Adrian

Lorsque je referme délicatement la porte de ma chambre derrière moi, mon regard se perd sur le salon dans lequel sont installés mes amis. Ils sont silencieux et leurs regards sont braqués sur moi. Euh… Ouais ? Que suis-je censé dire ou faire là ? "Coucou c'est moi votre pote Adrian. J'ai remonté le temps mais je suis de retour. Ah et je suis mort mais plus maintenant !"

Je sors ma baguette et active un sortilège d'insonorisation sur la pièce pour éviter que nous réveillions Juliet qui s'est effondrée comme une masse sur mon lit après son exploit du dernier quart d'heure. Elle n'a pas bien réalisé que nous sommes arrivés dans mon présent, je crois. Elle n'en a pas vraiment eu le temps.

Quant à moi… Je dois avouer que ça me fait bizarre.

— Alors ? demande Leigh en brisant le silence. Comment va-t-elle ?

— Juste besoin de sommeil, réponds-je en leur adressant un sourire contrit. Ce n'est pas tous les jours qu'on ressuscite des gens. Surtout un beau bébé comme moi !

Matt étire un sourire en coin mais les autres restent silencieux.

— Bon et bien…, soupire Lexie. Je crois qu'on a besoin d'alcool là. Je ne m'en remets toujours pas.

— Moi non plus, souffle Haley, les yeux dans le vague. Tu nous avais dit que cette fille était spéciale, je comprends mieux maintenant.

Je ne réponds pas mais leur adresse seulement un jeu de sourcil taquin. Mon regard s'étire du salon jusqu'à la cuisine et ça me fait… bizarre. Quatre mois que je ne suis pas revenu ici, que je me suis habitué à un autre décor, à une autre vie. Quatre mois que tout a changé. Je n'ose même pas faire venir des verres jusqu'à nous, je ne sais même plus où ils sont rangés.

C'est Leigh, la plus terre à terre d'entre nous, qui prend le relais. Voir des trucs bizarres qui échappent à notre entendement fait partie de son quotidien. Ainsi elle se lève de mon canapé et commence à enchanter les portes du placard de ma cuisine pour sortir de quoi nous sustenter.

Moi je m'affale sur un fauteuil coquille, pivotant sur lui-même et m'enfonce dedans, encore sonné. Bordel. J'étais mort et… plus maintenant.

— Alors ? intervient Matt. Comment ça fait ?

— D'être mort ? demandé-je en relevant la tête.

Tous les autres acquiescent silencieusement, n'osant parler.

— Euh… Je ne sais pas. Je n'en ai pas de souvenir. C'est le trou noir, admets-je. Un instant j'étais vivant et je suffoquais et l'instant d'après je me suis simplement… réveillé.

— Et là comment tu te sens ? s'enquit Haley.

Je hausse les épaules. La vérité est que je m'inquiète surtout pour la personne qui est dans la pièce d'à côté. Va-t-elle s'y faire à cette nouvelle vie ? À un choc de culture de quatre-vingts ans ? À mes amis, à ma famille, à tout ? Et comment va-t-elle vivre la réappropriation de ses pouvoirs ?

— J'en sais rien… un peu dérouté, je suppose, soufflé-je en sortant un paquet de clopes de ma poche.

Je me glisse une cigarette entre les lèvres, l'allume et tire longuement dessus avant de faire danser une épaisse fumée blanche dans les airs. Les autres restent silencieux.

— Je vous ai pas trop manqué ? taquiné-je.

— Non, pour l'instant j'avais juste envie de t'étriper, pas de te pleurer, répond Leigh en revenant s'asseoir avec nous.

Des verres remplis de Whiskey se posent devant nous. Dans un même mouvement, nous nous emparons du liquide et je m'abreuve de ce doux arôme ambré, les yeux fermés.

— Franchement vous pouvez vous estimer heureux, pour moi ça fait quatre mois que je suis parti, pas une semaine.

— Sérieux ?!

— Quoi ?!

— Et tu nous as écrit au moins pendant ces quatre mois ?! réagit ma cousine, au quart de tour.

— Pas eu le temps, avoué-je. Je vous jure, j'ai vécu les quatre mois les plus intenses de ma vie… c'était… Bah vous l'avez bien vu, je suis arrivé ici en crevant. C'est parce qu'on a échappé in extremis à une attaque de Mangemorts… On aurait dû attendre que la pluie tombe sur Londres, ça aurait été moins dangereux pour nous.

— Mais Adrian… comment ça se fait que tu as… ramené cette fille avec toi ? s'enquiert Lexie, en mimant une grimace.

Je me tends sur mon siège. Alors déjà, ça commence mal et ça va me gonfler si elle continue de l'appeler "cette fille". Ensuite, le fait qu'on remette silencieusement en question notre décision, m'agace fortement. Je fais craquer mes phalanges et vide d'un cul sec mon verre que je dépose brusquement sur la table basse du salon. Comme du venin qui s'effuse dans les veines, mon masque de froideur revient aussitôt draper mon visage.

— Déjà, elle s'appelle Juliet, leur apprends-je d'un ton sec. Ensuite, elle est là parce qu'elle n'avait plus sa place dans le passé. Par deux fois elle a échappé à la mort à cause ou grâce à moi, au choix. Plus elle restait dans le passé, plus elle risquait de compromettre l'histoire. Et il était hors de question qu'on se retrouve une nouvelle fois séparés. D'ailleurs c'est pour ça qu'on a décidé de se fiancer. Et pour finir, revenir dans mon présent était un peu le cas de force majeur car Voldemort a appris que j'étais un voyageur du temps donc il en avait après mon cul. Donc il fallait décamper. Et vite.

Tous mes amis me regardent avec interdiction, comme si j'étais un déterré. Et bien quoi ? C'est pas si compliqué à comprendre tout ça. Si ?

— Ah et aussi, autre détail et pas des moindres. Je me suis planté dans ma manipulation du retourneur de temps donc au lieu d'atterrir en avril 1978, je suis arrivé en avril 1981, complété-je.

— Oh misère, s'étouffe Haley en écarquillant des yeux. En 1981 ?!

— Ouep, confirmé-je en tirant sur ma clope.

— Soit l'année où tout le monde meurt, résume mon frère, son regard perdu sur ses chaussures.

— C'est ça ! L'un après l'autre. C'était bien fun, accordé-je en étirant un sourire forcé. D'ailleurs, j'en garde de belles séquelles…

À ce propos, je lève mon bras qui avait été brûlé lors de mon affrontement avec les Mangemorts dans le hangar mais je me fige dès que je constate que la cicatrice n'est plus là. Je cligne des yeux, et fixe ma peau lisse et immaculée. Non… C'est quoi ce délire ? Je regarde mon autre poignet, dans le doute que je me sois trompé de côté mais non. Je suis miraculeusement guéri. Je plie et déplie mon coude, pour m'apercevoir que mes mouvements sont fluides et dynamiques. Merde alors ! Juliet n'a pas fait que me réanimer, elle m'a complètement guéri ! De partout ! C'est complètement fou !

Le regard chargé d'incompréhension de mes amis tombe sur moi. Je hausse les épaules.

— Laissez tomber. Pas grave.

— Je vais envoyer un Patronus aux parents pour les avertir que tu es revenu, annonce mon frère en se relevant.

J'acquiesce mais ne pipe mot.

— Du coup…, revient Lexie à la charge. Tu es… fiancé ?

Ils me dévisagent tous silencieusement, comme des merlans fris. À croire que c'est la seule information qu'ils retiennent.

— Ouais. Pourquoi ? confirmé-je platement en haussant les épaules.

Personne ne répond. C'est Leigh qui brise le silence en vidant cul sec son verre de Whiskey.

— Je pense qu'il faut se rendre à l'évidence, notre petit Adrian a beaucoup grandi, ajoute-t-elle en haussant les sourcils.

Je lève mes yeux gris vers les siens et elle m'adresse un sourire tendre. Elle se penche sur le canapé et pose une main chaleureuse sur ma cuisse.

— Félicitations du coup, assure-t-elle. Enfin je suppose ?

Je réprime un ricanement et roule des yeux. C'est vrai, je ne suis pas tout à fait à l'aise de parler de ça avec eux car… jamais le mot "fiançailles" n'a fait partie de mon vocabulaire jusque-là mais d'un autre côté, je suis tellement excité et impatient de commencer cette nouvelle vie que je ne parviens pas à calmer ma cuisse qui s'agite dans un tic frénétique.

— Ouais tu supposes bien, assuré-je. Ça va être cool. Enfin… Je ne sais pas du tout comment je vais faire mais ça va être cool.

— Ouah, souffle Haley.

— Il l'aime vraiment ce con, percute Lexie, en tombant des nues.

Je ne réponds pas. Je n'ai aucune envie de me justifier sur mes sentiments. La scène à laquelle ils ont assisté tout à l'heure était suffisamment intime et bouleversante pour qu'elle parle d'elle-même. D'ailleurs, qu'ils approuvent mon choix ou non, je m'en contrefous. Je serais simplement déçu s'ils n'acceptent pas Juliet comme il se doit.

Comprenant que je me suis refermé sur moi-même et que je suis anormalement bien calme, Haley enchaîne sur mon séjour dans le passé.

Nous passons alors la soirée à parler de ce qu'il m'est arrivé, je leur raconte toutes les boulettes que j'ai pu faire mais aussi tous les trucs cools que j'ai pu vivre. Comme mon amitié avec les jumeaux et Sturgis. La découverte d'Olivia et Regulus. L'anniversaire surprise organisé par Juliet, je ne manque pas de leur montrer mes nouvelles sneakers que je porte aux pieds d'ailleurs. Je parle de James, de Lily, de Sirius, de Peter, de Marlene et Gaige ! De Dorcas aussi… Bon je ne précise pas que je me la suis tapé, bien évidemment. Je leur raconte les missions, les batailles, les Mangemorts, Voldemort. Tout y passe.

En quatre mois, j'ai la sensation d'avoir vécu quatre ans tant tout ceci était intense et éprouvant. Mes nerfs ont été mis à rude épreuve alors je n'ose même pas imaginer ceux de Juliet… Il va lui falloir des vacances je pense. Un temps off, hors du temps.

— C'est quoi ton plan, maintenant ? s'enquiert Matt.

— Mon plan ? me marré-je. Aucune idée. Faire découvrir mon présent à Juliet je présume. Vous la présenter, la présenter aux parents. Faire en sorte que tout se passe le plus naturellement possible pour elle. Que ce soit le plus simple possible. Elle ne connaît rien de notre mode de vie, de notre culture. Elle ignore les quatre-vingts ans d'histoire qui sont derrière elle maintenant donc… ça va être ça la priorité.

— Et tu comptes t'y prendre comment ? percute mon frère. Juliet n'est pas déclarée au Ministère. Ni elle, ni ses pouvoirs, ni sa baguette. Rien. Tu vas faire comment ?

— Je… J'en sais rien Aaron, soupiré-je. Ça ne fait même pas une heure que je suis revenu. Y'a une heure j'étais mort ! Maintenant plus donc…

— Oui, on va le laisser se remettre de ses émotions, intervient Leigh. D'ailleurs on devrait te laisser. Tu dois être épuisé, toi aussi. Après tout ce que tu as vécu.

— Non ça va. Je ne me sens pas du tout fatigué mais… j'ai besoin d'être seul. Faut que je réfléchisse, admets-je en me levant de mon fauteuil.

— Très bien. Alors on va te laisser, accorde Haley en m'adressant un sourire tendre.

Elle m'imite et vient se planter devant moi. Son regard bleu plonge dans le mien et elle m'attire contre elle pour une chaleureuse accolade.

— Je suis contente pour toi. Toutes mes félicitations, Adrian, souffle-t-elle contre mon oreille. C'est exactement pour ça que je t'ai aidé. Pour que tu sois heureux. C'est tout ce qui importe maintenant.

Touché par ses propos, je la maintiens contre moi et la serre en tanguant sur mes jambes. Elle pouffe de rire mais je perçois un sanglot retenu dans sa voix. Je m'écarte d'elle et constate que ses yeux sont étonnamment brillants d'émotions. Elle me cache quelque chose.

— Qu'est-ce qui ne va pas ? demandé-je, sérieux.

Elle cligne des yeux, comme si elle était étonnée que je remarque que quelque chose cloche chez elle. Mais c'est vrai quoi ! Il ne faut pas être stupide pour comprendre que ses yeux de cockers ne sont pas uniquement adressés à ma petite personne. Depuis que je suis revenu j'ai l'impression qu'elle se retient de chialer. Qu'est-ce que j'ai loupé en… une semaine ?

Je relève la tête et pose mon regard sur mon frère qui se passe une main dans ses cheveux bruns ébouriffés. Depuis qu'il est là, il se prend de passion pour ses pieds. Comme si soutenir notre regard lui était insoutenable. Qu'est-ce qu'il fout encore… Jusqu'à ce que je parte lui et Haley étaient tout feu tout flamme et ne pouvaient pas s'empêcher de se rouler une pelle, même devant moi. Alors pourquoi est-ce qu'ils se tiennent aussi éloignés l'un de l'autre à présent.

Ma mine s'assombrit et mon regard gris et froid tombe sur mon frère. Ce dernier remonte enfin ses billes émeraudes vers les miennes et il pâlit sur place. Je n'ai même pas besoin de lire dans sa petite caboche de sale con pour comprendre.

— Aaron tu restes, indiqué-je alors. On doit parler, toi et moi.

— Adrian non, supplie Haley en s'affolant. Tu n'es pas obligé…

— J'ai le droit de papoter avec mon frère, non ? laché-je en étirant mon plus beau sourire forcé. N'est-ce pas Aaron ? J'ai dû te manquer en plus.

Mon frère me renvoie un regard ennuyé auquel je ne réponds pas. Les autres en revanche, comprennent qu'il est temps de nous laisser. Ils s'empressent alors de libérer mon canapé, me serrent étroitement contre eux, heureux de me retrouver puis ne tardent pas à partir, Haley y compris.

Je me retrouve en tête à tête avec mon frère. À nous deux à présent !

— Alors ? attaqué-je dès que nous sommes seuls. Heureux de voir que je suis rentré à la maison, comme un gentil petit chien-chien ?

Aaron roule des yeux. Il sort une cigarette de sa poche qu'il crame sous mes yeux. Son regard vert revient vers moi puis il se laisse retomber sur le canap', comme si toute cette conversation l'ennuyait.

— Tu as passé quatre mois à risquer ta vie et tu es mort en arrivant, j'estime n'avoir pas besoin de te faire la leçon, tu l'as apprise de toi-même, indique-t-il finalement en faisant danser sa fumée dans les airs.

Je l'imite et sors à mon tour une clope. Je m'installe en face de lui, mes yeux chargés de ressentiments.

— Que tu fasses le parfait connard avec moi, je m'en branle, avancé-je. Mais pas avec Haley.

— Qu'est-ce que t'en sais que c'est moi qui ai fait le connard ?

— Pourquoi ce serait elle ? Cette fille, c'est la gentillesse incarnée. Elle n'aurait jamais l'envie de te faire du mal. À qui que ce soit d'ailleurs.

— Écoute, soupire Aaron en posant les coudes sur ses cuisses. Je ne me mêle pas de ta vie privée OK ? Tu veux te marier avec une inconnue, à ta guise. Je m'en bats les couilles. Alors ne viens pas te mêler de ma relation.

— Ahah ! Mon p'tit gars, tu oublies que Haley est ma meilleure amie, pouffé-je. Donc si, je m'en mêle. Et ne t'en fais pas pour mon union avec Juliet, je ne comptais pas sur ta bénédiction.

— Génial, réplique mon frère d'un ton acerbe. Alors vas-y, mets moi une droite. Tu sais comme l'autre fois parce que "j'ai gâché ta vie" ? Moi, ton frère qui passait son temps à te nettoyer les fesses pleine de merde, ton frère qui t'a empêché de refaire une boulette monumentale en prenant le risque de changer l'histoire, qui t'a empêché que tu te foutes en l'air. Alors vas-y fais moi ton sermon, maintenant que tu es en vie et que tu es visiblement une grande personne parfaitement raisonnable et pleine de sagesse.

— Désolé je n'avais pas réalisé combien ça te faisait chier de me venir en aide ! Mais ne t'en fais pas, j'ai largement appris à composer sans toi maintenant. Je suis un grand garçon ! Fier de moi ?

— Magnifique ! Je n'ai jamais été aussi réjoui de ma vie, lance Aaron en se levant d'un bon.

Je l'imite et plonge mes yeux plein de colère dans les siens. S'il croit s'en sortir comme ça, il se gourre complet.

— J'ai bien conscience que tu ne voulais pas que j'y retourne pour ma propre sécurité, je l'ai bien compris ça, insisté-je. Mais maintenant c'est à toi de comprendre que je n'avais pas le choix !

— Pas le choix ?! ricane mon frère en roulant des yeux. S'il te plaît…

— Je ne sais pas ce que tu as foutu avec Haley mais tu dois bien avouer que tu ne débordes pas de bonne humeur et d'optimisme, fis-je remarquer.

— Et ?

— Et ?! Et bien tu as les yeux complètement éclatés, tu pues l'alcool et tu t'es pas rasé depuis une bonne semaine. Je ne sais même pas si tu as pris une douche. Ces états-là, je les ai connus, Aaron. Je sais ce que ça fait. Et tu dois te mettre dans le crâne que si tu veux en sortir, tu dois aller chercher toi-même ton bonheur ! Et c'est ce que j'ai fait !

— Le bonheur ne se résume pas à une seule personne, encore moins quand elle n'appartient pas à ton époque. Tu vas faire quoi maintenant avec elle hein ?!

— Je te conseille vraiment de changer de ton, cloué-je, impassible. Juliet n'est pas un vieux bagage que je trimballe derrière moi. Pour la peine, tu vas m'aider à lui créer une fausse identité.

— Je ne vois pas pourquoi je t'aiderais. Tu as dit que tu savais te débrouiller sans moi dorénavant, sourit le brun.

Je bouillonne et fulmine de rage. Je me plante devant lui et abats ma paume sur son épaule que je sers fort entre mes doigts. J'encre mon regard électrique dans le sien et pose mon souffle énervé sur lui.

— C'est pas un service que je te demande. C'est un échange de bons procédés, grogné-je. Tu t'occupes pour légaliser la venue de Juliet ici, moi de mon côté je vais t'aider avec Haley.

Aaron se dérobe de ma prise et m'envoie une mine sombre et pleine de rancœur. Il me considère longuement sans rien dire.

— Pourquoi tu l'as quittée ?

— Va te faire foutre, tacle-t-il.

— Pourquoi tu l'as quittée ?!

— Parce qu'elle n'a pas réfléchi merde ! Elle t'a soutenue dans tes projets de fou ! hurle-t-il soudainement. Elle t'a choisi toi à moi ! Et elle te choisira toujours toi ! C'est toujours toi, toi et toi qu'on aide, qu'on soutient, sur qui l'attention est constamment braquée !

— Espèce de sombre idiot, c'est toi qu'elle aime ! Pas moi ! beuglé-je, en sentant le sang bouillonner dans mes veines.

— Non ! C'est bien la preuve qu'elle ne m'aimait pas !

— Aaron si tu penses que l'amour c'est de l'obéissance, alors permets-moi de te contredire ! temporisé-je. Évidemment qu'elle n'allait pas t'écouter ! Tu n'es qu'un robot qui exécute sans sentiments. Tu fais sans comprendre, ni sans avoir une once d'empathie pour ton prochain. Haley est l'exact opposé ! Elle a compris que j'en devenais malade de rester ici ! Elle m'a aidée, elle a trouvé une solution parce qu'elle comprenait, elle ! C'est dans sa nature de comprendre et de soutenir les gens ! Tu ne peux pas lui en vouloir pour ça et tu ne peux pas aller contre sa façon d'être.

— Alors c'est bien la preuve qu'elle et moi n'avons rien à foutre ensemble, termine-t-il d'un ton dur et froid. Puisque je suis sans cœur, visiblement.

— Tu ne l'es pas, terminé-je, sûr de moi. Je pensais que tu l'étais, mais tu ne l'es pas.

Mon frère plisse les yeux et me dévisage avec dédain. Sa mâchoire est tellement comprimée que j'ai l'impression qu'il va se péter toutes les dents. S'il y a bien quelque chose que j'ai appris durant ces quatre mois, c'est que derrière notre façade, il y a toujours un cœur chaud qui bat. Et que les murailles qu'on érige autour ne sont que des remparts de protection.

— Tu ne l'es pas sinon tu n'aurais pas craqué comme tu l'as fait pour Haley alors que tu étais déjà en couple avec Johanna, avancé-je en marquant un point. Si tu étais vraiment froid et manipulateur, tu ne l'aurais pas laissée t'approcher de ta parfaite petite vie toute lisse et sans fissure. Mais non… Tu as craqué. Tes sentiments ont pris le dessus. Depuis que Haley est entrée dans ta vie, c'est ton vrai toi qui essaie de sortir de sa coquille et tu ne t'en rends même pas compte ! Quand tu m'as mis un poing dans la tronche la dernière fois, je ne t'ai pas reconnu. Je ne t'ai jamais vu perdre ton sang froid Aaron. Jamais. Encore une fois, tu as quitté Haley sur un coup de tête parce que tu étais vexé, jaloux et inquiet ! Tes émotions ont pris le dessus et ont parlé à ta place ! Et là tu te laisses dépérir parce que tu commences enfin à comprendre ce que ça fait de ressentir quelque chose et d'avoir mal ! Cette fille, elle t'a libéré Aaron ! Et tu dois l'accepter et la laisser faire ! Alors non, le bonheur ne se résume pas à une seule et même personne et heureusement ! Mais il y a certaines personnes qui voient le meilleur en toi et qui font ressortir le meilleur et c'est comme ça que tu pourras être enfin toi-même et te sentir bien. Haley t'aime, je le sais et ça se voit. Et je sais que toi aussi, tu es complètement dingue d'elle. Ne laisse pas une fille aussi géniale te glisser entre les doigts… Tu t'en voudras toute ta vie.

Aaron me regarde avec interdiction. Je devine ses pensées tourbillonner à mille à l'heure dans sa sale petite caboche.

À vrai dire, même moi je m'étonne. J'ignore comment j'ai pu lui sortir tout ça avec autant de clairvoyance. À croire que maintenant, moi aussi je sais comprendre les autres. Moi aussi, je me suis ouvert aux autres.

Brrr… C'est bizarre comme sensation. Jusque là, j'entendais toutes les pensées des autres en les refoulant tant elles m'assaillaient et tant elles étaient intenses, à présent, j'ai l'impression d'avoir la force de les embrasser, de les entendre et de les comprendre réellement.

— Je vais voir ce que je peux faire pour Juliet, répond simplement mon frère, le regard vide. Je dois y aller… salut.

Sans un regard en arrière, Aaron traverse mon salon, le feu au cul. Il claque la porte d'entrée derrière lui et je l'entends transplaner. Bien… ces retrouvailles étaient particulières.

Pourtant, je suis à peu près certain qu'il rumine mes paroles. Je n'ai peut-être pas provoqué la réaction escomptée mais je sais qu'il cogite à plein régime en ce moment même. Tant mieux !

Je passe finalement le restant de ma soirée dans mon appart', seul, à me réapproprier les décors et mes habitudes. Au cours de la nuit, mon Augurey, Ralph vient se planter devant la fenêtre du salon, comme s'il avait senti que j'étais de retour. Je l'accueille évidemment avec une caresse et il revient prendre place sur son fidèle perchoir.

Je descends ensuite nettoyer le sang et le bordel occasionnés par cette saleté de Bellatrix Lestrange dans ma boutique. Boutique d'ailleurs vide, où seuls des cartons s'empactent les uns sur les autres. Ce n'est pas plus mal… Je n'ai aucune envie de continuer à vendre des bibelots à prix d'or. Il faudrait d'ailleurs que je fasse quelques travaux pour séparer la porte d'entrée de mon appart qui donne accès à la boutique comme ça je pourrai mettre un locataire dedans et au moins les locaux ne resteraient pas vides… Surtout que vu ma situation dans la ville, je pourrais clairement me gaver sur le prix du loyer. Les joies d'être proprio ! Je ne remercierais jamais assez ma grand-mère Ginny qui m'a poussé à signer les papiers et monter ce projet.

Ce n'est que vers quatre du mat', après une bonne douche galvanisante que je sens enfin l'adrénaline retomber et je pars me coucher. Lorsque j'entre dans ma chambre plongée dans l'obscurité, je distingue la silhouette de Juliet glissée sous mes draps. Sa respiration profonde perce la quiétude de la pièce. Avec précaution, je me désape et me faufile sous la couette. J'attire Juliet contre moi qui semble se réveiller lorsqu'elle me sent me plaquer contre elle.

— Hum ? T'es là ? baragouine-t-elle.

— Yep. Dors bébé.

— Hum.

Elle passe une jambe au-dessus de la mienne et vient se blottir contre moi, les paupières closes. Elle reste emprisonnée dans son sommeil, bien trop épuisée pour formuler une vraie réponse. Je fais revenir une main et la passe dans ses cheveux avant de baiser son crâne. Bordel… Ça me fait archi bizarre. Non pas d'être avec elle dans un lit mais d'être ici, dans mon présent avec elle.

Je ferme les yeux à mon tour, impatient de vivre cette nouvelle vie avec elle à mes côtés.

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Juliet

Je suis réveillée par les doux rayons de soleil du mois de mai qui percent les stores de la chambre d'Adrian. Je grogne pour moi-même et ramène contre moi les draps bleu marine, pas encore décidée à émerger. Ma main cherche la présence de mon brun préféré mais je suis forcée de constater qu'il n'y a personne dans le lit à côté de moi.

Je me redresse subitement, ouvrant en grand les yeux. Merde c'est violent commme réveil ! Quelle heure est-il ?

Je m'étire jusqu'à la table de chevet et papillonne des cils pour lire l'heure sur ma montre. Quinze heures.

Quinze heures ?! Bon sang je n'ai jamais dormi aussi tard de ma vie ! Je baille bruyamment et parviens enfin à ouvrir les paupières. Mes repères jusque-là complètement déroutés font le point sur mon environnement.

La fenêtre de la chambre est entrebâillée et baigne dans la lumière, ce qui réchauffe ma peau de quelques degrés. J'entends au dehors des bruits de tintements, de rires et de musiques, certainement dû à l'activité des commerçants du quartier et j'étire un sourire. Ça fait une éternité que je n'ai pas entendu ces sons !

Je reviens ensuite sur la pièce, plongée dans la mi-obscurité. Je parviens alors à clairement distinguer les contours du grand lit dans lequel je suis allongée. Face à moi se dresse un grand rectangle sombre et fixé au mur que j'analyse comme étant une version moderne d'une télévision, objet que les moldus raffolent. En dessous, une petite bibliothèque accueille des coffrets multicolores ainsi qu'une étrange boîte en plastique. Juste à côté, je remarque deux objets identiques, avec des touches et des boutons dessus, qui reposent sur un socle en lévitation. Je fronce les sourcils. Qu'est-ce que c'est que cette chose ?

Je m'extirpe des draps et regagne le sol. Je tire vers moi une pochette colorée et lis dessus World Wide 3, are you ready to survive? Online gameplay exclusively on MagicStation5.

Hein ? Il y a eu une troisième guerre mondiale pendant ces quatre-vingt dernières années ?! Je sors d'autres pochettes pour alors me confronter à des animaux fantastiques personnifiés s'adonnant à une course de voitures, d'autres avec des zombies, des vampires ou encore des duels de baguettes magiques. Aux slogans qui bougent et qui s'animent dessus, je comprends que tout ceci est censé divertir. Ou du moins être un jeu. Bizarre…

Je repose tout à sa place et me relève, pour faire face sur ma droite à un grand dressing noir aux portes coulissantes avec un effet miroir. Curieuse, j'ouvre les portes et découvre une penderie qui croule sous les habits. Il y a évidemment des vêtements moldus, mais aussi une incroyable collection de sneakers. Elle prend la moitié du meuble et elles sont toutes soigneusement entreposées comme si elles étaient les joyaux de la collection. Elles se déclinent sous toutes les formes et toutes les couleurs. Je ne repère qu'une seule paire de grosses boots noires en cuir Dr Martens que Adrian ne doit porter qu'en hiver je présume. J'esquisse un sourire, heureuse d'approfondir les différentes facettes de mon homme.

Puis je me tourne vers la porte attenante qui donne un accès direct à la salle de bain. Là encore, rien ne ressemble à ce que j'avais pu connaître dans mon présent. Si le salon et la chambre sont faits d'un parquet en bois foncé, la salle de bain elle, est entièrement carrelée du sol aux murs d'une imitation en marbre noir. Au centre de la pièce trône une baignoire ronde de la même couleur, plongée sous un puit de lumière qui apporte toute la luminosité à la pièce, tandis que sur le côté droit se dressent un meuble noir avec double vasque et un grand miroir. Sur ma gauche sont les toilettes et au fond s'étire une longue cabine de douche aux parois en verre. Lorsque je me plante devant, je constate que là aussi il y a des touches qui affichent "sauna" et "hammam" ainsi qu'une jauge avec la température à régler. Ah d'accord… La salle de bain de Monsieur Potter se transforme en centre de spa à son bon vouloir je présume. C'est intéressant. Très intéressant.

En tout cas, c'est très… moderne. Et classe aussi je dois dire. Bien que tout soit un peu trop sombre à mon goût. Il faudrait rajouter des draps de bains blanc au moins, un tapis de douche, une plante aussi pourquoi pas pour casser tout cet amas de meubles noirs.

Je reviens dans la chambre et trouve ma valise à mes pieds. Je sors un short et un tee-shirt que j'enfile par-dessus mes sous-vêtements et vais pour ouvrir les volets d'un coup de baguette. Je me penche au-dessus de la fenêtre pour tenter d'apercevoir l'activité de la rue mais à part les tuiles je ne discerne pas grand chose. En revanche, les bruits, les rires, les tintements de joie et de bonne humeur sont plus forts et me réchauffent le cœur. Je lève la tête vers le ciel et constate qu'il est complètement dégagé. Il n'y a pas un seul nuage et le soleil brille de mille feux comme si nous étions déjà en été. Je ferme les paupières et respire profondément, me berçant de cette douce chaleur pleine de quiétude. C'est tellement agréable !

Lorsque je sors de la chambre d'Adrian, je me retrouve directement dans le séjour avec une belle et sombre cuisine ouverte. Comme le reste de l'appartement, tous les meubles sont noirs. À commencer par les deux grands canapés en cuir qui se font face, par les sièges pivotants, par un second grand carré noir encore plus grand que celui de la chambre, accroché au mur. Tout est incroyablement lisse et épuré. Ça manque clairement d'un petit plaid, de coussins touffus, de bougies et de plantes.

Je me tourne vers le comptoir de la cuisine qui fait office de bar. Des verres de toutes formes flottent au-dessus, différentes sortes d'alcool se collectionnent sur le meuble qui dispose même de sa propre tireuse à bière. J'imagine que Adrian fait souvent des soirées ici.

Mon regard clair s'accroche à une boite cartonnée avec un mot écrit dessus. "À savourer avec amour, mais pas autant que ma bite".

J'éclate de rire et relève le dessus pour me confronter à quatre cupcakes colorés absolument appétissants. Je m'empare sans hésiter de celui qui semble être au chocolat saupoudré de noix de coco (mes préférés) et mets directement un croc dedans.

Mes yeux reviennent sur la pièce, éclairée par deux grandes fenêtres mansardées. C'est plaisant. Cet appartement est vraiment agréable à vivre. J'aime le style qu'Adrian lui a donné. Jamais je n'aurais pensé à quelque chose de ce genre là mais… J'ai l'impression d'être ailleurs. De ne rien reconnaître au final et ce n'est pas plus mal.

Intriguée par cet immense rectangle noir accroché au mur, je m'y approche et le dévisage avec intérêt. Est-ce un portrait dont l'occupant est parti ailleurs ?

Bizarre…

Je sors ma baguette de la poche arrière de mon short et pointe droit sur cet étrange encadré. Aussitôt un flash de lumière apparaît et une image animée prend vie devant mes yeux.

— OH ! Oh oui !... Encore !

J'écarquille les yeux en constatant avec effarement que deux personnes nues sont en train de faire sauvagement l'amour devant moi. Je m'étouffe dans ma bouchée et recule, effrayée, jusqu'à tomber à la renverse sur le canapé.

— Ah ! m'écrié-je en faisant une acrobatie approximative.

Les personnes continuent à pratiquer le coit dans tous les sens, perçant mes tympans de leurs cris enragés pendant que, complètement déboussolée, je dévisage mon tee-shirt taché de mon petit-déjeuner. Je souffle, dépitée. Bordel c'est quoi ce truc encore ?

Dans la seconde qui suit, la porte d'entrée s'ouvre à la volée et je me confronte au regard gris d'Adrian. Ses yeux vont de moi, à mon vêtement barbouillé puis jusqu'à ces fichus personnages qui baisent sans vergogne.

— Oh ouais t'aime ça hein ?!

— OH OUI ! Vas-y plus fort !

— T'aime quand je te prends comme une chienne hein ?!

— OUIIII…

Mon regard ennuyé foudroie Adrian sur place qui se retient d'éclater de rire.

— Hé chaton ! Je vois que t'es tombée sur mes films de boules, indique-t-il en agitant sa baguette magique.

À mon grand soulagement, son "portrait" ou que sais-je, redevient noir et les cris cessent. Bon sang ! C'est qui encore ce détraqué sexuel ?!

— Un film de boules ?! répété-je, en tombant des nues.

Adrian traverse la pièce en pouffant de rire. Il se penche au-dessus de moi, affalée sur le canapé. Il m'embrasse puis sort sa grande langue et me vole un morceau de gâteau écrasé sur ma joue.

— Hum... , savoure-t-il. Bien dormi ?

— Euh je… oui. Mais c'était quoi ça ?! demandé-je en pointant le truc noir du doigt.

— Un film de cul, je te l'ai dit, avoue-t-il calmement. J'ai dû laisser le programme dessus quand je suis parti.

— Mais tu connais ces gens ?! Enfin je veux dire… et pourquoi tu regardes ça ?! m'écrié-je en mimant une grimace.

— Pour me branler, chaton, explique-t-il, le sourire aux lèvres. Bien que j'avais pas souvent besoin de ça pour avoir la trique, il me suffisait de repenser à tes seins et…

— T'es vraiment qu'un gros pervers ! coupé-je, offusquée.

Il éclate de rire et m'embrasse une nouvelle fois mais je ne lui réponds pas. Au lieu de ça, je fronce les sourcils et attends des explications, les bras croisés sous la poitrine.

— T'as aimé tes cupcakes ? demande-t-il innocemment.

— Adrian.

— Oui d'accord, j'ai compris, soupire-t-il. Alors ce que tu vois est… et bien les moldus appellent ça une télévision et ce sont les inventeurs de ce truc. Mais ça c'est la version magique tu vois, dès que tu l'active tu peux regarder des tas de trucs sur le monde de la magie. Enfin… t'as déjà entendu parler de Hollywood non ?

— Oui mais je sais ce qu'est une télévision ! Mais c'est pour les moldus, dis-je hésitante.

— Initialement oui, mais avec le temps, y'a le cinéma de la magie qui est apparu, explique-t-il. Et donc comme une photo animée que tu vois dans les journaux, tu as ces grands écrans qui projettent des histoires. Des scénarios. Tu peux avoir des trucs de cul, d'horreur, d'amour, des documentaires sur les animaux fantastiques enfin bref… Tout ce que tu veux. Tu vois ?

— Moui, vaguement. Donc il y a des sorciers "acteurs" maintenant ?

— Ouais, d'ailleurs y'a une grosse production qui m'avait demandé à douze ans si je voulais pas faire le rôle de mon grand-père pour réadapter son histoire.

— Y'a un film sur la Guerre des Ténèbres ?! halluciné-je.

— Ouais carrément. Mais bon… Ma mère ne voulait pas que je le fasse, avoue-t-il en haussant les épaules. Alors ils ont pris un gamin lambda j'étais deg. Dommage...

— Oh oui, ça c'est sûr ! pouffé-je.

— Je suis en bas avec Aaron. Viens, il a deux trois choses à te dire, déclare Adrian en m'adressant un clin d'œil taquin.

Adrian me tend la main, que je récupère dans ma paume. Il me tire vers lui et je ne manque pas de lui renvoyer mon air courroucé avant de me décider à le suivre. Ce dernier se marre, en glissant sa main le long de mon dos pour ensuite atterrir sur mes fesses qu'il malaxe ouvertement et sans aucune pudeur.

— Attends, c'est sale en bas chaton, m'indique Adrian en me bloquant le passage de la porte d'entrée. Il faudra qu'on aille faire du shopping toi et moi, complète-t-il en dévisageant mes pieds nus.

— Je pourrais toujours te piquer une de tes innombrables paires, pouffé-je.

— Ah non, pas touche à mes bébés, réplique le brun en me soulevant par la taille.

Je m'esclaffe et noue aussitôt mes jambes derrière ses fesses. C'est absurde, il pourrait utiliser sa baguette pour dégager le chemin au lieu de me porter contre lui. Mais je ne m'en plains pas. Bien au contraire.

Alors qu'il descend les escaliers en colimaçon jusqu'à sa boutique, je me mets à détailler sa mâchoire rasée de près. C'est à ce moment-là que je percute. Au moment où son doux parfum m'embaume et que je me délecte de notre proximité, que je me rappelle qu'il n'y a même pas vingt-quatre heures, j'ai failli le perdre. Mon cœur s'emballe et je renforce ma pression autour de lui.

— Embrasse-moi, soufflé-je, fébrile.

Arrivé en bas, Adrian se fige puis glisse son regard gris sur moi et me dévisage avec surprise.

— Visiblement mon film fait aussi effet sur toi ? se moque-t-il.

— Tais-toi, murmuré-je en réduisant la distance entre nos deux bouches.

J'aspire son souffle et plaque mes lèvres sur les siennes. Je ferme les paupières et me laisse embarquer dans ce baiser plus que nécessaire. Il est même vital. Si jusque là j'étais obnubilée par mon nouvel environnement, à présent tous les événements chaotiques de la veille me reviennent et je me rappelle combien j'ai eu peur. Combien ce baiser est précieux et aurait pu ne jamais arriver si je n'avais pas fait appel à mes pouvoirs.

J'ignore d'ailleurs comment j'ai pu réaliser cet exploit mais qu'importe ! Ce qui compte maintenant c'est qu'il soit là, bien vivant, contre moi. Que son corps bouillonnant de chaleur soit imbriqué au mien, que j'entende sa respiration hachée se coucher contre ma peau et que ses caresses se fassent brûlantes et envoûtantes.

Mes mains glissent de sa nuque à ses cheveux, que j'explore avec férocité, tirant ses mèches entre mes doigts. Ma langue s'acoquine à la sienne et je me retrouve plaquée contre le mur. Exaltée, je gémis contre Adrian qui fond une main sur mon sein. Il me caresse et passe ses mains chaudes sur toutes mes courbes. Il s'enfonce dans ma bouche et me répond au centuple, lui aussi réveillé et ramené à la réalité.

Alors que la pression de mes jambes autour de ses hanches se fait plus forte et que l'envie de le sentir profondément en moi se fait menaçante, un raclement de gorge me ramène à la réalité.

Je sursaute et mets fin au baiser. Adrian relève la tête vers son frère qui attend, accoudé sur le comptoir de la boutique, un sourcil levé et une mine visiblement… ennuyé. Merde ! Je n'avais pas vu qu'il était là.

— Si vous pouvez attendre que je sois parti, indique ce dernier d'une voix traînante.

Adrian humidifie ses lèvres avant de planter ses dents dans la partie inférieure. Il adresse un sourire taquin à Aaron puis m'embarque dans la pièce. Il me dépose sur le comptoir et les joues rouges, je salue son frère.

— Hey, salut, baragouiné-je, honteuse. Désolée pour…

— Pas grave, grommelle le brun en soupirant.

— C'est surtout Aaron qui s'excuse, intervient Adrian en adressant un grand sourire innocent à son frère. Pas vrai, Aaron ?

Ce dernier fixe mon fiancé avec hésitation, prenant clairement sur lui pour ne pas perdre son sang-froid puis il fait revenir ses yeux verts, si semblables à ceux de Lily, sur moi. Il soupire et se concentre sur ses pieds.

Interloquée, je lève un sourcil. Que souhaite-t-il me dire ?

— Euh ouais, se force-t-il à dire. Pour la dernière fois qu'on s'est vu.

Je passe mon regard alternativement entre les deux Potter. De quoi parle-t-il ?

— Oui ? demandé-je avec hésitation. Rafraîchis-moi la mémoire tu veux bien ?

Aaron passe son regard ennuyé sur son frère qui l'incite d'un geste de la main à tout déballer. Il revient vers moi et soupire bruyamment.

— Ouais la dernière fois qu'on s'est vus… J'ai pas été très sympa avec toi, commence Aaron.

— Et ? insiste Adrian.

— Et j'ai plus ou moins insinué que tu étais une pute, alors je m'excuse, grommelle-t-il.

Je fronce les sourcils. Hein ? Quand a-t-il dit ça ? C'est moi ou je perds la tête ?

— Quand lui et Haley ont débarqué dans ma chambre, à Poudlard, pendant qu'on s'envoyait en l'air, explicite Adrian.

— Ah ! Oui ! percuté-je enfin en étant traversée d'un flash. Effectivement.

— Mais pour se faire pardonner, Aaronouchet a un petit cadeau pour toi, continue le brun. N'est-ce pas, frérot ?

Son frère se tend et se racle la gorge.

— Ouais.

Les deux frères s'observent en chiens de faïences, visiblement pas encore remis de leur dernier affrontement.

Le cadet revient vers moi puis plonge la main dans la veste de son costume et me tend un petit livret en cuir brun. Un passeport. Je le réceptionne entre mes doigts et l'ouvre pour tomber sur la première page :

Nom : Thorn

Prénom : Juliet Grace

Née à Londres le 07/09/2037

Adresse : 14, rue des Cendres, Londres, Royaume-Uni.

Taille : 1m65

Yeux : Clairs

Statut : Sorcière

Baguette : Bois de Saule, Crin de Sombral, 25,3 cm , Souple

2037. Pour coller avec mes 21 ans. Ça me fait bizarre, je suis réellement née en 1960.

Je relève les yeux du morceau de papier pour découvrir un écrin violet en bois posé devant moi. Je reconnais aussitôt la marque Ollivander et un grand sourire s'étire sur mes lèvres.

— J'ai fait refaire ta baguette, indique Adrian. Je me suis dit que ce serait mieux que celle d'Olivia.

J'approuve et sors aussitôt ladite baguette de la poche arrière de mon short. C'est vrai qu'elle n'est pas adaptée. Elle est beaucoup trop agressive pour moi. Je ne suis pas Mme Black.

— Et comment tu sais qu'elle me convient celle-ci ? demandé-je, curieuse. Je n'ai jamais eu de bois de saule. Ma dernière baguette était en bois d'if et crin de licorne. C'est la baguette qui choisit son sorcier, pas l'inverse.

— Le grand brun que tu as vu hier quand on est arrivé dans la boutique est Matthew Ollivander, le mec de ma cousine Leigh, explique Adrian. Son père tient la boutique et il a mis au point une nouvelle accréditation des baguettes au sorcier. En l'occurrence, je lui ai donné une mèche de tes cheveux - pas du tout creepy, je sais - et il a pu identifier de quel bois tu étais faite et du coup, lequel te conviendrait le mieux.

Pour expliciter ses propos, je me penche sur le comptoir et ouvre la boîte pour y découvrir une longue baguette brune avec un manche entouré de lierre. Elle est simple, longue et élégante. J'aime. Je m'en empare et je suis aussitôt prise d'un frisson, comme lorsque j'avais acheté ma première baguette. Je l'agite et fait léviter le coffret d'emballage dans les airs. Mon mouvement est souple et rapide. Elle m'obéit au doigt et à l'œil et est très agréable à manipuler. J'étire un sourire satisfait, avant de revenir sur les deux frères Potter.

— Merci ! Je l'adore ! Merci à tous les deux, insisté-je en posant mon regard reconnaissant sur Aaron. Tu as fait comment pour me créer un passeport comme ça ? C'est un vrai au moins ?

— J'ai des connaissances, évince Aaron en haussant les épaules. Et oui, c'est un vrai. Je dois juste encore aller à Gringotts. Corrompre les Gobelins, c'est pas aussi facile.

— Au pire, tu peux mettre dans mon coffre en attendant, ricane Adrian en me bousculant l'épaule.

Je pouffe de rire et roule des yeux.

— Tu n'en manque pas une toi, me moqué-je.

— Je te jure elle m'a fait tout un patacaisse avant de partir "Non, je veux mon argent. Je veux être indépendante de toi une fois qu'on sera dans ton présent — gnagna", se plaint le grand brun. À croire que t'avais prévu de me larguer dès qu'on arriverait ici !

— Évidemment, ça va de soi !

— Elle a raison, tu risquerais de tout dilapider en jeu d'argent, cloue Aaron.

Je m'étouffe de rire ! Les deux frères s'observent avec un air de défis.

— Je ne joue plus, figure-toi que faire la guerre quatre-vingts ans en arrière m'a complètement coupé l'appétit, apprend Adrian.

— Ravie de l'apprendre. Bon on doit te laisser Juliet, le rendez-vous à Gringotts est dans dix minutes, coupe Aaron.

— Me laisser ? percuté-je.

— Oui Aaron a trop de fierté pour l'avouer mais il a besoin de moi.

— Pas du tout ! C'est toi qui insiste pour venir, rechigne le brun. Je n'ai pas besoin de toi !

— Tut-tut-tut ! Un legilimens caché sous une cape d'invisibilité n'est jamais de trop pour corrompre les esprits les plus difficiles, explicite mon petit ami en m'adressant un clin d'œil taquin.

Aaron secoue la tête de gauche à droite, agacé par le comportement de son frère. Ce dernier reviens vers moi et se penche sur mes lèvres.

— Promis, dès que je reviens, je te fais tout découvrir. Ça te va ? A commencer par mes petits films.

Il se plante devant moi et écrase ses lèvres sur les miennes. J'acquiesce et les deux garçons me laissent avec mes nouveaux papiers et ma baguette.

Je range celle d'Olivia dans le nouvel écrin et garde la nouvelle sur moi. J'embarque tout et remonte à l'appartement. Je n'attends pas et opte pour une douche pour tester ce fameux "effet pluie" dont m'a tant parlé Adrian. Il était incapable de se souvenir de l'incantation adéquate pour l'appliquer sur ma douche alors il ne faisait que se plaindre. Maintenant je comprends de quoi il parlait et je dois avouer que le XXIème siècle est agréable.

Une fois douchée, je pars m'habiller et m'enfile un second cupcake lorsque la sonnette de la porte retentit dans tout l'appartement.

J'ouvre et tombe sur une grande brune, de quelques centimètres de plus que moi. Elle est dotée d'une beauté à couper le souffle. Ses yeux caramels me fixent avec un éclat brillant et un grand sourire étire son beau visage. Elle a une peau mate et possède un grand grain de beauté sur la joue gauche. Elle a une silhouette élancée et assez athlétique, je dois dire. Dans ses mains, elle tient un carton rose bonbon.

Leigh, la cousine d'Adrian.

— Salut ! s'exclame-t-elle. Je venais voir si tu allais bien ? Tu t'es remise de tes émotions ?

Je la laisse entrer dans l'appartement, quelque peu décontenancée par son ton enjoué.

— Je t'ai apporté le petit déjeuner, indique-t-elle en déposant son colis sur le comptoir de la cuisine. Les meilleurs donuts de Londres !

— Oh c'est gentil mais Adrian l'a déjà fait, soufflé-je, embêtée.

D'abord surprise par cette attention, son regard doré finit par tomber sur le mot de mon petit ami et elle se retient d'éclater de rire en le lisant. Elle me renvoie un regard complice et je rougis jusqu'aux oreilles.

— Mais on est jamais trop à court de donuts, remercié-je, touchée. C'est gentil, merci.

— Pas de quoi. Adrian n'est pas là ?

— Non il est parti à Gringotts avec Aaron. Ils essaient de falsifier mon coffre.

— Hum… Pas étonnant venant d'eux. Si tu veux mon avis, Aaron est autant un escroc que son frère, réplique-t-elle en m'adressant un clin d'œil taquin. Et tu n'as pas répondu à mes premières questions.

Oh ouah. Cette fille est directe ! Elle est adorable mais visiblement, faire des détours c'est pas son style. C'est une femme d'action et ça se voit dès qu'elle fait léviter deux verres jusqu'à nous. Le frigidaire s'ouvre et du jus d'orange en sort et vient les remplir. Elle semble connaître l'endroit comme sa poche.

— J'étais très fatiguée, admets-je.

— Tu m'étonnes après un tel exploit ! Écoute… Je ne veux pas m'imposer trop… brusquement ou rapidement. Je me doute que tout ça est très nouveau pour toi et qu'il va te falloir un certain temps pour tout encaisser mais si jamais tu as envie d'explorer les environs, je suis là.

Je papillonne des cils, agréablement surprise. Nous trinquons ensemble et je suis alors renvoyée vingt-quatre heures plus tôt où je m'étais jetée dans ses bras sans aucune raison si ce n'est que ça me semblait être la chose la plus logique à faire. C'est comme si inconsciemment, j'avais pris conscience qu'elle me comprenait et qu'elle était là pour moi. Et aujourd'hui encore, ça se confirme.

— Je… C'est très gentil de ta part, merci, soufflé-je.

Une aide, dans ce nouveau monde, il va m'en falloir, c'est certain. Et pas qu'Adrian.

— Je suis disponible aujourd'hui si tu veux, suggéré-je alors en haussant les épaules. Après tout, je n'ai que ça à faire. Je ne sais pas quand Adrian va revenir et je t'avoue que je me sens un peu perdue au milieu de tout... Tout ça.

— Carrément ! Si tu veux on peut aller à la boutique de ma tante, Rose, m'adresse la brune. Elle propose des collections de vêtements sublimes ! Et puis un peu de shopping, ça fait toujours du bien au moral.

— Oui ça… C'est certain. Mon moral en a plus que besoin, confié-je en un soupir. Je ne me souviens même plus quand c'était la dernière fois que j'ai fait les magasins.

— Parfait alors habille-toi et on y va !

— Maintenant ?!

— Bah oui maintenant, s'esclaffe Leigh. J'ai pas pris ma journée de congé pour rien !

J'exprime un rictus et vais aussitôt chercher dans la chambre ma veste en jeans, mon sac à main en cuir brun et mes chaussures. Nous finissons notre verre de jus de fruit et décampons aussitôt.

— Et tu fais quoi comme métier, au fait ? demandé-je au moment où nous descendons les escaliers.

— Je suis langue-de-plomb, m'apprend Leigh. Donc je ne peux pas trop te dire en quoi ça consiste mais ça bouge pas mal comme métier.

— Oui ça m'étonne pas venant d'une Potter, fais-je remarquer.

La brune se fige net et fait volte-face. Surprise, je manque de lui rentrer dedans. Quoi ? Qu'est-ce que j'ai dit de mal ?!

— C'est vrai, souffle-t-elle. Tu les as connus.

— Oui, avoué-je, la voix enrouée.

Elle étire un sourire triste et épris de compassion. Mon cœur se met aussitôt à pulser dans ma poitrine. Elle parle bien évidemment de James et Lily. Mes amis que j'ai laissés derrière moi…

Pourtant je refuse de m'adonner à la mauvaise conscience. Je suis effondrée, certes, mais ma décision de venir ici était mûre et réfléchie. Adrian et moi en avons suffisamment parlé pour que je sois certaine de ce choix alors maintenant je l'assume. Pas de retour en arrière possible. Donc rien ne sert de culpabiliser.

— Il faudra que tu parles avec mon grand-père, Harry ! assure Leigh en reprenant son chemin. Il rêverait d'entendre parler de ses parents. Tu vas devenir son idole.

Je souris doucement, ne sachant si je dois m'en réjouir ou en pleurer. Respire Juliet, respire. Personne n'a dit que ce serait facile. Il suffit que je me fasse à l'idée que mes amis font désormais partie de l'histoire. Du passé.

Je ravale ma salive avec courage et inspire profondément. Je presse le pas et je rejoins Leigh. Nous traversons la boutique vide et atterrissons aussitôt dans la rue sorcière.

Dès que je me retrouve dans la rue, mon cœur se met à vrombir dans ma poitrine. Merlin ! C'est incroyable ! Mes yeux vont et viennent partout tant il y a de choses à voir. J'ai l'impression de vivre un rêve éveillé.

À mon regard émerveillé, Leigh rit et tourne sur elle-même en ouvrant grand les bras.

— Bienvenue au XXIème siècle Juliet ! jubile-t-elle.