CHAPITRE XLI - La Gifle.

Hello à tou•te•s !

Déjà, un grand merci pour vos commentaires et réactions pour le dernier Chapitre, j'avais hâte de vous partager la suite ! Je suis consciente que l'attente a été longue, et je vous remercie pour votre patience. Comme je le disais à certains d'entre vous, je me suis démenée (d'où le retard de publication) ce Chapitre est extrêmement long !

Donc prenez un thé, un café, des petits snacks, et on se retrouve à la fin pour discuter.

Bonne lecture !

La fissure dans le mur était béante.

Grimmson l'avait violemment encerclée de ses bras, et Freya hurla, sa voix pourtant coincée entre surprise et terreur. Dans le mouvement de panique et de violence, la Nott laissa tomber sa baguette, qui sembla s'écraser non loin de là où gisait et grognait Thésée.

Une partie du plafond, déjà fortement délabré, s'était effrité sur les deux silhouettes qui se battaient et se débattaient, faisant chuter d'infimes particules blanchâtres et des petits morceaux de béton dans toute l'arrière cuisine.

Grimmson plaqua Freya en arrière, contre le rebord du plan de travail poussiéreux, si fort, qu'elle crut qu'il lui avait brisé le bas de sa colonne vertébrale. Elle eut d'ailleurs si mal, que sur le coup, aucun son ne sortit de sa gorge serrée. Et puis, il parvint à plaquer le reste du dos de la sorcière contre le plat du plan de travail, la cambrant en arrière dans une torsion plus qu'inconfortable. Une de ses deux mains encercla son cou, d'une seule poigne, solide et sèche, et Freya lui lança un regard épouvanté, qui sembla le ravir plus que de raison.

La Nott, renversa sa tête en arrière, et aperçut les flammes, qui été nées des chandelles de leur dîner, et qui étaient en train de gagner du terrain dans la grande salle du restaurant, depuis les bouquets de fleurs fanées jusqu'à commencer à lécher les deux portes battantes qui menaient aux cuisines. Leur chaleur les atteignait déjà, et Freya pouvait sentir ces ondes de cendres et de brûlé s'infiltrer dans ses poumons, qui luttaient pourtant déjà bien assez.

Mais la vision en face d'elle ne fut pas plus rassurante que celle qu'elle apercevait dans la grande salle ; le sourire carnassier et malveillant de Grimmson était planté juste au dessus de son visage, et son expression se déforma en un malin plaisir.

Elle se débattit.

Plus fort encore.

Et encore.

Mais il s'était plaqué contre elle désormais, l'écrasant contre la surface froide et blanchie.

Il la pressa si fort, que tout l'air dans ses poumons s'en échappa. Et cette proximité, si pesante et malsaine lui donna une violente nausée. Elle pouvait sentir ses os, sa chair, son immonde chaleur et sa répugnante Cologne juste là, contre son propre corps. Le dégoût fut si fort, qu'il se mut en terreur. Une terreur terriblement paralysante.

- Lâchez-la…!

La voix grave de Dragonneau avait à la fois grogné et déraillé depuis là où il était.

Freya ne pouvait pas le voir depuis là où elle était, car il gisait encore étendu au sol. Pourtant, les images de son visage abîmé, de sa main ensanglantée lui revinrent, dans une violence extrême. Et ces traces rouges de torsion, ces entailles distordues et concentriques, n'évoquaient qu'une seule chose : une désartibulation. Et elle paraissait plutôt sévère.

Freya tenta de se redresser, pour tenter d'apercevoir son ancien patron, mais la lourde silhouette de Grimmson la maintint fermement contre le plan de travail. La Nott sentit un noeud de panique se former dans sa gorge déjà bien trop serrée.

Si la voix de Thésée avait attiré l'attention de la Nott vers lui, cela ne sembla n'avoir eu aucun effet sur le sombre Grimmson. Ses yeux railleurs et malsains étaient rivés vers la gorge de Freya, et puis, elle détesta le voir dévier lentement vers son col de chemisier, le long du boutonnage nacré. Un grognement, entre rage et dégoût s'échappa malgré elle de sa gorge en feu.

Il lui sourit simplement.

Et Merlin, quel sourire.

Un rictus effroyable, qui en disait long sur ses sombres intentions.

Freya tenta d'agripper, de griffer son visage, ou une de ses mains, qui l'empêchaient fermement de bouger, mais encore une fois il bloqua ses moindres ouvertures, ses moindres gestes, en plaquant d'autant plus son bassin contre le sien, et sa poigne contre sa trachée.

La jeune femme laissa échapper une plainte, qui ressemblait d'autant plus à un pitoyable gémissement qu'au cri de haine qu'elle voulait pourtant pousser. Elle se détesta pour cela. Un millier d'injures, un millier de flots de paroles haineux défilaient dans son cerveau embrumé… mais pourtant rien ne sortit de sa gorge nouée. Sur le moment, il ne s'agissait même pas de l'étranglement de Grimmson, mais plutôt du choc. Un choc. Les intentions du sombre sorcier étaient si vives, si intenses et malsaines que cela paralysait Freya. Elle était figée de terreur. Complètement amorphe, incapable de bouger ni de dire quoique ce soit, comme prisonnière de ce corps qu'elle savait qu'il voulait abîmer.

Et puis, il y eut ce geste brutal qu'elle ne comprit pas sur l'instant.

Un bruit de déchirement résonna dans l'arrière cuisine, pourtant déjà animée du crépitement des flammes qui s'intensifiaient dans la salle adjacente.

C'était son chemisier.

Sa boutonnière nacrée et dorée vola en éclat, sa peau s'était mise à lui brûler, comme après une importante éraflure, et le sourire carnassier de Grimmson avait augmenté d'un cran. La répulsion se mêla très vite à l'humiliation. Elle était là, sous lui, le décolleté si découvert qu'elle se sentait déjà presque nue.

Une panique s'infusa en elle, se mélangeant à une vive adrénaline. L'instinct de survie, sans nul doute. Elle la reconnut de suite, cette désagréable sensation au creux de son estomac. Ce vilain sursaut de conscience ; il fallait qu'elle se batte. Qu'elle se débatte. Qu'elle bouge. Qu'elle…

Mais un grognement avait finalement arraché l'attention de Grimmson de son décolleté. Un bruit, un craquement de bois et une plainte grave qu'elle reconnut être celle de Dragonneau. Freya put voir, du coin de son oeil larmoyant, qu'il s'était déplacé, certainement en rampant, et qu'il essayait d'attraper sa baguette, qui avait roulé un peu plus loin.

Grimmson se décolla un peu de Freya, permettant à un filet d'air d'envahir ses poumons en feu. Une bouffée d'air pleine d'une odeur toxique de fumée, et du parfum révulsant de son agresseur.

Sa voix railla, et vibra tout contre le thorax de la Nott, la secouant d'autant plus :

- Restez donc tranquille, Monsieur Dragonneau…

Son rictus s'était accentué alors que le regard de Thésée était devenu si noir qu'elle jura que ses iris avaient réellement changé de couleur. Elle réalisa par la même occasion à quel point son visage eut été méconnaissable, boursoufflé de rouge et d'un violet déjà très vif.

La voix terrible de Grimmson tira la Nott hors de son observation paniquée :

- …ne venez pas gâcher ce petit moment entre Nott et moi, voulez-vous…

Cette phrase fut l'une des plus terribles qu'elle avait entendues. Pleine de sous-entendus malsains, et d'une réalité qu'elle se refusait d'admettre jusque là.

La jeune sorcière en eut des frissons et une nouvelle vague de nausée la traversa, elle la secoua même… mais pas autant que le soudain aboiement de Grimmson :

- Endoloris !

- Non ! Avait hurlé Freya en simultanée.

Mais son propre cri se mêla vite aux geignements graves de Thésée, dont elle pouvait voir, impuissante, le corps être secoué de spasmes violents et crispés. Et le regard de Grimmson sur lui, cet amusement, ce divertissement sincère et sadique, comme celui d'un enfant qui s'amusait de la souffrance d'un petit insecte. Les plaintes graves de Thésée se murent en un cri rauque, alors qu'il avait balancé sa tête boursoufflée vers l'arrière.

Grimmson chantonnait avec amusement par-dessus ses grognements éraillés :

- Ne le prenez pas personnellement, Thésée…

Et alors qu'il allait poursuivre sa phrase railleuse et sadique, Freya se défit de son horrible torpeur, et dans un geste violent, qui lui réclama toutes ses forces, le poussa en arrière. Grimmson recula de quelques pas, visiblement un peu pris de court par cette action qui semblait pourtant si bête, si naïve sur l'instant. La jeune sorcière se rua vers Thésée, dont elle aperçut finalement le corps à la fois tordu et recroquevillé sur lui-même, comme un pantin qu'on aurait sauvagement brisé.

Et le regard qu'il lui lança était terrible ; le même qu'i lui avait adressé à la Maison de la Bellone, à Bruxelles.

Un mélange de douleur, et d'une soudaine surprise, une crainte.

Celui qu'il avait fait alors que juste derrière elle, Thorne était en train de-…

Et elle comprit rapidement son regard alarmant et alarmé.

Une douleur à l'arrière de son crâne la ramena violemment à Grimmson, si bien qu'elle bascula en arrière, ne retenant pas un cri de rage et de douleur. Il la ramenait à lui, en lui empoignant et en lui tirant les cheveux. Comme on le ferait avec barbarie à une bête sauvage.

Elle tomba contre ses tibias, cognant son dos endoloris contre les os saillants du sorcier.

Elle s'attendait à une autre douleur, plus vive, cette fois-ci, mais il y eut un comme bruit électrique, un sifflement de lumière, et une bourrasque qui avait propulsé Grimmson loin derrière, dans le fond des cuisines. En se retournant brièvement, elle ne pouvait même plus apercevoir sa silhouette, alors qu'il s'était définitivement écrasé contre de la vaisselle et des meubles dans un fracas sans nom.

La fumée de l'incendie qui grandissait était noire et épaisse, et chaque bouffée d'air était un supplice, une inspiration pleine de cendres et de suif qui se collait aux parois de sa trachée et contre le fond de son palais.

En toussant, et en se sentant presque perdue l'espace d'un court instant, Freya se retourna vers Thésée, qui s'était en partie relevé, dans une position assise, mais tout de même étrangement de biais, comme un pantin désarticulé. Derrière lui, se tenait une longiligne silhouette, vêtue d'un sobre trench-coat noir.

La jeune anglaise s'étouffa péniblement :

- Porpentina-…!

Cette dernière lui tendit sa main, l'aidant à se relever avec une mine aigrie et tendue. Et dès que Freya fut de nouveau sur ses deux pieds, elle ne crut pas une seule seconde qu'elle parvint à marcher, ou même à simplement se tenir debout. Ses jambes étaient flageolantes et d'une mollesse sans nom. Et pourtant, c'était de l'adrénaline, de la violence, qui pulsaient dans ses veines, et lorsque Porpentina lui tendit sa baguette, en toussant grassement la fumée qu'elle venait d'inspirer, une tout autre sensation s'infusa en Freya.

La peur était toujours là, bien entendu.

Mais le fait de retrouver le bois argenté de sa baguette, dans le creux de sa main, lui procura un soudain sentiment de puissance, une soudaine confiance et un désir irrépressible de vengeance, de violence.

Et ce dernier décupla lorsque ses yeux retombèrent vers le visage cassé de Thésée.

Porpentina dût avoir rivé ses yeux vers lui aussi, puisqu'elle s'autorisa un commentaire avec une expression dubitative :

- J'ai bien peur que votre plan ne se déroule pas aussi bien que prévu.

Thésée lui lança un regard mauvais, du moins, ce fut ce que l'on arriva à distinguer sur son visage enflé et tâché de rouge. Sa voix grave s'enroua avec une vilaine amertume :

- Vous en avez mis du temps…

Mais alors que Porpentina se penchait au-dessus de l'Auror, obstruant momentanément son visage de la vue de la sorcière anglaise, cette dernière ressentit comme un violent coup de poing au creux de son estomac. Cette sensation se diffusa dans l'intégralité de son corps, comme des ondes sismiques. Ses yeux bleus s'étaient posés sur la main gauche de Thésée, rouge, la manche déchirée jusqu'au coude, la chair à vif et spiralée.

Malgré l'horreur de cette vision, la voix de Porpentina constata une nouvelle fois avec une simplicité déconcertante :

- Vous avez été désartibulé.

Et alors que Thésée parvenait finalement à se stabiliser dans sa position assise, Freya remarqua qu'il traînait une jambe tout aussi abîmée que l'était sa main, contre le sol juché de débris, créant une longue trace d'un rouge sombre et visqueux.

Son effroi atteignit des sommets ; sa main n'avait pas été la seule à avoir été désartibulée : tout son mollet gauche, jusque sa cheville, était constellé de rouge. Son pantalon à cet endroit n'était que lambeaux en spirale, laissant apparaître une chair à vif et sanguinolente.

Mais les yeux de Goldstein s'étaient vraisemblablement aussi arrêtés au niveau du visage du sorcier, et elle ajouta :

- Mais je doute que ce soit la désartibulation qui ait fait ça à votre visage.

Elle sous-entendait sans nul doute la possibilité qu'il eut été passé à tabac par Grimmson, et l'espace d'un instant, la Nott s'imagina ses gros poings bourrus s'écraser violemment contre les joues de Thésée.

Des coups, des coups, encore des coups.

Dans un flash, elle repensa aux coups de pieds effrénés qu'elle avait elle-même reçus dans son ventre, et dans ses côtes, alors qu'elle gisait en pleurant sur le sol boueux et cendré d'Exmoor.

Freya retint un autre haut le coeur, cette fois-ci mêlé avec d'autant plus de haine et de violence.

Thésée, lui, grimaçait, distordant d'autant plus son visage déjà difforme et enflé.

Son ton fut à la fois sec et terriblement sarcastique :

- Oh, vous pensez ?

Ses yeux gris, presque dissimulés derrière leurs paupières enflées et violacées, se braquèrent dans la direction de la Nott, un faible instant, et avec une expression complètement déformée et inintelligible, il allait s'adresser à elle, mais fut coupé par un bruit qui provenait du fond de la cuisine.

Grimmson s'était relevé, lui aussi.

Sans nul doute.

Mais la fumée noire était devenue si dense, si sombre, qu'on se serait cru à Londres dans une nuit étouffée par un brouillard épais et sinistre… et le sombre sorcier n'était pas visible.

L'idée qu'il puisse revenir rapidement vers eux, en revanche, sembla avoir secoué Porpentina hors de sa torpeur, puisqu'elle se pencha vers Dragonneau pour l'aider à se soulever du sol en pagaille. En son sein, le coeur de Freya faisait des bonds étranges. Dans ses veines, l'adrénaline fut rejointe par un autre sentiment. Pas de la peur… non. Autre chose.

Et lorsque les yeux de Freya tombèrent au sol, et qu'ils virent la baguette de Grimmson, gisant entre deux débris du plafond fissuré, ce sentiment grandit d'un seul coup, la saisissant même jusqu'à ses tripes.

C'était une rage qui l'avait envahie.

Une terrible et sombre envie de lui faire payer.

De tout lui faire payer.

L'état de Dragonneau.

Toutes ses paroles, et révélations quant à Eugène.

Son sombre dessein pour cette soirée.

Cette manipulation perpétuelle et malsaine.

Et puis… elle repensa à Phineas, à sa jambe.

Au fait qu'il ne pourrait plus courir, ni danser. A sa douleur.

Et puis, il y avait cette vision de Coffin, allongé dans son lit à Ste Mangouste, immobile à jamais, enfermé dans une folie et un mutisme à cause de la torture que Grimmson lui avait infligé.

La rage devint haine.

Une haine féroce, animale.

Brute.

Et maintenant, Freya savait qu'il était bien là.

Debout dans la pénombre en face d'eux…

Et dépourvu de sa baguette.

Oh, qu'elle allait lui faire payer.

Elle ne se retourna même pas alors qu'elle entendait le souffle rauque de Thésée derrière elle, visiblement à nouveau sur ses deux pieds, à moitié avachi contre l'épaule de Porpentina, qui elle, se mit à tousser de la fumée cendrée. La sorcière américaine, avec sa main libre, avait tiré sur la manche de Freya, comme pour capter son attention devant l'urgence de la situation.

Sa voix résonna non loin de son oreille, sifflante d'urgence et étouffée par les fumerolles de plus en plus toxiques :

- Sortons d'ici. Dépêchons-nous.

Mais la Nott l'ignora.

Elle était comme un état second.

C'était une sensation bien étrange, d'être là, immobile, au milieu de cette cuisine désaffectée, prise par les flammes ardentes qui semblaient avoir déjà attaqué l'entièreté de la salle du restaurant. Des craquements, des cliquetis de flamme… Des morceaux de la charpente et des murs commençaient déjà à s'effriter dangereusement, traduisant une bien urgente réalité : la bâtisse allait s'effondrer.

Mais Freya se refusa de l'admettre.

Non.

Elle allait lui donner ce qu'il méritait.

Elle le devait.

Il le fallait.

Et justement, sa grande silhouette se détacha un peu de la fumée devant eux.

Il fit un pas, puis un deuxième. Lourds. Lents.

Et finalement se stoppa.

Il avait ce sourire.

Ce terrible rictus.

Et ses yeux étaient rivés vers Freya.

Droit vers elle.

C'était comme s'il pouvait sentir la rage qu'elle avait pour lui depuis là il se tenait. Et que cela le ravissait tout particulièrement.

Porpentina sembla finalement comprendre pourquoi elle n'avait pas bougé, et l'interpella sèchement :

- Non, Freya !

Mais son intervention se noya dans les rires de Grimmson.

Un rire sombre.

Un rire malsain.

Freya lui adressa un regard désarçonnée, prise au dépourvue par cette réaction hilare et angoissante. Inconsciemment, sa main s'était tant resserrée autour du bois de sa baguette, qu'elle s'était mise à trembler.

Grimmson railla avec un ton soudainement perfide :

- Vous me faîtes ce même regard…

La main de Porpentina avait attrapé son avant-bras, tentant de la tirer en arrière vers Dragonneau et elle.

Mais Grimmson précisa :

- …ce regard que vous me lanciez lorsque je vous ai dit pour votre pitoyable ami Black…

- Taisez-vous.

Le sursaut de haine revint.

Terrible.

Amer et acide.

Porpentina secoua son bras, la pressant de s'en aller :

- Freya !

Dans un geste sec, elle détacha son bras de la poigne de Goldstein, sans quitter Grimmson des yeux. Son visage barbouillé de cendres et de coupures, et ce rictus qui semblait ne jamais le quitter.

Sa voix grave siffla avec un amusement malsain :

- …Ou lorsque je vous ai raconté que cet imbécile de Dragonneau était mort.

- Taisez-vous ! Hurla Freya du haut de ses poumons.

Sans même qu'elle y pense, sa baguette s'était braquée vers le sorcier, qui, sans quitter son immuable sourire, leva lentement les mains vers le plafond abîmé et rongé.

La Nott se mit à respirer de manière irrégulière, entre sa haine et la fumée noire, qui semblaient envahir ses poumons et son âme toute entière.

- Oh, que j'aime cette expression que vous faîtes.

Il se lécha la lèvre supérieure, et Freya eut un sursaut de dégoût.

- Elle est si délicieuse.

Freya explosa avec violence.

Sa voix aigüe s'époumona :

- Endoloris !

Le corps de Grimmson s'effondra dans les débris, et se mit à remuer comme un insecte que l'on torture. Ses spasmes de douleur s'assortirent de cris rauques et de plaines graves. La Nott repensa à ce jour au Ministère, alors qu'il avait voulu lui apprendre ce sort. Ce terrible sort. Qu'il avait voulu qu'elle l'inflige à Phineas, et qu'il l'avait giflée.

Mais là c'était différent.

Freya se sentait toute puissante.

Haineuse, dégoûtée et révoltée.

Mais puissante. Oh, si puissante.

Cette rage lui procurait un pouvoir si fort, que cela lui rappela la nuit de tempête sur le bateau. La nuit où elle avait tué MacDuff.

Grimmson se mit à geindre gravement, et après quelques longues secondes, son corps cessa de remuer. Freya le regarda froidement. Elle-même se sentit froide. Gelée, alors que les flammes crépitaient si près d'eux désormais.

Elle n'osa même pas imaginer les expressions de Dragonneau et de Porpentina, juste derrière elle… même si à vrai dire, sur l'instant, elle n'y pensa même pas. Tant elle était absorbée par cette noirceur toxique qu'est la haine.

Le visage de Grimmson se tourna dans sa direction.

Il était essoufflé, mais toujours accompagné de son insupportable rictus.

Sa voix rocailleuse chantonna avec un ton venimeux :

- Vous devriez vraiment vous voir, Freya… comme vous avez changé.

Cette phrase lui donna un coup de poing dans le creux de son estomac.

Mais il enchaîna rapidement :

- J'aime penser que c'est grâce à moi, tout cela…

Le coup de poing devint un coup de pied, comme à Exmoor.

Et après une courte pause, il lui infligea le coup de grâce.

Et elle décida qu'elle ferait pareil.

- Quel dommage que votre destin soit si tragiquement tracé-…

- Endolor-… !

Mais le plafond s'écroula dans un fracas sans nom.

Rauque et brut. Celui que ferait un tremblement de terre.

Le corps de Grimmson disparut complètement sous des blocs de béton et des restes de charpente. Un nuage de poussière grise et dense, se souleva du sol, pour rejoindre l'épaisse fumée noire qui les étouffait déjà.

Mais Freya fixait le tas de débris sous lequel était Grimmson avec des yeux ronds comme des Gallions. Incrédule. Interdite. Sa rage, encore au bord de ses lèvres, de ses yeux, de sa baguette, restait là. Compacte et entière.

Elle fallait pourtant qu'elle continue.

Qu'elle le trouve.

Qu'elle lui fasse payer.

Qu'elle le tue.

Elle s'écria avec haine et désespoir :

- Non-…!

Mais cette fois, Porpentina avait solidement encerclé son bras, et l'attira avec elle dans un transplanage hors de la bâtisse. Ils se stabilisèrent non loin, dans la rue déserte de ce quartier fantôme. La main de Porpentina était encore solidement accrochée à elle, elle la pinçait si fort qu'elle crut ne plus avoir de sang dans son avant-bras.

Freya regarda impuissante le restaurant se faire dévorer par les flammes.

Et puis, les flammes montèrent d'un seul coup, et une explosion retentit, si fort, que le sol en trembla sous leurs pieds.

La Nott avait sursauté alors que Porpentina l'avait tirée en arrière dans un geste brusque.

Les trois sorciers tombèrent lourdement sur le sol en terre battue.

Thésée se put retenir une plainte grave, à peine étouffée.

Le gaz.

Tout le système de gaz dans les cuisines avait éclaté dans une déflagration sans pareille. Les flammes filèrent de tous les côtés de la bâtisse, léchant jusqu'aux bâtiments à l'opposé de la ruelle à l'abandon…

Mais Freya se releva quasi automatiquement, s'appuyant sur ses deux avant-bras abîmés, les yeux incrédules rivés vers le Restaurant.

Elle était encore folle. Folle d'une rage qu'elle n'avait pas pu assouvir.

En poussant sur ses deux bras, elle se releva complètement, et tituba sur des jambes flageolantes et tremblantes vers le Restaurant.

Sa voix aigüe s'étouffa avec déni :

- Non ! Non, non non !

Porpentina avait bondi du sol elle aussi, et elle attrapa une nouvelle fois Freya par le bras, l'empêchant de marcher dans la direction du maudit restaurant.

- Freya, Freya-… Tenez-vous tranquille !

La Nott secoua la tête, sentant ses yeux remplis de larmes finalement déborder sur ses joues salies. Elle balbutia comme le put, s'étrangla presque avec le sanglot de haine qui était coincé dans sa gorge :

- Vous ne comprenez pas.

Elle détacha sèchement son bras de l'emprise de son amie, qui la regardait comme si elle était devenue une interne permanente de Ste Mangouste. Elle lui hurla à la figure :

- Je dois le tuer !

Elle allait faire demi-tour, la baguette encore solidement coincée dans sa paume de main, mais Porpentina l'attrapa sèchement, et lui colla une gifle.

La gifle sembla résonner beaucoup plus fort que ne le fit l'explosion de gaz.

Et Freya se stoppa.

Elle se figea.

Sa joue lui brûlait tout à coup, et elle toisa Porpentina avec surprise. Elle se sentit complètement désarçonnée, complètement perdue tout à coup. La haine ne l'avait pas complètement quittée, mais ce fut comme si ses pensées, elles, étaient revenues.

L'américaine la regardait avec une inquiétude vive, et se mit à secouer un peu ses épaules, comme on l'aurait fait pour la réveiller d'un horrible cauchemar.

- Reprenez vos esprits, au nom de Merlin !

Elle pointa du doigt la bâtisse en flammes qui venait en partie de d'effondrer, et d'où s'échappait désormais une fumée noire comme la nuit et des étincelles rougeâtres, donnant l'impression d'un sinistre feu d'artifices.

La voix de Porpentina haussa le ton, devant sèche et dure :

- Il est mort, il est forcément déjà mort !

A ces mots, Freya se mit à fixer son amie avec de grands yeux ronds, à nouveau dégoulinants de larmes. Sa rage, sa colère, son envie de faire payer Grimmson, se coincèrent dans sa gorge, obstruant sa trachée, cognant douloureusement contre sa jugulaire battante. Son poing se serra si fort, qu'elle sentit ses propres ongles rentrer dans la chair tendre de sa main.

Le ton de Goldstein se radoucit, et après un rapide regard vers le restaurant en proie aux flammes, elle secoua la tête et lui assura :

- Il ne survivra pas à cela…

Mais à peine eut-elle dit cela, que des silhouettes apparurent autour d'eux.

Des sorciers qui venaient vraisemblablement de transplaner, et qui, dans un chorégraphie funeste, se stabilisaient un à un, formant un demi-cercle parfait en face de la bâtisse en flammes.

Porpentina, qui avait ressorti sa baguette et qui les regardait avec méfiance, se ravisa rapidement, alors qu'elle croisait le regard grave de Moreno.

Lui aussi était apparu là, et très vite, Freya comprit qu'il devait certainement s'agir du groupe de Résistance dont ils avaient déjà discuté.

Il étaient une dizaine de sorciers, et la dernière silhouette à apparaitre fut celle de Miss Nunes, la vedette du Cabaret.

Toute vêtue d'un blanc étincelant, une longue robe en satin argenté et un petit chapeau à voilette blanche perché sur ses cheveux blonds parfaitement ondulés.

Son allure était resplendissante. Et dans cette sinistre scène d'une noirceur sans nom, on aurait dit qu'elle était aussi lumineuse et douce qu'une pleine Lune.

Ses yeux s'étaient calmement posés vers le Restaurant en flammes, et puis, dans la direction de Thésée, et finalement vers Porpentina et Freya.

Son visage n'était pas aussi grave ou dur que ceux des autres sorciers qui l'accompagnaient. Il y avait quelque chose d'extrêmement serein dans sa posture, comme si tout cela ne la surprenait pas le moins du monde.

Porpentina abaissa sa baguette pour de bon, et fronça les sourcils :

- Miss Nunes ?

La vedette de Cabaret lui fit un geste de la tête courtois, mais enchaîna avec des paroles fluides et chantantes au reste des sorciers. Ces derniers s'exécutèrent rapidement avec des « Sim » et des hochements de tête. Moreno, après un regard inquiet dans la direction de Thésée, qui était étendu par terre, et grimaçant, prononça d'autres phrases en Portugais à deux compagnons qui filèrent vers le sorcier Anglais.

Et puis, avant de rejoindre les autres dans la direction de la bâtisse, il fit un geste de la tête à Porpentina, qui tapota sur l'épaule de Freya, devenue complètement molle et désenchantée :

- Restez là.

Et elle s'éloigna, en faisant de grands pas hâtifs pour suivre Moreno et les autres alors qu'ils tentaient de créer une bulle de protection tout autour du Restaurant, afin d'en maîtriser et d'en contenir les flammes.

Freya resta plantée là.

Complètement perdue.

Encore tremblante de rage et de dégoût… mais aussi flageolante de désenchantement, de réalisation. Comme un difficile retour sur terre.

Ses yeux encore débordants glissèrent vers Thésée, qui se plaignait gravement alors que deux sorciers étaient penchés au-dessus de lui, en train de regarder sa main et sa jambe désartibulées.

- On s'occupe de lui.

La voix pourtant douce de Nunes fit sursauter Freya.

Son interlocutrice lui lança un regard à la fois doux et compatissant, et lui expliqua avec son accent fluide :

- Ce sont des amis.

Freya déglutit difficilement et hocha la tête.

Elle se rendit subitement compte qu'elle tremblait comme une feuille. Elle était gelée, alors qu'il faisait si étouffant dehors. C'était comme si l'étouffante moiteur tropicale n'arrivait pas à passer outre sa peau. Elle avait froid à l'intérieur.

Ses yeux se braquèrent vers le restaurant enveloppé de cette étrange bulle translucide et magique. Son coeur battait douloureusement dans sa poitrine, alors qu'elle essayait de repenser à tout le fil de cette soirée. Cette terrible soirée.

Une main se posa tendrement sur son avant-bras.

Mona lui adressait un regard doux.

- Senhorita… ?

La jeune femme anglaise dût réfléchir à deux fois, comme si elle en avait même oublié son nom. Elle s'étrangla sur une toux encore pleine de fumée noire :

- Freya… Freya Nott.

Elle enchaîna sans même le vouloir, en tremblant :

- Je… je… il doit mourir.

Freya pensait que Miss Nunes allait la regarder comme si elle avait perdu ses esprits. Mais ce ne fut pas le cas. A vrai dire, son regard clair s'était rapidement posé vers le cou et le décolleté abîmé et déchiré de son chemisier, et son expression jusque là lumineuse, s'assombrit drastiquement.

La main qu'elle avait posé son son avant-bras descendit gentiment vers la paume de Freya, qu'elle attrapa avec douceur. Et alors que le crépitement des flammes continuait quelques mètres plus loin, elle défit un à un les doigts crispés de la Nott. Ces mêmes doigts qui entouraient sa baguette et qui griffaient l'intérieur de sa paume.

La voix douce de Nunes l'apaisa presque :

- Vous êtes choquée, Senhorita Freya.

Son regard clair glissa calmement vers la bâtisse en feu, et elle ajouta avec un ton pensif :

- S'il y avait quelqu'un à l'intérieur, je doute qu'il soit encore en vie…

Et puis, elle récita des paroles dans sa langue avec un air mystique et intrigué.

Les hautes flammes rouges se reflétaient sur son visage lumineux et plein de songes.

Sans quitter le brasier ardent des yeux, elle finit par répéter un mot de sa phrase en Portugais :

- L'Estrella.

La Nott lui adressa un regard vif après avoir relu le nom du Restaurant sur la pancarte de biais. Miss Nunes lui traduisit simplement :

- L'Étoile.

Et alors que Freya ne comprenait pas où elle voulait ne venir, Miss Nunes continua dans sa traduction :

- 8 Avril 1928… L'étoile qu'on croyait morte se remet à briller de mille feux. Brûlante de dangers, flamboyante d'aveux…

Freya crut qu'elle allait vomir.

Et puis, Miss Nunes termina la récitation de la Prophétie, que la Nott comprit qu'il provenait sans nul doute du livre bleuté de Carneirus :

- …elle s'éteindra finalement dans un fracas.

Pile à ces mots, le panneau déjà branlant sur la façade du Restaurant, s'effondra définitivement contre le sol en terre battue, dans un éclat qui se réverbéra dans tout le quartier abandonné. Freya tressauta, tant ses nerfs étaient à vif.

Les lettres art nouveau de L'Estrella se virent tragiquement déformées par l'impact de leur chute, leur donnant un air sinistre et presque irréel.

Mais malheureusement, tout ceci était bien trop réel.

La douleur au niveau de son cou et du haut de son poitrail, comme en feu, le lui rappela violemment, et elle s'empressa d'y apposer ses mains tremblantes, dans des gestes flous et maladroits. Elle balayait cette vilaine douleur de ces vifs gestes de main, comme pour l'effacer, en vain.

Après un moment à l'observer, Miss Nunes ajouta avec un ton doux :

- Mes amis le trouveront… même s'il ne s'agit plus que d'une charogne.

Le ton était d'une douceur extrême, mais la phrase était glaçante.

Freya regarda encore pendant de longues minutes les flammes s'amenuiser, complètement vide et impuissante. Rongée par une haine sans nom, rongée par la peur, le désespoir.

Depuis derrière elle, elle sentait le regard fixe de Thésée, comme s'il lui brûlait la peau entre ses deux omoplates, mais elle n'osa le regarder en retour. La confusion vint s'ajouter à la liste de ses sentiments en ébullition.

La Mission.

Elle était bien vraie.

Elle aussi était bien réelle.

Et alors qu'elle se perdait dans un nouveau train de pensées, un bruit sourd, et une odeur abominable de viande brûlée la secoua hors de son cheminement.

Moreno et un autre sorcier, grand, sombre et barbu, venaient de déposer lourdement une immense masse noircie à ses pieds. Et Freya mit de longues, très longues, secondes à comprendre de quoi il s'agissait… mais à l'odeur terrible s'ajouta rapidement une vision insoutenable.

Celle du cadavre carbonisé de Grimmson.

Son visage, à moitié cristallisé et noirci par du charbon, était horrifié.

Horrifié face à la mort. Ses yeux, grands ouverts, secs et injectés de sang. La main, était tendue et figée par la brûlure, vestige certain d'une ultime tentative d'attraper sa baguette dans les débris de L'Estrella.

Grimmson était là.

Grimmson était mort.

Et Freya resta interdite et figée face à lui.

La voix de Moreno constata l'évidence avec un ton grave :

- Il semblerait bien que l'amigo soit mort.

Miss Nunes fit un pas vers la carcasse carbonisée, son visage se mut en expression particulièrement froide et méprisante. Et elle posa une délicate main sur l'épaule de Freya, tellement choquée par ce qu'elle avait devant elle qu'elle ne réagit pas.

- C'était un partenaire de Grindelwald, dit le barbu avec un accent chantant malgré sa grimace.

- Sim… , avait acquiescé Miss Nunes avec une voix de nouveau songeuse.

Porpentina intervint avec le même ton grave :

- Grimmson, c'était son nom.

- C'est mauvais… très mauvais.

C'était le sorcier barbu qui avait prononcé cela avec une immense gravité.

Et lorsque Freya remonta ses yeux vers lui, elle croisa les siens.

Durs, suspicieux et sombres.

Ils se rendirent tous à la Cabane, et Freya comprit rapidement que ce lieu devait également leur servir de lieu de réunion. Elle fut surprise, tout comme les autres de ses compagnons, de découvrir une porte dérobée en briques ocres, soigneusement dissimulée dans le sobre et rustique séjour. Derrière elle, un long couloir, et puis une autre salle, mystérieuse.

La lumière cligna et puis se stabilisa dès leur arrivée dans l'énigmatique pièce.

Miss Nunes, qui était en tête du groupe, déposa ses gants blanc soyeux sur un bureau, au fond de la salle. Il était massif, et recouvert d'une multitude de livres, de parchemins anciens et d'instruments étranges en laiton. Derrière ce bureau en bois sombre, se dressait une haute bibliothèque, complètement de biais, et qui débordait d'ouvrages.

La vedette de Cabaret se déplaça lentement et délicatement jusqu'à un petit secrétaire en bois usé, et le déplia pour y révéler quelques verres poussiéreux et des bouteilles d'alcool aux étiquettes rongées par le temps.

Et alors que les autres entraient dans la pièce, et qu'elle se servait un verre d'un alcool aux couleurs ambrées, Freya put entendre Moreno expliquer à Porpentina que cette Cabane était en réalité la maison des parents de Miss Nunes, et qu'à la mort de ceux-ci, elle fut abandonnée, et, récemment, utilisée pour les rassemblements de la Résistance.

Freya tremblait malgré elle.

Elle avait encore froid, alors qu'il faisait toujours aussi étouffant, en particulier là, dans cette pièce au bas plafond, et où la seule et unique fenêtre était close. L'ambiance, aussi, était toute particulière. Il y avait une tension à découper au couteau, une froideur, une méfiance… la Nott déporta ses yeux vers Miss Nunes, qui prenait une première grande gorgée de son verre, et qui ne semblait pas le moins du monde affectée par tout cela.

Deux sorciers, qui avaient supporté Dragonneau jusqu'ici, l'aidèrent à s'asseoir dans un petit sofa aux motifs colorés et vraisemblablement d'inspiration aztèque. Ses longues jambes s'étendirent et touchèrent presque le canapé identique qui était en face de lui, il siffla de douleur entre des dents serrées, comme s'il contenait une plainte plus forte.

Les yeux de Freya finirent par glisser derrière la longue silhouette de Porpentina, qui paraissait si tendue et si crispée, que ses lèvres ne formaient qu'une simple ligne. Une imposante cheminée était là, toute de pierre claire, et sculptée comme le visage d'un géant aux longs cheveux ondulés et à l'air féroce. Son regard était écarquillés et glaçant, et sa bouche était béante, révélant l'âtre de la cheminée derrière des dents irrégulières et saillantes. Freya essaya de ne pas trop s'attarder sur le tas de cendres noires qui y était logé, car à la simple vision de celles-ci, l'image du visage à moitié carbonisé et terrifié de Grimmson lui revenait, comme un coup de poing dans ses viscères.

Mais ce n'était de toute manière pas un temps pour les rêveries.

On la fit s'asseoir à une petite table, au milieu de la pièce, encore tremblante et glacée par sa terrible soirée, elle balaya l'ensemble de la salle du regard, luttant pour ne pas se montrer trop terrifiée. La dizaine de sorciers la regardait intensément, et parlait dans leur langue fluide et inintelligible. A sa gauche, la silhouette de Porpentina était immobile, rigide sur ses deux souliers souillés. Et à sa droite… Dragonneau ne bougeait pas non plus.

Il était là, assis et tendu.

Son visage, à la lumière, était encore plus abîmé que Freya l'avait imaginé. Une arcade sourcilière était enflée et violacée, englobant sa paupière, ses pommettes étaient noircies bien que la Nott ne sut pas s'il s'agissait de cendres ou de bleus, et sa lèvre supérieure était ouverte, une large ligne rouge la scindait en deux, et ce même rouge s'était répandu sur sa lèvre inférieure, et jusqu'à son menton.

Un des deux sorciers qui l'avaient soigné, revint devant lui, et lui appliqua quelque chose sur le visage, et puis sur sa main. Sa main, qui était toujours ensanglantée et spiralée.

Un claquement sourd et soudain fit sursauter Freya, et redirigea son attention devant elle.

C'était l'homme à la barbe noire qui avait plaqué ses mains contre le bois de la table où elle était assise. Ses yeux sombres étaient presque masqués par le bord de son élégant chapeau, qu'il avait omis d'enlever en entrant. Elle lui lança un regard tout à fait désarçonné, et il se pencha au-dessus d'elle. Prise de panique, elle se recula vivement, comme si la proximité d'un homme lui était tout à coup devenue insupportable.

Elle déglutit lorsqu'elle comprit ce qu'il se tramait.

C'était un interrogatoire.

Et la voix rauque de l'homme barbu, dont elle distingua qu'il n'était en réalité pas beaucoup plus vieux qu'elle, résonna froidement dans la pièce :

- Pourquoi avez vous rencontré cet homme, Senhorita ?

Il y eut un petit silence.

Tous les regard étaient braqués vers elle, tous, sauf celui de Thésée, qui semblait d'ailleurs se forcer à ne pas lui rendre son oeillade. Elle chercha son regard longuement, malgré elle d'abord, et puis, elle se mit à trembler encore plus et ferma ses yeux si fort qu'elle en vit des étoiles. Son cou et sa gorge lui brûlaient, son coeur cognait violemment contre sa cage thoracique, et son cerveau fusait dans tous les sens. Elle repensa à tout, à tout ce qu'elle avait vécu, entendu, subit, durant cette terrible soirée… Elle aurait voulu tout effacer. Elle aurait voulu prendre ce tas de terribles souvenirs, et de terribles révélations, et l'enterrer dans un coin de son cerveau à jamais.

La voix du barbu la fit tressauter à nouveau, alors même qu'il ne criait pas :

- Travaillez-vous avec l'ennemi, Senhorita ?

Porpentina intervint avec un souffle sarcastique :

- Voyons, ne soyez pas ridicule.

Le barbu lui fit signe de rester en retrait, et Freya vit l'expression de l'américaine noircir :

- Senhorita, restez en dehors de ça, s'il-vous-plaît.

Mais l'expression sombre de la sorcière du MACUSA s'accentua dès lors qu'il précisa :

- C'est une affaire qui doit être traitée par des Aurors.

- Cela tombe bien, j'en suis justement.

L'homme la regarda à deux fois, comme s'il pensait avoir mal entendu.

Et, sans quitter sa posture rigide, Porpentina fit un geste de la tête vers Freya, puis dans la direction de Thésée :

- Tout comme Miss Nott, et Monsieur Dragonneau.

Le regard du barbu changea du tout au tout. Il la toisa un instant, la regardant vaguement de haut en bas, et puis, dans l'autre sens, visiblement un peu surpris par cette information. Moreno intervint à son tour, posant une main amicale sur l'épaule du barbu, il expliqua avec un sourire gêné dans la direction de la Porpentina :

- Veuillez excuser Barbosa. Les femmes Aurors ne sont pas chose courante ici, querida.

Et alors que Porpentina semblait accueillir cette information avec un autre plissement de lèvres acide, un autre homme, au fond de la salle, énonça quelque chose en Portugais qui en fit rire certains autres. Le dénommé Barbosa se retourna pour le fusiller du regard, et les rires cessèrent immédiatement. Moreno, de son côté, eut l'air plus gêné encore, surtout lorsque Porpentina déclara, cinglante :

- Nous serions ravis d'entendre ce que disait ce bon Monsieur. Peut-être même pourrions nous aussi rire à cette plaisanterie.

Mais ni Moreno, ni Barbosa ne se décidèrent à traduire ce qui venait d'être dit, alors Miss Nunes s'avança lentement, son verre à la main, et le regard froid. Elle riva ses yeux vers celui qui avait parlé, et ce dernier se racla la gorge avec maladresse alors qu'elle expliquait :

- Il disait qu'ici les seules femmes à travailler au Ministère étaient au même rang que les elfes de Maison.

Porpentina fusilla l'homme du regard, et dût apparemment se contenir pour ne rien rétorquer de plus, sachant très bien que ce n'était pas le moment ni l'endroit pour un tel débat.

Les yeux de Barbosa se reposèrent finalement sur Freya, toujours flageolante et perdue, et elle se força à ne pas lui rendre son regard, tentant plutôt de capter celui de Dragonneau, toujours immobile comme une statue. Mais de lui émanait désormais une froide colère, elle pouvait en ressentir les ondes lui glacer la peau.

Porpentina se mut enfin, et posa sa main sur le dossier de la chaise de Freya, sa voix trahit clairement son agacement quant à la tournure de la situation :

- Freya-… Miss Nott ne travaille pas pour Grindelwald. Je peux m'en porter garante.

Mais Barbosa ne quitta pas Freya des yeux, et articula sèchement :

- Je veux l'entendre de sa bouche.

Et comme Freya ne disait rien, il se pencha une nouvelle fois au-dessus de la table qui les séparait :

- Senhorita Nott … que faisiez-vous dans ce quartier si reculé de Caxambu avec cet homme ?

Encore une fois malgré elle, Freya jeta un coup d'oeil nerveux vers Thésée, et son coeur manqua un battement. Contrairement aux fois précédentes, il la fixait avec un air quelconque. Un air détaché. Une froideur extrême.

Elle s'étrangla :

- C'est compliqué.

- Cet homme était votre amant ?

La question fut comme une gifle.

Une énorme gifle.

Freya lança à l'Auror un regard si terrifié, si défait, que Barbosa eut un mouvement de recul. Et puis, ses yeux dévièrent vaguement vers son cou, sa gorge bleutée et il sembla regretter instantanément sa question. Avant qu'il ne puisse dire quoique ce soit, Miss Nunes ré-apparut à ses côtés, un verre rempli d'alcool dans sa main. La voix calme de la vedette articula froidement :

- Voyons, Barbosa… En plus de manquer d'observation, vous manquez clairement de délicatesse.

Barbosa inclina très légèrement sa tête vers la Nott, qui, elle, était restée figée. Ses yeux noirs s'étaient tout à coup radoucis, et sa voix grave sembla regretter sincèrement :

- Pardonnez-moi, Senhorita.

Mais Freya fut incapable de formuler une quelconque réponse, et elle peina même à déglutir. Elle tressauta même sur sa chaise alors que Miss Nunes avait déposé le verre rempli du liquide ambré devant elle.

En saisissant le verre entre ses deux mains tremblantes, elle balbutia :

- Merci, Miss Nunes…

Mais la vedette la rectifia :

- Mona.

Freya hocha vaguement la tête, et bu le contenu du verre d'une seule traite. L'alcool lui brûla l'oesophage, comme l'aurait fait du Whisky Pur Feu, cependant, le goût était très sucré, presque comme du miel parfumé.

Elle reposa le verre gravé sur la table avec un soupir étrange, comme si elle était essoufflée. La chaleur de l'alcool se diffusa en elle, réchauffant et effaçant cette étrange sensation de froid qui l'avait envahie.

Mais cette même chaleur ne sembla pas atteindre Thésée, assis et rigide dans le sofa aux motifs géométriques. Il la toisait désormais avec une colère froide, glaciale. Sa voix grave articula sèchement et froidement :

- Vous devriez leur répondre.

Il sortit de sa torpeur glaçante, et avec une grimace, il glissa sa main bandée dans l'intérieur de sa veste, et en sortit un petit morceau de papier, qu'il brandit dans sa direction.

Freya ne put que contenir un hoquet de surprise.

Le petit papier, déplié, était légèrement gondolé et froissé.

L'écriture bourrue de Grimmson, avec le lieu et l'heure de leur funeste rendez-vous, était déformée et estampée par des traces d'eau, comme l'aurait fait une aquarelle.

La voix de Thésée fut aussi subitement dure que l'était son regard :

- Je serai par ailleurs curieux de savoir comment vous avez dégoté ceci.

Silence.

Freya regarda le morceau de papier, complètement mortifiée.

Elle ne le trouvait plus, et était persuadée qu'elle l'avait perdu.

Maintenant, elle savait où, et quand.

Lorsque Dragonneau et elle avaient été dans la salle de bain, et qu'il lui avait tendu ses vêtements. Elle déglutit difficilement, luttant ardemment pour ne pas trembler sous les yeux noirs de Thésée.

A sa gauche, elle put sentir le regard vif de Porpentina se braquer vers elle, et elle dût redoubler d'effort pour ne pas le lui rendre. Une vilaine sensation de culpabilité s'infusa en elle, et elle aurait voulu se nicher dans un trou.

Barbosa fut le premier à parler, ses sourcils froncés en direction du petit mot qu'il devina être de Grimmson. Il ne mâcha pas ses mots et demanda presque dans un aboiement :

- Vous êtes une espionne ?

Freya réorienta un regard paniqué vers lui, et se retint de hurler avec panique :

- Non, pas du tout !

Elle dût baisser les yeux et serrer ses paupières très fort pour y retenir des larmes naissantes. Tous les regards étaient vers elle, accusateurs et suspicieux. Elle finit par bredouiller :

- J'y suis allée car…

Consciente du regard pesant de son amie sur elle, elle secoua la tête, et reprit depuis le début :

- Alors que nous cherchions Monsieur Dragonneau hier soir, j'ai perdu Miss Goldstein dans la foule du marché.

Elle tritura ses doigts, tremblants sur ses cuisses.

Sa voix souffla, comme s'il eut s'agit de quelque chose d'interdit :

- C'est là que je l'ai vu.

Elle réunit toutes ses forces pour relever ses yeux larmoyants vers Porpentina, qui la toisait sans rien dire, de nouveau rigide et droite sur ses deux pieds. Sa voix trembla un peu :

- Un nuage de charbon noir, qui se mouvait, qui… se faufilait jusqu'à une ruelle adjacente. Alors je l'ai suivi.

Thésée, qui avait vraisemblablement évité de la regarder après lui avoir montré le maudit morceau de papier, braqua de nouveau son regard vers elle. Porpentina, elle, recula d'un pas, lâchant le dossier de la chaise de la Nott, visiblement un peu prise au dépourvu. Freya lui lança un regard sincèrement désolé.

Elle articula dans un autre souffle :

- Et il était là.

Silence.

Il ne faisait aucun doute que Porpentina et Thésée avaient tous deux compris de qui elle voulait parler… Barbosa, Moreno et les autres, en revanche, la regardaient avec un air perplexe.

Barbosa, dont le ton était redescendu, demanda :

- Qui il ?

Moreno avait froncé ses sourcils, complètement perdu, il répéta :

- Un nuage de charbon noir ? Qu'est-ce que-…

Ce fut Porpentina qui parla, sa voix était devenue froide et distante, elle ne regardait même pas Freya alors qu'elle articulait :

- Grindelwald a enrôlé un jeune garçon dans ses rangs en Septembre dernier à Paris…

Elle pinça ses lèvres avant de préciser :

- Un garçon Obscurial.

Il y eut des murmures dans la pièce.

Moreno, visiblement confus, eut un rire nerveux :

- Il doit y avoir une erreur de traduction-…

- Non, coupa sèchement Porpentina, ce garçon est bien un Obscurial.

Le silence, cette fois-ci, se fit plus épais encore.

Et Porpentina ajouta :

- Je… nous le recherchons depuis deux ans.

Freya compléta en balbutiant :

- Il s'agit de mon cousin, Eugène. Je… le recherche également.

- Mais vous l'avez trouvé, visiblement.

La voix de Thésée était cinglante, et le regard que lui lançait Porpentina était empli d'aigreur. Elle lui en voulait, mais quoi de plus normal ? Elle lui avait caché le fait qu'elle avait vu le jeune homme qu'elle recherchait depuis deux années déjà.

Elle bredouilla piteusement :

- Porpentina, écoutez je-…

- Continuez.

C'était la voix aride de Thésée qui l'avait coupée net.

Il la regardait avec un vif ressentiment, et comme elle ne disait rien, totalement muette devant son air réprobateur et sombre, il insista avec une autre réplique aride :

- Votre récit ne s'arrête sûrement pas là.

La Nott fuit son regard, incapable de le soutenir plus longtemps, et après un petit instant, durant lequel elle avait fermé ses yeux dans une grimace, sa voix trembla :

- Il n'était pas seul.

Inconsciemment, elle agrippa ses coudes, et se mit à trembler.

Elle se rappela de tout, de cette voix, cette silhouette qui sortait lentement de l'ombre…

De ce terrible rictus.

Freya s'étrangla sur un sanglot :

- Grimmson était avec lui.

Dans un ultime effort, elle adressa un regard tremblant vers Thésée, qui était resté figé sur le sofa, la main bandée crispée sur le tissu au motif aztèque, comme s'il était prêt à bondir.

Le sanglot de Freya devint un pleur pitoyable qu'elle détesta.

Elle s'efforça de ne plus regarder l'Auror qui avait pourtant braqué un regard glacé dans sa direction, comme s'il devinait ce qu'elle s'apprêtait à dire. La jeune femme dirigea ses yeux brouillés de larmes vers Porpentina et sa voix tressauta :

- Il m'a dit que Monsieur Dragonneau n'était pas de notre côté.

Elle ravala difficilement un sanglot, alors qu'elle sentait que Dragonneau avait subitement bougé du sofa. Avant même qu'il ne puisse dire quoique ce soit, elle déblatéra rapidement :

- Il m'a dit qu'il avait une Mission… et qu'il me dirait tout ce que j'ai à savoir le lendemain soir.

Thésée s'était levé d'un seul coup du sofa, avec une vive grimace de douleur, mais cette dernière s'effaça vivement, laissant place à une fureur glaciale.

Il aboya avec colère :

- Et vous l'avez cru…!

Freya cria du haut de ses poumons, pour surpasser sa voix grave :

- Pas tout de suite !

Elle se sentit bête alors que des larmes chaudes commençaient à dévaler ses joues. Elle parvint malgré tout de lui rétorquer avec acidité :

- Figurez-vous que c'est votre comportement. Votre satané-…

- Êtes-vous en train de dire que c'est de ma faute ?

Freya referma sa bouche, ses lèvres étaient tremblantes, et son visage se déforma en une grimace de sanglot. Il y eut un petit silence et puis la voix de Barbosa s'adressa froidement à Thésée :

- Donc… c'est vous qui travaillez pour Grindelwald ?

La rigidité dans la posture de Dragonneau atteignit son paroxysme.

Son expression de colère noire, déformée par les zones abîmées de son visage, se mut en une profonde révulsion. Et il cracha presque :

- Plutôt mourir.

Et il adressa à Freya un regard d'autant plus dégoûtée avant d'ajouter sur le même ton :

- Et je pensais que ce serait évident.

Les ongles de Freya s'enfoncèrent dans la peau de ses avant-bras, et elle ferma ses paupières pour contenir d'autres larmes qui menaçaient d'exploser.

- Dans ce cas, quelle est la mission dont la Senhorita parle ?

La Nott avait vivement relevé les yeux vers Barbosa, dont la posture avait complètement changé ; il n'était plus face à elle, dans cette posture d'interrogatoire froide et suspicieuse ; mais maintenant face à Thésée, avec un regard plein de méfiance.

Porpentina, jusque là restée les lèvres scellées et rigide, se mut enfin, se tournant elle aussi vers Dragonneau en croisant ses bras sur sa poitrine. Son regard était à la fois sombre et pétillant de curiosité.

Thésée lança un regard plein de ressentiment dans la direction de Freya, et puis, sembla ravaler difficilement sa salive, avant de rétorquer à Barbosa :

- Je regrette. C'est confidentiel.

A ces mots, Freya le toisa avec aberration, il lui rendit un regard interdit et désapprobateur.

Porpentina, elle, se mit à observer Freya à nouveau, comprenant rapidement, en voyant les échanges silencieux des deux sorciers, qu'elle savait de quoi il s'agissait.

Qu'elle savait quelle était cette fichue Mission.

Freya bredouilla dans sa direction, et ce, malgré le noeud dans sa gorge :

- Il doit tuer Eugène.

- Nott…!

Thésée avait aboyé de nouveau, mais il était trop tard : les bras de Porpentina lui en tombèrent, elle parut tellement sidérée, qu'elle buta sur ses premiers mots :

- Il s'agit du cousin de Freya.

L'expression de Thésée vira à la culpabilité absolue.

- Je le sais bien.

- Il s'agit du garçon que votre frère et moi essayons à tout prix de-…

- Je sais.

- Alors pourquoi diable-…?

- C'est un ordre que j'ai reçu du Ministre Fawley en personne.

Le regard de Thésée devint un peu désolé à ces mots, mais cette nuance se perdit très vite dans un autre masque de froideur. Il fulmina avec hargne :

- Je n'ai pas choisi cette Mission. Je ne la voulais pas.

Silence.

Porpentina n'arrêtait pas de secouer la tête, dans un mélange de négation et de déni.

Elle finit par pincer le pont de son nez avec une expression des plus agacées :

- Je n'arrive pas à croire que-…

- Je ne compte pas le faire.

- Vous admettrez qu'il me parait un peu facile de dire cela après-…

- Je sais.

Ses yeux gris dévièrent vers Freya, il hésita, et puis, finit par dire :

- Nott, je ne mentais pas lorsque je disais que votre frère m'a fait promettre de ne rien dire.

Comme Freya ne régissait pas, il continua :

- Nous avons décidé, d'un comme un accord, de juste le ramener au Ministère.

Ces mots eurent l'effet d'une bombe auprès de Porpentina, qui s'insurgea aussitôt :

- Le ramener au Ministère Anglais ? Ne me faîtes pas rire.

Freya s'étrangla sur son noeud de chagrin, qui était devenu un noeud plein de tension et de colère :

- Ils vont l'envoyer à Azkaban.

Thésée serra sa mâchoire, et il rappela à juste titre :

- Vous semblez oublier qu'il a commis des crimes. Il a tué plusieurs Moldus en Décembre 1926, il a mis en péril tout le Secret Magique à New York pendant quelques jours entiers… Et il devra être jugé pour cela.

- Jugé, mais pas exécuté, coupa Freya avec un tremblement dans sa voix.

Thésée lui adressa un regard sombre, et il finit par articuler avec un ton accusateur :

- De toute façon, vous ne croirez pas en mes intentions tant que vous n'aurez pas l'un de vos fichus rêves…

La Nott s'étrangla une nouvelle fois, et posa une main sur sa poitrine, dans une gestuelle si offensée que l'Auror parut regretter immédiatement la phrase qu'il venait de prononcer.

Freya répéta, à la fois abasourdie et outrée :

- Un de mes… fichus rêves ?

Il détourna le regard, et Freya lui demanda sèchement :

- Comment osez-vous ?

Et puis, elle réalisa avec un souffle sarcastique, et des yeux à nouveau bordés de larmes ;

- C'était ça, les rêves que vous ne vouliez pas que je vois ?

Son silence lui indiqua qu'il s'agissait d'une réponse positive.

Un autre souffle sarcastique secoua Freya, mais cette fois-ci de nouvelles larmes débordèrent de ses yeux rougis :

- Et vous avez décidé de cela, Marcus et vous… alors que cela me concernait tout autant !

- C'était une décision Ministérielle, confidentielle, se défendit-il.

Comme si cela pouvait être une excuse valable.

Freya lui lança un regard ulcéré alors qu'il toisait le reste des sorciers autour d'eux, qui n'osaient apparement pas les interrompre, avant d'ajouter avec sarcasme :

- Ou du moins, ça l'était.

Freya frappa sa paume de main contre son sternum, lui rappelant d'ailleurs à quel point cette zone eut été blessée et abîmée par Grimmson quelques heures plus tôt. Elle s'époumona avec incrédulité :

- C'est mon cousin ! C'est ma famille.

Elle allait enchainer avec une autre réplique, acerbe, cette fois, mais Miss Nunes avait gentiment placé ses mains sur ses épaules crispées. Freya se tut, et Miss Nunes, les yeux rivés vers Dragonneau, articula calmement :

- Messieurs, Senhorita Goldstein, je vous invite à sortir quelques instants. Et en silence, le Moldu dort sur le sofa… du moins, s'il n'a pas entendu tout ce raffut.

Et tout le monde s'exécuta sans broncher.

Porpentina lança à Dragonneau un regard mauvais, et elle tourna les talons, bousculant presque l'épaule de Moreno au passage. Thésée lança un vague regard dans la direction de Freya ; un curieux mélange de culpabilité et de réprobation, et allait faire demi-tour lui-aussi, mais Miss Nunes l'interrompit avec une main posée sur le haut de son poitrail.

Il se stoppa maladroitement dans ses pas qui ressemblaient plus à un boitement et toisa la vedette de Cabaret avec des yeux gris glacier.

Elle lui dit juste :

- Il me semble que vous devez parler. Tous les deux.

Alors que Thésée ne réagissait pas, elle laissa tomber sa main lâchement, et après un dernier regard plein de sympathie vers Freya, elle appela :

- Barbosa.

L'Auror brésilien était resté planté devant la Nott tremblante de colère. Il semblait observer longuement son visage mouillé par les larmes, et après un moment d'hésitation, il sortit de sa poche un mouchoir vert qu'il lui tendit.

Le geste la surprit.

Et surtout, alors qu'elle attrapait le tissu dans sa grande main, et qu'elle le remerciait presque en silence, elle eut comme un sursaut dans sa poitrine ; le souvenir de cette même scène, avec Coffin, dans les longs et sombres couloirs du Ministère.

Seulement, contrairement à Coffin, dont le visage et l'intonation eurent été figées dans un stoïcisme étrange, le regard de Barbosa, lui, était devenu très doux. Comme celui d'une créature sauvage qu'on serait parvenu à apprivoiser. Il lui fit un vague geste de la tête, très courtois, et tourna les talons vers Miss Nunes, qui attendait dans le pas de la porte.

Avant de partir, Freya ne manqua pas les yeux sombres que s'échangèrent Barbosa et Thésée, comme s'il y avait soudainement une tension, une méfiance entre eux.

La porte se referma derrière Mona dans un petit cliquetis boisé.

L'atmosphère fut si pesante, et si froide, que Freya étouffa presque.

Après un petit moment de cet insoutenable silence, elle décida de crever l'abcès la première et sa voix aigüe, pleine de reproches, ricocha contre les murs de l'étrange pièce :

- Combien d'autres choses concernant ma famille me cachez-vous ?

Thésée eut une expression indicible.

Et après un moment, où il sembla prendre le soin de bien choisir ses mots, il finit par demander avec une voix faussement désintéressée :

- Me croirez-vous si je vous dis qu'il n'y a rien d'autre ?

Bien sûr qu'elle le croirait. Elle hocha la tête, espérant qu'il lui donne cette fameuse affirmation. Mais elle ne vint jamais, car il ne dit rien d'autre pour autant.

Il fit une avancée difficile vers elle, avec un air assombri.

Et dès lors qu'il s'était stabilisé sur ses deux pieds, il prit appui sur le bureau de bois en posant sa main entre un tas de parchemins et d'étranges outils en laiton. Sa voix grave gronda comme un coup de tonnerre :

- Si vous me croyez, alors comment avez-vous pu croire une seule seconde que-…

- Je ne voulais pas y croire… mais Grimmson a-…

- Depuis quand les paroles de Grimmson valent plus que les miennes ?

Il avait l'air si blessé que Freya ressentit comme un coup de poing dans sa poitrine.

Elle secoua la tête et rétorqua sèchement :

- Et pourtant, il avait raison, non ? Vous m'avez caché le fait que vous aviez pour mission de tuer mon cousin.

Thésée passa sa main non abîmée contre son visage, et avec une grimace d'agacement, il riposta froidement :

- C'est précisément ce que votre frère voulait éviter lorsqu'il m'a fait jurer de ne pas vous en parler.

Il fit un signe de tête vers la sienne, désignant certainement ses larmes et ses yeux rougis.

- Regardez donc dans quel état cela vous a mise.

Freya s'offusqua complètement, mais il continuait :

- Votre frère, lui, a su garder la tête froide lorsqu'il a entendu parler de cette mission.

- On ne lui a pas caché cela depuis-… depuis combien de temps d'ailleurs ?

Cette fois-ci, il referma ses lèvres.

Il se les mordit et, une nouvelle fois, ne répondit pas à la question.

Au lieu de cela, il déclara glacialement :

- Vous n'auriez pas dû y aller.

Cette phrase resta en suspend quelques longues secondes entre eux.

Et avec le même ton réprobateur, il insista :

- Vous auriez dû nous en parler, dès que nous nous sommes retrouvés au Marché hier soir.

- Alors que vous veniez de passer votre journée à traquer Eugène, vous voulez dire ?

Elle avait prononcé ces mots avec un sarcasme tellement fort qu'il eut l'effet d'un poison. Thésée eut d'ailleurs un petit mouvement de recul, ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais la referma finalement.

La Nott expira un nouveau souffle sarcastique :

- Quoi ? Vous me pensiez donc réellement idiote.

- Idiote ? Répéta Thésée avec un ton mauvais, Non.

Il fit un pas pénible vers elle :

- Terriblement naïve.

Puis un autre, son regard était noir comme du charbon :

- Maladivement curieuse.

Il s'arrêta même pas à un pas d'elle, et sa soudaine proximité mit Freya très mal à l'aise. Elle ne sut l'expliquer, mais le fait qu'il soit si proche d'elle lui rappela la douloureuse et malsaine proximité qu'il y eut entre Grimmson et elle, quelques heures plus tôt. Mais il ne sembla pas le remarquer, et ce, même lorsqu'elle fit un pas en arrière.

Il acheva sa liste avec un ton dur :

- Et particulièrement inconsciente.

Freya ne répondit pas, à la fois pétrifiée par cette soudaine angoisse qui montait en elle, et brûlante de colère. Elle vit à un froncement de sourcils que ce silence ne lui plut pas.

Ses yeux semblèrent chercher quelque chose dans les siens, et puis, ils glissèrent abruptement vers son cou et son décolleté, qu'elle savait abîmés. Dans un geste maladroit, elle tenta de refermer son chemisier, comme pour cacher à la vue de l'Auror cette partie d'elle-même qu'elle ressentit presque comme profanée.

Sa voix grave était encore chargée de colère et de ressentiment :

- Que pensez-vous qu'il allait faire de vous, hein ?

Cette question la mortifia.

Mais Thésée, visiblement hors de lui, continua :

- Grimmson a pour vous une obsession malsaine, depuis le début. Vous pensiez quoi au juste ? Que vous alliez discuter de tout cela autour d'une tasse de thé ?

Freya ne répondit rien, sa voix subitement compressée par la même terreur, et la même humiliation qu'elle avait ressenties alors que Grimmson était pressé contre elle.

Dragonneau, trop emporté par sa rage, poursuivit en haussant le ton, certainement agacé par sa non-réponse :

- Que pensez-vous qu'il se serait passé si je n'étais pas venu ?

- Arrêtez, s'étrangla-t-elle tout bas.

Si bas, qu'il ne l'entendit vraisemblablement pas.

Avec une grimace de furie, il acheva :

- Je vais vous dire ce qu'il aurait fait de vous, Nott. Il-…

- Arrêtez, s'il vous plaît.

Sa voix avait jailli en dehors de sa gorge plus fort que ce qu'elle n'aurait pensé, et Thésée s'était subitement arrêté de parler, réalisant pour la première fois depuis quelques minutes dans quel état d'émoi elle se trouvait.

Il parut sincèrement désolé, et puis, il regretta durement :

- Vous n'avez rien à faire là.

Lorsque Freya avait relevé des yeux plus tremblants qu'elle ne l'aurait voulu vers lui, elle croisa les siens, sévères et inflexibles :

- Vous n'avez rien à faire là, au Brésil, au beau milieu de cette guerre.

Agacée, elle lui rappela :

- Je suis concernée par-…

- Je sais.

Il se mordit les lèvres, et après une autre grimace de colère, finit par dire :

- Mais vous êtes bien trop innocente.

Freya le toisa, abasourdie.

Le mot n'avait pas été dit pour blesser, mais ce fut ainsi qu'elle le perçut. Comme une insulte.

Elle cracha presque :

- Je ne suis pas innocente.

Devant le regard inchangé et froid de Thésée, elle justifia sèchement :

- J'ai tué un homme, vous vous souvenez ?

Chassant les terribles images de MacDuff figé dans la mort, elle ajouta hâtivement :

- J'ai même tortur-…

Elle s'interrompit, et se tut. Se refusant de prononcer le mot qu'elle avait entamé. Un soudaine malaise l'envahit, comme si elle se rappelait soudainement ce qu'elle avait fait dans les cuisines du Restaurant. Comment elle avait affligé ce Sort, pourtant Impardonnable, avec une rage, une haine, et une terrible envie de faire souffrir.

Thésée la regardait étrangement, lui aussi, et son froncement de sourcil indiquait clairement qu'il n'avait pas particulièrement apprécié le funeste spectacle qu'elle eut donné au Restaurant.

Les mots glissèrent hors de sa bouche, dans une voix accusatrice et courroucée :

- Si j'avais été un homme, nous n'aurions même pas cette discussion.

Thésée eut tout à coup l'air agacé par la tournure de la conversation.

Après avoir remué ses lèvres avec impatience, il reprit une apparence faussement calme, et déclara avec une voix basse et solennelle :

- J'ai promis à votre frère de vous ramener, saine et sauve.

Freya explosa :

- Cessez avec vos stupides promesses, et votre stupide honneur.

Thésée la regarda comme si elle venait de le gifler.

Il répéta avec un ton acide :

- Stupide ?

Passant outre le sous-entendu insultant derrière les accusations de la Nott, il expliqua, son impatience grimpant encore d'un cran :

- Il veut la sécurité de sa jeune soeur, et je le comprends très bien sur ce point.

La jeune femme rétorqua avec venin :

- Ce que vous ne comprenez pas en revanche, c'est que je n'ai pas besoin d'un chaperon, ni d'un tuteur.

- Je ne suis ni l'un ni l'autre, avait-il répondu du tac au tac.

- Ah oui ? Et vous êtes quoi, alors ?

Il ouvrit la bouche pour répondre, mais rien n'en sortit.

Il referma ses lèvres et les pinça.

Il ne répondit pas et Freya, malgré sa colère, fut parcourue d'une vague de déception, se rendant compte face à son silence, qu'elle aurait préféré qu'il exprime clairement quelle était la nature de leur relation.

Elle serra de nouveau ses bras contre elle, et en le quittant des yeux, elle articula sèchement :

- Si vous faîtes uniquement cela pour honorer votre promesse alors, je vous libère de cet engagement.

Il y eut un court silence entre eux, et elle se rendit compte à quel point sa voix avait une nouvelle fois tremblé, comme si elle était sur le point de se remettre à pleurer. Et peut-être que c'était d'ailleurs bien le cas.

Thésée sembla perdre tout courroux tout à coup, ses sourcils se courbèrent dans une expression à la fois désolée et coupable.

Il se pinça les lèvres, et grimaça tout aussitôt alors que la douleur de sa blessure dût le traverser à nouveau. Il sembla une nouvelle fois prendre bien le soin de choisir ses mots, et il ferma même ses yeux un court instant, et souffla avec un ton plus doux :

- Vous savez très bien que je ne le fais pas juste pour cela.

Le regard qu'il lui lança fut très certainement le plus doux et le plus sincère qu'il lui eut adressé de toute la soirée. Les yeux de Freya tombèrent vers les couvertures sombres des ouvrages en vrac sur le bureau, tout à coup incapable de maintenir son regard bleu vers le gris qui la fixait. Il y eut un autre silence, perturbé par leurs respirations respectives, haletantes et pleines de tension, comme si leur dispute les avait rendus sans le souffle.

La fatigue s'écrasa d'un coup sur Freya, comme si le regard doux de Thésée avait réussi à déverrouiller son état de tension et de tourment, la rendant subitement molle et épuisée.

Du coin de l'oeil, elle vit qu'il continuait à la fixer avec ces mêmes yeux gris dans lesquels se mêlaient étrangement colère, regret et douceur. Elle le vit grimacer alors qu'il tentait un nouveau pas vers elle. Mais son sifflement de douleur fut rapidement coupé par un tout autre bruit ; celui d'un ouvrage qui chutait contre le sol en mosaïque bleu nuit.

Un des ouvrages était tombé entre eux.

Un petit livre à la couverture si usée qu'on ne pouvait même plus en lire le titre et l'auteur.

Il était tombé sur sa tranche, et il s'ouvrit tout aussitôt en deux, chacun de ses côtés et de ses pages éclosant de part et d'autre de la reliure abîmée.

Freya, machinalement, allait le ramasser, pour le remettre en place sur le bureau, mais elle se stoppa net.

Du livre émanait tout à coup une vaste lumière, tout aussi énigmatique que le reste de la pièce dans laquelle ils se trouvaient. Très vite, de grands orbes, certains habillés d'ellipses colorées, apparurent, comme sortant de l'ombre. D'autres ellipses et courbes dorées se dessinèrent dans l'espace entre Thésée et elle, et autour d'eux, dépeignant de délicates trajectoires d'astres et de planètes.

Le tout flottait et bougeait lentement autour d'eux, comme si le temps s'était arrêté.

Freya regarda les planètes avec le souffle coupé, oubliant tout à coup et pendant l'espace de quelques secondes, ce qu'elle faisait là, et quel avait été le cheminement de sa terrible soirée.

La carte des étoiles et des astres flottait là, en silence.

Et le regard de Thésée était fixé vers un tout autre astre, plus petit, et tout aussi énigmatique, presque aussi lumineux que le soleil, loin d'eux, aux abords de la cheminée sculptée comme un géant en colère… Il s'agissait de la Lune.

Le petit astre rond était fascinant, sa surface argentée était légèrement accidentée de cratères et d'impacts, et les délicates lettrines anciennes apparurent pour écrire subtilement La Lua.

Les yeux de Freya, jusque là rivés vers le petit astre, glissèrent lentement vers ceux de Thésée, et se figea à nouveau, comme si elle se rappelait subitement de ce qu'ils faisaient là. Il la fixait intensément, et les lumières surnaturelles qui émanaient du livre lui donnait un air particulièrement énigmatique. Ce regard, il était empli d'émotions, la plupart contraires et contradictoires, et il rappela à Freya celui qu'il lui avait lancé dans l'Allée des Embrumes, juste avant qu'ils ne s'embrassent passionnément dans la pluie glacée… et juste avant qu'il ne tente de l'oublietter.

Soudainement secouée d'un sursaut étrange, elle se pencha hâtivement vers l'ouvrage pour l'attraper, et le referma sèchement. Dès lors que les pages furent closes, les lumières disparurent autour d'eux, et la Nott reposa la couverture brune et abîmée entre deux curieux instruments en laiton, sur le bureau en bois massif.

Pendant un petit moment, elle ne quitta pas le livre des yeux, non pas que ce livre, très certainement destiné aux enfants, l'intriguait, mais plus parce qu'elle n'arrivait pas à les relever vers Thésée, qui la fixait encore.

Sa voix trembla alors qu'elle lui reprochait avec un ton moins virulent :

- Vous m'aviez caché le lien entre ma Tante et Eugène… vous aviez essayé de m'oublietter après Exmoor… et maintenant, vous osez me-…

- Tout cela, c'était dans votre intérêt.

Cette fois-ci, elle releva ses yeux vers lui, sentant la furie l'engloutir à nouveau, et ce, même si le regard de Thésée s'était drastiquement radouci depuis quelques minutes :

- Foutaises ! Vous et Marcus avez encore une fois jugé correct de ne pas m'inclure dans tout ceci.

Il détourna le regard, sans doute pour masquer un nouvel agacement naissant, mais elle enchaînait déjà avec un ton accusateur et déçu :

- Vous ne l'avez pas fait, parce que vous pensez que je ne suis qu'une pauvre, fragile, petite chose. Que je ne suis pas digne d'être Auror, ni de me battre. Tout cela parce que je suis une fem-…

- Vous êtes sa soeur.

Il l'avait sèchement coupée, mais ne lui adressa pas un regard hargneux pour autant. Ses yeux gris étaient animés par le regret, et son ton se radoucit aussitôt :

- Il ferait n'importe quoi pour vous protéger. Pour vous épargner des souffrances.

Elle le vit déglutir difficilement alors que ses yeux s'étaient encore rapidement échoués vers son cou abîmé, et il poursuivit :

- Et je pense comme lui.

La fureur de la Nott redescendit d'un seul coup, si vite, qu'elle en eut presque le tournis.

Thésée ajouta avec une voix grave et presque silencieuse :

- Regardez donc ce que cette guerre fait de vous, Nott.

Elle ne sut comment accueillir cette phrase et resta figée un petit moment, assez longtemps pour que Thésée semble encore une fois regretter amèrement ses propres paroles. Il balaya rapidement son visage avec sa main droite, et soupira :

- Nous sommes épuisés, tout cela ne nous mène à rien…

Et alors que Freya était encore pétrifiée, il ajouta dans un autre souffle, à peine audible cette fois :

- Nous devrions dormir… et reprendre notre conversation demain.

Freya hocha mécaniquement la tête, sentant elle aussi cette terrible fatigue qui l'assommait.

Par-delà la petite lucarne, les premières lueurs du jour indiquaient que la nuit touchait pourtant déjà à sa fin. Lorsqu'elle redirigea ses yeux vers Thésée, elle remarqua qu'il lui lançait un regard étrangement inquiet, et puis, il lui fit un vague signe de tête, et sans rien dire de plus, il quitta la pièce, jusqu'à disparaitre dans l'ombre du petit couloir qui menait au séjour.

Thésée était juste en face d'elle.

Son visage était lugubre.

Ses yeux gris éteints.

Ses pommettes étaient tâchées de sang, de boue et de cendres.

Sa cravate était lâchement et négligemment desserrée sur son col blanc souillé.

Son expression était fermée. Coincée entre une furie brûlante et un désarroi glaçant.

Il était blessé, son arcade sourcilière légèrement ouverte, et d'où s'était vraisemblablement échappé un fin filet de sang, qui avait finalement séché, au même titre que les éclats de boue qui lui créaient presque autant de tâches de rousseur que son frère.

Mais elle réalisa qu'il n'était pas blessé comme à la sortie de L'Estrella.

L'atmosphère ici, était très différente. Il faisait froid. Il faisait sombre.

Et la tension était intense.

L'inquiétude aussi. Vive et brute.

Elle ressentait tout cela en vagues, comme des tsunamis de sentiments qui pourtant n'étaient pas les siens… non… ils émanaient clairement de Thésée.

Freya était immobile devant lui, immobile devant ses yeux gris.

Mais il ne la regardait pas, elle. Il semblait regarder droit devant lui, et se tenait droit comme un piquet de Quidditch, les deux mains fermement liées entre elles dans son dos.

Et puis, tout à coup, un bras large passa devant elle, et d'un revers de main, gifla lourdement la joue de Thésée. Le visage de ce dernier fila vers la gauche, tant le soufflet eut été violent.

Freya avait plaqué ses mains contre sa bouche, sans retenir une vive inspiration de surprise et d'effroi. Mais personne ne sembla la voir, ni l'entendre.

Le claquement résonna longtemps dans la vaste pièce aux murs carrelés de noir et de gris.

Et puis, Thésée redressa lentement son visage droit devant lui, la joue écarlate, et la mâchoire tremblante de rage. Oui, de la rage. Qui s'emmêla rapidement avec un vif sentiment d'humiliation.

Ses yeux gris fixèrent la personne devant lui avec une détermination, et une provocation certaines. Si fortes, que Freya en déglutit difficilement. Et puis, elle fit un pas vers le côté, puis un autre, se détachant lentement de l'axe de Thésée, toujours rigide et immobile au beau milieu de cette immense salle glaciale. Au beau milieu de cet mosaïque rayonnante. Au beau milieu de cet octogone de bois noir et de carrelage gris.

Au beau milieu du Magenmagot.

Dans un coin de l'octogone, le costume abîmé et souillé, se tenait Travers, le visage grimaçant et intensément sombre, qui oscillait entre Thésée et la sombre silhouette qui venait de lui affliger cette gifle.

Cette gifle.

Freya crut que son coeur allait se détacher, et jaillir en dehors de sa poitrine, déjà lourdement emplie de sentiments sombres qui fusaient.

Cette silhouette sombre, c'était celle du Ministre.

Le Flamboyant Fawley.

Son oncle.

Son expression était noire, furibonde, sous son chapeau haut de forme. La main gantée de blanc qui venait de gifler Dragonneau se rétracta noblement sous la grande cape noire du sorcier. Contrairement aux deux autres Aurors, son accoutrement était impeccable, son costume trois pièces était irréprochablement noir et blanc, ses chaussures, apparemment fraîchement cirées, et ce chapeau haut de forme et ces gants ne signifiaient qu'une seule chose ; le Ministre n'avait pas assisté au match d'Exmoor, qu'on savait potentiellement dangereux, et avait préféré passer une soirée mondaine avec des amis, bien loin de toute cette agitation.

Son regard furieux, se transforma en un vif dédain, et il toisa Dragonneau de haut en bas, avec une grimace de dégoût et d'une déception extrêmement exagérée.

Jusque là, Freya pensait que Thésée avait simplement joint ses mains dans son dos, dans une posture solennelle… mais elle faillit tomber à la renverse alors qu'elle remarquait un lien brillant et argenté, semi visible, qui lui encadrait les poignets ensemble.

Les mains tremblantes de la sorcières cherchèrent quelques instants le bord boisé d'un des côtés de l'octogone, contre lequel elle s'était faiblement appuyée… et elle réalisa.

Elle réalisa cette dizaine de sorciers aux visages sombres, fatigués et sévères, qui étaient tous assis là, tout autour de cet octogone, dans les estrades de bois noir.

Elle crut qu'elle allait étouffer à cause de ce terrible et lourd silence, à peine perturbé par les griffonnements d'une plume sur un parchemin qui lévitait près du siège principal, vide de tout occupant.

Son oncle allait parler à nouveau, sûrement pour annoncer une terrible sentence, une quelconque punition, mais il fut interrompu par l'ouverture brutale de la porte principale. Freya sursauta, alors que Thésée, lui, était comme amorphe, toujours immobile et glacé au milieu de cette pièce.

- Vous ne pouvez pas faire ça.

Le coeur de Freya manqua un battement.

C'était Marcus.

Il se tenait juste là, lui aussi dans un état déplorable, plein de cendres et de suif, le front brillant de sueur, les cheveux complètement défaits sur le haut de son crâne. Il était essoufflé, comme s'il avait couru jusque là. Ses yeux oscillèrent rapidement entre son Oncle et Thésée, et il fit quelques enjambées rapides, et déterminées vers eux.

La voix pourtant ferme de leur oncle ne suffit pas à l'arrêter :

- Laisse donc, Marcus. Ne te mêle pas de cela.

La vague d'humiliation qui émanait du visage pourtant inexpressif et fermé de Dragonneau décupla soudainement, envahissant Freya jusqu'à ses entrailles.

Marcus lui lança un rapide regard, et se plaça entre lui et le Ministre avec une posture tremblante malgré son expression révoltée :

- Sauf votre respect, Dragonneau ne mérite pas un tel traitement.

L'expression du Ministre vira à une fureur écarlate, qu'il peina vraisemblablement à contenir en face de son neveu. Sa bouche se distordit sous sa moustache noire :

- Il a quitté son poste.

Les mains de Freya agrippèrent sèchement le bois derrière elle, si fort, qu'elle crut se retourner les ongles. Elle ferma ses yeux, réalisant pertinemment de quoi ils allaient parler. Mais les mots qui vinrent la giflèrent, et ce, même malgré le fait qu'elle s'y soit préparée.

- Il a sauvé la vie de votre nièce.

Mais l'argument ne sembla faire ni chaud ni froid à Fawley, puisqu'il cracha entre ses dents, dans la direction de Thésée :

- C'est un déserteur.

Freya s'insurgea aussitôt :

- Non ! Non, ce n'est pas-…

Mais elle se tut.

A quoi bon ?

Personne ne la voyait. Personne ne l'entendait.

Il s'agissait d'un souvenir. Du Passé.

Et rien… rien ne pouvait être fait.

Cette réalisation était terrible ; elle était prisonnière d'une scène qu'elle ne pourrait jamais changer.

Mais la vague de ressentiment qui émanait de Thésée la frappa de plein fouet, surtout lorsque le Ministre, qui s'était mis à faire les cent pas autour des deux Aurors, finit par ajouter avec un ton colérique et furieux :

- Et Grindelwald nous a encore filé entre les doigts.

Il se stoppa en face de Thésée, encore immobile et digne malgré la gifle qui avait rosi sa joue, et agita son doigt devant son visage fermé :

- Je vous avais prévenu, Dragonneau. Vous deviez me ramener Grindelwald, ou c'était votre tête qui tomberait.

Dans un murmure assez fort pour que l'ensemble des sorciers puissent l'entendre, il ajouta avec venin :

- Et ça sera bien le cas.

A ces mots, Travers tenta un pas vers eux :

- Si je puis me permettre, Monsieur le Ministre-…

- Pas maintenant, Travers.

Il l'avait interrompu avec un geste de la main sec et dédaigneux, mais cela n'avait pas stoppé Travers pour autant. Il suggéra avec une voix hésitante :

- Dragonneau peut nous aider… sur une autre mission.

Le regard du Ministre dévia lentement vers Travers, et ce dernier le lui rendit, avec un air entendu, et il termina après une pause silencieuse :

- Une autre mission, qui vous tient à coeur, Monsieur le Ministre.

Fawley se redressa un peu, et son regard, d'abord en pleine réflexion se mut en une noirceur étrange alors qu'il le braquait vers Thésée, dont le visage était si immobile qu'on aurait dit qu'il était taillé dans de la pierre.

Le Ministre abaissa lentement son bras, toujours dirigé vers l'Auror dans un geste accusateur, et se tourna un peu vers Marcus, avant d'énoncer solennellement :

- Dragonneau sera désormais sous ton commandement, Marcus.

Marcus fut particulièrement désarçonné, et son regard affolé oscilla vivement entre Thésée et son Oncle. Thésée, lui, resserra sa mâchoire pour masquer un tremblement de colère.

La voix chevrotante de Marcus résonna dans la salle octogonale :

- Mon Oncle… c'est-à-dire que-…

- Il sera sous ton commandement.

La voix fut si sèche, que même la plume sembla gratter le papier plus fort alors qu'elle écrivait ces mots. Le regard désormais malicieux de Fawley glissa vers Dragonneau, et il ajouta énigmatiquement :

- Grimmson avait échoué en Septembre. J'espère que ce ne sera pas votre cas.

Pour la première fois depuis le début de son rêve, Dragonneau se mit à parler, sa voix était enrouée par son long mutisme et par toute la colère et l'humiliation qu'il ressentait :

- Je ne suis pas sûr de bien comprendre, Monsieur.

Fawley se pencha dangereusement vers Dragonneau, qui était pourtant une tête plus grand que lui, et cracha sur un ton virulent :

- Tuez-moi cet Obscurial, Dragonneau.

Cette phrase fut comme un coup de poing, et sur le moment, Freya ne fut plus entièrement sûre du fait qu'il s'agisse de ses propres émotions ou de celles de Thésée.

L'expression de Marcus était devenue blafarde, si bien qu'il se confondait presque avec sa propre chemise écrue et tâchée. Il voulut dire quelque chose, mais rien ne sembla sortir de sa gorge nouée.

Le Ministre répéta clairement, alors que les autres membres du Magenmagot semblaient d'ores et déjà se lever, comme si l'audience eut été déjà terminée :

- Tuez-le moi, et vous retrouverez votre poste de Chef de Division.

Mais la vue se brouilla aussitôt, dans une tornade d'images confuses et tourmentées.

Elle finit par se stabiliser à nouveau alors que Marcus et Thésée étaient tous deux isolés dans un bureau, son frère sembla jeter un coup d'oeil vers les couloirs mouvementés et pleins de panique par la fenêtre, avant de vivement tirer le rideau gris, les isolant complètement dans la petite salle sombre.

Thésée était à moitié assis sur le bureau de bois, les mains finalement déliées de son dos, et jointes avec crispation devant lui. Il était blême, et sa mâchoire ne cessait de trembler.

Et alors que Marcus lui lançait un regard sincèrement inquiet, qu'il sembla détester au plus haut point, Dragonneau se redressa vivement en déclarant :

- Je vais poser ma démission.

Marcus parut tout à fait désemparé, il s'exclama en balbutiant :

- Quoi ? Non !

- C'est mon choix, se défendit Dragonneau en attrapant sa veste souillée, qui avait été posée à côté de lui.

Il se détacha de la table boisée, et fit deux pas vers la porte de la salle, mais Marcus lui agrippa le bras :

- Attendez, si vous démissionnez dans de pareilles conditions, vous savez comment ce sera perçu…

Thésée s'était stoppé juste devant le bois de la porte, et sans se tourner vers Marcus, il articula sèchement :

- Je n'accepterai jamais cette mission, Nott-…

- Ils vous enverront à Azkaban comme déserteur.

La terrible phrase de Marcus sembla flotter un petit instant dans l'air froid du bureau.

Il lâcha lentement la manche de Thésée, et il ajouta avec un air à la fois inquiet et inquiétant :

- Ou pire, pour trahison.

Thésée laissa échapper un souffle court et tremblant, et il sembla le regretter instantanément, puisqu'il détourna complètement son regard de Marcus, comme pour lui cacher son soudain et vif désarroi. Il était coincé.

Le Nott continua avec une grimace acide :

- Ils prévoient d'y envoyer tous les sorciers qui ont été sous Polynectar pendant le Match… ils ne seront pas moins cléments sur votre cas.

A ces mots, une vague de fureur traversa Thésée, et il balança violemment sa veste contre le sol carrelé noir avec un râlement rauque et étouffé. Il s'assit quasi aussitôt sur une chaise adjacente et cala lourdement sa tête entre ses deux mains encore souillées.

Marcus parut particulièrement mal à l'aise, et pendant un instant, il tapota même sur le haut du dos de Thésée dans un maigre et maladroit geste de réconfort, et il soupira :

- Nous trouverons une solution.

Voyant que Thésée ne réagissait pas, il retira sa main qui se voulait réconfortante et la toisa comme si elle avait agit de son propre chef et qu'il désapprouvait totalement son geste.

Il rangea sa main dans la poche de son pantalon, comme pour l'empêcher de reproduire une autre gestuelle qu'il serait amené à regretter.

Après un petit moment, il commenta, à la fois pensif et inquiet :

- Mais cela nous confirme une chose, mon Oncle ne veut vraiment pas que l'on puisse remonter la piste des origines de ce garçon jusqu'à nous… ou plutôt jusqu'à lui.

Comme Thésée ne bougeait pas, il continua avec un haussement d'épaules :

- Nous pourrions simplement le ramener au Ministère. Il devra être jugé pour ses crimes bien sûr, mais il sera en vie…

Et puis, il se laissa lourdement avachir contre le mur carrelé avec des bras croisés sur sa poitrine :

- Merlin, comment va-t-on annoncer cela à Freya…

Thésée réagit à ses mots, le visage toujours niché dans ses mains, et la voix pleine de regrets :

- Elle n'aurait rien dût savoir. Rien de tout cela.

Marcus lui lança un regard surpris, et puis, grimaça presque alors que Thésée continuait :

- Si seulement elle ne savait rien de tout cela alors… elle ne souffrirait pas.

Le Nott soupira largement et souleva un sourcil :

- Vous comprenez maintenant, pourquoi je ne voulais pas la mettre au courant ?

- Je déteste l'admettre, mais vous aviez peut-être raison.

Marcus lui lança un regard grave, qui masqua à peine sa surprise alors qu'il vit les yeux de Dragonneau. Ils étaient rougis, et il s'empressa de détourner son regard, comme pour lui faire croire qu'il n'avait pas remarqué sa soudaine émotivité.

Et puis… il suggéra presque silencieusement :

- Nous pourrions garder cela pour nous.

A ces mots, le regard de Dragonneau se releva à nouveau vers lui.

- Epargnons à Freya une telle nouvelle, et une telle traque. Je sais qu'elle mise beaucoup d'espoirs quant à nos retrouvailles avec Eugène.

Il conclut avec une voix qui ne lui ressemblait pas :

- Préservons-la.

Dragonneau hocha faiblement la tête, mais à la vague de désespoir qui ondulait depuis lui, s'ajouta une sombre culpabilité. Une vilaine et acide culpabilité.

Et elle décupla lorsque Marcus lui fit promettre :

- Jurez-moi que vous ne lui direz rien.

- Je vous le jure.

Freya fut aspirée dans une autre vision brouillée, dans un tourbillon de culpabilité, de regret et de tourment.

Un tourbillon qu'elle devina être celui de Dragonneau, puisqu'il passa à côté d'elle en faisant de vives enjambées dans les couloirs sombres et désordonnés du Ministère. Il y régnait une telle panique, que Freya eut du mal à se faufiler elle aussi entre la foule des sorciers qui accouraient dans tous les sens.

Elle eut à peine le temps de se jeter dans la cheminée, se collant au corps froid et toujours souillé de Dragonneau, qui ne sembla rien remarquer.

Les flammes vertes se dissipèrent et ils se retrouvèrent rapidement dans le tumulte et le brouhaha de Ste Mangouste, où des sorciers blessés, des soigneurs et infirmières courraient dans toutes les directions, et Thésée était là, encore rigide et froid parmi cette foule en ébullition et ces longs couloirs étriqués.

Ils croisèrent des brancards où des sorciers criaient, d'autres où sous des draps blanc maculés de terre et de cendres, on pouvait distinguer des silhouettes qui elles, n'hurleraient peut-être plus jamais.

Les grandes salles de soin étaient pleines à craquer, grouillantes et assourdissantes de cris de patients et d'instructions de soigneurs… Et puis, tout cela s'effaça finalement pour laisser place à un long couloir blanc et vide… très vide et silencieux. Que Freya reconnut.

Une certaine angoisse émanait désormais de Dragonneau, dont les pas s'étaient ralentis.

Et il se stoppa finalement, hésita, et puis, poussa une porte blanche.

Freya resta figée.

Elle était là.

Elle, Freya Nott, elle était là, allongée dans l'unique lit blanc de la pièce exiguë et glacée.

Elle dormait.

Et Dragonneau se tenait là, immobile à son chevet.

L'expression inintelligible, et pourtant, la Nott ressentit ce même tourbillon d'angoisse, de culpabilité et d'hésitation qui émanait encore de lui. Il grimaça, comme si on lui affligeait une terrible et douloureuse torture et, dans un geste vif, il dégaina sa baguette et la tendit dans la direction du corps endormi.

Mais son bras tremblait.

Il tremblait si fort, qu'il dut s'aider de sa deuxième main pour maintenir son emprise hésitante sur sa baguette. Il grimaça de nouveau, et finalement laissa lâchement retomber ses bras le long de son buste, avec un soupir tremblant et étouffé.

Il passa sa main contre son visage tourmenté.

Et Freya se sentit devenir glacée. Gelée à l'intérieur.

C'était de la solitude.

Une terrible et abyssale solitude, qui la paralysait.

C'était celle que Thésée ressentait.

Mêlée à cette constante culpabilité qui, elle, brûlait comme un poison.

Cette solitude fut comme une gifle pour Freya.

Une violente gifle.

Et la vue se brouilla à nouveau.

Seulement, cette fois, Freya sembla perdre le contrôle.

Sa vision s'était brouillée, mais s'était aussi embrouillée.

Des scènes rapides et succinctes s'enchaînèrent, toutes lourdes de sentiments et d'émotions parfois contraires et contradictoires. Et Freya voulut ralentir, elle voulut freiner tout cela, mais n'y parvint pas. Elle se laissa être submergée par ce torrent de souvenirs et de sentiments sombres.

Tout s'accéléra douloureusement, et il devint clair qu'elle ne contrôlait définitivement plus rien.

Elle se revit avec Thésée dans l'Allée des Embrumes, à délicatement caresser sa joue, cette même joue qui avait été violemment giflée par son Oncle la veille. Et puis, elle ressentit cette vive émotion, cet attachement, cette surprise et cette culpabilité, qui, mélangés furent comme un coup de poing dans son ventre. Et puis, leurs lèvres s'était ardemment collées et décollées, dans une série de gestes et de caresses qui ne firent qu'accentuer une certaine folie.

Une folie.

Et puis, son regard gris désolé, sa baguette dirigée vers elle… et…

Ses gifles qu'elle lui avait affligées. Tout comme son oncle avant elle.

Elle se sentit terrible, horrible, coupable, elle sentit si minable que cela l'avait complètement achevée. Et puis, la vision vira complètement, dans une torsion sombre qui lui donna presque le tournis.

Ils étaient dans le salon des Nott, devant la cheminée qui crépitait.

Leurs regards étaient ardents, leurs corps, serrés l'un contre l'autre.

Ils étaient immobiles, ou presque.

Elle pouvait ressentir la chaleur des paumes de Dragonneau sur ses hanches, qui la caressaient lentement. Là encore, la culpabilité était présente. Tapie dans l'ombre, sournoise. Le regret, l'hésitation et… cette même solitude, cette froideur qui devint un brasier ardent à force de caresses et de longs regards timides et hésitants. Elle ressentait une vague de désir, si fort, qu'elle crut qu'il allait la consommer entièrement, sans être encore une fois certaine qu'elle se rappelait de ses propres sentiments, ou s'il s'agissait de ceux de Thésée.

Mais ce torrent de désir se stoppa brutalement.

Un frisson lui parcourut l'échine lorsque les yeux de Freya s'étaient finalement dirigés vers sa propre main, largement posée sur la poitrine de Thésée, et régulièrement soulevée par son souffle rapide.

Une bague était à son doigt.

La bague d'Ursula Nott.

L'immonde bague, avec ce péridot et ces deux serpents qui s'entrecroisent.

Elle ne la portait pourtant pas ce soir-là.

Les serpents d'or se mirent à bouger.

A ramper sinueusement et langoureusement autour de la pierre précieuse taillée.

Et Freya les regarda, immobile et figée, toujours autant submergée par les sentiments en bataille de Thésée, et ce désir, toujours si fort, qui se mit à la brûler, lui rappelant la terrible chaleur des flammes de l'Estrella, et cette écoeurante proximité avec Grimmson qui-…

Freya se réveilla dans un sursaut, et se mit aussitôt à suffoquer, comme si elle eut été en apnée pendant toute la durée de ce rêve.

Elle venait à peine de se réveiller, mais elle se sentait épuisée. Vidée de son énergie, comme si le fait de ressentir ce déchirement constant en Thésée l'avait complètement terrassée.

Mais ce qui l'avait le plus atterrée c'était cette gifle que son oncle avait osé affliger à Dragonneau, et cette solitude. Cette glaçante et profonde solitude qui semblait l'empoisonner.

Dehors, la lumière qui se faufilait depuis la fenêtre de sa chambre, était si forte qu'elle dut plisser les yeux tant elle était éblouie. Elle devina qu'il devait être plutôt tard dans la journée, car le soleil semblait déjà bien haut dans le ciel bleu, par-delà les épaisses cimes de la forêt tropicale.

La voix de Thésée la secoua hors de son étrange état de réveil :

- Ils doivent venir ici.

Mais il ne s'adressait pas à elle.

Il était dos à la porte de sa chambre, entrouverte, et parlait en réalité avec Moreno, dont Freya put reconnaître la vix et l'accent chantant alors qu'il répondait à Thésée :

- Barbosa va essayer de les retrouver à Rio, et de les faire venir via un Passage… mais ce n'est pas si facile, amigo.

Il y eut un petit silence entre eux, dans l'étroit couloir qui menait aux chambres, et l'Auror brésilien enchaîna avec un ton plus bas cette fois-ci :

- Les alliés de Grindelwald sont partout… et maintenant que l'un des leurs est mort, je redoute que la surveillance de vos amis ne soit renforcée.

Freya s'assit lentement et silencieusement dans le lit grinçant.

Mais alors qu'elle laissait sortir ses deux jambes, encore flageolantes de la veille, sur les bords du matelas, dans l'optique de se lever, le bois de la literie craqua et Thésée se retourna vivement dans le couloir.

Elle croisa son regard un peu surpris et toujours abîmé, et il finit par dire à Moreno :

- … Faîtes votre possible. Mais il n'est pas question qu'ils se retrouvent en porte-à-faux là-bas.

Moreno dût hocher la tête, puisqu'elle vit Thésée lui faire un vague signe de la tête en retour, et les bruits de pas de l'auror finirent par se noyer dans un nouveau silence.

Thésée se retourna lentement, et sembla hésiter un moment, avant de frapper doucement à la porte de Freya. Comme elle ne dit rien, il ouvrit la porte lentement, mais resta rigidement planté dans l'encadrement de celle-ci.

Son regard était comme d'habitude.

Inintelligible.

Quelconque.

Mais Freya savait désormais ce qui pouvait se cacher derrière un tel masque.

Elle se rappela des vagues de tourment qui l'avaient balayée, et se demanda comment diable il pouvait ressentir tout cela sans que cela ne transparaisse clairement sur son visage.

Il ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais la referma aussitôt.

Et puis, d'un seul coup, l'inexpression de Thésée devint une surprise. Un étonnement.

Freya fronça ses sourcils, alors qu'un goût ferreux et tiède coula depuis sa narine jusqu'à sa bouche. Elle eut à peine le temps de mettre sa tête en arrière, que Thésée s'était déjà précipité vers sa table de chevet, où était posé le mouchoir vert que Barbosa lui avait présenté la veille, alors qu'elle pleurait. Avant même qu'elle ne dise quoique ce soit, Thésée avait attrapé le mouchoir de Barbosa, puis sa tête, qu'il pencha en arrière pour y appuyer le mouchoir.

Sa voix grave trahit une certaine surprise alors qu'il balbutia :

- Nott, votre nez…

Freya, quant à elle, plus surprise de ce geste soudain que du fait qu'elle saigne du nez, se défit de l'étreinte de l'Auror dans un geste précipité et paniqué, revivant tout à coup, et malgré elle, la terrible proximité avec Grimmson de la veille.

Encore bien malgré elle, et dans un réflexe étrange, elle adressa à Thésée un regard complètement défait, et ce dernier sembla aussitôt comprendre son malaise, car il se releva vivement, avec une expression un peu déroutée.

Elle plaqua le mouchoir contre son nez qu'elle sentait couler à flots.

Thésée, sortit de sa torpeur et finit par demander avec de l'inquiétude dans sa voix grave :

- Est-ce un… rêve qui vous met dans cet état ?

La voix encore enrouée par le sommeil, Freya répondit un peu déboussolée :

- Je n'en sais rien… C'est la première fois qu'une telle chose m'arrive.

Elle dut le regarder étrangement, puisqu'il sembla deviner :

- Vous… avez vu.

Même sans savoir de quoi il voulait parlait, précisément, elle devina qu'il faisait référence à la promesse entre Marcus et lui. Son regard était devenu sombre et amer.

Freya déglutit :

- Oui.

Il hocha la tête, mais redevint aussitôt étrangement froid et rigide sur ses deux pieds.

Elle se sentit obligée de mentir, comme pour l'apaiser :

- En partie.

A ces mots, le regard gris se braqua une nouvelle fois dans sa direction.

Il était clair à la vue de ces yeux, qu'il formulait en silence la question « qu'avez-vous vu exactement ? ».

Elle décolla le mouchoir de son nez. Le tissu vert amande était devenu rouge vif, et elle imagina que son nez et le dessus de ses lèvres devaient être de la même teinte. Elle grimaça et continua, toujours les yeux rivés vers le mouchoir, comme s'il s'agissait d'un sujet qui pouvait être pris à la légère :

- J'ai vu votre discussion avec mon On-…, le Ministre.

Comment pouvait-elle encore le désigner comme quelqu'un de sa famille, avec tout ce qu'elle avait appris, et tout ce qu'elle avait vu

- Et celle avec Marcus.

Il parut mal à l'aise tout à coup, comme si cela le gênait au plus haut point.

- Mais seulement des bribes, ce n'était pas aussi précis que le rêve que j'avais eu précédemment.

Encore un mensonge.

Il demeura silencieux, et la regarda remettre le mouchoir contre son nez, pour l'essuyer un peu.

Freya continua avec une voix hésitante :

- Je vous ai vu à Ste Mangouste.

Il blanchit rapidement, comme s'il savait très bien ce qu'elle avait vu.

Il reprit un air coupable qu'il décida de camoufler derrière un froncement de sourcils bougon, avant de détourner complètement la tête dans la direction de la fenêtre légèrement voilée de quelques toiles d'araignées.

Freya observa son visage, encore abîmé, mais largement dégonflé.

Sa lèvre fendue avait déjà bien guéri, et il en était de même pour son arcade qui demeurait tout de même soulignée de rouge, alors que son oeil gauche était entouré d'une zone ronde et légèrement violacée. Son regard dévia lentement vers sa main gauche, dépourvue de de bandage, mais où de vilaines cicatrices, qu'elle devina irrémédiables, spiralaient et lacéraient sa peau.

Lorsqu'elle releva les yeux, elle vit qu'il l'étudiait de la même manière qu'elle.

Ses yeux étaient posés vers son cou et le haut de sa robe de nuit qui recouvrait la partie qu'il savait abîmé de sa poitrine. Elle jura même avoir vu ses poings se serrer, si fort que ses articulations en devinrent blanches.

Et puis, l'inquiétude mutuelle laissa place à une froide réalisation.

Freya retraça le fil de sa soirée, dans des grimaces de désespoir et de colère.

Son réveil et la confusion qui l'accompagne avaient un peu masqué la réalité de la situation : les évènements de la veille, leur vif désaccord… leur colère l'un pour l'autre.

Sa voix fut plus hésitante que ce qu'elle ne l'aurait voulu :

- Comment…

Mais il la coupa rapidement, rejetant maladroitement l'inquiétude qui résonnait encore dans sa voix aiguë :

- Mieux.

Et après un tout petit instant, où il semblait finir son inspection visuelle d'elle, il lui fit un geste de la tête et demanda :

- Vous ?

- Je vais bien.

Le froncement de ses sourcils indiqua qu'il ne crut pas une seule seconde à son mensonge.

Elle baissa la tête, en essayant d'essuyer son nez, désormais sec et désagréable, avec le mouchoir définitivement dépeint de rouge.

Elle aurait aimé reprendre leur discussion de la veille, avec ce nouveau point de vue fourni par le rêve… mais maintint ses lèvres closes. La vérité fut qu'elle se sentait idiote d'avoir remis en question son intégrité, son honneur, et ses promesses, qu'elle avait même qualifiés de stupides.

Elle se sentit d'autant plus mal à l'aise qu'elle réalisa qu'il avait raison finalement : il aura suffit qu'elle ait ce rêve pour qu'elle le croit.

Au bout d'un moment, elle tenta sans pour autant oser le regarder :

- Je ne sais pas par où commencer…

- A vrai dire, moi non plus.

Sa voix était distante, mais pas désagréable.

Il se pencha un peu vers elle, et elle sursauta bien malgré elle, il lui montra le mouchoir du doigt et dit :

- Permettez-moi.

Freya lui donna le mouchoir, tout de même un peu honteuse de lui tendre ce tissu imbibé de son sang, et il tapota gentiment l'écart entre son nez et sa lèvre supérieure. Freya ne peut s'empêcher de tressauter à chaque contact entre lui et elle, et se força à ne plus penser au violent contact de la peau de Grimmson contre la sienne.

La jeune femme tenta d'employer un autre sujet :

- Vous essayiez de faire venir Gideon et Faucett ici ?

- Oui.

Il poursuivit avec un ton des plus sérieux et des plus factuels :

- La Résistance et nous pensons que la mort de Grimmson risque d'attiser une certaine violence au sein du groupe de Grindelwald. Que ce soit ses acolytes proches ou ses partisans.

Sa voix quitta sa gorge, un peu perdue et songeuse :

- Il est… vraiment mort alors.

Thésée arrêta net ses mouvements et la toisa, d'abord surpris, et puis, ses yeux reprirent une teinte sombre. Sèchement, il articula :

- Vous avez vu ce qu'il restait de lui. Bien entendu qu'il est mort.

Mais il sembla regretter tout aussitôt d'avoir employé ce sujet, car l'expression de Freya se mut en une grimace de douleur.

Elle voulait oublier cette vision terrible, cette chair calcinée… Mais au-delà de ça, elle se sentit tout à coup prise d'assaut par une multitude de sentiments. Le soulagement qu'il ne reviendrait pas. La terreur de ce qu'elle avait vécu la veille.

La déception qu'elle ne l'ait pas tué elle-même…

Des larmes se mirent à déborder de ses yeux et Thésée remua ses lèvres, visiblement tout à fait maladroit et déconcerté. Il finit par lui assurer avec la voix la plus douce qu'il puisse formuler :

- Il ne reviendra pas, Nott.

Elle secoua la tête, et réussit à prononcer entre deux noeuds dans sa gorge :

- Ce n'est pas tant cela qui… Je-…

- Quoi donc ?

- Vous ne comprendrez pas.

- Expliquez-moi.

Elle ferma ses yeux si fort qu'elle en vit des étoiles.

Et elle cracha le douloureux morceau :

- J'aurais voulu le tuer moi-même.

S'en suivit un court silence.

Thésée la fixait, mais pas comme il aurait regardé le Monstre qu'elle pensait être.

Et puis, après un court moment, il sortit de sa torpeur et donna un dernier tapotement de mouchoir sur le bout de son nez, et souffla presque silencieusement :

- Vous pensez que je ne veux pas tuer Grindelwald ?

Il laissa retomber sa main avec le mouchoir sur ses genoux alors qu'il s'assit sur le bord du lit.

Il fixa ses propres mains un instant et expliqua :

- Mais le tuer ne me ramènera pas Leta.

Sa voix grave devint un peu plus forte :

- Le tuer n'arrêtera pas mes cauchemars, n'exorcisera pas mes démons… cela ne résoudra rien.

Il remonta ses yeux gris vers ceux de la Nott qui débordaient toujours autant, et ce, même si elle redoublait d'effort pour arrêter ces larmes.

La voix de Thésée était douce, même si le contenu de ses paroles était dur et empli d'une réalité qu'elle se refusait d'admettre :

- Tuer Grimmson n'aurait pas rendu à Black sa capacité de marcher, et n'aurait pas soigné la folie de Coffin…

Il y eut un moment de silence durant lequel ils se regardèrent l'un l'autre.

Et puis, après un instant d'hésitation, il sélectionna un coin du mouchoir encore vert amande, et non souillé par le sang de la sorcière pour tapoter le haut de ses joues, épongeant ses larmes.

Une autre voix intervint, il s'agissait de celle de Porpentina :

- Mort, il ne paiera jamais avec un long séjour dans votre Azkaban.

Elle était appuyée contre l'encadrement de la porte, les bras croisé sur sa poitrine. Elle avait l'air fatiguée, mais son expression était des plus banales… jusqu'à ce qu'elle aperçut le mouchoir tâché de sang dans le creux de la main de Thésée. Elle redressa d'un seul coup, et un froncement de sourcils noirs vint en réalité froncer son visage entier :

- Que se passe-t-il ?

Thésée se releva avec un soupir :

- Les rêves de Miss Nott semblent commencer à avoir un prix.

Freya lui lança un regard un peu surpris, et il répondit rapidement :

- Bien que je ne sois pas un spécialiste en la matière.

Porpentina fit pivoter son air froncé de nouveau vers Freya, mais cette dernière regardait Thésée qui partait de la pièce avec des pas lents et irréguliers, sa main abîmée nichée dans sa poche de pantalon, comme s'il avait adopté son air quelconque habituel.

Freya l'interpella avec une voix déraillante :

- Que faîtes-vous ? Nous… nous devons parler.

Thésée se stoppa dans l'encadrement de la porte, juste à côté de Porpentina et lança un regard un peu plus froid par-dessus son épaule.

- Il n'est pas judicieux que nous parlions maintenant.

Il se pinça les lèvres et développa avant même que Freya ne puisse argumenter le contraire :

- Vous venez de vous réveiller. Et vous devriez manger quelque chose.

Elle n'eut pas l'occasion de dire quoique ce soit de plus, puisqu'il disparut dans l'ombre du couloir, en direction du séjour. Porpentina la regarda longuement, et Freya entrouvrit la bouche pour lui parler d'Eugène, pour lui présenter ses excuses, mais l'américaine lui coupa l'herbe sous le pied :

- Avant cela, vous devriez aller vous rafraîchir, vous êtes encore pleine de cendres.

Et avec un petit sourire, encourageant et doux, elle disparut elle aussi dans le couloir.

Freya recouvrit hâtivement l'énorme bleu qui était presque devenu noir et qui teintait une bonne partie de son dos. Et elle fit de même en boutonnant le haut de sa robe droite en lin jusqu'à son cou abîmé. Elle se regarda dans le miroir un court instant.

Son cou était bleu, et on pouvait y voir les traces régulières de quatre doigts, sur le côté gauche, douloureuse et dernière empreinte que Grimmson aura laissé.

Son visage était étrange.

Son rouge à lèvres ne suffit pas à réchauffer son teint pâle, ses joues, d'habitudes arrondies, s'étaient creusées et tendues. Elle ne ressemblait désormais plus qu'à l'ombre d'elle même.

Et puis, ses yeux tombèrent vers le rebord du lavabo ébréché et envahit par une liane verte qui avait réussi à se faufiler jusque là. Elle avait posé sa bague là.

La bague.

L'immonde bague d'Ursula Nott que son Père n'avait cessé de lui offrir.

L'immonde bague qu'elle avait récupéré dans leur coffre de Gringotts.

L'immonde bague que Marcus lui avait rendu le jour de son départ pour le Brésil, très certainement pour la taquiner.

La bague dont elle avait étrangement rêvé durant la courte nuit passée.

Cela ne pouvait pas être un hasard.

Son intuition lui hurlait de la porter, et alors elle la glissa à son doigt.

Le péridot brillait énormément malgré le peu de lumière dans la salle d'eau, et les serpents dorés étaient immobiles de part et d'autre de la pierre. Freya fronça ses sourcils, et puis, quitta finalement la salle d'eau, pour rejoindre le couloir étriqué et sombre.

Elle fut à peine sortie de la pièce qu'elle entendait des voix dans le séjour.

En s'approchant, elle remarqua que Norbert les avait rejoint.

Il était là, assis à table, en face d'un Thésée particulièrement rigide, et à côté de Porpentina qui le toisait avec un regard sévère et glacé.

Jacob, lui, paraissait particulièrement mal à l'aise, il était assis dans le sofa, un peu en retrait, et passait de temps à autre ses yeux par dessus le journal qu'il tenait dans ses mains. Un journal magique en Portugais… qui plus est, à l'envers.

Et ce dernier détail rappela plutôt amèrement à Freya sa propre erreur, alors qu'elle devait surveiller le domicile du Magizoologiste, quelques mois plus tôt.

En parlant du Magizoologiste, Freya l'entendit justement balbutier avec un ton accusateur et sidéré :

- Comment as-tu pu…

- Je n'ai pas eu le choix, Norbert.

- Depuis tout petit, tu me dis qu'on a toujours le choix.

La position de Thésée se raidit dans sa chaise, d'ailleurs bien trop petite pour lui.

Il grinça entre des dents serrées :

- Je le répète, je ne compte pas le tuer.

- Le livrer au Ministère revient à faire la même chose.

L'Auror adressa à son frère un regard impatient :

- Et que veux-tu que je fasse, alors ?

- Nous devrions l'amener à Dumbledore.

Il étouffa à peine un souffle sarcastique :

- Dumbledore ? Ne me fait pas rire. Que veux-tu qu'il-…

- Il pourrait peut-être l'intégrer à Poudlard, lui apprendre à contrôler, et peu à peu à réduire l'emprise de l'Obscurus sur-…

- Il ne peut pas guérir de cela, Norbert. Tu sais très bien que-…

- Personne n'a prouvé le contraire, je le sais, mais personne n'a vraiment essayé non plus. J'ai de l'espoir.

Le coeur tambourinant avec hésitation, Freya sortit finalement de la pénombre du couloir et appela timidement :

- Norbert ?

Ils relevèrent tous la tête d'un seul coup, comme s'ils avaient été surpris en train de commettre un larcin. Leur air grave s'effaça à peine de leurs visages.

Même Norbert, eut l'air curieusement sombre derrière son habitude malaise social.

Il lui fit un sourire fugace et fuyant et balbutia :

- Oh, Freya, vous… allez bien ?

Et puis, ses yeux noisette tombèrent distinctement dans le cou de la Nott, et il sembla vouloir rattraper les mots qui venaient pourtant de s'échapper de sa bouche. La maladresse de la question fit froncer les sourcils de son frère, qui eut l'air d'autant plus sombre. Et puis, les yeux gris de Thésée dévièrent finalement vers elle et se posèrent plus longuement que nécessaire sur son cou abîmé.

Dans un geste gêné, et puisque les deux Dragonneau semblait ne fixer que cela, elle passa une main tremblante devant son cou, et émit un rire forcé et terriblement mal à l'aise.

Jacob laissa tomber le journal qu'il faisait de mine de lire, et avec un sourire un peu forcé et lui aussi mal à l'aise, il l'invita vivement à s'asseoir, en faisant de grands gestes malhabiles vers la chaise en face d'elle, maladroitement placée entre les deux frères.

Il poussa vers elle un joli plateau avec une assiette, des couverts, et une tasse haute et ébréchée dans laquelle se dressait une délicate fleur tropicale aux pétales colorés.

Même si elle était reconnaissante envers Jacob, le malaise de la situation fit que Freya dût forcer sur le ton de la surprise et de l'enchantement en demandant avec un demi sourire tremblotant :

- Oh, Jacob, c'est vous qui avez préparé cela ?

Le malaise du Moldu sembla se dissiper tout aussitôt, et il balaya sa question complimentante d'un vague geste de la main. Il s'exclama avec un vrai large sourire :

- Oui, ce n'est pas grand chose. Oh, j'espère que vous aimez les champignons. Et j'espère aussi qu'ils ne sont pas magiques ou quoique ce soit, je n'ai pas l'impression du moins-…

Tout cela ne fut pas très rassurant.

Et très vite, le regard sombre de Thésée se déporta sur lui, et il dut le remarquer puisqu'il se s'embrouilla rapidement dans sa phrase et changea immédiatement de sujet :

- Oh, mais la fleur n'est pas de moi, c'est… le jeune gaillard barbu d'hier soir. Il est repassé ce matin avec Monsieur Moreno.

Freya releva les yeux de la jolie fleur et s'étrangla presque avec étonnement :

- Monsieur… Barbosa ?

Jacob claqua dans ses mains :

- Exactement ! Il a demandé de vos nouvelles, et-…

- Il voulait vous offrir une fleur, coupa Thésée pour abréger les explications de Jacob qu'il devait trouver trop longues.

L'Auror la regarda sombrement, comme s'il jugeait sa réaction quant à cette fameuse fleur. D'abord un peu prise de court, Freya finit par commenter alors qu'elle voyait que Thésée commençait à remuer nerveusement sa jambe sous la table de bois.

- Oh, c'est… très gentil de sa part.

- Je ne pense pas qu'il fasse cela juste pour être gentil, commenta Jacob.

Le Moldu était apparemment totalement imperméable ou aveugle quant à la soudaine tension qui habitait désormais Dragonneau, à sa gauche, et qui lui lançait un énième regard noir.

Il continua, avec un petit clin d'œil amusé dans la direction de la Nott, pensant certainement que cette bribe de discussion allait remettre un peu de jovialité dans la pièce soudainement très silencieuse :

- Je pense que vous lui avez tapé dans l'oeil.

Il devint clair que Porpentina s'amusait en silence du regard noir que Thésée lançait à Jacob, qui, sembla finalement s'en rendre compte pour la première fois depuis quelques minutes. Le Moldu fit mine de se rappeler de quelque chose et accourut avec urgence vers la cuisine.

Freya un peu intimidée par tous ces regards braqués dans sa direction, en particulier par celui de Norbert, visiblement un peu choqué par la marque qu'elle avait dans son cou, fini par prendre une première bouchée des champignons que Jacob lui avait cuisiné. Elle feignit de ne pas voir le large coup de coude que Porpentina avait donné à Norbert, pour qu'il arrête de la regarder.

Elle tenta de rompre le silence en demandant timidement :

- Vous… avez déjà déjeuné ?

Porpentina lui répondit doucement :

- Oui, il y a une heure, alors que vous dormiez encore.

La Nott hocha la tête et déglutit, se rendant clairement compte qu'elle n'avait aucun appétit. Instinctivement elle se frotta même la gorge, à l'emplacement encore douloureux où Grimmson avait posé sa paume, c'était comme s'il continuait malgré tout à appuyer, et qu'aucun aliment ne passait.

Thésée la scrutait en silence, et lorsqu'elle s'en rendit compte, elle replongea son regard vers les champignons dans son assiette.

- Nous parlions d'Eugène, annonça Porpentina vers Freya.

Thésée adressa à la sorcière du MACUSA un regard clairement désapprobateur, mais elle lui rétorqua aussitôt, avec un ton qui sous-entendait qu'ils en avaient discuté au préalable :

- Freya doit faire partie des discussions.

La Nott lança aussitôt un regard, qu'elle espéra déterminé, vers Dragonneau qui remua ses lèvres et finit par soupirer en signe de reddition. Elle pensait qu'il allait dire quelque chose à son tour, mais contre toute attente ce fut Norbert qui parla le premier :

- Nous parlions surtout du fait que mon frère a pour mission de le tuer.

Thésée lui adressa un regard à la fois las et agacé :

- Encore une fois, je-…

- Jamais je ne t'aurais pensé capable de-…

- Je suis d'accord avec toi, Norbert.

Thésée avait levé ses deux paumes de main dans sa direction, comme pour appeler son frère au calme. Avec un autre froncement de sourcils, il articula gravement :

- Et je te le répète, je vous le répète, je ne compte pas tuer Eugène Fawley.

Mais Norbert ne se laissa pas démonter, après des clignements d'yeux qui trahissaient son malaise, il rétorqua avec un tremblement d'agacement dans sa voix nasillarde :

- Le livrer au Ministère revient à faire la même chose.

Il y eut un petit silence tendu durant lequel Freya osa à peine prendre une cuillerée de ses champignons, ses yeux bleus oscillant rapidement entre les deux frères. Pickett, le Botruc qui avait élu domicile dans la poche de veste du Magizoologiste s'y retira rapidement avec un couinement apeuré.

Les lèvres de Norbert tremblèrent un peu, et il finit par demander avec un ton plus qu'accusateur :

- Quels autres actes cruels vas-tu être amené à faire au nom du Ministère, Thésée ?

La question jeta un tel froid que Jacob, qui s'était exilé dans la cuisine, s'était vivement retourné avec une expression très mal à l'aise.

La jambe de Thésée, qui, jusqu'à lors, ne faisait que de trembler avec tension et impatience, s'était tout à coup stoppée. Le regard de l'Auror était devenu sombre comme la nuit.

Il énonça lugubrement :

- Je ne suis pas aveugle au point de-…

- Si.

Norbert l'avait coupé avec un autre tremblement dans la voix.

Il enchaîna rapidement, avec des mouvements d'yeux à la fois courroucés et fuyants :

- Tu ne jures que par ça. Le Ministère. Le Ministère.

Silence.

Thésée finit par répondre avec un ton si plat qu'on aurait dit qu'il s'agissait du calme avant la tempête :

- Tu sais pourquoi j'ai un attachement particulier au Ministère, mais en aucun cas cela voilera mon jugement.

Les lèvres du Magizoologiste se crispèrent, et il largua finalement avec un ton impertinent :

- Tu penses que Père serait fier ?

Les poings de Thésée se contractèrent aussitôt sur le bois de la table, et Porpentina fronça les sourcils tout en posant une main sur la manche de Norbert en l'appelant au calme :

- Norbert…

Mais il l'ignora, sa voix encore pleine de colère trembla un peu :

- Tu penses qu'il serait fier que tu sois la cause de la mort d'un-…

Thésée se leva d'un seul coup, renversant et claquant la chaise derrière lui.

Jacob, surpris, fit tomber quelque chose dans la cuisine, mais personne ne lui prêta une quelconque attention.

Freya avala de travers alors que la voix de Thésée gronda comme le ferait un coup de tonnerre :

- Ne ramène pas Père là-dedans.

La mâchoire de Thésée tremblait tellement qu'elle ne sut pas s'il allait hurler ou fondre en sanglot. Elle se rappela de tous ces sentiments, de cette tornade de tourments qui l'avait balayée durant son rêve, et elle se demanda si cela correspondait à ce qu'il ressentait à cet instant.

Toujours les poings serrés de chaque côté de lui, Thésée finit par articuler avec une froideur sans nom :

- Tu ne te souviens même pas de lui, que pourrais-tu savoir de toute manière ?

Cette fois-ci, Norbert se leva à son tour, renversant lui aussi sa chaise qui alla s'écraser en arrière, juste à côté de sa fidèle valise brune et usée. Freya n'avait jamais vu Norbert dans un tel état, il plaqua ses mains contre le bois de la table, faisant trembler l'assiette de Freya et la fleur tropicale qui trônait dans son support ébréché.

Sa voix nasillante déblatéra violemment :

- Prendre en chasse un jeune garçon comme Croyance, tout ça au nom d'une stupide Cause qu'est le Ministère.

Mais il l'acheva réellement en articulant plus bas :

- Au final tu n'es pas mieux que Grimmson. Tu es insensible comme lui.

Silence.

Thésée eut une expression si torturée, qu'elle eut l'impression de le revoir dans l'Allée des Embrumes, juste après qu'elle l'eut giflé. Sa mâchoire tremblait de nouveau, et il allait dire quelque chose mais Freya ne put se retenir d'intervenir d'une voix tremblante :

- C'est de ma faute, Norbert.

Elle avait froncé ses sourcils dans la direction de Norbert, qui parut surpris de son intervention, et elle enchaîna, en tentant d'ignorer le regard noir de Thésée qui avait glissé vers elle :

- Pendant la Bataille d'Exmoor, il-…

Mais Thésée l'interrompit sèchement :

- Ne vous mêlez pas de ça, Nott.

Mais Freya secouait la tête dans la direction de Norbert :

- Vous vous trompez, il n'a rien à voir avec Grimmson.

Mais la voix de l'Auror la coupa à nouveau :

- Dois-je vous rappeler que vous suggériez la même chose que Norbert, i peine quelques heures, Nott ?

Elle ne put soutenir son regard, alors elle le laissa retomber vers ses champignons, le coeur à la fois lourd et battant la chamade devant tant de tension. Et puis elle le vit quitter son champ de vision, et faire de grandes enjambées vers la porte principale. La voix de Porpentina résonna :

- Où allez-vous ?

- J'ai besoin d'être seul.

La porte claqua derrière lui.

Freya resta figée là, et se sentit étrangement vide.

Et puis, les larmes débordèrent encore de ses yeux, et la silhouette de Porpentina se mut lentement à ses côtés, et elle sentit ses mains longilignes gentiment encadrer ses épaules qui tremblaient. Elle se sentait si coupable. Si terriblement coupable.

Elle balbutia vers Norbert, qui était encore figé entre la colère de sa dispute et la maladresse d'être face à des larmes :

- Tout est de ma faute, Norbert.

Elle secoua la tête alors que Porpentina lui caressait le haut de ses cheveux avec un regard doux. Un regard doux qu'elle ne méritait pas. Elle bredouilla :

- Je ne mérite pas votre compassion, je vous ai menti-…

- Ne soyez pas idiote, Freya, coupa doucement Porpentina.

Elle soupira et s'agenouilla à sa hauteur :

- Nous savons maintenant. Et nous allons retrouver Eugène, et retrouver Queenie. Cette rencontre indique que nous sommes près du but… et c'est tout ce qui importe.

Les deux sorcières relevèrent les yeux alors que Jacob s'était maladroitement posté devant elles, en tendant la poêle à frire, encore à moitié pleine de champignons. Il proposa malhabilement :

- Il reste des champignons, si vous voulez…

Freya étouffa un rire qui se mêla à un sanglot, encore coincé dans le fond de sa gorge. Porpentina, elle, avait émis un regard désapprobateur dans la direction du Moldu, et il s'éloigna avec la poêle maladroitement logée dans sa main.

Freya releva ses yeux embués de larmes vers le Magizoologiste, qui s'était mis à fixer la chambre retournée de Thésée avec des sourcils froncés.

- Il dit vrai lorsqu'il dit qu'il n'a pas eu le choix-…

- Il aurait dû nous le dire.

- Il avait promis de ne pas le faire.

Porpentina la regarda longuement et finit par lui demander :

- Vous avez eu un rêve à ce sujet, pas vrai ?

Elle hocha fébrilement la tête avant d'essuyer ses larmes avec le revers de sa main.

- N'en voulez pas à votre frère, Norbert, il-…

Mais il n'écoutait pas, il attrapa sa valise dans un geste vif et saccadé, et il annonça avec un air renfrogné :

- J'ai quelque chose à faire, je reviendrai plus tard.

L'américaine hocha la tête en soupirant, et il sortit avec une mine maladroite et courroucée, et Jacob lui emboîta rapidement le pas, fermant la porte derrière eux, et laissant les deux sorcières seules.

Freya laissa échapper un long soupir, sentant son coeur être si lourd dans sa poitrine, qu'elle crut qu'il allait tomber dans le fond de sa cage thoracique. Ses yeux bleus dévièrent lentement vers la porte que les deux frères venaient d'emprunter.

Porpentina dût suivre son regard puisqu'elle dit :

- Suivez le sentier… et au lieu d'aller vers Caxambu, prenez à droite, il y a un petit chemin qui mène à la rivière.

Freya fronça les sourcils et répéta sans comprendre :

- La rivière ?

Porpentina se rassit et croisa les bras sur sa poitrine tout en hochant la tête :

- C'est là que j'ai trouvé Monsieur Dragonneau hier après-midi. Il y est sûrement retourné.

Freya se leva aussitôt, mais Porpentina secoua sa tête :

- Vous devriez finir de manger, avant de partir.

Freya lui esquissa un sourire, que Porpentina lui rendit avant de ramasser et de lire le journal que Jacob avait laissé sur le sofa.

Il faisait étouffant dans cette forêt tropicale ; et il ne s'agissait pas que de l'air. La densité de verdure, de branchages, de racines et de lianes était impressionnante. L'odeur moite et verte de la forêt envahit Freya, qui zigzaguait entre les divers obstacles du petit sentier. Cela faisait quelques bonnes minutes qu'elle s'aventurait là déjà, et pourtant, aucun signe d'une quelconque rivière, et la Nott commençait à se demander si elle ne s'était pas tout bonnement perdue.

Les chants des oiseaux et des insectes ressemblaient à un bourdonnement constant et entêtant, et finalement, par-delà les petits cris d'animaux et les bruissements de feuillages, elle put détecter le doux choeur d'une rivière qui ruisselait certainement non loin de là.

Et la rivière en question fut bien plus large, et plus profonde que ce qu'elle avait pu imaginé.

Elle créait comme une large saignée dans la dense et haute forêt, un large trait de bleu foncé, qui se faufilait sinueusement entre les longs troncs des palmiers et les lianes distordues qui parfois y tombaient.

Elle se faufila par dessus un tas de branchages et de racines, manquant de peu de déchirer sa robe en lin beige, et puis, se stoppa brutalement à la vue d'un corps.

Un long corps qui revêtait un costume gris clair, et qui était largement avachi là, le dos contre un truc tordu, les jambes étalées sur une rive plutôt plate et verdoyante.

Elle resta bêtement plantée là.

Porpentina n'avait pas menti, elle avait bien trouvé Thésée.

Il semblait endormi, alors, elle ne bougea plus, de peur de l'éveiller. Et puis, elle se mordit la lèvre avec hésitation. S'il était bien éveillé, alors, que dirait-elle ?

Par où pouvait-elle commencer ?

Elle n'eut pas plus le temps de réfléchir à son discours, puisque la voix grave de Thésée résonna depuis le pied de l'arbre contre lequel il était allongé :

- Quand Miss Goldstein m'a trouvé ici hier, elle a au moins eu la décence de s'annoncer.

Freya grimaça, et s'avança maladroitement jusqu'à lui faire face.

Elle balbutia alors qu'il la toisait froidement, complètement immobile et rigide malgré sa posture détendue :

- Pardonnez-moi, je…

Elle se mordit les lèvres, et il étudia longuement son visage, notamment ses yeux, qu'elle savait complètement rouges et bouffis. Il croisa ses bras contre sa poitrine, et fit mine qu'il allait s'endormir en articulant imperturbablement :

- Vous devriez retourner à la Cabane.

Freya répondit du tac au tac :

- Non.

Il rouvrit les yeux et répéta avec un ton incrédule :

- Non ?

Et puis, comme elle tardait à lui répondre, il soupira et se redressa, décollant son large dos du tronc recouvert de mousse. Voyant qu'il commençait à se relever complètement, Freya lâcha piteusement :

- Je… ne pense pas que vous devriez rester seul.

Elle le pensait vraiment.

Mais cette réponse ne parut pas le satisfaire ; il lâcha un autre soupir, plus grand et plus agacé cette fois, et regarda la rivière, par-delà la petite silhouette Freya, comme si elle n'existait tout bonnement pas. La Nott déblatéra rapidement :

- J'ai l'impression que vous l'êtes depuis un trop long moment déjà.

Il ne sembla pas l'écouter sur le moment, et retira même sa veste grise, qu'il jeta nonchalamment contre le tronc de l'arbre qu'il venait d'occuper. Freya poursuivit :

- Je l'ai ressenti dans mon rêve.

Alors qu'il déboutonnait son veston, il se stoppa pour lui lancer un regard glacé et une expression totalement figée ; la même qu'il avait adoptée lors de son audition au Magenmagot.

Son coeur battait la chamade, et Freya se força à lui admettre :

- J'ai ressenti cette… solitude qu'il y a en vous.

Il jeta son veston au même endroit que sa veste grise, et commença à défaire les premiers boutons de sa chemise alors qu'il s'approchait dangereusement de Freya. Elle recula un peu sous son regard gris glacier, et il articula crûment :

- Et c'est exactement pour ça que je ne voulais pas vous rêviez de tout cela.

Il pinça ses lèvres, prenant le soin de bien mesurer chacun de ses mots, et finit par dire :

- Je ne veux pas de votre pitié.

Freya le toisa, avec surprise, et rétorqua aussitôt :

- Ce n'est pas de la pitié.

Mais il l'ignora, et se retourna alors qu'il retirait complètement sa chemise écrue désormais. D'ailleurs un peu gênée, et sans vraiment comprendre ce qu'il intentait de faire, la jeune Nott détourna complètement le regard, et tenta de chasser les images les plus défendues qu'elle avait vues durant son rêve. Une chaleur se mit à teinter ses joues, et elle pria Merlin pour que cela ne se remarque pas trop.

Elle tenta, par dessus son épaule :

- Je sais que vous ne pensiez pas ce que vous avez dit à Norbert tout à l'heure.

Thésée eut un ton impatient et bougon :

- Je vous l'ai déjà dit, rentrez, Miss Nott.

Le fait qu'il l'appelle Miss Nott la fit se retourner sèchement, les sourcils froncés, et elle resta plantée là, alors qu'il venait de jeter sa chemise écrue et chiffonnée contre le pied de l'arbre, avec une expression particulièrement agacée.

S'il remarquait son teint écarlate, il ne fit aucun commentaire à ce sujet.

Son expression était tout aussi froide et figée que lorsqu'elle l'avait trouvé allongé contre le tronc du palmier, quelques minutes plus tôt. Elle tenta de faire abstraction de son torse nu, et de cette cicatrice en forme de croissant de lune, sur son flanc gauche, dont elle devinait maintenant clairement la provenance.

Le sabot d'un Hippogriffe.

Très probablement lors de ce même accident qui avait tué son Père.

Mais tout cela n'était qu'une hypothèse, une intuition.

Sa voix grave coupa dans ses pensées comme on l'aurait fait avec un couteau :

- Et pour votre gouverne, si, je le pensais. Comme tout ce que je vous ai dit hier soir.

Elle déglutit alors qu'il faisait quelques pas vers le bord de l'eau, bordée de grands galets mousseux et de larges racines brunes, si bien qu'on aurait pu croire à une Mangrove. Elle tenta maladroitement :

- Justement… nous devrions continuer notre conversation d'hier soir.

Il se tourna vivement vers elle, et provoqua, très certainement dans le but qu'elle renonce à ses paroles qu'il devait trouver intempestives :

- Et quoi ? Vous allez vous baigner, vous aussi ?

Elle releva son menton devant le ton venimeux de l'Auror, et elle rétorqua :

- Exactement.

Aussitôt ce mot prononcé, elle se mit à défaire les lacets de ses souliers, alors que Thésée la toisait avec un mélange d'agacement et de surprise. Clairement, il ne s'attendait pas à une telle réponse, ni à ce qu'elle commence à ôter ses vêtements à son tour.

Ses souliers maintenant retirés, elle rétorqua avec un peu d'acidité à Thésée :

- S'il s'agit du prix à payer pour continuer cette conversation.

Elle retira ensuite son léger cardigan beige, et il sembla se figer pour de bon. Il l'observa longuement avant de faire une expression inintelligible, et puis elle l'entendit distinctement grogner gravement :

- Vous commencez à jouer avec ma patience, Nott.

Et puis, sortant finalement de sa torpeur, il retira ses chaussures lui aussi, et alors qu'elle arrangeait ses affaires à côté des siennes, il entrait déjà dans la rivière, passant des rochers polis par l'eau et recouverts d'une mousse épaisse. Il s'enfonça rapidement à hauteur de ses hanches, immergeant complètement son pantalon gris, si bien qu'on aurait pu croire qu'il était allé se baigner complètement nu. Si Freya n'avait pas été si retournée, elle aurait certainement rougit à cette idée saugrenue et s'avança vers lui, ne laissant sur elle que sa robe en lin beige.

Il s'était retourné pour la regarder, avec un air amer mais aussi étrangement plein d'anticipation. Il avait clairement remué ses lèvres, et les pinça longuement alors qu'elle posait ses pieds nus sur les galets verdis par la mousse.

Il commenta, sa voix grave coupant dans le délicat chant des oiseaux :

- Je ne suis pas sûr que cette robe soit appropriée à cet emploi.

Alors qu'elle luttait à se frayer un chemin jusque l'eau sans tomber ni glisser, elle le vit se retourner vers elle à plusieurs reprises, avec un regard tout à fait surprenant. Un regard curieux. Un regard hésitant. Le même qu'il lui avait lancé avant l'embrasser passionnément sous la pluie de l'Allée des Embrumes.

Il se mit à nager un peu, mais reboucha rapidement dans sa direction alors qu'elle entrait finalement dans l'eau sombre. Elle était tiède, et incroyablement douce.

Un peu gênée par la transparence qui n'en finissait de monter le long de sa robe, elle s'empressa de s'avancer plus loin dans l'eau, couvrant maladroitement son corps avec ses bras comme elle le pouvait. Mais Thésée lui avait tourné le dos, et alors qu'elle arrivait à sa hauteur, sa voix resta coincée dans sa gorge.

Il se passait de l'eau sur le visage, et puis dans sa nuque, et puis… son regard fusa vers elle, se rendant clairement compte qu'il était observé, et elle faillit complètement perdre pied.

Il finit par articuler, rompant le premier un silence qui s'était installé entre eux :

- Je pensais que vous aviez des choses à me dire.

Il déglutit, faisant faire un maladroit aller-retour à sa pomme d'Adam, et ajouta :

- Ou êtes-vous simplement venue jusqu'ici pour m'observer ?

Freya s'offusqua avec une voix beaucoup plus aiguë qu'à l'habitude :

- Je ne vous observe pas.

Il ne parut pas convaincu par sa réponse.

Elle ferma ses yeux longuement, cherchant comment elle pouvait bien débuter cette conversation, et finit par déblatérer malhabilement :

- … votre Père travaillait au Ministère ?

Elle se maudit intérieurement ; de tous les sujets, fallait-il vraiment qu'elle emploie celui-là ?

Mais Thésée ne sembla pas être dérangé, ni mal à l'aise suite à cette question.

Il répondit sur un ton quelconque :

- Oui.

Freya fit un geste inutile et maladroit dans l'eau devant elle, et sans regarder dans sa direction, elle continua de demander :

- Il était Auror ? Vous… vouliez devenir comme lui ?

Il y eut une petite pause pendant laquelle Freya se demanda finalement s'il ne valait mieux pas regagner la rive plutôt que d'employer de tels sujets. Mais la voix de Thésée finit par lui répondre sans aucune animosité devant sa curiosité :

- Non, il n'était pas… il n'était pas Auror. Il travaillait à la Division Moldue.

Il eut un rapide sourire qui n'atteignit pas ses yeux et enchaîna :

- Mais il parlait tout le temps des exploits des Aurors, de cet honneur qu'était de servir le Ministère, et… déjà tout petit je trouvais ça extraordinaire.

Il jeta un petit regard en coin dans la direction de Freya, comme s'il guettait discrètement sa réaction, et puis, croisant ses yeux bleus, il détourna complètement les siens, de nouveau droit devant lui.

Après un moment, il ajouta avec un air nostalgique :

- Il passait son temps à parler des Moldus et de leurs coutumes. Il était fasciné par eux, presque autant que Mère était passionnée par les Hippogriffes.

Il eut un autre sourire, plein de mélancolie cette fois, et puis, graduellement il s'effaça pour redevenir plus sombre.

Freya croisa ses bras par-dessus sa robe détrempée, et hésita avant de dire :

- Je le comprends, je ne connaissais pas bien les Moldus moi-même, à part les quelques cours que j'avais pu suivre à Poudlard… même si je m'y ennuyais un peu, je garde tout de même un bon souvenir de cette Division.

- J'étais surpris de vous y voir.

Il lui jeta un autre regard furtif, et se pinça les lèvres, comme s'il regrettait à son tour d'avoir employé un sujet qu'il ne souhaitait pas aborder. Et puis, devant le regard inquisiteur de Freya, il développa avec un faux soupir dans la voix :

- Début Novembre, Dumbledore avait déjà commencé à évoquer la possibilité que vous soyez liés à Croyance, votre frère et vous. Et… j'avais beaucoup d'aprioris vous concernant.

Freya lui lança un regard acerbe et froid, refaisant sans le vouloir l'air hautain caractéristique des Nott. Il se justifia rapidement avec un froncement de sourcils :

- Je côtoyais votre frère quotidiennement, depuis Poudlard déjà, et Merlin, qu'il était insupportable.

Il soupira et passa une nouvelle paume pleine d'eau sur son visage abîmé.

Il admit avec une voix si basse qu'elle ne l'entendit presque pas :

- J'avais imaginé que vous seriez pareille. Mais vous étiez là. Devant la porte de la salle du conseil, à accompagner McMillan.

- Et cela vous a surpris ? Demanda-t-elle, en réalité plus étonnée qu'il se rappelle de ce moment que du contenu de ses dires.

- Bien sûr, je vous savais au Ministère, mais la Division Moldue aurait bien été le dernier endroit où je serai allé vous chercher. Vous étiez une Nott, et je…

Il s'interrompît, captant certainement le soudain malaise qui émanait de Freya. Bien sûr qu'il mentionnait là son Sang Pur, ce fichu Sang Pur. Il ajouta hâtivement et plutôt maladroitement :

- Mais vous m'avez prouvé très tôt que vous n'étiez pas comme cela.

Toujours les bras croisés devant elle, Freya secoua la tête et lui formula un triste sourire :

- Non, vous avez raison. A vrai dire, j'étais surprise, moi aussi.

Elle émit un petit rire nerveux avant d'expliquer :

- Après plusieurs années à répéter à mon Père que je souhaitais travailler au Ministère, le Ministre et lui m'ont proposé ce poste. J'étais heureuse au début mais… j'ai vite compris qu'en me mettant dans cette Division ils espéraient secrètement que je finisse par partir, et que cela changerait mon intérêt pour les Moldus.

Il la regardait fixement désormais, comme profondément pensif.

Et il finit par dire en redressant ses yeux vers l'horizon bouché par la dense forêt tropicale :

- Mais vous êtes coriace, ils ont dû finir par regretter leur stratagème.

Il y eut un petit silence entre eux, et à cet instant, un oiseau aux plumes magnifiquement colorées s'envola non loin d'eux, avec une grâce et une majesté qui semblait presque irréelle. Ils le fixèrent jusqu'à ce qu'il ne disparaisse complètement derrière les hautes cimes de la forêt Tropicale.

Cette vision sembla rappeler à Thésée quelque chose, puisqu'il fut celui qui engagea une nouvelle fois la conversation :

- Lorsque Dumbledore m'avait dit que votre Père triait votre courrier, je ne l'avais pas cru. Mais je commence à avoir un bon aperçu de votre famille, et avec du recul…

Il y eut un autre silence, plus court, cette fois.

Et il finit par demander, avec un ton précautionneux :

- C'est ce que vous aimiez dans le Quidditch ? Ou en vol, en général ?

La Nott lui lança un regard intrigué, ne voyant vraiment pas où il voulait en venir.

Il sembla hésiter, et puis, lâcha finalement :

- La Liberté.

Freya, sans voix cette fois-ci, ne put que hocher la tête, et s'étrangla presque avec sa propre salive. Sans vraiment le vouloir, ses bras s'étaient resserrés contre elle, alors qu'elle réalisait le poids des mots qu'il venait de prononcer. Et le poids de son regard fut presque plus lourd encore.

Dans une étrange mécanique de défense, elle mordit avec une voix basse :

- Vous ne vouliez pas de ma pitié, et je ne veux pas de la vôtre.

Il la toisa avec surprise un court instant et puis secoua la tête :

- Et tout comme vous, ce n'en est pas.

Il fit un pas vers elle, remuant l'eau sombre de la rivière autour de sa taille. Il s'arrêta non loin d'elle, lui faisant face et la dominant soudain de toute sa hauteur. Ses yeux étaient devenus plus sombre, leur teinte approchant celle de l'eau tiède.

- Comment arrivez-vous à faire cela ?

Un peu perdue, Freya balbutia :

- A faire quoi ?

Sa mâchoire remua un peu, comme il le faisait lorsqu'il hésitait.

Et il articula avec une voix si grave et si basse qu'elle ressemblait à un souffle :

- Comme après Exmoor, et comme après chaque chose terrible que je fais, vous…

Il semblait chercher quelque chose dans ses yeux et il secoua la tête, comme pour remettre de l'ordre dans ses idées. Il termina hâtivement :

- Malgré tout cela, vous venez me voir, et vous faites preuve d'inquiétude et de douceur auprès de moi alors que… je ne le mérite en aucun cas.

Ses paroles lui rappelèrent les mêmes mots qu'elle avait prononcé à Porpentina, quelques dizaines de minutes plus tôt, et elle réalisa entièrement ce qu'il voulait dire. Son regard était devenu sombre, mais pas dangereux. Profond de douceur et de désir.

Le même regard que dans l'Allée des Embrumes.

Le même.

Les images de leur baiser, son intensité, l'effet de sa proximité, de son contact, de la chaleur de son corps contre le sien, les caresses dans le bas de son dos, ses doigts qui s'emmêlaient dans ses boucles châtains… Freya déglutit de travers, et se sentit devenir rouge écarlate. Elle sentit même ses mains et ses jambes lui brûler, comme si l'eau dans laquelle ils se baignaient était celle qui bouillait dans un chaudron.

Mais il sembla penser à la même chose qu'elle, puisque sa voix dérailla un peu dans les tons graves :

- C'est cette même question qui m'a rendu complètement fou, dans l'Allée aux Embrumes.

Son regard sombre et profond s'atténua un peu alors qu'il détachait son regard d'elle, pour le porter au loin, alors qu'il expliquait :

- Et encore aujourd'hui, maintenant, vous venez jusqu'ici et…

Il ne termina pas sa phrase.

Son ton devint plus regrettant, créant un certain contraste avec la froideur de ses paroles alors qu'ils étaient sur la rive :

- Vous savez Nott, j'ai du mal à l'admettre, mais la Diseuse de Bonne Aventure avait raison.

Il déglutit difficilement et exposa :

- Elle ne parlait pas de Leta quand elle disait que j'allais la rendre malheureuse.

Il hésita, et finit par déclarer dans un souffle :

- En fait, elle parlait de vous.

Son regard était intense, et Freya devint muette.

Ses yeux gris se parèrent de regret, plus fort encore, et il articula :

- Mais cela avait déjà commencé. Depuis longtemps.

Elle le vit hésiter quelques secondes, et finalement, il ferma les yeux, et grimaça presque alors qu'il tenta :

- Nott, c'est pour cette raison que je pense que nous devrions… Nous devrions arrêter de-…

- Ne dites rien.

Elle l'avait interrompu plus crûment que ce qu'elle aurait voulu, tout à coup envahie par une froideur intense, qui remontait le long de ses entrailles. Thésée lui adressa un regard désolé qu'elle tenta d'ignorer. En vain.

Et puis, subitement, tous les oiseaux s'envolèrent, créant une large nuée colorée. Le groupe d'oiseaux de paradis et de colibris filèrent haut vers le ciel, vers les cimes des arbres, et ils disparurent rapidement, tout comme leurs chants et les bruits des battements d'ailes.

Freya sentait que son coeur allait imploser et se força à regarder son propre reflet dans l'eau, défait et difforme.

La voix de Thésée tenta à nouveau, plus doucement :

- Nott-…

- Non, je vous en prie, ne le dites pas.

Elle aurait voulu recouvrir ses oreilles, recouvrir ses yeux, fuir.

Et, bien trop concentrée sur ce trou béant qui commençait à se former dans sa poitrine, elle ne remarqua pas l'épais et mystérieux silence qui s'était créé autour d'eux. Tout à coup, les insectes se turent eux eux aussi, leur bourdonnement sourd se stoppa abruptement, comme une chanson sur un gramophone cassé.

Son reflet devint si stable qu'elle réalisa enfin que même l'eau de la rivière était devenue plate, comme si elle aussi, faisait la morte. Thésée n'avait plus son regard braqué dans sa direction, à vrai dire, il avait déjà dégainé sa baguette, et ses yeux gris scrutaient les environs, comme s'il se méfiait de quelque chose par-delà l'épaisse forêt qui bordait l'autre rive.

Et puis, lorsqu'il redirigea son regard vers elle, il fronça distinctement les sourcils alors que ses yeux se posaient sur la main de la sorcière, à plat à la surface de l'eau sombre.

- Nott… votre bague.

Elle avait complètement oublié qu'elle la portait, et la cacha dans un geste vif.

Mais Thésée attrapa son bras avant qu'elle ne puisse le loger contre elle, et elle lui rendit un regard surpris alors qu'il demandait avec un peu d'urgence dans sa voix :

- Vous savez ce que ça signifie ?

Les deux serpents d'or se mouvaient lentement, rampant sinueusement autour de la pierre centrale, dans une ronde et une chorégraphie infinie.

Et puis, elle sursauta, et agrippa malgré elle l'avant-bras de Thésée :

- Ah-…!

Thésée l'avait attrapée par les épaules, et questionna rapidement :

- Qu'y a-t-il ?

- Quelque chose a touché mon pied.

Il inspecta rapidement l'eau autour d'eux, et comme il ne trouvait rien, souffla gravement :

- Cela devait être une algue.

Freya allait protester, mais une vaguelette s'écrasa contre eux, amenant avec elle un courant étrange au niveau de leurs jambes.

Thésée, qui scrutait de nouveau l'eau autour d'eux, murmura gravement :

- Vous avez senti cela ?

Freya ne put s'empêcher de lui rétorquer avec acidité :

- C'est sûrement cette même algue

Thésée lui lança un vague regard froid, et puis une ombre apparut juste devant eux, une grande masse sombre qui replongea aussitôt dans les méandres de la rivières. Freya sentit son coeur manquer un battement, et elle balbutia :

- Vous avez vu ça ?

Mais Thésée avait déjà rattrapé son bras et la tirait vers la berge :

- Oui. Retournons sur la rive.

Il dût juger qu'ils n'allaient pas assez vite, puisqu'il se tourna rapidement vers elle, et gravement, il déclara simplement :

- Permettez-moi.

Il la souleva presque hors de l'eau, calant son avant-bras sous ses fesses, et la portant à bras le corps. Freya en eut le souffle coupé. Et alors qu'il avançait péniblement dans l'eau sombre, la Nott s'agrippa à ses épaules. Une autre vague, plus grande cette fois, semblait s'approcher dangereusement d'eux.

Freya souffla :

- Au nom de Merlin, qu'est-ce que c'est ?

Thésée, essoufflé, qui luttait contre les eaux pour pouvoir atteindre le rivage, qui semblait tout à coup beaucoup plus lointain qu'il n'y paraissait, grogna distinctement :

- J'ai la désagréable impression que la seule personne qui peut nous répondre est mon Magizoologiste de frère.

Freya resserra son emprise sur les épaules de Thésée, et elle demanda, sa voix secouée par les mouvements rapides et brusques de l'Auror sous elle :

- C'est une créature ?

Et la voix grave de Thésée admit :

- J'en ai bien l'impression.

Freya jeta un dernier regard vers sa main, agrippée à l'épaule de Thésée.

La bague d'Ursula Nott scintillait étrangement… les serpents d'or remuaient plus frénétiquement encore.

Et cela ne présageait rien de bon.

_

Et bim, 25 000 mots ! En plus de la quantité, c'est de loin le Chapitre que j'ai eu le plus de mal à écrire… Il y a beaucoup d'émotions ici, et je voulais être sûre que tout soit bien cohérent et en adéquation avec tous les personnages (et avec ce que je prévois pour la suite…)

Bon, Grimmson est mort… mais il continuera de hanter Freya (dans tous les sens du terme, qui sait ?) quelques temps, vous l'aurez compris.

On comprend aussi un peu mieux le comportement étrange de Thésée depuis Exmoor, non ? Je gardais ça dans ma manche depuis un bon bout de temps, je suis ravie que ça en sorte enfin haha.

Ma scène préférée devient donc officiellement celle où Marcus tapote maladroitement le dos de Thésée en réconfort… j'adore décidément beaucoup trop la dynamique entre ces deux-là !

J'aime bien remettre en perspective le fait que Freya est une femme, et ne l'oublions pas, à cette époque-là, rares sont les femmes qui sont vraiment indépendantes. Certaines sont accompagnées de Chaperon lors d'occasions, d'autres sont sous tutelle…

Pour moi c'est intéressant de voir comme Porpentina est plus indépendante, et plus « tête froide » que Freya par exemple ; Porpentina étant l'aînée, et ayant perdu ses parents jeune, a dû s'occuper de Queenie, et je pense que cela a dû beaucoup affecter sa personnalité et sa carrière d'Auror, vous ne pensez pas ? Elle a dû voir et vivre des choses difficiles.

Freya, au contraire, a été plus ou moins enfermée dans le Manoir Nott, a dû lutter pour pouvoir travailler au Ministère, mais du coup, et c'est là que Thésée a raison ; elle n'a rien vu du monde, et est très innocente sur tous ces sujets de violence (et pas que ces sujets-là… on y reviendra)…

Vous en pensez quoi, vous ? Ça m'intéresse d'avoir votre avis sur ces questions !

En tout cas, on abordera un peu plus ce sujet de statut de la femme par la suite.

Je vous ai concocté des petits dialogues et des petites scènes au Cabaret, oulala, vous allez les adorer, je le sens ! Un peu plus de légèreté dans le prochain Chapitre, mais aussi une séance de Tarot, et …bon, je ne vais pas tout vous raconter là… !

Tellement hâte de le partager avec vous dès que j'aurai fignolé tout ça !

Encore merci pour votre suivi, vos messages, votre confiance et votre patience,

A plus dans le bus,

Netphis.