne veux pas revivre la même chose… pas maintenant alors qu'on s'apprête à partir. La pluie n'est-elle toujours pas tombée ?!

— Adrian… , murmuré-je, paralysée.

Je revois des flashs. Des sorts qui volent dans tous les sens, je revois mon père, mort dans cette pièce. J'entends à nouveau ses cris de souffrance alors que je pensais les avoir chassé de mon esprit depuis des années. Tremblotante de la tête au pied, je ne réalise plus rien.

Je ne perçois rien autour de moi si ce n'est que j'entends des explosions retentir et provenir de tous les sens. Comme lors de cette nuit…

— Juliet ! Bébé bouge-toi, hurle Adrian en me tirant en arrière.

Il fait apparaître un dôme de protection magique sur nous et presse mon doigt sur le retourneur de temps. La pulpe de mon doigt s'écrase sur le ressort et je vois alors les écrous s'enclencher et commencer à tourner sur elles-mêmes, entre mes mains.

Toujours aussi tétanisée, je relève les yeux vers les trois Mangemorts qui ont fait irruption dans la boutique. À distance, Adrian en maintient un à terre mais les deux autres font obstacles aux pouvoirs du légilimens. Très vite, je devine la silhouette de Severus Rogue qui fait exploser notre bulle de protection en éclats. C'est alors que mes sens reprennent le dessus et que je dégaine la baguette d'Olivia de ma poche.

Expulso !

Le Mangemort est envoyé à l'autre bout de la pièce et se fait défenestrer. Pendant cette même fraction de seconde, le retourneur de temps vibre de plus en plus fort entre mes doigts. La pression d'Adrian se fait plus forte sur mes épaules. In extremis, nous disparaissons.

— Oh non je ne crois pas ! beugle Bellatrix. Serpensortia !

Un sort bleu fonce droit vers nous mais la seconde d'après, les décors changent et tout disparaît. Tout s'accélère et se met à bouger si bien que ça m'en donne le tournis. Tout devient si rapide et si intense que je ne reconnais plus rien. Seule la prise de mon petit ami sur moi me confirme que je suis bien vivante pourtant je ne me sens plus respirer. J'étouffe. Je suffoque, c'est horrible.

Puis soudainement, tout se fige net.

Je me retrouve dans une boutique mais rien n'est comme je l'ai connu. Le soleil perce même la devanture et vient éclairer de grands cartons qui s'entassent devant le comptoir. Il n'y a plus de plantes accrochées au plafond, plus de mangemorts, plus de débris ou de projectiles. C'est un nouveau monde.

La main d'Adrian glisse de mon épaule et l'instant d'après, j'entends son corps s'écrouler sur le sol.

Je tourne la tête et découvre, horrifiée, qu'un serpent noir et reluisant est enroulé autour de sa gorge, lui coupant la respiration. C'est le coup de glas.

— Adrian ! hurlé-je.

Le brun se débat et tire de toutes ses forces sur l'animal qui serre encore plus fort sa trachée.

Infinite incantatem ! pointé-je sur lui, paniquée.

Pourtant rien n'y fait. Ses pieds glissent sur le sol alors qu'il se cramponne et suffoque. Mes yeux se gorgent de larmes, je n'attends pas et tire à mon tour sur le serpent qui plante ses crocs sur le dos de ma main.

— Ah !

— Put...ain ! étouffe le brun en se débattant.

La prise du reptile est visqueuse et forte. Ma main saigne et me fait mal, ce qui n'arrange en rien la situation qui m'échappe. Révoltée et paniquée, j'attrape sa gueule et compresse à son tour la trachée. J'enfonce ensuite ma baguette dans sa gueule et tente de l'enflammer mais rien n'y fait, sa prise est toujours aussi forte.

Pendant ce temps, Adrian bouge de moins en moins et son teint se fait plus violacé. NON ! Ne m'abandonne pas !

Aguamenti ! invoqué-je.

Peut-être que si je noie ce fichu reptile, il relâchera sa prise. Je suis pleine d'espoirs et aux aguets, pourtant le souffle de mon fiancé diminue d'instant en instant.

— Adrian ! appelé-je. Reste avec moi !

Je suis forcée de constater que l'eau ne fait aucun effet sur le serpent qui, au contraire, semble se gonfler de cet élément et devient de plus en plus gros. Je tente d'autres sortilèges avant de me lever et chercher quelque chose, un objet, n'importe quoi qui puisse faire l'affaire !

Mais tout est nouveau. Je ne reconnais plus rien. Les décors sont les mêmes mais rien n'est à sa place. La panique me gagne, je ne sais pas quoi faire ni quoi penser.

Finalement, mon regard tombe sur un coupe-papier. Je m'en empare aussitôt et lorsque je reviens vers mon petit ami, il réfrène un dernier bruit étouffé qui me paralyse.

Réveille-toi Juliet !

Il ne m'en faut pas plus pour que je me jette sur lui et tranche la tête du reptile d'un coup sec. Son corps enroulé autour de la trachée d'Adrian se détend et je tire brusquement dessus pour délivrer ses voies respiratoires.

— Adrian ! m'écrié-je. Ça va ?!

Je caresse sa gorge, rouge écarlate et reviens vers son visage, attendant sa réponse qui ne vient pas. Mon palpitant s'accélère et une longue traînée de sueur froide s'écoule le long de mon dos.

De rassurée, je passe à tétanisée. Mes mains pleines de sang et toutes tremblantes encadrent sa mâchoire qui ne bouge plus. Je déglutis de travers lorsque, avec effroi, je constate que ses yeux sont grands ouverts.

Non.

Non, non, non. C'est impossible !

— ADRIAN ! hurlé-je en sentant la panique m'ensevelir.

Il ne les cligne plus du tout des yeux. Il ne bouge plus et ne respire plus du tout. Qu'est-ce qui lui arrive ?!

Mon cœur cogne comme un détraqué dans ma poitrine et mes yeux se floutent de larmes. C'est un cauchemar. Je suis en train de rêver et je vais me réveiller, obligé !

— Adrian répond-moi ! ordonné-je en glissant mes doigts tremblants sur son cou.

Déboussolée et complètement abandonnée à mon triste sort, je palpe sa peau mais je ne sens aucun pouls. Aucun battement. Rien.

Je refoule un sanglot horrifié et me jette sur sa poitrine pour lui faire un massage cardiaque.

Revigore ! lancé-je. Adrian reste avec moi ! On y est ! On a réussi ! Ne m'abandonne pas ! Pas maintenant. Par pitié…

J'ignore combien d'enchantements de guérison je lui lance, combien de temps je tente de le réanimer ni combien de fois je lui fais du bouche à bouche. Mais tout ce que je vois c'est que mes efforts sont vains.

Tout ce que je remarque, c'est que son corps se refroidit de minutes en minutes et que mes sanglots redoublent et se font de plus en plus forts et chaotiques.

NON ! Je refuse ! Adrian ne peut pas mourir ! Pas étouffé par un serpent ! Pas comme ça ! Pas à cause de Bellatrix Lestrange !

— ADRIAN ! RÉPONDS-MOI !

Mais rien. Rien à part le silence. Rien à part la mort.

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6 mai 2058

Rileigh Potter

Ma main passe et repasse avec douceur sur le dos de Haley qui est prise de soubresauts à mesure que ses sanglots redoublent. De l'autre côté du canapé, Alexie Malefoy, notre meilleure amie qui complète notre trio infernal, fait apparaître un mouchoir qu'elle tend à la brune.

Les yeux verts de Lexie remontent vers moi et elle m'adresse une mine découragée. Voilà une bonne heure que Haley est arrivée chez moi, en larmes. Une bonne heure que nous tentons de la réconforter mais rien n'y fait. Ses larmes sont intarissables.

Je ne sais pas lequel de mes cousins je déteste le plus ! Adrian ou Aaron ? Aaron ou Adrian ?

Adrian pour s'être encore une fois mis dans une merde insurmontable ou bien Aaron pour avoir largué mon amie du jour au lendemain ?

Bonne question. Dans l'immédiat, c'est Aaron qui va connaître mes foudres à défaut de ne pas avoir Adrian sous la main. Après tout, je ne suis même pas certaine de le revoir un jour et ce constat m'effraie et m'énerve.

Nous sommes sa famille quand même ! Je suis sa cousine ! Haley et Lexie sont ses meilleures amies ! Et il nous a abandonné ! Certes, aucune cause n'est plus noble que celle de l'amour mais, visiblement, l'amour qu'il portait pour ses proches n'était pas suffisant pour le faire rester. Voilà une semaine qu'il a remonté le temps pour la deuxième fois !

Dès que Aaron a appris que Haley lui avait donné le deuxième retourneur de temps, il est rentré dans une colère noire et a rompu avec elle.

Personne ne rompt avec ma meilleure amie ! Surtout pas un Potter ! Surtout pas un membre de ma famille ! Merde à la fin !

Enervée, je me dresse sur mes pieds et laisse les filles entre elles. Je traverse le salon et vais directement sur la cuisine ouverte. Matt, mon petit ami, est posté à l'encadrement du balcon et écrase sa clope dans le cendrier avant de revenir vers moi.

— Alors ? s'enquit-il.

— C'est plus grave que je ne le croyais, soupiré-je en ramenant mes longs cheveux d'ébène en une queue de cheval. Il fait chaud aujourd'hui ! C'est insupportable.

— Je lui prépare une tisane ? suggère Matt.

Je lève mes yeux ambrés vers ses mirettes bleu nuit avant de soupirer. Non. Pas de tisane. On a besoin d'alcool. Je sors alors ma baguette de la poche arrière de mon jeans et fais apparaître trois grands verres à pieds. Je fais venir une bouteille de gin sur le comptoir de la cuisine et j'enchante un concombre qui s'épluche tout seul. Matt pouffe de rire derrière moi, comprenant que la tisane n'est pas la bienvenue.

— Elle a croisé Aaron tout à l'heure, au Musée de la Magie, explicité-je alors. Déjà que depuis qu'il a mis fin à leur relation, elle ne parvient plus à mettre un pied devant l'autre mais en plus ce qu'il a fait… Argh ! J'ai envie de le zigouiller !

— Qu'est-ce qu'il a fait ? s'enquit Matt en passant derrière moi et massant mes épaules pour me détendre.

Je ferme les yeux et soupire d'allégresse. Sa présence et son parfum embaument mes sens et je me sens tout de suite bien plus calme. Sa voix chaude et ronde résonne en moi et m'apaise d'une manière bien trop hypnotique. Je me retourne et il me coince contre le plan de travail, ses hanches se callant contre les miennes. Mon cœur loupe un battement et j'en perds le fil de mes pensées… Merlin Leigh, tu n'es pas stupide à ce point quand même ? Tu n'es plus une ado écervelée qui n'a d'yeux que pour son crush du temps de Poudlard !

Visiblement si. Je me mordille la lèvre inférieure, subjuguée par son regard. Voilà six ans que nous sommes ensemble. Dix que je suis secrètement amoureuse de lui. Je n'ai connu que lui et… Il me fait toujours autant tourner la tête. Bien évidemment, il y a eu des hauts et des bas dans notre relation, comme toute relation, mais il n'empêche qu'il sait toujours quoi me dire ou comment me regarder pour me détendre instantanément. Ou me faire perdre le cours de mes pensées !

Ça fait presque un an que je l'ai demandé en fiançailles, au mariage de mon frère en plus – oui, nous les Potter, sommes des gens un peu fous. Et Matthew Ollivander est tout aussi fou d'avoir accepté une telle proposition. Ce qui fait que nous sommes très certainement un couple de fous. Mais qu'importe !

Nous attendons de pouvoir fixer une date pour la cérémonie car ni lui ni moi n'imaginons célébrer un tel jour sans Adrian. Il est le meilleur ami de Matt depuis leur premier jour dans le Poudlard Express. Il est mon cousin. Je refuse de me marier sans qu'il soit présent.

— Eh vous là-bas ! intervient Lexie en levant la voix. Un peu de compassion pour les célibataires !

— Tu n'es pas célibataire, grommelle Haley en relevant la tête de son mouchoir. Inutile de rappeler que tu sors avec mon frère !

— C'était pour toi que je disais ça, se défend la blonde en faisant les gros yeux.

— J'arrive, signalé-je en revenant me concentrer sur les cocktails.

Matt m'adresse un sourire taquin avant de s'écarter de moi.

— Du coup ?

— Du coup le Ministre de la Magie a demandé à organiser un repas d'affaire au Musée de la Magie, expliqué-je. Bien évidemment c'est tombé sur Haley, qui a dû coordonner tout ça. Et ce midi, Aaron était là avec le Ministre et il a royalement ignoré Haley. Pire ! Tu ne devineras jamais ce que ce petit trou du cul à fait !

— Non mais tu vas me le dire.

— Il a demandé un verre d'eau à Haley, fulminé-je. Comme si elle était sa serveuse ! Vraiment je te jure… J'ai envie de lui refaire le portrait. Déjà que je ne me suis pas mêlée de leur séparation alors que ça me démange…

— Mauvaise idée Leigh, m'assure Matt en sortant des sodas du frigo.

— Merci, dis-je en décapsulant les canettes. Et oui, je sais mais Haley a agi dans l'intérêt d'Adrian. Même si là encore, j'ai du mal à comprendre exactement pourquoi il a fait ça. Mais dans tous les cas, elle l'a fait pour le bien de son ami. Elle n'a rien fait de plus que de se montrer loyale et compréhensive. Pourquoi elle devrait en payer le prix ?! C'est injuste.

— Parce que les voyages dans le temps sont interdits, que Aaron a peur pour la vie de son frère mais qu'il a trop de fierté pour l'avouer, me répond Matt en soupirant. Je ne vois que ça. Et puis Aaron est…

— Une tête à claque, complété-je, sur les nerfs.

— Particulier, reprend Matt. Je pourrais peut-être aller lui parler.

J'écarquille des yeux et fait volte-face. Je plonge mon regard animé dans celui de mon petit ami et lui adresse un grand sourire.

— Vraiment ?! m'extasié-je. Tu pourrais lui faire entendre raison ?

— Euh ça, j'en sais rien. Mais essayer de comprendre déjà, ce serait pas mal.

— Lui mettre un poing dans la tronche de ma part, aussi, ça serait bien, complété-je.

Matt s'esclaffe et roule des yeux.

— Je sais que vous avez une prédisposition à la violence, vous les Potter, alors non. Je n'ai pas envie de me frotter à Aaron maiiis… Je peux aller lui rendre visite, oui.

— OK parfait, terminé-je en ajoutant de la glace pilée et des tranches de citrons et de concombre dans nos boissons. Moi je m'occupe de réconforter Haley. Toi, tu vas botter le cul de mon cousin.

— Je n'ai pas dit ça Leigh !

Trop tard, je suis partie de la cuisine, les trois cocktails en lévitation derrière moi. Ils sont frais et bien chargés, c'est tout ce qu'il nous faut. Lorsque Lexie les aperçois, je vois un grand sourire blanc éclairer son visage.

— Oh yes ! Tu sais parler à mon cœur, Potter ! jubile-t-elle.

— Toujours là pour te ravir les papilles, Malefoy !

La blonde s'empare d'un verre et m'adresse un regard polisson qui me fait éclater de rire.

— Coquine va, susurre-t-elle.

Haley roule des yeux et grommelle dans sa barbe avant de se redresser sur le canapé et de s'emparer furieusement du troisième verre. Sans même trinquer, elle l'avance vers sa bouche et bois trois longues gorgées.

— Ah bordel, exalte-t-elle. Il nous en faudra d'autres.

— T'en fais pas pour ça, assuré-je en m'asseyant en face de mes amies, sur la table basse du salon.

— Je propose qu'on échafaude un plan pour brûler les couilles de Potter, s'exclame Lexie en trinquant avec moi.

— Excellente idée ! La saison des barbecues approche en plus, approuvé-je.

— Mais j'ai pas envie qu'on lui brûle les couilles, se met à pleurnicher Haley. Elles étaient si douces en plus…

Je m'étouffe dans ma gorgée tandis que je reçois au visage celle de Lexie, qui a tout recraché. Haley, elle, n'a pas réagi et regarde son verre d'un air malheureux comme si elle se remémorait encore et encore les bourses d'Aaron. Oh Merlin… C'est plus grave que je ne le craignais !

— Mais tu ne le hais pas ?! m'écrié-je.

— Comment je pourrais ? La relation que nous avons eu était… C'est un mec génial, assure-t-elle, la voix pleine de trémolos.

— Mais il t'a largué comme une merde, tempère Lexie, elle aussi surprise du comportement de notre amie.

— Qui ne l'aurait pas fait ? soupire Haley. J'ai envoyé son frère vers une mort quasi certaine. Moi aussi je lui en voudrais s'il faisait la même chose avec Nate.

Nous nous taisons toutes, violemment rappelées à la décision insensée de notre ami. Le regard inquiet de Lexie me percute et je me mordille la lèvre inférieure d'embarras. Haley marque un point…. Adrian est parti et nous n'avons aucune nouvelle de lui. Nous ne savons même pas s'il est arrivé à bon port. Alors de là à savoir si nous le reverrons un jour…

Cet imbécile est parti sans même se poser la question s'il nous manquerait. La réalité est telle que oui, il nous manque. Oui on l'aime et oui on a besoin de lui ! On a besoin de son humour décapant, de ses vices et de ses conneries parce que sans lui, notre groupe est dessoudé. Sans lui, nous ne sommes plus nous. Nous sommes comme amputés et pas une seule personne dans cette pièce ne pourra prétendre le contraire.

— Qu'est-ce qu'il lui a pris de faire une telle chose ? souffle alors Lexie, déprimée.

Haley relève ses yeux clairs vers nous et soupire en haussant les épaules.

— Parce qu'il l'aime.

— Oui mais enfin… On parle d'Adrian là quand même, rectifié-je. Notre ami qui est obligé de se taper des putes ou des moldues parce qu'il a déjà fait tout le tour de la société sorcière !

— Et puis on ne l'a jamais vraiment vu être amoureux, approuve Lex. Même pas avec son ex. Elle ne faisait que le manipuler.

— Oui mais avec cette fille c'est différent ! assure Haley.

— On ne change pas comme ça, du jour au lendemain, juste pour une personne, douté-je. Enfin… J'ai du mal à l'imaginer. Surtout Adrian. Il est loin d'être prêt à s'engager sentimentalement et encore moins dans une relation sérieuse.

— La preuve que tu as tort, contredit Haley en soupirant. Moi je l'ai vu là-bas, avec elle. Je l'ai vu ici aussi, combien il était malheureux sans elle. Donc je peux t'assurer que c'est possible. Sinon il n'y serait pas retourné une deuxième fois sans même réfléchir. Et si tu ne veux pas l'admettre, c'est simplement parce que tu es blessée dans ton égo qu'il soit parti sans rien te dire. Ou qu'il ait fait le choix d'aller la rejoindre elle plutôt que rester ici avec toi. Avec nous tous.

Je me tais et sirote ma boisson. Mouais… Haley a peut-être raison. Ou peut-être pas. J'en sais rien. Honnêtement, je ne sais pas quoi penser.

— C'est exactement ce que j'essayais d'expliquer à Aaron, soupire mon amie. Mais il ne veut rien savoir. Il n'arrive pas à comprendre que l'amour prime sur tout. À croire qu'il n'a jamais été amoureux de moi…

Lexie et moi passons aussitôt nos mains sur les cuisses de la brune.

— Non bien sûr que non, Aaron avait et d'ailleurs je pense qu'il a toujours, de forts sentiments pour toi. C'est juste qu'il… qu'il est différent de son frère. Adrian agit et réfléchit ensuite. Aaron c'est l'inverse, c'est tout.

— Oui mais si les situations avaient été inversées, est-ce que tu crois qu'Aaron aurait remonté le temps pour moi ? sanglote mon amie. On sait tous que non.

— Moi je pense que Aaron peut tous nous étonner, contredit Lexie. Il est toujours dans le contrôle. À un moment donné, il va finir par exploser et ce jour-là, tu verras jusqu'où il sera vraiment prêt à aller pour toi.

— Et je fais quoi pour déclencher ça ? tremble Haley en se mouchant.

Je cogite quelques instants et vide mon verre avant de remonter mes yeux caramel vers elle. Je lui adresse une grimace.

— Ça ne va pas te plaire mais… il faut que tu lui fasses mal, assuré-je.

— Je ne sais pas faire, gémit Haley, malheureuse.

— On va t'aider, assure Lexie. Foi de Malefoy.

La blonde pose sa main sur la cuisse de son amie et lui adresse un sourire confiant. Je la rejoins et dépose ma paume par-dessus la sienne comme pour sceller notre pacte.

— Foi de Potter.

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Aaron

Debout devant des chiottes, je titube sur place et ne cherche même pas à savoir si je vise droit ou non. Bordel, j'ai un mal de crâne énorme. Qu'est-ce qu'il m'a pris de me mettre une cuite comme ça ?!

Ah oui ! Ça y est. Je sais maintenant.

D'une humeur exécrable, je tire brusquement la chasse avant de déambuler comme un inféri dans mon appart. Par terre, c'est le carnage complet. Y'a des cadavres de bouteilles, des mégots de joints, des capotes usagées. Y'a de tout. À boire, à manger, à vomir.

Je m'appuie contre le mur du couloir, l'esprit encore dans le vague. Ma tête tourne tellement que ça m'en donne mal au cœur. Putain, fais chier, sérieux !

Lorsque je rejoins le salon, sans dessus dessous, je m'écroule presque sur le sofa.

— Aïe ! gémit une voix.

Je fronce les sourcils et dévisage une meuf à poil sur mon canap' qui se tortille de douleur parce que je me suis complètement laissé retomber sur elle. Merde, qu'est-ce qu'elle me veut encore ?!

— Tu m'as fait mal, chouine-t-elle en ramenant ses jambes vers elle.

— Qu'est-ce que tu fous là encore ? grogné-je.

Je me penche vers la table du salon et m'allume un joint avant de me laisser retomber confortablement contre le dossier.

— C'est toi qui m'a ramené chez toi tout à l'heure ! se plaint-elle.

— Ouais bah maintenant on a fini. Tu peux te tirer.

La brune me renvoie un air scandalisé avant de tirer un coup sec sur son vêtement sur lequel je suis assis.

— Connard ! lance-t-elle.

Dans la minute qui suit, la porte de l'appartement claque derrière elle et je suis enfin seul. Sans vraiment savoir pourquoi, je ricane et envoie dans les airs une longue fumée blanche et épaisse. Ouep, ça c'est bien vrai. Je suis un vrai connard. Et j'aime ça.

Après tout ? Pourquoi est-ce qu'il en serait autrement, hein ? Il en faut bien un dans la famille. Un qui répare les pots cassés, qui exécute les tâches, qui endosse le rôle du parfait connard intelligent qui réussi dans tout ce qu'il entreprend. Un gars coincé qui ne se déride jamais. Un gars froid, manipulateur et calculateur.

Pfff… Arrête de te faire des nœuds au cerveau mon couillon. Pourquoi est-ce qu'on te verrait autrement après tout ? C'est le rôle que tu endosses depuis des années pour contrebalancer toutes les conneries que ton égoïste de frère enchaîne à longueur de temps. Alors bon…

Pourquoi changer ?

Putain j'ai mal au crâne. Je me penche pour attraper ma baguette posée sur la table basse et me rallume mon joint sur lequel je tire longuement. Je ferme les yeux et m'enfonce dans le fauteuil, complètement perdu.

Pour la première fois de ma vie, je sens mon cœur battre comme un forcené. Pour la première fois, je ressens vraiment quelque chose et putain, j'en ai si peu l'habitude que mes propres émotions m'effraient. Je ne sais pas comment réagir. D'habitude, je suis l'homme de la situation, je sais quoi faire, quoi dire, comment agir. Mais pas là… pas là.

Je perds tout contrôle.

Bordel. Je ne sais même plus quoi penser. Je ne sais même plus démêler le vrai du faux. Je ne sais pas ce qui est vrai. Même moi, je ne sais même pas si je suis vrai, au final.

Je suis arraché à mon apitoiement lorsqu'un coup résonne contre la porte d'entrée. Putain fait chier. Elle a oublié son string l'autre ou quoi ?

Je décide d'ignorer et ferme les yeux, en tirant encore un peu plus fort sur mon joint.

Bam-bam !

— Aaron ? Ouvre !

J'ouvre une paupière et lève un sourcil. Je reconnais la voix masculine de Matt. Merde… Qu'est-ce qu'il fout là ?

Je peste pour moi-même et active ma baguette pour lui ouvrir la porte d'entrée. Je reste confortablement assis dans le canap', clairement pas motivé à lever mon cul. L'instant d'après, le grand brun pénètre dans l'appartement et se fige dans l'entrée en constatant le bordel qui règne à l'intérieur.

C'est vrai, j'ai possiblement fait tomber le meuble de l'entrée l'autre jour quand j'ai ramené une nana. Le porte parapluie est fracassé sur le parquet et je n'ai toujours pas débarrassé les débris. J'ai possiblement arraché mes cadres dans un excès de rage et de colère. Étonnant n'est-ce pas ? Matt ne s'attendait certainement pas à me voir péter un plomb comme ça. Moi non plus.

— Euh… Ouah, souffle le brun en se frayant un chemin jusqu'à moi. Qu'est-ce qui s'est passé ici ?

Je hausse les épaules, refusant de croiser son regard. Je termine mon bédo puis l'écrase dans le cendrier.

— Qu'est-ce que tu veux ? grommelé-je avant de remonter mon regard vert sur lui.

Interdit, Matt hésite. Il se passe une main dans ses cheveux bruns avant de soupirer et se laisser asseoir en face de moi.

— Je… J'ai l'impression d'être chez Adrian.

— Faut bien que quelqu'un prenne la relève, révèlé-je, mauvais, en étirant un sourire forcé. Pendant que Monsieur se paye du bon temps, quatre-vingts ans en arrière.

— Je ne pense pas que ce soit la grosse joie là-bas, indique Matt, sérieux. Qu'est-ce qui t'arrive ?

— Qu'est-ce que ça peut te faire ?

— T'es mon ami. Je m'inquiète. Et puis… Haley est chez moi. Bouleversée.

Je réprime un ricanement et roule des yeux.

— T'es venu me taper sur les doigts, c'est ça ? pouffé-je, acariâtre. C'est trop aimable à toi Matty chéri.

Le brun lève les sourcils, étonné. Pendant ce temps, je m'empare de la bouteille de Whiskey qui traîne devant moi et bois directement au goulot.

— Je crois que… que je n'ai pas besoin de te dire quoi que ce soit. Tu te punis déjà toi-même, assure l'homme en me retirant la bouteille des mains. Sinon pourquoi est-ce que tu tomberais dans les mêmes travers que ton frère ?

— Je suis pas d'humeur pour faire une séance de psychanalyse, soupiré-je. Donc dis-moi ce que tu as à me dire et barre-toi.

Matt cligne des yeux. C'est vrai, je ne lui ai jamais parlé comme ça. Jamais. Je suis toujours constant. Toujours poli. Mes insultes sont d'habitude toujours détournées. Bien plus subtiles mais là… là j'y arrive pas. Ça fuse comme du venin.

— Je suppose que tu réalises maintenant pourquoi ton frère est parti, assure Matt en se relevant, prêt à décamper.

Je fronce les sourcils et l'observe avec incompréhension.

— Parce qu'il était malheureux. Bonne soirée Aaron…

Mon palpitant s'accélère et j'ai soudainement chaud. La révélation du meilleur ami de mon frère résonne en moi comme un cri d'alarme sans que je ne sache vraiment pourquoi. Sans que je ne parvienne vraiment à l'identifier.

— Attends, appelé-je.

Matt fait machine arrière et se poste dans l'encadrement du salon, les bras croisés sous ses pectoraux. Ses billes bleu nuit percent l'obscurité dans laquelle je suis plongé et il attend. Il attend que ma langue se délie.

Mais je n'y parviens pas. Après tout, je ne suis pas aussi proche de Matt qu'Adrian l'est. Moi je ne suis que son petit frère. La pièce rapportée qui ne parvient pas à retenir les gens qu'elle aime.

— Assieds-toi, invité-je finalement en me calmant. Tu bois quoi ?

Le brun étire un faible sourire et vient se laisser tomber à mes côtés.

— Même chose que toi.

J'expire profondément et m'enfonce dans mon siège. Puisqu'il le faut vraiment, allons-y !

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Leigh

— Haley ! m'écrié-je.

Bon sang, cette fille est têtue comme une mule quand elle s'y met. D'autant plus qu'elle est quelque peu alcoolisée !

Elle traverse l'appartement vide d'Adrian en titubant, Lexie sur ses talons qui la rattrape in extremis.

— Hé c'est hyper clean ici, souligne la blonde en se laissant tomber sur le canapé en cuir de mon cousin. Il a fait le ménage avant de partir ! C'est prévenant de sa part !

— Aaah !

Haley se jette sur Lexie et les deux éclatent de rire, visiblement bourrées. Je réprime un ricanement et roule des yeux. Ces deux-là sont comme les deux doigts de la main. Depuis qu'elles sont colocataires et qu'elles vivent ensemble, une amitié dure comme du fer s'est liée entre elles.

Alors qu'elles se chamaillent sur le canapé d'Adrian, je laisse traîner mon regard sur la pièce qui, effectivement, est brillante de propreté. Je n'avais jamais remarqué qu'il avait fait poser un carrelage marbré dans la cuisine, tiens.

— Les filles, c'est pas en vous roulant l'une sur l'autre qu'on va trouver une potentielle lettre d'Adrian, fis-je remarquer. S'il nous en a vraiment laissé une…

— Évidemment qu'il nous en a laissé une ! assure Lexie. C'est ce qu'il avait fait la dernière fois, pas vrai Haley ?

— Ouais, il a laissé un mot dans les lattes du parquet.

— Et là, il n'y a rien, assuré-je. Donc il n'a pas pensé à nous.

— Ou biiiiien… Il l'a mise ailleurs ! assure Haley en faisant une clé de bras.

— Ah ! pouffe Lexie en se faisant maîtrisée. Espèce de cinglée !

Les deux jeunes femmes roulent sur elle-mêmes et se rétament sur le sol en un bruit mat et sourd. Elles éclatent de rire, visiblement peu concentrées.

L'idée initiale était bonne, c'est certain. À supposer que ce crétin d'Adrian ait pensé à nous. Mais visiblement non.

Surgere indicat ! lancé-je sur la pièce.

— Ouhhh ! Madame utilise des incantations méconnues ! se moque Lexie.

— Elle fait trop la fière parce que c'est une langue-de-plomb, renchérit Haley en pouffant.

Je roule des yeux et dirige ma baguette éclairée d'un faisceau bleu sur l'appartement. Si jamais quelque chose de curieux doit être trouvé, une lueur rouge apparaîtra. Et alors elles arrêteront de faire les malignes et me remercieront. C'est vrai quoi ? Il faut bien que mon job me soit utile de temps en temps.

Lexie utilise bien ses sortilèges liés à l'organisation d'événements pour préparer des soirées magistrales entre amis et Haley aide souvent Adrian a retrouver l'origine d'un objet alors pourquoi est-ce que je ne pourrais pas en profiter moi aussi ? Juste parce que je travaille au département des Mystères ? No sense!

Pourtant au bout de quelques minutes de recherches, je dois me rendre à l'évidence : il n'y a strictement rien ici.

En toute Potter qui se respecte, j'ai le sang chaud et je ne parviens pas à cacher mes émotions. Ainsi je suis blessée et en colère. Je comprime mes poings et fais craquer mon cou. Si Adrian se présente sous mes yeux à cet instant précis, je le détruis !

Au lieu de ça, ce sont deux paires d'yeux bleus nuit et vertes émeraudes qui franchissent la porte d'entrée. Avec étonnement, je vois Matt et Aaron arriver sur les lieux. Qu'est-ce qu'ils fichent ici ?!

Mon regard décontenancé va sur Matt, qui semble tout aussi surpris de me voir ici avec les filles. Le regard d'Aaron lui, est braqué sur Haley qui est assise à califourchon sur sa meilleure amie. Aussitôt, elles cessent de jouer comme deux jeunes chiots et je crois que leur état d'ébriété passe de 100 à 0 en un rien de temps.

— Qu'est-ce que vous faites…

Matt et moi avons parlé en même temps. Nous nous arrêtons avant de nous considérer quelques instants.

— On venait voir si Adrian n'avait pas laissé de mot, apprend Aaron d'un ton dur et froid. Vous ?

Son regard traîne sur Haley et Lexie qui n'ont pas vraiment le profil des meilleures détectives. Mais eh ! Il se prend pour qui à nous juger ! Hein, Monsieur Potter ?! Nous au moins on a pas de cernes digne du plus grand des toxico sous les yeux !

— On est là pour la même raison, apprends-je, les bras pliés sous la poitrine.

— Il n'y a rien en bas, assure Matt.

— On sait, grommèle Haley en se relevant.

Elle se passe une main dans ses cheveux et tente d'organiser sa coiffure, les yeux braqués sur mon cousin qui se contente de fixer le parquet. Qu'on me retienne de l'étriper sur place cet abruti !

Quelqu'un de sensé dans cette pièce semble comprendre que mon sang bouillonne et que je perds peu à peu patience, j'ai nommé mon fiancé ! Il s'approche de moi et vient planter ses mains sur mes épaules. Aussitôt, son poids et sa chaleur qui se déposent sur mon corps, me font oublier pourquoi j'étais sur le point de sauter à la gorge d'Aaron.

Bien. Peu importe. Il n'y a rien à voir ici…

— On ferait mieux d'y aller, grommelé-je en rangeant ma baguette.

Les autres ne répondent pas mais sont forcés d'admettre qu'effectivement, on a plus rien à faire ici. Adrian s'est carapaté, fin de l'histoire, au revoir, rideau. Ce type est vraiment suicidaire !

— Bien allons-y !

— ADRIAN ! RÉPONDS-MOI !

Je sursaute et échange un regard effaré avec les autres. Merde ! Est-ce que j'ai rêvé ?!

— Qu'est-ce que c'était ?! s'affole Lexie.

— Ça vient d'en bas, signifié-je.

Je n'attends pas et m'enfonce la première dans les escaliers, baguette à la main. Le cœur au bord des lèvres, je m'approche de plus en plus rapidement des cris. À vrai dire, ce sont des plaintes. Je ne connais pas cette voix mais le "Adrian" je l'ai bien entendu.

Excitée comme une puce, je cours presque, Matt sur mes talons. Sa baguette est aussi dégainée. En deux langues-de-plomb qui se respectent, nous sommes habitués au danger dans notre métier. Se déplacer arme à la main est presque une seconde nature chez nous.

Nous sommes suivis de près par Aaron et mes amies. Puis lorsque je pénètre l'échoppe de mon cousin, je me fige dans l'encadrement, mon cœur loupant un battement. Matt se cogne à moi, puis est imité par les autres.

Horrifiée, je vois Adrian, matérialisé comme par enchantement devant moi mais complètement immobile. Il est étendu sur le sol et ses yeux sont grands ouverts.

Mon regard affolé va et vient sur la scène et tente d'analyser au mieux la situation mais je n'y parviens pas tant je suis tétanisée. À part un serpent égorgé et une fille qui pleure et qui hurle son prénom au-dessus de son cadavre, je ne vois rien d'autre.

— ADRIAN ! hurle la brune penchée au-dessus de lui.

— C'est qui cette… ? demande Lexie en venant à ma rencontre mais je l'empêche d'approcher.

Pourtant ses yeux en amandes tombent sur le corps immobile de notre cousin. Elle ravale sa salive, sonnée.

Alors peu à peu, tremblantes et les yeux gorgés de larmes, je rentre dans la pièce et laisse les autres assister à la scène. Ils y ont droit. Ils doivent savoir.

La paume chaude de Matt rejoint la mienne mais j'avoue ne pouvoir vraiment réagir tant tout ceci est improbable. Il y a quelques minutes, il n'y avait personne ici. D'un coup, Adrian apparaît. Il réapparaît mais visiblement… sans vie.

La jeune femme au dessus de lui pleure si fort, que ses plaintes résonnent en moi et me chamboulent jusqu'au plus profond de mon être. Mes jambes tremblent puis soudainement, elles ne parviennent plus à soutenir mon poids et je m'écroule à terre, les mains devant la bouche.

— Adrian ! NON ! hurle Haley en le découvrant.

Elle est retenue en arrière mais la brune penchée sur lui, sursaute et fait volte-face, s'apercevant qu'elle n'est pas seule. Elle écarquille ses yeux gorgés de larmes et je croise son regard clair, apeuré et affolé.

— J'ai, j'ai fait… J'ai tout essayé, bégaye-t-elle.

Elle est désemparée. Et moi aussi. Son regard bleu vert est plongé dans le mien et j'ai comme la sensation de tout pouvoir décrypter en elle. Je suis aspirée par son aura et sa peine me percute de plein fouet. Sans que je ne sache pourquoi, sans que je ne la connaisse, ni sans même que je ne comprenne, je rampe jusqu'à elle et viens m'enquérir de l'état d'Adrian. Comme si je devais toucher son corps froid pour réaliser qu'il est bel et bien mort.

— Je… Adrian, murmuré-je.

— Qu'est-ce, qu'est-ce que je vais faire sans lui ? gémit-elle, le visage ravagé par les larmes. Je... J'ai besoin de lui. Il ne peut pas… Il ne peut pas…

Elle ne finit pas sa phrase que je l'attire vers moi. À peine l'ai-je effleuré, qu'elle se jette sur moi de désespoir et se noue de toutes ses forces autour de mon cou, secouée de soubresauts. Je l'entoure de mes bras et la serre contre moi, comme si c'était la chose la plus naturelle au monde. Son état désemparé me déboussole et je ressens le besoin de l'accueillir contre moi. Elle souffre, elle hurle, elle suffoque. Elle est dans un état de semi-conscience, de semi-vie. Sa brûlure est tellement vive et déchirante que je ne parviens pas moi-même à sangloter. J'ai l'impression que ce que je ressens par rapport à cette femme n'est rien. Ce n'est rien et pourtant, c'est une totale inconnue.

— Tu as fait tout ce que tu as pu, assuré-je contre elle, en passant des caresses pressantes sur sa tête. Tout ce que tu as pu.

Je la berce et absorbe sa peine et ses larmes qui semblent l'engloutir jusqu'à ce qu'elle s'arrête brusquement.

— Qu'est-ce que…

— Je n'ai pas tout fait ! Pas encore !

— Quoi ?!

La brune s'écarte de moi et revient vers Adrian. Elle s'empare de sa main inerte et la serre entre ses doigts. Elle ferme les yeux et se concentre de toutes ses forces. Ses lèvres bougent mais je ne parviens pas entendre ce qu'elle prononce si ce n'est des plaintes entrecoupées. "Adrian, j't'en prie". "Ne me laisse pas". "Reste avec moi mon amour". "On a encore tant à vivre" "Tant de choses à vivre ensemble".

L'amour qu'elle porte pour mon cousin me percute violemment. Elle est dévouée à lui, corps et âme. C'est tellement évident, tellement fort que ça me bouleverse complètement.

Elle se bascule d'avant en arrière et serre de plus en plus fort le bras d'Adrian contre elle, ne manquant pas de déposer des baisers sur ses doigts. Elle tremble de plus en plus. Elle se serre contre lui, de plus en plus. Je ne comprends rien mais je sais intérieurement que je ne dois surtout pas l'interrompre. Au contraire, je crois comprendre qu'elle doit se concentrer. Pourquoi ? Je n'en sais rien.

Ma baguette toujours agrippée, je lance un sortilège de silence autour de nous, empêchant les plaintes de Lexie et d'Haley de la déranger.

Puis avec émerveillement, une lumière étincelante sort de ses mains. Elle tremble de part en part mais ne s'arrête pas pour autant. Une fine foudre étoilée se met à voler entre ses doigts et recouvre le corps d'Adrian. D'où je suis, la lumière est chaude et agréable. Subjuguée, je cesse de bouger et de respirer. Je la laisse seulement faire, ignorant tout de ce qu'il se passe.

Elle continue à fermer les yeux de toutes ses forces et murmurer. Sa magie se fait alors plus forte, plus dense. Et au moment où je m'y attends le moins, je vois le buste d'Adrian se remplir d'air. J'écarquille les yeux, en état de choc. Merlin ! C'est impossible !

Et pourtant, le corps de mon cousin reprend de la couleur et de la chaleur. Il semble renaître de ses cendres, illuminé de ce magnifique faisceau étoilé. C'est incroyable ! Les autres derrière moi sont tout aussi stupéfaits. Silencieux et dans le doute complet, tous les regards sont dirigés sur la brune.

Jusqu'à ce que Adrian se relève subitement, les yeux exorbités et le souffle court.

— Oh Merlin ! s'écrit Haley en tournant de l'œil.

Elle est rattrapée in extremis par Lexie et Aaron dont les yeux sont braqués sur Adrian.

Ce dernier, revenu d'entre les morts, ne s'attarde pas sur nous. Non, toute son attention est focalisée sur la petite brune, qui papillonne des yeux. Ses mains plongent derrière sa nuque et, fougueusement, il aplatit ses lèvres sur les siennes. Elle fond dans ses bras et s'accroche à lui comme une damnée. Elle sanglote encore, sans doute à la fois exaltée et terrorisée.

— C'est bon, c'est fini, assure Adrian en lui caressant les cheveux. Je suis là, c'est bon.

Il est tellement doux avec elle. Tellement intense, tellement transi d'amour, que ça me percute de plein fouet. Elle se laisse tomber contre lui, complètement épuisée par son exploit alors qu'il passe de douces caresses sur son dos et qu'il dépose de tendres baisers sur son crâne.

Qu'on me pince ! Ce n'est pas mon cousin ça. Je ne l'ai jamais vu comme ça ! Avec qui que ce soit !

— Reste avec moi mon cœur, chuchote-t-il tout bas contre elle en l'aidant à rester éveillée.

Je vois qu'elle lutte de toutes ses forces pourtant sa prise sur Adrian ne faiblit pas. Elle est toujours fermement accrochée à lui, comme une moule à son rocher. Ils restent ainsi au moins cinq bonnes minutes, ignorant complètement que je suis là, à dix centimètres d'eux et que les autres sont tout autant témoins de la scène.

Secouée, je ne parviens pas à réagir. D'abord Adrian est mort, puis il ne l'est plus. Et voilà que maintenant, il incarne la perfection de l'amour le plus pur et tendre. Il faut qu'on m'explique !

Lorsqu'enfin ses yeux gris se relèvent vers moi, son fidèle sourire en coin s'accentue. Il dérive vers les autres, tout aussi stupéfaits.

— Hey les gars ! Bah ça alors ! Vous vous êtes donnés le mot pour fêter mon retour on dirait ! s'extasie-t-il. J'espère que vous ne m'en voudrez pas, j'ai ramené un petit cadeau souvenir avec moi !

Il nous adresse un clin d'oeil taquin tout en désignant la jeune femme écroulée dans ses bras. Non bon ça c'est certain, c'est toujours notre Adrian ! Pas de doute là dessus !