Le Parchemin des Anciens
La baie d'Illiaque était une mer intérieure séparant Haute-Roche (au Nord) de l'Enclume (au Sud). Une dizaine de grandes cités commerçantes s'élevaient sur les rives de cette mer. Des navires chargés à ras-bord empruntaient quotidiennement les grandes routes commerciales traversant la baie d'Illiaque pour exporter des armes d'acier forgées à Sentinelle jusqu'en Cambrie, des épices venues de Stros M'Kai à Alcaire, du drap tissé à Daguefillante en Phrygios, du blé de Daénia en Ménevie, des armes elfiques forgées dans l'Archipel de l'Automne à Refuge et bien d'autres choses.
Nul besoin d'être sorti de l'académie des mages de la Cité Impériale pour comprendre que la baie d'Illiaque voyait passer de grandes richesses... et était l'objet de bien des convoitises.
L'une de ces richesses était l'or du duché de Gavaudon.
Ce duché ce trouvait à l'est du royaume de Ménévie. Il s'agissait d'une de ces nombreuses nations mineures qui servait de pomme de discorde entre les trois grands états dominant la baie: le royaume Rougegarde d'Alik'r ainsi que les royaumes de Daénia et de Ménévie, tout deux peuplés de Brétons.
À l'époque où se déroulait notre récit, le duché de Gavaudon était un vassal du royaume de Ménevie. Cet état de fait n'avait guère l'heur de plaire au roi d'Éphèse, dont le royaume s'étendait à l'est du Gavaudon jusqu'aux monts Druadach, c'est-à-dire jusqu'à la frontière avec le royaume nordique de La Crevasse.
Ménévie et Éphèse s'affrontaient en Gavaudon depuis des siècles. Ils utilisaient la diplomatie, les alliances matrimoniales, le poison et la dague de l'assassin pour pousser leurs pions.
Périodiquement, un des deux joueurs perdait patience et le conflit larvé se transformait en guerre sanglante.
Mais, pour l'heure, les chargements d'or que le roi d'Éphèse convoitait faisaient route une fois par mois vers l'Ouest, accompagné de deux cent soldats du duché de Gavaudon. Arrivé à la frontière avec la Ménévie, l'escorte du convoi était remplacée par une troupe aussi importante des célèbres Gardes de Refuge. Cette richesse se révélait plus qu'utile alors que l'on avait un royaume à rebâtir.
Si ce n'est que ce mois-ci aucun chargement n'avait franchis la frontière! Il était déjà arrivé qu'il y ait des retards, mais jamais jusque là le duc Oren de Gavaudon n'avait jamais omis de prévenir le roi Eadwyre de Ménévie d'un délai dans la livraison. Or, aucun messager n'était arrivé. De plus, les deux cents Gardes de Refuge envoyés à la frontière pour escorter le convoi n'étaient pas non plus revenus pour faire leur rapport.
Après avoir attendu deux semaines, l'épouse du roi, la reine elfe noire Barenziah, conseilla d'envoyer une expédition militaire dans le duché. S'il ne s'agissait que d'un incident sans gravité, rappeler au duc Oren la puissance militaire de la Ménévie l'aiderait à résoudre rapidement le problème. Si des pillards orques - ou tout autre ennemi de la Ménévie- avaient attaqué le convoi d'or, envoyer des soldats serait sans doute utile pour ramener l'ordre.
Barenziah proposa de confier le commandement de cette troupe au nouveau comte de Maumont. Artoria Pendragon avait déjà sauvé le royaume une fois. Qui d'autre était plus capable qu'elle en Ménévie?
En dépit des murmures des courtisans, le roi Eadwyre dépêcha immédiatement des messagers pour avertir Artoria de sa nouvelle mission.
Une petite troupe de deux cents hommes marchait vers l'Est.
Ces hommes étaient vêtus de cottes de maille sous un tabard blanc portant les trois roses jaunes du royaume de Ménévie. Leur casque conique était surmonté d'une longue pointe et bordé de fourrure. Un camail de maille leur couvrait la tête ne laissant apparaitre que le visage, hormis le nez caché par le nasal de leur casque. Ils avaient de longues capes blanches ou vertes.
Dans cette partie de Tamriel n'importe qui aurait reconnu cet uniforme, il s'agissait des Gardes de Refuge. Une troupe d'élite qui servait le roi de Ménévie.
Une moitié des Gardes de Refuge était armée d'une longue lance et d'un écu en forme d'ogive, la partie arrondie pointant vers le bas. Les autres portaient un grand carquois remplis de flèches et un arc composite fait de corne, de bois et de cuir. Tous avaient des épées larges.
Le paysage qu'ils traversaient ressemblait à un océan d'or. Les blés montaient jusqu'à l'encolure des chevaux des éclaireurs qui rayonnaient autour de la colonne principale. Pas un arbre ne faisait de l'ombre sous le chaud soleil qui cuisait les soldats dans leurs armures.
La troupe avançait, soulevant la poussière de la route. Sur leur passage, les paysans les saluaient avec enthousiasme et les voyageurs se plaçaient d'eux-mêmes sur le bas-côté. Les bannières royales, la musique des tambours rythmant l'avance, inspiraient une profonde admiration chez tous les habitants.
Au cours de leur voyage, les Gardes de Refuge n'avaient rencontré que de paisibles hameaux et de petites villes encloses dans leurs murailles. La contrée qu'ils visitaient avait jusque-là été épargnée par les conflits. Même les raids des Orques ne s'étaient pas égarés si loin à l'est au cours de la dernière invasion.
Chaque soir, au bivouac, Artoria Pendragon invitait les chefs de village et les notables des cités, afin de les interroger. Certains se rappelaient de la venue de l'escorte envoyée par le roi à la rencontre du convoi d'or de Gavaudon. Cependant, les soldats n'avaient fait que passer sans s'arrêter. Tout au moins, confirmèrent-ils que cette troupe avait bien suivi la route à présent empruntée par le comte de Maumont. Lorsqu'Artoria demanda si certains soldats étaient revenus, personne ne put lui répondre. Pour le reste, elle ne tira d'eux que des informations sans intérêts. Les brigands ne s'approchaient pas des villages. Il n'y avait que quelques petites bandes qui se contentaient de rançonner les voyageurs. Les habitants s'attendaient à une excellente récolte, il n'avait pas fait trop froid cet hiver et le printemps leur avait donné ce qu'il fallait de pluie et de soleil.
Tant de bonheur faisait plaisir à voir et les nombreux enfants rieurs qui courraient aux côtés de ses cavaliers auraient dû rasséréner le comte. Pourtant... tout paraissait trop normal et dans ces circonstances cette normalité même devenait inquiétante. Une troupe de deux cent hommes ne pouvait pas disparaître comme ça ! Artoria n'arrivait pas à imaginer une situation qui voit s'évaporer autant d'individus sans que l'un d'eux survive assez longtemps pour qu'au moins une rumeur parvienne aux oreilles de ceux qui les recherchaient. Là, il n'y avait rien...
Artoria secoua la tête comme pour chasser les doutes qui s'insinuaient en elle. Trop réfléchir ne servait à rien. Entendant la course d'un cavalier qui remontait la colonne, la femme chevalier se retourna pour voir arriver un officier en armure, carquois accroché à la selle de sa monture. Ralentissant, ce dernier se porta à la hauteur de son supérieur.
"Ma Dame, vous avez demandé à être informé de toute rencontre inhabituelle. Nos éclaireurs rapportent avoir découvert une voiture à cheval, entourée par des cavaliers portant l'armure de la Légion Impériale. Ils disent être l'escorte d'un prêtre de la Phalène Ancestrale de la Tour d'Or Blanc."
Artoria fronça les sourcils, le front plissé. La Phalène Ancestrale? Cela lui disait vaguement quelque chose... Il s'agissait d'un ordre de moine dévoué à Julianos, le dieu de l'écriture et de la littérature. Ces moines étaient les seuls à avoir la capacité à lire les Parchemins des Anciens (Elder Scrolls), des parchemins sacrés écris par les dieux et contenant leur sagesse. Toute personne non formé à lire ces parchemins devenait folle ou aveugle, disait-on. Bien évidemment, ces moines vivaient en Cyrodil... que pouvait faire l'un d'eux en Haute-Roche?
" Très bien capitaine Dunoryan, allons saluer ce personnage."
Les cavaliers impériaux étaient impressionnants.
Ils portaient un heaume semblable au casque corinthien utilisés par les Grecs de l'antiquité avec un cimier de crin de cheval noir. La bouche était protégée par un grillage épais.
Leur reste de leur armure ressemblait à celle des légionnaires romains avec une courte cape rouge, des jambières, de lourds protège-poignets, ainsi qu'une jupe faite de bande de cuir qui descendait jusqu'aux genoux. Ils étaient armés de lances, de courts glaives et d'un bouclier de métal en forme de diamant accroché à la selle.
Leurs chevaux portaient également des pièces d'armures.
Leur chef salua en frappant du point à hauteur du cœur. Cependant, la voix de l'officier était à peine aimable:
"Salut à vous, je suis le tribun Aurelianus Segunevius."
"Salut à vous tribun, je suis Artoria Pendragon comte de Maumont. Soyez les bienvenus en Ménévie. Puis-je m'enquérir des raisons de votre présence?"
"Artoria Pendragon", s'étonna l'officier. "Seriez-vous celle qui a levé le siège de Refuge et vaincu l'armée d'Orsinium?"
"C'est moi-même."
Le visage du tribun Segunevius était invisible, il était donc impossible de voir l'effet de cette révélation, cependant sa voix était plus respectueuse lorsqu'il reprit la parole:
" Il est dommage qu'il n'y ait pas plus de gens comme vous en Haute-Roche, madame!"
Comme toujours, le visage d'Artoria ne montra rien, mais les deux cavaliers qui l'escortaient se raidirent imperceptiblement. Les Impériaux considéraient souvent les Brétons avec un sentiment de supériorité mêlé d'agacement. Parmi les provinces de l'Empire de Tamriel, Haute-Roche était une des plus agités. Il y avait toujours une guerre en cours et pas un royaume n'était épargné par des intrigues de cour très compliqués.
"Vous ne m'avez pas répondu, tribun Aurelianus Segunevius. Que venez-vous faire en Ménévie?"
Se penchant légèrement, l'officier tira un papier roulé d'une de ses fontes:
"De par la Lex Tiberius, les Parchemins des Anciens relèvent de la seule autorité de l'ordre de la Phalène Ancestrale qui a pour charge de les conserver et d'en coucher par écris les prophéties afin de guider l'Empire et Sa Majesté Impériale. En conséquence, il me faut escorter le moine de la Phalène Ancestrale Amiel Sula. Ce dernier étant chargé d'obtenir du roi de Ménévie qu'il cède le Parchemin des Anciens qui détient dans ses coffres."
Artoria acquiesça après avoir vérifié le sceau impérial sur le parchemin. Le roi Eadwyre ne serait probablement pas très heureux d'apprendre qu'un des trésors du royaume était demandé par l'Empereur. Après tout, s'il n'avait pas déjà remis le Parchemin des Anciens à l'Empereur, probablement souhaitait-il le garder.
Pendant qu'ils discutaient, le soleil avait bien baissé sur l'horizon.
"Tribun, je serais honoré que vous acceptiez mon hospitalité pour la nuit.
"Avec joie, madame."
À l'arrivée de la nuit, les Gardes de Refuge s'établirent au bord de la route alors que des sentinelles étaient désignées pour surveiller les environs. Tandis que certains installaient les tentes, d'autres coupaient du bois ou allumaient des feux pour la cuisine. Bientôt les grands chaudrons de bronze furent tirés des chariots de l'intendance. Le repas du soir était composé de lentilles et de lard cuits ensemble. On mangea ce repas accompagné de pain de seigle noir, de fromage de chèvre et d'un vin aigre. La ration du soldat n'avait rien d'un buffet gastronomique, mais c'était un menu roboratif qui apaisait la faim.
Maussade, Artoria s'était assise autour d'un feu, partageant la gamelle des simples soldats. En campagne, un seigneur se devait de vivre comme ses hommes. Rien n'attirait plus la sympathie des hommes que d'avoir un chef qui partageait leur quotidien.
Néanmoins, le légendaire Roi Arthur se sentit prise de mélancolie. Shirou lui manquait... surtout au moment des repas... un pur hasard, n'est-ce pas?
Sentant quelqu'un s'asseoir près d'elle, Artoria releva la tête.
Vêtu d'une robe grise très simple et de sandales de cuir, un grand vieillard venait de s'installer. Il avait le visage ascétique et des yeux brillant d'une lumière étrange, comme celui d'un homme qui avait vu des choses normalement inaccessible aux mortels. Bien qu'il soit presque chauve, sa barbe blanche était épaisse et lui descendait jusqu'au milieu de la poitrine:
"Ah, dame Artoria."
" Je suppose que vous êtes Amiel Sula, le moine qu'escortent les cavaliers impériaux."
"Tout à fait, madame." Le moine parut réfléchir un instant puis se pencha légèrement sur elle. "Ma question va peut-être vous paraître brutale, mais... Croyez-vous au hasard?"
Le visage d'Artoria resta impassible en apparence, mais elle se redressa légèrement:
"En d'autres termes, saint moine, vous me demandez si je crois que les dieux interviennent dans la vie des mortels? La réponse est positive, naturellement. Toutefois, chacun garde le contrôle de sa vie. Les dieux ne font qu'indiquer le chemin. La destination nous la créons nous-mêmes, par nos décisions. Nous sommes responsables de nos vies."
Amiel Sula avait acquiescé presque à chaque mot, il sourit:
"Vous êtes étonnement sage pour quelqu'un d'aussi jeune."
"Il faut se méfier des apparences, saint moine."
"Je suis aussi d'accord sur ce point." Le moine impérial s'arrêta un instant, pinçant les lèvres comme s'il hésitait... soupira... puis reprit la parole:
"Il m'est arrivé quelque chose de très étrange. Il y a deux jours, un Khajiit a arrêté les cavaliers m'escortant. Il a dit qu'il s'appelait M'Aiq le Menteur. Il tenait un Parchemin des Anciens dans la main et voulait me le donner..." Le Moine secoua la tête encore incrédule. "Je ne sais pas si vous comprenez ce qu'est un Parchemin des Anciens. Il s'agit d'un fragment de la sagesse divine auquel il a été donné une forme matérielle afin de le rendre accessible aux mortels! Ils sont incroyablement rare, très dangereux à utiliser et... ceux qui en trouvent les gardent précieusement. Alors rencontrer un Khajiit qui en donne un... comme ça... cela ne m'était jamais arrivé."
"Étrange, effectivement." approuva Artoria. Bizarrement, elle se sentait mal à l'aise, appréhendant ce que Sula allait dire.
Le moine sourit.
"Le plus étrange est encore à venir... M'Aiq le Menteur m'a ensuite dit que je devrais en faire la lecture à une personne que je rencontrerais bientôt."
Il se tut un instant et regarda Artoria avec un air très sérieux:
"Vous savez, j'ai passé des années dans la Salle des Registres de la Tour de l'Or Blanc à me préparer avant chaque lecture... Au contact des Parchemins, j'ai développé une grande intuition... je sais que c'est pour vous que je dois faire cette lecture. Cela m'est devenu évident dès que je vous ai vu."
Artoria soupira... exactement ce qu'elle avait craint:
"Et vous vous fiez à un Khajiit s'appelant M'Aiq le Menteur?"
Cela fit sourire Sula:
"Après des années passées à étudiez les Parchemins, j'ai appris une vérité fondamentale. Les Parchemins contiennent surtout des mensonges. Et pourtant, tout est vrai dans ce qui est écrit... surtout les mensonges."
Amiel Sula avait passé un long moment à se préparer à la lecture du Parchemin. L'objet ressemblait à un simple cylindre d'une matière ressemblant à l'ivoire avec deux poignées d'un métal qui n'était pas de l'or.
Cependant, Artoria avait gardé une forte sensibilité à la magie du fait de son incarnation en tant que Servant. Et l'objet devant elle était comme les armes de Shirou et d'Archer... une illusion devenue réelle. Pourtant, le Monde ne l'érodait point. Un prodige qui n'était possible que pour un dieu...
Tirant d'une main une longue feuille de parchemin enroulé à l'intérieur du cylindre d'ivoire, Sula regarda les lettres qui apparaissaient et disparaissaient, les signes étranges, les craquelures lumineuses. L'expression de son visage devint étrange et lointaine:
"Laissez-moi me concentrer... je vois... je vois... une lune invisible... en conjonction avec Maser et Secunda, une éclipse! Une conjonction formidable... un événement rare... affaiblissant le pacte... les tours des Direnni qui soutiennent la barrière élevée par les dieux... affaiblies. Une nuit de conjonction où la réalité du Mundus sera plus aisément pénétrée par les forces venues de l'Extérieur... Je vois à présent une cave... non un temple souterrain... une jeune femme... un poignard... un rituel sous la lune invisible... je vois... je vois... je ne VOIS PLUS RIEN !"
Hurlant de douleur, Amiel Sula porta les mains à ses yeux lâchant le parchemin et s'effondrant sur le sol!
Les soldats impériaux se précipitèrent pour porter secours au vieil homme. Celui-ci gémissait et lorsqu'Artoria s'approcha, il tendit une main hésitante vers elle... dans le visage du vieil homme, les yeux étaient devenus entièrement blancs. Choquée, la jeune femme saisit la main du vieillard dans la sienne:
"Vous êtes aveugle!"
"Ce genre de choses peut arriver mais... écoutez moi, Artoria Pendragon. Il y a plus important. Vous ne devez pas laisser mon ultime vision se réaliser... ce serait la fin de Tamriel... non, de Nirn toute entière!" la voix du vieillard se mua en un bredouillement à peine compréhensible: " CELA va venir... franchir la porte... le sacrifice... l'empêcher... CELA ne doit pas venir sur notre monde!"
"De quoi parlez-vous, saint moine?"
Artoria essayait de comprendre mais une voix intérieure lui suggérait qu'elle connaissait déjà la réponse. Le vieillard chercha à se redresser, serrant fortement sa main, ses yeux aveugles roulant follement dans ses orbites. Il éclata d'un rire hystérique, bavant et postillonnant:
" Je l'ai vu... Dieux miséricordieux... et cette vision je l'emporterais dans la mort... Tout le Mal du Monde!"
Saber reposa la plume. Elle s'était empressée d'écrire le détail de la prophétie du Parchemin des Anciens avant de l'oublier.
Dans la pénombre du campement, le tribun Aurelianus Segunevius s'approcha:
" Amiel Sula s'est enfin calmé. Je crois que son esprit a autant été touché que sa vue..."
Artoria secoua la tête et pinça les lèvres:
"J'en suis désolée. C'est bien cher payer pour une prophétie qui ne nous apprends pas où va se dérouler le fameux rituel."
Segunevius acquiesça:
"Par contre, je peux vous affirmer que cette porte vers l'Extérieur va s'ouvrir dans vingt jours."
"Pardon?"
"La conjonction aura lieu exactement dans vingt jours." répéta le tribun.
"La conjonction des trois lunes?" dit le Roi Arthur, " Mais Nirn n'a que deux lunes."
Aurelianus Segunevius secoua la tête:
"J'ai été en garnison en Elsweyr, le pays des Khajiits. Et je peux vous assurer qu'il y a bien trois lunes. D'abord, les légendes des hommes-chats l'affirment. Mais, surtout, vous connaissez la particularité de ce peuple?"
"Vous voulait dire que l'apparence d'un Khajjit dépends de la position des lunes au moment de sa naissance?"
"Exactement" approuva le tribun. "La multiplicité des apparences des Khajiits serait moins grande s'il n'y avait que deux lunes."
Artoria regarda l'Impérial avec un peu de stupéfaction:
"Une lune invisible... vous avez mentionné des légendes, que disent-elles?"
"Que la lune invisible est une geôle où la princesse daedra Azura aurait emprisonné le 'monstre de la lune'. Une entité maléfique qui chercherait à se libérer. Certains affirment qu'il s'agit de Lorkhan et qu'un jour il y arriverait".
Lorkhan? Le Lucifer de Tamriel... voilà une lune bien maléfique!
Aux premiers rayons du soleil, une partie des hommes refaisait le paquetage, tandis que d'autres s'occupaient des corvées d'eau. Les premiers soldats à partir furent les éclaireurs, derrière eux le gros de la troupe se mit en branle, laissant sur place les Impériaux.
Au fur et à mesure de l'étape du jour, le paysage se mit à changer. Les champs de blé cédèrent la place à un paysage de petites collines mornes couvertes de broussailles desséchées. Ils avaient franchi la frontière la veille et ne s'en apercevaient qu'aujourd'hui. Il s'agissait des collines de Gavaudon.
Depuis le matin, les nuages gris roulaient lentement dans le ciel. Cependant, au cours de l'après-midi, ils commencèrent à s'épaissir, annonçant un orage qui déjà illuminait les nuées de brèves fulgurances accompagnées de roulement de tambours lointains.
Les premières gouttes frappèrent isolément, laissant des traces humides sur les cailloux autour de la colonne qui s'avançait vers l'Est. Puis, sans avertissement, les cumulonimbus crevèrent en une averse si serrée que le paysage parut se dissoudre à seulement quelques pas des soldats. Ces derniers, rapidement trempés, étaient comme auréolés par la pluie qui martelait leurs casques et leurs armures.
Les combattants d'élites continuèrent à avancer sans se plaindre. Ils avaient vu bien pire qu'un orage. Comme un éclair frappait un arbre isolé, des chevaux se cabrèrent. Cependant, aucun cavalier ne vida sa selle et les montures furent calmées de main de maître.
Peu après, alors qu'Artoria spéculait que l'après-midi touchait à sa fin, deux éclaireurs revinrent, racontant avoir découvert des ruines. Le comte de Maumont écouta leur rapport. Les soldats avaient trouvé un temple datait de l'Hégémonie Direnni. Le bâtiment ressemblait à une rotonde entourée de colonnes et semblait encore solide. Le Roi des Chevaliers ordonna à ses hommes de suivre les avant-coureurs jusqu'à l'édifice. Saber espérait que le temple pourrait offrir un sommeil au sec à tous ceux qui pourraient y entrer.
Le dôme s'élevait au sommet d'une colline aplatie. Des ronces avaient poussé et envahi les murs ébréchés qui entouraient le sanctuaire. Des arbres fendillaient le dallage et certaines colonnes étaient couchées sur le sol. Au centre de la place principale se trouvait une statue au sommet d'un imposant piédestal. Le vent et la pluie avait recouvert le vieux guerrier d'une patine, brisé son épées et le couvrait de plantes grimpantes. Des murs effondrés témoignaient que le temple avait été entouré d'autres bâtiments depuis longtemps ruinés.
Pourtant comme l'avait annoncé les éclaireurs, le dôme lui-même était encore solide et l'intérieur était sec, bien qu'envahis de feuilles mortes et de toiles d'araignées.
"Très bien, nous dormirons ici cette nuit!"
"Debout ! Debout ! On nous attaque !"
Les cris d'alarme des sentinelles tirèrent Saber d'un sommeil sans rêve. Le réveil la plongea immédiatement dans un cauchemar. Les hommes quittaient leurs couvertures, s'armant dans l'urgence. Ceux qui surveillaient le périmètre, et avaient empêché que les soldats ménéviens soient pris par surprise, se repliaient vers le temple.
La pluie dressait un rideau dans l'obscurité nocturne. Toutefois, les hennissements des chevaux, le bruit de cavalcade dans la boue, permettaient de deviner la présence d'une troupe de cavalerie qui tournoyait autour du temple.
Soudain, une pluie de flèches surgit des ombres. Les traits ricochèrent les murs, ou blessèrent les défenseurs qui se rassemblaient.
" Formez la tortue !"
C'était Artoria qui venait de lancer cet ordre. Disciplinés, ses soldats obéirent. Tandis qu'un premier rang de cavaliers démontés mettait un genou à terre élevant un mur de bouclier, un deuxième (debout derrière eux) imbriqua les siens de manière à constituer un haut rempart. Le troisième rang tenait leurs écus à deux mains, en oblique, de manière à protéger les têtes des combattants.
Une seconde volée s'écrasa sur l'obstacle avec le même bruit que des grêlons sur un toit de tuiles.
"Archers... ripostez !"
Ruisselante, l'épée tendue vers les silhouettes furtives qui tournoyaient au milieu des bourrasques, Saber coordonna la riposte. Les arcs composites lancèrent leurs projectiles avec une force impensable. Dans les batailles, l'archèterie servait à bombarder une zone donnée, par saturation. Il n'était donc pas nécessaire de viser avec précision. En entendant, les cris et les hennissements de douleur qui résultèrent de l'attaque, le comte de Maumont acquiesça. Là-bas ce devait être le chaos. Les traits qui ne touchaient pas leurs cibles se plantaient dans le sol, gênant la manœuvre des ennemis.
Même si la pluie détendait les cordes des arcs, diminuant leur puissance, et la nuit cachait l'ennemi, la situation n'était pas si mauvaise. Le terrain détrempé ralentissait et épuisait l'assaillant, favorisant le défenseur. En outre, le temple elfe se trouvait sur une colline au sommet plat et aux pentes envahies de ronces.
Des tambours se mirent à battre dans l'obscurité. Ce son régulier fit tressaillir Artoria... Elle n'avait jamais entendu parler de brigands manœuvrant au son du tambour. Il s'agissait donc de troupes régulières!
Saber se concentra sur le moment présent. Le signal des tambours annonçait forcément un changement de tactique. L'attaque surprise des archers montés n'avait eu que peu d'effet, et sa riposte aussi rapide que meurtrière devait avoir refroidi les ardeurs ennemies. D'ailleurs, que le chef adverse change aussi vite de tactique montrait clairement qu'elle n'avait pas affaire à un amateur que l'on pouvait prendre à la légère.
Alors que la foudre illuminait brutalement le champ de bataille, le Roi des Chevaliers vit clairement un carré de fantassins flanqué de boucliers qui avançait, formé en tortue, en direction de ses lignes.
Immédiatement, Artoria distribua de nouveaux ordres. Tandis que les archers concentraient leurs tirs contre ce nouvel adversaire, elle prit le commandement des défenseurs.
Le choc fut d'une rare violence. Les adversaires - plus nombreux - percèrent immédiatement, en dépit de l'avantage que la pente offrait aux défenseurs. Artoria fit face à un colosse maniant un cimeterre ensanglanté qui venait de tuer coup sur coup deux de ses hommes.
Saber brandit Excalibur, enveloppée dans son fourreau de vent. L'affrontement fut bref. Au premier coup, elle lui ouvrit l'épaule. Au deuxième croisement des lames, elle lui fit sauter la tête des épaules. Avant de se ruer en avant... disparaissant au regard pour réapparaitre en trois endroits différents comme une forme floue.
Suivant leur chef, les Gardes de Refuge se lancèrent dans une violente contre-attaque. Au milieu des cris de guerre et de l'entrechoquement des armes, les Ménéviens repoussèrent brutalement les assaillants vers le bas de la colline. Toutefois, une partie des ennemis avaient profité de la confusion pour se glisser jusqu'à l'enclos des chevaux. Le temps qu'Artoria réalise leur véritable objectif, il était trop tard. Effrayées par les cris poussés par les attaquants et les torches qu'ils brandissaient, les montures avaient pris la fuite.
Une sonnerie retentit alors. Parfaitement disciplinés, les combattants ennemis abandonnèrent le combat, se repliant en ordre, un élément couvrant l'autre.
L'orage cessa avant que le jour ne se lève. Les premiers rayons étincelèrent sur les gouttes de pluie encore accrochées au bord des toits et sur les ronces. Les oiseaux chantaient.
Pourtant, l'aurore révéla l'horreur du champ de bataille. Les cadavres d'hommes et de chevaux jonchaient le sol au milieu des flèches plantées en terre et des armes abandonnées.
Artoria Pendragon regarda les trois cadavres les plus proches.
C'étaient des Rougegardes vêtus d'un uniforme rouge avec un heaume conique entouré par un turban. L'un d'eux avait une cotte d'écaille et les deux autres avaient des vestes de cuir en guise d'armure. Ils avaient deux d'entre eux avaient des boucliers circulaires peints de couleur vive formant un motif vaguement décoratif. Le troisième avait un bouclier en amande décoré du dessin d'un cimeterre accompagné d'une sentence indéchiffrable pour elle. Les morts étaient armés d'un véritable arsenal. Une lance pour chacun d'eux, ainsi qu'un cimeterre, une masse d'arme à ailette ou une dague recourbée.
Un soldat s'approcha d'Artoria:
"Madame, en tout onze chevaux sont rentrés. D'autres reviendrons peut-être si nous patientons."
Patienter ? Il ne restait dix-neuf jours avant la conjonction. Si la prophétie d'Amiel Sula se révélait exacte, une catastrophe arriverait à ce moment-là.
"Que les principaux chefs d'unités me rejoignent."
"Bien, dame Artoria."
Le comte de maumont fit face aux deux commandants de cent hommes et à leurs adjoints immédiats:
" Messieurs, l'ennemi semble faire tout son possible pour nous ralentir. Si nous continuons vers Fort Venteux, ils nous harcèlerons et nous massacrerons. Des fantassins sont une cible facile pour des archers montés. Regagnez la plus proche cité et avertissez Sa Majesté. Dix hommes viendront avec moi. Il n'est évidemment plus possible de remporter la victoire avec des effectifs si réduits. Toutefois, j'espère pouvoir enquêter discrètement et renseigner le roi Eadwyre. Je compte sur votre diligence !"
Les hommes saluèrent avec ensemble, bien que sans enthousiasme. Artoria leur remit un rapport de situation à l'intention du roi de Ménévie. Le temps était à présent compté, Artoria ne pouvait en gâcher par d'inutiles tergiversations. Alors qu'on lui amenait son cheval, Saber exhorta une nouvelle fois ses subordonnés à retourner au plus vite à Refuge.
Après avoir chevauché plusieurs heures, le Roi des Chevaliers et son escorte atteignirent un croisement. Après une légère hésitation, Artoria opta pour la route la plus directe, droit vers l'Est !
Lorsque le soleil rasant prit une teinte pourpre, Fort Venteux ne devait plus être distant que de trente kilomètres. Le terrain avait également beaucoup changé, les collines herbeuses avaient laissé place à des champs cultivés et des bois.
Le lendemain, escorté de huit soldats, Artoria Pendragon faisait trotter sa monture le long d'une route forestière. Les grands arbres projetaient leurs ombres sur le chemin de terre battue, silhouettés par le soleil matinal qui apparaissait par instant entre leurs feuillages. La journée promettait d'être chaude et les insectes dissimulés dans les fourrés faisaient entendre leurs chants dans l'air épais.
Pour un peu, l'expédition militaire aurait ressemblé à une simple balade estivale. Les soldats avaient de la peine à ne pas laisser dériver leur attention. D'ailleurs, Saber était aussi distraite qu'eux. Pourtant, elle n'oubliait pas que le couvert végétal pouvait se révéler propice à une embuscade.
Après un long moment à cheminer le long de la grande route, la vision d'une carriole incendiée, abandonnée sur le bas-côté dissipa l'impression de quiétude ressentie jusque là. Artoria était experte dans l'art de la guerre. Son premier ordre, ce matin-là avait été d'envoyer deux soldats en éclaireur. Ils avaient pour consigne de faire demi-tour pour rapporter toute découverte insolite. Or... les avant-coureurs n'étaient pas revenu signaler le charriot. Un frisson désagréable parcourut la nuque de la jeune femme. Inconsciemment, elle fit ralentir sa monture, parcourant les alentours des yeux.
Des troncs... des fourrés... le bruit du vent dans les branches... la forêt était si touffue et obscure que le regard ne portait guère au-delà des premiers arbres. Aucun soldat n'aimait se risquer dans un piège pareil. Les Gardes de Refuge qui accompagnaient le comte de Maumont notèrent l'inquiétude de leur chef et calquèrent leur allure sur la sienne, scrutant leur environnement.
Artoria avait appris à se fier à son instinct et son sixième sens lui hurlait de s'éloigner rapidement. Il n'y avait pourtant rien à voir... Ah si ! Le charriot avait versé à une fourche. Un sentier presque invisible quittait la route principale avant de s'aventurer plein nord. La sensation de sourde menace continuait de croître dans la poitrine de Saber, serrant sa gorge. Artoria cessa de résister à cette impression morbide:
"Au galop !"
L'ordre de leur chef jeta les Gardes de Refuge dans une cavalcade éperdue. Pas un instant trop tard ! Des archers se dissimulaient de chaque côté de la route, masqués par les ombres des arbres. Leurs traits sifflèrent aux oreilles des soldats les plus rapides. Cependant, tous ne furent pas aussi chanceux et des hennissements précédèrent la chute de plusieurs des cavaliers accompagnant Artoria. Leurs cris d'agonie et leurs appels à l'aide résonnèrent longuement aux oreilles des fuyards.
Saber ne ralentit son puissant destrier qu'après avoir parcouru près de trois kilomètres dans une chevauchée d'enfer. Tout en flattant le flanc en sueur du cheval à bout de souffle, elle se retourna pour évaluer les pertes. Son cœur se serra en découvrant les quatre cavaliers qui ralentissaient derrière lui. Aucun n'était blessé, heureusement. Par contre, les autres soldats - et sans doute, les éclaireurs avant eux - n'avaient pas échappé aux archers en embuscade.
Habituée à contrôler ses émotions, Artoria ne laissa rien paraître, à part une légère crispation de ses doigts sur les rênes. Cependant, elle avait envie de crier de colère. Rarement, le sentiment d'impuissance n'avait été aussi vif en elle. Non seulement les assaillants contrôlaient le terrain, prévoyaient ses mouvements, mais voilà qu'à présent ils la piégeaient. L'impression de danser dans la paume de l'ennemi fustigeait son orgueil. Artoria souffrait également d'avoir perdu tant d'hommes valeureux pour si peu de résultats.
Ses yeux se fixèrent sur la route derrière les survivants, revivant l'embûche en pensée. Les archers n'avaient même pas pensé à obstruer la chaussée. Pourtant, ils s'étaient parfaitement dissimulés, difficile d'y voir l'œuvre de dilettante. Quelque chose ne cadrait pas... Cependant, Artoria n'arrivait pas à mettre le doigt sur ce qui clochait.
"Ne restons pas là, l'ennemi a peut-être des chevaux."
Pendant qu'ils repartaient en un trot destiné à laisser leurs montures se reposer, Saber réfléchissait aux événements des derniers jours. Un adversaire qui attaquait de nuit... des embuscades.
La bataille du temple elfe et le guet-apens de la route ne portaient pas la marque d'un tacticien génial. Après tout, prise par surprise par une force supérieure, Saber avait aisément prévalu. Toutefois, l'adversaire avait jusque-là réussi à garder l'initiative. Il y avait un contraste frappant entre cette impression de combattre contre des ombres qui se dérobaient et celle d'être soi-même en pleine lumière, suivi par des yeux attentifs.
Au moment où cette contradiction apparente lui apparut, le comte de Maumont compris qu'il ne s'agissait là que de deux aspects d'une même obsession : l'information. L'adversaire qu'elle affrontait prenait autant garde à dissimuler ses actions qu'à connaître les siennes. Bizarrement, cela lui rappelait les Guerres du Graal... Les Masters s'efforçaient aussi d'apprendre le maximum de leurs ennemis tout en cachant leurs propres capacités.
Bien que l'esprit ailleurs, Artoria n'en demeurait pas moins attentif à son environnement. Ses yeux s'arrêtèrent sur une toile d'araignée de belle taille qui scintillait entre deux branches. Une mouche se débattait après s'être laissé prendre à l'invisible filet. La vision de l'arachnide qui déroulait son fil pour se jeter sur sa proie fit frissonner Saber.
On disait de certains stratèges qu'ils étaient comme l'araignée attendant dans l'ombre pour frapper. Il s'agissait sans doute du type d'antagoniste le plus frustrant à combattre. Comment établir des plans si on ne savait pas qui on affrontait, ses objectifs ou quand il allait frapper ?
En haut d'une colline boisée, protégée par l'ombre des grands arbres, Artoria bénéficiait d'une vue étendue. Un peu à l'est, la route enjambait une rivière en un pont d'une arche. La route continuait au loin sinuant dans un paysage de fermes et de champs... néanmoins, les villages étaient à l'abandon. Même à distance, il était facile de comprendre que les hameaux avaient été pillés.
Vers l'est, en haut d'une colline, se dressait un petit château. Une des tours s'était effondrée et des filets de fumées noires montaient encore des ruines. Les arbres d'un verger proche portait de sinistres fruits... chaque branche s'alourdissait d'un pendu.
Cependant, les lieux n'étaient pas complètement abandonnés. De nombreuses tentes se dressaient près du pont barré par une barricade. Même à distance, on ne pouvait manquer de voir les uniformes rouges qui grouillaient sur l'autre rive.
Alors voilà pourquoi on n'avait pas cherché à bloquer leur route ou à les poursuivre. Il y avait déjà quelque chose de prévu pour ceux qui échappaient à l'embuscade. Et, cette fois, on changeait de méthode. Leur adversaire sans nom jouait clairement la carte de l'intimidation. Ce dispositif n'avait plus pour but l'élimination d'une poignée de soldats égarés. Il s'agissait ici d'arrêter une force importante. La présence d'arbalétriers parmi les défenseurs aurait fait réfléchir Saber, même s'il disposait encore d'un régiment de Gardes de Refuge au grand complet.
Avec les quatre hommes qu'il lui restait, il n'y avait pas à tergiverser. Il fallait contourner l'obstacle.
Les soldats remontèrent en selle et filèrent plein nord pendant une partie de la journée, avant d'obliquer en direction de l'Est. Ils retrouvèrent la rivière après ce détour. Malheureusement, une patrouille ennemie longeait l'autre rive. Elle ne les avait pas encore repérées car, en cet endroit, la berge était haute et bordée d'arbres serrés. Artoria repoussa immédiatement l'idée de passer en force, à cheval. Après avoir chassé leurs montures, Saber et ses compagnons traversèrent en profitant du couvert offert par des gros rochers qui sortaient de l'onde. Marchant sur l'eau, le Roi des Chevaliers fut la première à atteindre la rive est.
Un homme se dressait debout sur un des blocs, silhouetté par le soleil. Encore statufiée par la surprise, Artoria vit le nouvel arrivant faire tourbillonner sa lance, avant d'en projeter la pointe vers sa main. Par réflexe, elle para et s'éloigna de quelques pas. Néanmoins, à ce moment, plusieurs archers rejoignirent le premier homme et une pluie de traits s'abattit sur ses hommes. L'onde rougie emporta leurs cadavres qui passèrent à côté de lui. Puis un ses ennemis l'ajustèrent. Une flèche la frappa à la tête. Miraculeusement, le projectile ne fit que lui ouvrir le front. Cependant, le choc l'assomma et la rivière l'emporta dans sa course.
Drossée contre un rocher et blessée par le choc, Saber s'étouffa avec l'eau qui envahissait ses poumons. Elle perdit conscience.
Artoria Pendragon, comte de Maumont, reprit conscience couché sur la berge, le corps douloureux. Vu la hauteur du soleil, plusieurs heures s'étaient écoulées. Vérifiant son état physique et ses possessions, Saber fut surpris de découvrir qu'elle n'avait aucun os brisé et n'avoir rien perdu.
Il fallait croire que les dieux de Tamriel voyaient en elle leur enfant chéri, étant donné la chance insolente qui ne l'abandonnait jamais. Appuyé sur un arbre pour tenir debout, Saber combattait un vertige tenace qui rendait la station debout délicate. Après un moment, le sol lui parut plus stable et elle se risqua à faire quelques pas. Le simple fait de marcher aida son esprit à se clarifier.
Comme une sente tracée par des animaux courrait vers l'est, Saber la suivit et cligna des yeux lorsque le soleil l'accueillit au sortir de la futée.
Le regard portait loin. Cependant, ses yeux ne lui révélèrent nulle présence humaine. Le premier village qu'elle découvrit semblait avoir été pillé et abandonné. Artoria suivit le chemin qui y conduisait, jusqu'à atteindre une route secondaire mieux entretenue. Un peu avant le coucher du soleil, la jeune femme atteignit un canal d'irrigation. Il ne restait que les piliers et quelques planches du petit pont de bois qui l'avait enjambé. Les destructions étaient volontaires, Saber discernait clairement des marques de hache sur les piliers. Encore un effet du conflit qui faisait rage dans la région. Restait à savoir s'il s'agissait de déprédations des envahisseurs, ou d'une action de retardement opérée par les soldats de Gavaudon.
Comme l'obscurité s'étendait sur la campagne, Saber s'éloigna de la route, écartant les épis de blé pour ne pas trahir son passage en les écrasant. Arrivée au milieu du champ, elle se roula en boule dans son manteau et s'endormit immédiatement.
