Adrian

— Alors ? Comment tu me trouves ?

Juliet tourne sur elle-même et mes yeux tombent sur sa jolie silhouette mise en valeur par la combinaison noire qu'elle a enfilée. Le tissu tombe parfaitement sur sa taille fine et son décolleté en soie et dentelle me fait déjà saliver. Bordel, cette fille est vraiment sexy !

Elle est juchée sur des brides à talons et s'étudie devant le miroir de la chambre, pas très sûre d'elle. Pourtant, elle est à tomber !

— J'adore, assuré-je en me passant une main dans mes mèches encore humides.

J'agite ma baguette et les lacets de ma paire de chaussure se nouent toutes seules. Cette fois-ci j'ai opté pour un nouveau modèle d'Air Force. Des beiges et bleues. Ça faisait longtemps que je ne les avais pas mises !

— Vraiment ? Je n'ai pas du tout l'habitude de porter ce genre de choses… grimace-t-elle.

— Si ça ne tenait qu'à moi, tu serais déjà nue.

— Encore ? s'étonne-t-elle en pouffant.

— J'ai bien dit "qu'à moi", répété-je en réduisant la distance entre nous deux.

Je me plante devant elle et elle me répond d'un sourire enjôleur dont elle seule a le secret. Comme un idiot, j'étire à mon tour une risette, les yeux plantés dans les siens.

— Ça dépend de qui d'autre ? demande-t-elle avec suffisance.

Elle vient nouer ses bras derrière mon cou et me défie du regard. De la malice pétille dans ces iris et bordel, ça m'excite à nouveau !

— De mes couilles ! Tu me les as vidées comme jamais ! Aïe !

Elle me fustige d'un coup dans l'abdomen et m'accorde une œillade sévère.

— Fais pas l'étonnée chaton, toi et moi savons que tu es toujours prête, ricané-je.

Elle m'adresse un regard entendu puis s'échappe de mes bras et vient récupérer sa pochette posée sur le lit. Elle glisse son rouge à lèvre carmin dedans puis enfile son nouveau perfecto en cuir.

— J'ai faim, Monsieur Potter, signale-t-elle.

— Oui c'est bien ce que je disais, tu as tout le temps la dalle !

— Tais-toi et sors-moi, pouffe-t-elle en me tendant son bras.

J'esquisse un sourire taquin avant de glisser ma main autour de sa taille. J'agite ma baguette et nous transplanons.

La seconde d'après, nous atterrissons dans une petite ruelle perpendiculaire aux quais de la Tamise. Main dans la main, je guide Juliet jusqu'à l'adresse d'un fameux restaurant italien qui fait face à London Tower.

Dès que nous arrivons sur les lieux, les yeux de la brune s'arrondissent d'émerveillement.

Il fait encore jour et les derniers rayons de soleil du mois de mai éclairent les berges qui sont peuplées d'igloos en verre. Chaque petite bulle accueille une table et des banquettes en son sein. Certaines varient de taille en fonction de la capacité d'accueil. À l'intérieur de chaque îlot, c'est confortable et cosy. Il y a des bougies, des lampions, des roses, des plaids, de grands verres à pied.

Je n'y avais jamais vraiment pensé sur le coup mais à bien y réfléchir, le cadre est hyper romantique. D'habitude j'y viens plus le midi pour des brunchs avec ma bande d'amis. Venir ici, le soir apporte une toute autre dimension, bien plus intime. C'est clairement la première fois de ma vie que je sors au restaurant avec quelqu'un.

Sans vraiment savoir pourquoi, les battements de mon cœur s'intensifient. Je resserre ma prise sur la paume de Juliet et nous guide vers l'hôtesse d'accueil.

— Bonsoir, bienvenue au Coppa Club, salue-t-elle. Vous avez une réservation ?

Les yeux marrons de la jeune femme se lèvent vers moi et je beugue. Juliet m'interroge à son tour du regard et moi je reste planté là comme un con. Merde... La réservation. Depuis quand je me préoccupe de ce genre de choses ? D'habitude c'est Lexie qui le fait !

Je leur adresse un sourire gêné avant de passer une main dans mes mèches. Je zieute quelques instants sur la tablette avant de pénétrer les pensées de notre hôte et trouver l'information adéquate.

— Euh... Ouais. Au nom de Hawkins.

Juliet plisse les paupières mais ne dit rien. Moi, je serre les fesses pour que ça passe.

— Très bien, suivez-moi, accorde l'hôtesse.

Je souffle de soulagement et Juliet m'adresse une moue amusée. Je regagne aussitôt mon aplomb et plaque ma main sur sa chute de rein pour la guider vers un petit igloo de deux personnes.

— Et voici ! Très bonne soirée, lance notre serveuse en s'éclipsant.

Nous prenons place à l'intérieur sur une banquette qui longe toute une partie de la cabane de verre dont la paroie qui nous fait face donne directement sur la Tamise et London Tower. Un grand sourire sur les lèvres, Juliet ne tient pas en place et détaille tout avec fascination. Moi, ma jambe est prise d'un tic nerveux et sans m'en rendre compte, mes doigts s'agrippent et s'acharnent sur la serviette blanche en tissu.

— Alors ? T'aimes bien ? demandé-je.

— Je n'ai jamais autant aimé tes pouvoirs, confirme-t-elle. Jamais je n'aurais imaginé qu'un tel endroit puisse exister à Londres ! C'est tellement beau.

— Lexie te dirait que c'est un lieu hautement instagrammable, pouffé-je.

— Ok, je ferais comme si j'avais tout compris, souffle la brune en faisant les gros yeux.

J'éclate de rire et nous nous emparons du menu posé sur nos assiettes. Pourtant, je ne parviens pas à me concentrer sur les lignes. Je ne sais pas pourquoi mais mon cœur bat réellement comme un dingue dans ma poitrine. Bordel mec ! C'est pas la mort pourtant !

Ma jambe tressaille et je ne parviens pas à me calmer. Je manque d'avaler de travers ma salive dès l'instant où Juliet pose sa main sur ma cuisse.

— Adrian..., commence-t-elle.

— Hum ?

— Ça ne va pas ?

— Euh. Si, si. Pourquoi ?

— Non ça ne va pas, conclue-t-elle en refermant d'un coup sec sa carte.

Elle lève les yeux vers moi et tente de lire quelque chose sur mon visage qui l'aiderait à comprendre mais même moi je ne sais pas ce qui m'arrive ! Alors à quoi bon ?!

— Tu es stressé ?

— Non ! Enfin oui, mais je sais pas pourquoi, avoué-je, la gorge serrée.

Ma belle brune m'adresse un mignon petit sourire puis elle se décale et se colle à moi sur la banquette. Elle noue ses doigts aux miens tandis que son autre main vient me caresser la jambe.

— Ça te fait bizarre, pas vrai ?

— Beaucoup trop, avoué-je.

— À moi aussi. Disons que le changement est… soudain.

— Brutal ouais, soufflé-je. Je m'étais presque habitué à la guerre, aux contacts limités avec l'extérieur, à l'insécurité. Maintenant que tout est fini… Je sais pas.

— Ça s'est fait dans l'urgence aussi, complète Juliet. On a pas vraiment eu l'occasion de parler de "l'après". De notre "après".

Effectivement, je ne sais absolument pas quoi faire de ma vie à présent. À vrai dire, je n'ai même pas eu le temps de me poser la question. Tout s'est enchaîné si vite. Je prends alors conscience qu'à moi aussi, il va me falloir un temps de réadaptation. Je n'ose même pas imaginer Juliet qui doit être complètement perdue dans ce nouveau monde.

Je soupire et renforce ma prise sur sa main.

— Ouais… Et puis toi tu accumules toutes ces nouveautés.

— Demain je rencontre ta famille, ajoute la brune en me faisant les gros yeux.

— Tu as peur ? m'amusé-je.

— Évidemment ! En plus tu m'as dit qu'ils n'allaient peut-être pas m'apprécier ! s'affole-t-elle.

J'éclate de rire et glisse instinctivement ma main entre ses cuisses pour l'attirer encore plus près de moi. Impossible qu'ils ne l'apprécient pas !

Je dépose un baiser sur son crâne et encadre ses épaules de mon bras gauche. À ce rythme elle va finir sur mes genoux mais qu'importe. Nous sommes parfaitement isolés des autres clients et plongés dans un petit cocon intime alors je pourrais tout à fait la déshabiller à cet instant précis que personne ne s'en rendrait compte.

Sauf peut-être le serveur qui s'avance justement vers nous. Nous nous empressons de commander notre starter pour nous débarrasser de lui et revenir à notre conversation.

— Écoute, commencé-je en réfléchissant. Je pense qu'on ne peut pas passer à autre chose comme ça, en un claquement de doigt. Ce qu'on a vécu, surtout toi, était dur. Et on ne peut pas mettre de côté notre vie d'avant aussi subitement.

— Mais si je continue à ressasser le passé, je ne pourrai jamais pleinement m'investir dans cette nouvelle époque. Je n'ai pas envie d'être hantée par les fantômes de mon passé.

— Oui mais ton passé remonte à quelques heures. Pas quatre-vingts ans, insisté-je.

— Je n'ai jamais dit que je m'en étais remise, assure Juliet. C'est simplement que si je repense trop au fait que je ne reverrai plus jamais mes amis, ça va me faire déprimer plus qu'autre chose et je ne veux pas.

— Mais tu as le droit de déprimer. Enfin, ce serait même carrément compréhensible. Je n'attends pas de toi que tu te fasses à cette époque en un claquement de doigt. Moi aussi, il m'a fallu un temps d'adaptation quand j'ai remonté le temps. Et c'est justement pour ça que je pense qu'on doit partir, toi et moi.

— Partir ? répète Juliet.

— Oui, partir. On a besoin d'encaisser et que tu te reposes surtout ! Tu n'as pas eu de nuits complètes et sereines depuis une éternité. On a emmagasiné beaucoup de deuils, de peines, de pertes, de violences. J'estime que, dans l'état actuel des choses on est incapables, tous les deux, de se réacclimater au XXIème siècle. On ne peut pas attendre de nous qu'on s'intègre tout naturellement en faisant comme si les derniers mois n'avaient jamais existé.

— C'est vrai, accorde la brune. Honnêtement je ne m'imagine pas du tout reprendre une petite vie tranquille, trouver un travail, voir tes parents tous les dimanches par exemple et avoir un petit train-train quotidien. Enfin, pas dans l'immédiat.

— Exactement ! On est encore trop dans le jus, réalisé-je. Et le changement serait trop brutal.

— Donc tu suggères qu'on devrait partir, conclut Juliet en emmagasinant.

— Ouais, pendant quelque temps. Je sais pas, six mois, un an, soufflé-je.

— Mais où ?

— Partout ! On pourrait faire un tour du monde, suggéré-je en réfléchissant. Faut qu'on fasse un break, c'est certain. On pourrait faire quelques mois dans un pays, quelques semaines dans un autre. On pourra se reposer, passer lentement à autre chose, se prendre le temps de faire ce qu'on veut, toi tu pourras peu à peu apprendre tout ce qu'i savoir sur cette nouvelle époque, le tout en découvrant des nouvelles cultures et voyageant. Bref… Voilà. J'te propose ça. Qu'est-ce que t'en dis ?

Juliet m'observe en silence. Ses yeux sont plongés dans les miens et elle me caresse instinctivement le dos de la main. Elle m'adresse un sourire, puis acquiesce.

— J'aime beaucoup cette idée. Mais ta famille, tes amis… Tu vas encore être séparé d'eux. Ça ne te dérange pas ?

— Rien ne nous empêche de revenir de temps à temps à Londres. Ou même de les inviter à venir nous voir quand on sera au Mexique par exemple ! ris-je.

Aussitôt, je vois les prunelles de Juliet pétiller. J'ai dit le mot "magique". Illico, je sais qu'elle s'imagine déjà au soleil, sur une plage de sable fin, face à la mer. Rien qu'à son sourire, je sais alors que cette décision est la bonne.

— Parfait alors… À notre tour du monde ? dit-elle en levant son verre vide.

— À notre tour du monde ! Et attends…

Je sors discrètement ma baguette de ma poche et fait apparaître devant nous une bouteille de champagne rosé depuis le bar à l'aide d'un sortilège de transfert. Je m'empresse de servir nos coupes et de trinquer avec ma petite frimousse préférée.

Les vacances, nous voilà !

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Lorsque Juliet et moi arrivons au Square Grimmaurd, j'ai comme une impression de déjà-vu. Pourtant, presque tout a changé. À commencer par la façade de la maison qui est à présent peinte d'un beau blanc éclatant. Comme si toutes les nuances macabres du passé avaient été nettoyées et purgées. Voire même, oubliées.

Pourtant, à l'air hésitant de Juliet, je devine que rien n'est tout à fait oublié. Pas pour nous en tout cas. La mort de Reg et Olivia, dans ces mêmes lieux, remonte à seulement un mois pour nous. Pas quatre-vingts ans.

J'inspire, expire et passe une main dans le dos de la brune. Je caresse délicatement la soie de sa robe kaki et l'incite à avancer. À l'intérieur, cette fois-ci, il n'y a non pas des Mangemorts qui l'attendent mais ma famille. Et ils n'ont pas l'intention de la manger toute crue. Du moins je ne l'espère pas.

— Ça va bien se passer, assuré-je. Un barbecue familial se passe toujours bien.

— Ah oui ? s'enquiert la brune, visiblement affolée.

— Évidemment ! Il y a des bières, des saucisses et du maïs rôti ! C'est le combo parfait pour la bonne ambiance et la détente, insisté-je.

Juliet se mord la lèvre, loin d'être rassurée. Bon allez, ça suffit les hésitations. Je préfère sauter à pieds joints dans la grosse flaque marécageuse qui pointe à l'horizon plutôt que de continuer à me triturer l'esprit. Ils adoreront Juliet, c'est certain ! Il ne peut en être autrement. S'ils ne le font pas, c'est bien simple : je percerai leur barrière mentale et les forcerai à l'accepter.

Mon poing s'abat sur la porte d'entrée. Nous entendons des pas traverser le couloir et à mesure que je les entends s'approcher, mon cœur cogne un peu plus fort dans ma cage thoracique. Bordel Adrian. Qu'est-ce que tu as encore foutu ?!

Au moment où je commence à considérer l'éventualité de m'enfuir à toutes jambes, la porte en bois mat s'ouvre à la volée et un regard gris tombe sur moi. J'entends Juliet ravaler son soupir et se crisper sur place.

— Adrian ! accueille ma mère en m'adressant un grand sourire. Parfait il ne manquait plus que toi…

Elle ouvre grand l'entrée et m'attire vers elle avec force. Je me retrouve écrasée contre sa poitrine avant qu'elle ne prenne mon visage en coupe et glisse son air inquiet dans le mien.

— Où est-ce que tu étais encore passé ? souffle-t-elle, une veine d'inquiétude figée sur son front.

— Hum… Je…

Je baragouine comme un mongole avant de tourner la tête vers Juliet, plantée derrière moi sur les marches du perron. Les yeux de ma mère tombent alors sur la jeune femme, qui perd en contenance de seconde en seconde. D'un teint pâle voire verdâtre, elle passe au rouge vif.

— Euh maman, commencé-je en me raclant la gorge. Je, je suis venu accompagné. J'espère que ça ne pose pas de problème ?

Ma mère a un instant d'hésitation. Son regard passe derrière mes épaules et enfin elle rencontre celui de Juliet.

— Bonjour, dit aussitôt ma brunette préférée. Madame… Potter.

— Oh ! Euh oui… Bonjour, lance-t-elle, décontenancée. Non bien sûr que non ça ne pose aucun problème. Entrez tous les deux !

Elle s'empresse de nous faire franchir le seuil de la porte. Je m'empare instinctivement des doigts de Juliet et nous pénétrons la maison de mes grands-parents. Aussitôt la vision d'aigle de ma mère s'abat sur nos mains imbriquées et je lis alors toutes les questions qu'elle se pose dans sa petite tête. Elle est perdue et elle ne comprend RIEN.

— Mais euh. Je… Adrian ? demande-t-elle en papillonnant des cils.

— J'te présente Juliet, indiqué-je. Ma…

MA TCHOIN !

Non, je déconne... J'échange un regard avec Juliet, qui n'en mène pas large. Bon sang, mon vieux ! Vas-y ! Prends sur toi ! Elle compte sur toi.

J'expire un grand coup et me lance.

— Ma fiancée.

Silence.

Ouep. Un putain d'interminable silence. Les deux femmes déglutissent avec difficulté et se fixent avec interdiction.

Je n'ai jamais ramené qui que ce soit dans ma famille. C'est la première fois. Et non, je ne viens pas accompagné de ma petite amie mais de ma fiancée. Direct. Je ne passe pas par trente-six chemins, j'attaque tout de suite avec du lourd. Je saute les étapes et lui impose directement la femme qui va passer le restant de ses jours à mes côtés. Théoriquement, en tout cas.

Puis une lueur effleure ma mère et elle papillonne des cils avant de revenir vers moi.

— Oh Adrian.

Eh oui. Ça y est, elle a compris. Elle sait. Elle sait que Juliet ne vient pas de cette époque. Indirectement, elle comprend pourquoi j'y suis retourné une deuxième fois.

— Ouais, confirmé-je, légèrement mal à l'aise.

Elle ramène ses doigts tremblants vers sa bouche avant de se jeter dans mes bras. Je la réceptionne contre moi en titubant sur mes jambes puis je renforce mon étreinte sur elle. Sa douce chaleur m'enveloppe et je ferme les yeux un instant tout en expirant. Comme si je relâchais complètement toute la pression. La pression qui m'oppresse depuis plusieurs semaines. Bon sang ! Que c'est bon d'être rentré.

Ma mère se décolle de mon buste et m'adresse un sourire chargé d'inquiétude mais aussi de… de joie. Elle tourne la tête vers Juliet et se plante devant elle. Elle prend avec délicatesse ses mains qu'elle presse entre ses doigts.

— Je suis certaine que vous aviez de très bonnes raisons, concède-t-elle. Bienvenue Juliet.

De bonnes raisons de revenir ensemble dans le présent ?! Si elle savait ce par quoi nous sommes passés pour en arriver à cette situation…

— Merci, souffle cette dernière.

Elles se renvoient un petit sourire puis ma mère prend sur elle en une grande inspiration et nous emboîte le chemin.

— Bon et bien venez, tous les autres vous attendent, nous indique-t-elle.

Juliet et moi échangeons une œillade complice avant que nos mains ne se retrouvent à nouveau, comme si elles étaient incapables de se lâcher. Nous traversons le salon ouvert sur la salle à manger qui donne sur une grande baie vitrée ouverte sur un jardin aménagé. D'ici, j'entends les voix qui ont bercé toute mon enfance et mon excitation grandit d'instant en instant.

Je me retourne et vois Juliet détailler chaque meuble, chaque cadre, chaque vase avec fascination. C'est vrai, jamais on aurait cru que les Black avaient vécu ici. Que Reg était mort dans cette même pièce… Tout a été rénové et modernisé. Les cloisons ont été abattues et toutes les pièces sont à présent communicantes.

Lorsque je pose un pied sur la terrasse, des exclamations de voix retentissent d'un peu partout. Un grand sourire apparaît sur mes lèvres alors que ma grand-mère Ginny accoure pour me serrer dans ses bras. Je perds les doigts de Juliet et suis compressé de part en part. Je passe à mon grand-père puis mon père qui m'enlacent chaleureusement. Je leur ai manqué. Et moi donc !

— Tu nous les auras toutes faites toi ! s'exclame mon père en m'ébouriffant les cheveux.

— Et encore ! Tu n'as pas tout vu, indique ma mère en croisant les bras sous la poitrine.

Elle lève un sourcil et tous les regards passent sur Juliet. Enfin, ils réalisent que je ne suis pas venu seul. J'enchaîne les embrassades avec Mamie Molly, mon oncle James et sa femme Julia. Je constate d'ailleurs que mes deux cousins, Leigh et Jared, sont également là, avec Matt et Aaron assis à leurs côtés, à la table du jardin. J'en déduis alors que Haley n'est pas là…

Mon frère écrase sa clope dans le cendrier puis vient me saluer d'une brève tape sur le dos. Seul lui, Matt et Leigh savent ce qu'il s'est exactement passé durant cette semaine d'absence.

— Bon autant y aller franco ! indiqué-je en levant les bras. Les gars, je vous présente Juliet ! Elle vient du XXème siècle et …

— Quelqu'un a dit "Juliet" ?! rugit une voix depuis la cuisine.

Lorsque je la reconnais, j'écarquille les yeux et éclate de rire. Oh mais oui !

La seconde d'après, la silhouette de Gideon apparaît à l'encadrement de la porte fenêtre, un plateau de saucisses fraîches dans les mains. Tout le monde se tait et l'observe avec incompréhension. Juliet se retourne et lorsqu'elle le reconnaît, lui et ses quatre-vingts années qu'il s'est pris dans la tronche, elle glapit sur place avant de pousser un cri surexcité.

Le vieux roux éclate de rire et ouvre les bras, en remettant le plateau à ma grand-mère. La brune se jette sur lui et ils s'enlacent comme les deux vieux amis qu'ils sont.

— Bon sang, j'avais toujours dit que ton fils était fou, Albus ! rugit-il à l'intention de mon père.

— On l'a toujours su, fanfaronné-je, un grand sourire sur les lèvres.

— Ah Juliet ! Ma belle Juliet, accueille Gideon en prenant son visage en coupe. Je ne pensais pas qu'il allait vraiment le faire. Mais il l'a fait !

— Et plutôt deux fois qu'une ! assuré-je.

— Qu'est-ce qu'il a fait ? s'inquiète Mamie Molly.

Tous nous dévisagent comme des fous. Mon père, mes grand-parents, mon oncle et ma tante. Tous. Je me racle la gorge et viens me planter aux côtés de Juliet.

— Ça, je vous le dit, intervient Gideon. Cette petite, c'est une brave ! Vous allez l'aimer. J'ai passé trois ans de ma vie à ses côtés à chasser les forces du mal.

— Je confirme, acquiesce Leigh en adressant un clin d'œil complice à la brune. C'est une brave !

Cette dernière rougit de plaisir, toujours accrochée aux bras de son ami retrouvé.

Ma famille, elle, ne comprend plus rien. Ou du moins, ils refusent tous d'accepter la réalité tant que je ne l'aurais pas dite à voix haute. Alors je ramasse mon putain de courage et me lance.

— Bref vous l'avez compris. Juliet vient du XXème siècle et elle est la raison de ma disparition de la semaine dernière, expliqué-je en fondant mes yeux dans les siens. Je l'ai rencontrée là-bas. Par erreur. C'était pas du tout prévu mais… Quand je suis rentré, je savais que je devais y retourner. Alors je l'ai fait. J'ai remonté le temps une deuxième fois pour… Pour.

Ma voix se meurt. Je me racle la gorge et… Argh ! Je déteste les déclarations publiques !

— Et… On a décidé de se fiancer.

— Oh les cachotiers ! réagit aussitôt Gideon en exultant de joie.

Juliet éclate de rire et resserre sa prise sur lui. Les membres de ma famille eux, sont légèrement sceptiques. Mais mon oncle James est le premier à briser la glace.

— Ce p'tit gars est vraiment un Potter ! assure-t-il en levant son verre de bière. Il sait qu'il doit galérer pour avoir la fille de ses rêves !

Tout le monde s'esclaffe puis Juliet et moi nous retrouvons peu à peu ensevelis sous les embrassades, les cris surexcités, les baisers et les félicitations. Ils sont tous surpris mais visiblement, tous heureux pour nous. Ça me fait bizarre… Je n'ai jamais vu autant de joie et de fierté reluire dans leurs yeux à mon égard.

— Il faudra que tu nous racontes tout ça ! insiste ma mère.

— Oui, oui, c'est prévu.

Juliet et moi sommes séparés et les questions fusent dans tous les sens. Elle reste surtout aux côtés de Gid', comme s'il était son point d'ancrage, mais je sais que la façon dont elle est accueillie et embrassée de tous les côtés lui fait énormément plaisir. Le sentiment d'angoisse qui lui entravait la gorge jusqu'à présent s'amenuise et nous relâchons tous deux la pression, en un souffle synchronisé.

— J'arrive pas à le croire qu'on se retrouve ! s'exclame-t-elle en serrant Gid' contre elle, remplie de joie. Et puis tu es tellement beau !

— Oh ! pouffe ce dernier en roulant des yeux. N'importe quoi. C'est vous qui l'êtes ! Regardez-vous.

Alors que ma tante Julia me dépose un baiser sur la joue, j'échange une œillade complice avec ma brunette qui rougit de plaisir. Ça c'est certain, elle est magnifique.

— Bref, voilà. On est là maintenant, fin de l'histoire, conclus-je à l'attention de tous. Bon on se la fait cette chipo ?! Je crève la dalle moi !

Ma cousine et Juliet éclatent de rire en coeur. Ma mère et ma grand-mère roulent des yeux, comprenant que je suis incurable. Mon père, lui, recule brutalement sa chaise et d'un mouvement souple, il allume les plein gaz du barbecue depuis sa baguette magique.

— C'est parti ! On lance les hostilités !

— Ne nous refais plus jamais une frayeur comme ça ! menace Ginny en me pointant du doigt.

— Et bienvenue à la nouvelle recrue, quand même, assure mon grand-père. Du coup si je comprends bien, toi et moi on se connait ? demande-t-il à Juju.

Cette dernière écarquille des yeux en le reconnaissant. Elle a un élan pour lui et s'apprête à se jeter dans ses bras avant de réaliser qu'il n'a certainement aucun souvenir d'elle et qu'elle est donc une parfaite étrangère à ses yeux. Elle se refrène in extremis et je m'étouffe de rire.

— Oh misère, souffle-t-elle.

— Ça ne fait rien, rit mon grand-père. Un plaisir, Juliet.

Il tend sa paume à la brune qui s'en empare vigoureusement avant de l'attirer vers elle et de la serrer contre elle.

— Plaisir partagé, Harry, répond-t-elle avec énergie.

— C'est bien la première fois que personne n'a peur de toi, fait remarquer mon père avec un sourire en coin.

Ma famille et moi pouffons de rire, habitués aux piques que mon vieux lance constamment à son paternel.

— Tu ferais mieux d'avoir peur de ton père, Albus Potter ! gronde Ginny.

— Certainement pas, répondent Albus et James en chœur.

Les deux frères s'adressent un clin d'œil complice avant de se taper dans le dos. Personne sauf Juliet, ignore que mon grand-père a un rapport de force très particulier avec ses deux fils.

— Eh ! Où est ma marraine ?! demandé-je aussitôt en parcourant toute l'assemblée des yeux sans pouvoir croiser l'air enjoué et rieur de ma tante Lily.

— En chemin ! Elle t'a transmis sa ponctualité tu t'en rappelles ? intervient Mamie Molly. Je vous l'ai toujours dit, on hérite des tares de ses parrains et marraines !

Je roule des yeux, loin d'être sensible à ce genre de vieilles croyances. La vérité est que ma tante vit toujours à mille à l'heure. Elle est Auror à l'internationale et passe la moitié de l'année en mission. Elle et son conjoint, qui se trouve être le père de Matt et donc le proprio de la boutique de baguettes Ollivander, aiment le danger et partir en expédition. Une vie calme et rangée, ce n'est pas pour elle. Mariage et enfants ne l'ont jamais intéressés.

Je suis peut-être comme elle, finalement ? Ou pas… À voir.

— Et mon parrain à moi était comment ? enchaîne Harry, impatient d'en savoir plus sur l'époque de Juliet.

— Long et dur, réponds-je au tac-au-tac dans un raclement de gorge.

Juliet écarquille les yeux d'horreur, la seule à avoir entendu ma réplique. Oh c'est bon bébé, on l'a tous les deux vue, sa Tour de Pise ! Et puis, avec du recul, elle aurait eu tort de s'en priver.

— Un homme incroyable, reprend Juliet à l'intention de mon grand-père. Et qui était complètement gaga de son filleul !

Elle et Harry pouffent de rire.

— J'imagine que vous avez plein de choses à nous raconter ! enchaîne-t-il. À table !

Il donne un coup dans le dos à la brune pour nous pousser vers la grande tablée. Dessus sont apparus toutes sortes d'apéritifs ainsi que des assiettes avec couverts et verres à vin. Le déjeuner sonne son coup de glas et toute la famille Potter s'installe autour.

Juliet s'installe entre Gid' et moi, tandis que mon frère, mon cousin, sa sœur et son copain viennent près de nous.

— Qui prendra du rosé ? lance Jared, mon cousin.

Ce dernier est bâti sur le même modèle que son père, c'est-à-dire grand, brun, la peau matte, un mètre quatre-vingt dix de muscles et d'intenses mirettes chocolatées. De surcroît, il a hérité du même sourire arrogant et séducteur des Potter. Lui et moi avons la même touffe désordonnée et cette arcade sourcilière qui accentue notre regard magnétique. Il impressionne aussitôt Juliet qui semble le remarquer pour la première fois. Elle pâlit sur place au moment où il se plante derrière elle avec la bouteille de rosé à la main.

Lorsqu'il se penche vers elle pour la servir, elle reste bloquée sur lui un instant. Ce connard célibataire endurci de vingt-neuf ans, est tout à fait conscient de l'effet qu'il fait aux femmes. Il lui adresse alors un fameux clin d'œil chafouin avant de remplir son verre de vin.

— Jared, présente-t-il ensuite en lui tendant sa paume.

— Eh ! interviens-je aussitôt.

— Non mais quel chien de la casse ! vocifère Leigh en tirant son frère en arrière.

— Mais quoiii ?! On ne peut pas s'amuser un peu ?! se plaint le grand brun en s'esclaffant.

— Tu t'amuses avec qui tu veux mais pas avec Juliet !

Jared éclate de rire et vient abattre ses grandes mains de géant sur mes épaules pour me clouer à ma chaise. Il enfonce ses doigts sur mes clavicules et je réprime une grimace de douleur ! Quelle brute ! Je vais le dégommer.

— T'inquiète cousin, c'était pour te tester, souffle-t-il à mon oreille. Visiblement, ce que Leigh me disait est vrai. Les années 1980 ont trouvé grâce à tes yeux. Qui l'eût cru ?

Je me dégage de son emprise et lui renvoie un regard provoquant.

— Si t'es tellement en manque, j'te file mon retourneur de temps si tu veux ? réponds-je. Les minettes de cette époque seraient ravies d'accueillir un beau bébé comme toi.

— N'empêche ce serait encore plus pratique, percute Jared. Tu tires ton coup et tu te casses et là t'es sûre au moins que la nana te cours plus après !

— Vous êtes des porcs ! s'offusque Leigh.

— Pas toutes les "nanas" sont comme ça, réplique aussitôt Juliet. Certaines te poursuivent jusqu'à ton époque et te forcent à les épouser.

Tout le monde éclate de rire, comprenant qu'elle se cite en exemple. Jared me relâche et tend son poing à Juliet qui lui fait un check.

— Jt'aime bien, toi, assure-t-il.

Nous pouffons de rire et il repart faire le tour de la table faire son service.

— Pardonne mon frère, Juliet, somme Leigh en faisant les gros yeux. Depuis son divorce avec cette américaine, il est à cran avec les femmes. Elle lui a brisé le cœur.

— Du coup il brise des culs maintenant, résumé-je.

— C'est un mécanisme d'auto-défense propre à tous les Potter alors, réplique ma fiancée en haussant les épaules.

Aaron, Matt et Leigh explosent de rire en me dévisageant.

— Elle t'a cramé, vieux !

— Je m'en suis jamais caché ! assuré-je.

— Il faisait venir des prostituées à Poudlard, explique discrètement la brune en roulant des yeux.

— Mais non !

— Adrian !

— Mon héros ! lance Jared en servant ma grand-mère, qui a tout entendu avec ses supers oreilles d'animagus.

— Qu'est-ce qu'il a encore fait ? demande cette dernière, qui n'avait pas pris part à la conversation et heureusement d'ailleurs.

— J'ai envoyé chier Albus Dumbledore ! lancé-je, haut et fier.

Ma réplique fait réagir toute ma famille. Mamie Molly pousse un cri d'horreur tandis que mes grand-parents me dévisagent avec deux grands yeux écarquillés.

— Adrian ! Tu n'as pas fait ça quand même ?! s'affole Ginny.

— Yeaaah ! rugit une voix derrière moi que je reconnais aussitôt. Ça c'est mon filleul ! Fuck'em all!

Je fais volte face et me dresse sur mes pieds pour dévisager ma marraine arrivée en fanfare. Des lunettes de soleil aviateur sur le nez et un blouson en cuir sur les épaules, elle lève deux magnums de champagne dans les airs et me tire la langue, toute excitée.

— Lily !

— Quand j'ai appris la nouvelle, j'ai fait demi-tour direct à l'appart pour aller chercher ces petites merveilles, m'apprend la rousse en désignant les bouteilles. Félicitations mon grand !

Je ne sais pas quoi dire mais putain ! Qu'est-ce que je suis content de la voir ! Je me presse dans ses bras et la soulève dans les airs. Elle éclate de rire et manque de s'étaler par terre mais elle est retenue par le père de Matt qui la suivait de près.

— Ollivander ! lance mon oncle James. Il ne manquait plus qu'un deuxième pour gâcher la fête !

— James !

— C'est pas sympa pour Matt, papa, rugit Leigh.

— Mais non, Matounet chéri sait que je l'aime ! Pas vrai, Matounet ?

— Oui c'est certain, assure Matt en s'étouffant dans son verre. Est-ce que j'ai le choix sur ma réponse, beau-papa d'amour ?

— Évidemment que non ! s'esclaffe James en lui donnant une tape dans le dos.

Je me marre face à la complicité évidente de ces deux-là. Clope à la bouche, mon oncle s'extirpe de la table pour venir prendre sa sœur dans ses bras et saluer "Ollivander".

— Alors l'intello ? demande-t-il en lui serrant fermement la poigne. Comment vont tes petits bâtons ?

— Il me tarde de t'en mettre une dans le cul, Potter ! répond le père de Matt en lui adressant un grand sourire amical.

Quasiment tout le monde éclate de rire sauf les meufs qui, évidemment, sont outrées. Mais elles ne comprennent pas que c'est l'équivalent à une déclaration d'amour pour nous, les mecs.

— Eurk !

— Mais les gars un peu de tenue quoi !

Les deux hommes se marrent avant de venir se serrer dans les bras comme deux frères. Honnêtement, je ne mêle pas de leurs histoires mais pour la faire courte, mon oncle James et le père de Matt ne se sont jamais appréciés et s'envoient toujours des prunes bien salées. Avec le temps, ils ont appris à s'apprécier mais les provocations restent, à mon plus grand amusement.

— James, tu nous enfumes avec tes cigarettes ! râle Ginny en chassant la fumée avec sa main.

— Les fumeurs, c'est au fond du jardin ! enchaîne Mamie Molly.

— Y'aura plus grand monde à table alors, ricane mon oncle en emportant son beau-frère par les épaules pour l'installer à ses côtés.

— Il a pas tort, m'adresse Lily en s'allumant justement une clope.

Elle m'en tend une et nous restons alors là, en retrait sur la terrasse à papoter de tout et de rien. D'un coin de l'œil, je vois Juliet, Gideon, Leigh et Matt parler ensemble avec animation. Je suis à peu près certain qu'elle leur raconte notre retour plutôt chaotique à cette époque. Comment nous nous sommes faits coursés par Bellatrix et ses petits copains et comment, jusqu'à la toute fin, elle nous aura emmerdé celle-là !

Puis Lily et Juliet se saluent et apprennent à faire connaissance et le repas dominical s'enchaîne sous mes yeux rieurs. Pour la première fois de ma vie, je me sens à ma place. Au milieu de tout ce monde, au milieu de toute cette histoire, de tout ce poids qui pèse sur nous tous.

Alors que j'écrase ma clope dans le cendrier, je sens la présence de mon frère se joindre à mes côtés. Lorsque je relève les yeux vers lui, je constate que ce dernier a d'effroyables cernes sous les yeux et ne respire vraiment pas la joie de vivre. Je soupire et lève un sourcil.

— C'est pour ?

— Ton aide, confesse-t-il, à demi-mot.

J'étire un sourire satisfait. La roue tourne, ça me plait bien ce changement de situation !

— Visiblement tu es devenu un maître dans les relations de couple, reprend-t-il discrètement d'un ton pince-sans-rire. Alors va falloir que tu m'aides Docteur Love.

— Je serais ravi de t'apprendre à convoiter les cœurs, pouffé-je en m'emparant d'un verre de bière.

Je trinque contre la chope de mon frère. Ce dernier ne réagit pas, toujours aussi maître de ses émotions.

— C'est Haley ? deviné-je.

— Évidemment, grommèle-t-il.

— Il va falloir taper fort.

— Je sais.

— Jusqu'où t'es prêt à aller ? questionné-je.

— J'ai aucune limite, m'apprend Aaron, sérieux. Je suis prêt à tout pour la récupérer.

J'étire un sourire satisfait et bois une nouvelle gorgée.

— Alors il y a peut-être de l'espoir pour toi frérot.

— J't'écoute.

— Tu vas faire une annonce, Potter. Publique, élucidé-je en lui adressant un sourire carnassier.

D'ici, je sens mon frère perdre toute contenance et paniquer. Sa mine est défaite et j'entends les battements de son cœur battre à tout rompre dans sa cage thoracique. Il est tétanisé.

Mon gars, il est temps de faire valoir tes talents de politicien !

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Juliet

Lorsque Adrian et moi arrivons au Musée de la Magie, nous sommes accueillis par Haley qui nous adresse un grand sourire. Cette fille est toujours rayonnante et pétillante quelles que soient les circonstances. C'est un vrai rayon de soleil !

Revêtue d'un pantalon tailleur bleu marine avec des sneakers blanches et d'un joli débardeur clair en soie, elle nous fait la visite de ce nouveau lieu, complètement neuf et moderne installé en plein cœur de Westminster. Dissimulé à la vue des moldus, ces derniers pensent voir une tour financière. En réalité, il n'en est rien.

À l'intérieur tout est grand, spacieux, lumineux et très blanc. Le hall d'entrée donne sur une mezzanine de plusieurs étages et le comptoir d'accueil fait attendre plusieurs familles et troupes de sorciers venus visiter ce haut lieu de magie.

Haley nous donne à tous les deux des badges d'accès et nous montons avec elle jusqu'à son bureau, face cachée du public. La pièce est à l'image du musée, grande, blanche et moderne.

Un grand bureau donne sur une magistrale baie vitrée avec vue sur tout Londres tandis qu'un plan de travail et un coin avec petit salon sont tout de suite disposés à l'entrée de la pièce. Je ne sais pas ce que fait Haley comme job, mais c'est certain qu'elle n'est pas qu'une simple employée pour avoir un bureau comme ça à elle toute seule !

— Elle est conservatrice d'art, toutes époques confondues, répond Adrian à ma question.

— Hé ! ralé-je en lui donnant un coup de coude.

— J'ai pas fait exprès, désolé, m'indique ce dernier en m'adressant un regard suffisant.

— Vous buvez quelque chose ? nous demande Haley en nous désignant son petit coin salon où des boissons fraîches nous attendent. Et si j'étais toi Juliet, je mettrais un bijou du genre, continue-t-elle en me désignant son bracelet. Tout le monde dans notre groupe d'amis en porte un, c'est pour éviter que cette sale petite fouine viole nos pensées !

— C'est franchement déloyal ! râle Adrian.

— Ce qui est déloyal c'est d'user et d'abuser de tes pouvoirs sur nous ! contredit Haley en faisant les gros yeux. Je peux t'en procurer un Juliet, si tu veux ?

Elle fait revenir son magnifique regard bleu océan sur moi et attend une réaction de ma part mais je suis… partagée. Dire adieux aux géniales parties de sexe que nous avons tous les deux quand nous communiquons par la pensée ? Certainement pas !

Adrian se bouffe le poing pour s'empêcher d'éclater de rire. Je roule alors des yeux, sachant qu'il sait très bien à quoi je pense. Il s'éloigne de moi et part se poster à la baie vitrée pour regarder la ville qui s'étend à perte de vue. Je reviens vers Haley et me racle la gorge.

— Je, c'est gentil mais non. Je lui fais confiance pour ne pas le faire. Enfin… ne pas en abuser. C'est très rare qu'il le fasse, assuré-je, les joues rouges.

Haley m'observe silencieusement avant d'hausser les épaules.

— C'est comme tu veux. Bon… Désolée de vous presser mais j'ai un vernissage à dix-sept heures donc je ne peux pas rester trop longtemps. Alors, ça ne vous embête pas si on commence directement ?

— Pas de soucis !

— Vous pourrez rester bien sûr, assure Haley avec un grand sourire. C'est une exposition très intéressante sur les années 2000 à 2020. Il y a eu plein d'avancées en termes de lois magiques notamment, ça pourrait t'être utile Juliet.

— C'est gentil, j'y assisterai avec plaisir, sourié-je.

— Juliet préfère quand c'est moi son prof particulier, nargue Adrian en revenant vers nous.

Son amie roule des yeux et décide de l'ignorer. Moi, je me retiens de pouffer de rire. Il faut vraiment que je me calme ! Je dois cesser de l'encourager avec ses blagues de beaufs !

— Merci Adrian pour cette intervention... Bon approchez, indique la brune en se plantant derrière son plan de travail où croulent une multitude de dossiers.

Elle s'empare d'une pile et l'ouvre en grand pour sortir un papier jaunit par le temps.

— Alors ça n'a pas été facile, continue la brune. Sachant qu'ils auraient pu partir s'exiler dans n'importe quel pays du monde… Mais en tout cas, ce document m'a donné une bonne piste.

Elle tend à Adrian et moi une attestation d'acte médical réalisé le 20 juillet 1981 à l'hôpital magique de Pentadragon.

Pentadragon ? demande Adrian en levant un sourcil.

— Australie, élucide Haley. L'acte chirurgical a été fait très tôt le matin.

— Et quel était-il ?

— Ablation du poignet, réponds-je en lisant le compte rendu sur le document.

— Le gauche, je suppose ? devine le grand brun.

— Ce n'est pas précisé, mais je suppose, oui, approuvé-je.

— Et quelques jours après, j'ai retrouvé ce document, continue Haley. Pour une implantation d'une prothèse magique en métal.

— Ça lui va bien, assure Adrian. De toute façon, il n'aurait pas eu la patience de trouver une solution similaire à Reg.

— Non et ils n'en avaient pas le temps…, soupiré-je. Voldemort se serait rendu compte assez rapidement de la supercherie s'ils n'avaient pas agi vite.

Haley mime une grimace puis passe à un autre document.

— Toujours à Pentadragon, le 15 février 1982 née la petite Cassia Mulciber, continue la brune en me tendant le document.

— Trois kilos deux, lit Adrian par-dessus mon épaule. C'est un beau bébé !

— J'aurais aimé être là avec elle et l'accompagner pendant tous ces mois, soufflé-je, le cœur lourd.

Ma gorge est serrée et je découvre avec un certain pincement les événements que ma meilleure amie a dû affronter seule. Si j'avais pu lui être d'un quelconque soutien, même à distance, je l'aurais fait. La question reste, comment ?

— Ensuite ça se complique pas mal et j'ai galéré pour la suite, continue Haley. Mais ce document m'a pas mal aidé.

Elle me tend une photographie datant de 1985. Dessus, des sorciers en tenue bleue, blanche et rouge s'alignent pour une photo de groupe. Je ne tarde pas à retrouver la chevelure blonde et bouclée de mon amie. Un sourire apparaît aussitôt sur mes lèvres. Juste derrière elle, un grand gabarit assure ses arrières : Gaige.

Ministère de la Magie de France, lisé-je avec un accent pitoyable. Promotion 1985. Ils sont devenus Aurors ?

— Marlene oui et Gaige, briseur de sort. Mais oui, ils travaillaient pour le service des Aurors français.

— Ils ont dû revenir en Europe après la première défaite de Voldemort, percute Adrian.

— Certainement. La même année, j'ai pu retrouver ce document, enchaîne Haley.

Je réceptionne le papier dans mes mains tremblantes. Je ne pourrais décrire mon état tant il est ambigu et controversé. D'un côté je suis tellement heureuse et de l'autre… J'ai envie de pleurer. Au même moment, je sens la paume chaude d'Adrian se déposer sur mon épaule. Implicitement, je comprends qu'il est là et qu'il ne me laissera pas m'effondrer. Je poursuis alors ma lecture.

— Le 23 décembre 1985, né à 8h12, Connor Mulciber, lisé-je à voix haute. Ils ont eu un deuxième enfant ?!

Haley acquiesce et m'adresse un grand sourire pour me mettre ensuite un autre document dans les mains. J'enchaîne aussitôt.

— 12 Juin 1987, Acte de mariage entre Marlene Parkers et Gaige Mulciber.

— Parkers ?

— Elle a dû prendre le nom de sa mère quand ils ont fui l'Angleterre. Les McKinnon étaient trop connus.

— Et Mulciber est un nom commun, résume Haley. Surtout en France. Ça a dû faciliter leur intégration. En tout cas, Cassia et Connor ont fait leurs études à Beauxbatons. Tout était normal jusqu'à…

— 1995 ? suggère Adrian.

— Exact. Cassia et Connor ne sont jamais retournés faire leur cinquième et deuxième année, complète Haley. Et à partir de cette année-là, j'ai perdu la trace.

La brune nous mime une grimace d'excuse. Mon regard larmoyant passe en revue les divers documents comme si j'espérais encore y trouver une réponse. Pourtant c'est tout ce qu'il y a.

— Tu n'as vraiment rien trouvé d'autre ? m'enquiers-je, la mine déçue. Même pas un acte de décès ?

— Non, malheureusement, s'excuse Haley. Mais j'ai retrouvé la trace d'un certain Garrett Mulciber. Ici même, à Londres.

— Je croyais que c'était un prénom commun ?

— Le grand-père s'appelle Connor Mulciber, ajoute la brune avec un sourire. Et il est français.

— Oh Merlin !

— Alors les Mulciber se sont multipliés comme des petits lapins et ont repeuplé la planète ? demande Adrian, amusé.

— Repeuplé, je ne dirai pas ça, pouffe Haley en roulant des yeux. Mais en tout cas, la génération a perduré. Et ce Garrett vit à Londres depuis peu. Il m'a légérement prise pour une folle quand j'ai mené mon interrogatoire et que j'ai posé des questions sur ses arrières-grands-parents mais en gros… Marlene et Gaige ont fini leur vie dans le sud de la France. Gaige est décédé le premier. Vers ses quatre-vingts ans, ce qui est relativement jeune pour un sorcier. Marlene en revanche, a dépassé les cent ans. C'était une dure à cuire…

— Oh oui !

— Elle est décédée l'année dernière, de vieillesse, complète Haley. Dans sa résidence, en France.

La sentence tombe. Je ne sais pas encore si je suis triste ou remplie de joie. Je crois qu'une partie de moi s'attendait à ce qu'elle soit encore en vie. Comme Gideon. Après tout, ce n'est pas étonnant pour des sorciers de vivre jusqu'à cent cinquante ans alors… Oui, je m'attendais vraiment à pouvoir la revoir.

— Le moins qu'on puisse dire c'est qu'elle a eu une belle vie, réconforte Adrian en passant une main autour de ma nuque.

Il m'attire vers moi et je me love dans ses bras, le cœur battant la chamade. Je ferme les yeux et enfonce ma tête dans son cou. Son doux parfum boisé m'enveloppe et m'apaise. Il aplatit un baiser sur le sommet de mon crâne avant de relever la tête vers Haley.

— Bon… Et bien merci Haley. Pour toutes ces recherches ! Tu as été hyper rapide, j'arrive pas à croire que tu aies fait ça en quelques jours à peine.

— Je m'y suis mise dès que tu me l'as demandé, le soir où tu es revenue. Ça m'occupait l'esprit, ce n'était pas plus mal, répond la jeune femme.

Je comprends implicitement qu'elle parle de la déchirure que sa rupture avec Aaron provoque en elle. En l'occurrence, elle ne peut s'empêcher de penser à lui et de ruminer. Faire ces recherches lui a permis de penser à autre chose mais je vois dans ses yeux combien il lui manque.

Je ne contrôle pas mon geste et ma main s'appuie sur son épaule, comme pour lui assurer mon soutien. Elle remonte les yeux vers moi et m'adresse un sourire.

— On y va ? enchaîne-t-elle. Lexie et Leigh doivent être arrivées !

Nous la suivons jusqu'au Hall du musée où sont déjà agglutinés beaucoup de sorciers. Leur nombre a triplé depuis notre arrivée. Haley nous guide à travers les passants et nous fait entrer dans une grande pièce circulaire, blanche et sans… Sans plafond ! Il paraît sans limite. Des étoiles scintillent de mille feux dans cet amas de clarté. J'ai l'impression d'être aux portes du paradis.

En vérité nous nous tenons devant l'aile Ouest du bâtiment qui va inaugurer son ouverture imminente. Une scène et un pupitre trônent au centre alors qu'une banderole rouge bloque le passage de l'entrée de l'exposition. Tous attendent et tendent le cou. La majorité des gens autour de nous sont sur leur trente-et-un et papotent avec animation, visiblement impatients de découvrir ce qu'il se trame de l'autre côté de la barrière.

— Tu vas devoir aller sur scène ? demandé-je, en voyant que Haley nous tire jusqu'aux premières loges.

— Oui mais je ne parlerai pas, ce sera la Directrice du musée, m'apprend la brune. Et le Ministre. D'ailleurs je dois vous laisser, je dois m'assurer qu'il est bien arrivé. Leigh et Lex doivent être dans le coin. Je vous fais confiance pour les retrouver ! À plus !

— À plus chaton, salue Adrian.

Il passe ses bras sur mes épaules et m'entraîne dans la foule. Mais je m'esquive de sa prise et lui adresse une mine contrariée.

— "Chaton" ?! halluciné-je.

Adrian explose de rire et me rapproche de force vers lui.

— T'es jalouuuuuse ? demande-t-il à mon oreille.

Je lui renvoie un regard noir et lui donne un coup de coude dans l'abdomen, bien que je ne sois pas sérieuse. Pas tout à fait en tout cas.

Il sursaute en riant avant de s'accrocher à ma queue de cheval et me tirer vers lui. Sa prise sur mes cheveux se renforce et je percute son buste. Il m'entoure de ses bras et nous force à continuer la marche entre la foule, comme si nous étions seuls.

— Alors ? Jalouse ?

— Non, nié-je avec orgueil. Simplement déçue. Je pensais que c'était juste moi chaton.

Il pouffe contre mon crâne avant d'y déposer un baiser. Son doux parfum boisé me percute et me berce. J'arrête alors de me débattre mais maintiens une certaine résistance contre lui. Hors de question de le laisser gagner rien que pour son odeur si envoutante.

Il nous entraîne en retrait de la foule et se plaque à mon dos, il plonge sa tête dans mon cou et m'entoure de ses bras. Ses poignets nervurés me maintiennent fermement contre lui et j'avoue avoir du mal à rester concentrée face à la pression de nos deux corps. Sa bouche s'aplatit contre ma peau et bientôt se sont ses dents qui s'y plantent. Je souris et tente de m'éloigner de lui.

— T'es nul, me débats-je. Tu peux pas tout négocier avec ton corps.

— Pourtant t'as pas l'air contre, grogne-t-il contre mes cheveux. Tu veux qu'on s'éclipse ?

— Non, je veux être le seul chaton, tempéré-je en le repoussant.

Il pouffe de rire en me tirant par le bras.

— C'est un surnom affectif comme un autre, se marre-t-il en roulant des yeux. Mais tu le sais que tu es le meilleur des chatons, pas vrai ? Le seul, l'unique.

— Moui… Vaguement. Je crois qu'il va falloir que tu me le rappelles, dis-je en feignant l'innocence. Parce que tu vois, j'en ai plus trop le souvenir, là maintenant ?

— Là maintenant ? s'amuse Adrian en étirant un sourcil en coin.

Je lui renvoie un air entendu et m'approche de lui, à pas de velours. Je fais glisser mes mains autour du col de son tee-shirt et trace avec délicatesse le contour de son plexus. Il incline la tête sur le côté et nous nous défions du regard, une flamme de désir reluisant dans nos iris.

C'est incroyable comme il me donne chaud, constamment, en un sourire, un regard, une caresse. C'est comme si mon corps attendait à chaque instant un effleurement de sa part pour s'embraser. Il déclenche une nuée de frissons en moi, qui s'étend de mon échine à mon bas-ventre. Au moment où je me tends sur la pointe des pieds pour rejoindre sa bouche, nous sommes bousculés.

— Hey !

— Bah alors les gars ! salue Leigh.

— Vous savez vous tenir dans un lieu public au moins ?! enchaîne Lexie, amusée.

— Putain, jamais là quand il faut, râle Adrian en les fusillant du regard.

Il se passe une main dans les cheveux avant de saluer ses cousines d'un check de la main. Moi, elles me serrent brièvement dans leurs bras avant de détourner le regard sur la scène.

— Il y a du monde aujourd'hui !

— C'est une exposition assez attendue.

— Génial… Et vous croyez que si on se casse, Haley ne remarquera rien ? suggère Adrian en passant son bras autour de mes épaules.

Je pouffe de rire, comprenant qu'il a définitivement les idées ailleurs. Est-ce de ma faute ? Très probablement. Est-ce que ça me flatte ? Carrément !

Et puis… L'histoire peut attendre, elle. Elle ne bougera pas, ne changera plus. Alors que lui. Moi. Nous… La vie est précieuse, il faut savoir saisir l'instant présent.

— Vous n'allez pas partir quand même ?! s'affole Lexie en écarquillant les yeux.

Adrian et moi échangeons un regard plutôt explicite.

— Hum… si. Peut-être bien, assure Adrian d'un air mystérieux.

— Mais vous ne pouvez pas faire ça à Haley ! Ça fait des mois qu'elle nous en parle ! rechigne Lexie en nous faisant les gros yeux.

— Ça ne va pas durer une éternité, rassure Leigh en nous adressant un clin d'œil complice.

Je prends alors mon mal en patience et glisse mon regard vers la scène. Dessus, je vois Haley en grande discussion avec une personne du Ministère. Puis une femme, une rousse juchée sur de vertigineux escarpins montre sur l'estrade et demande quelques informations à la brune. D'un commun accord, la rouquine s'avance derrière le pupitre. À sa fière allure, je devine qu'elle doit être la directrice du Musée.

Cette dernière ne tarde pas à enclencher le magicophone planté à ses pieds et tapote dans le micro pour tester le retour son. Instantanément, les discussions dans la salle se tarissent et tous les regards convergent vers elle.

— Bonjour Mesdames, Messieurs, se présente-t-elle. C'est avec un immense plaisir que nous vous accueillons aujourd'hui, au Musée de la Magie, pour l'inauguration d'une toute nouvelle exposition consacrée aux débuts des années 2000. Bon nombre de nos historiens ont travaillé nuit et jour ces derniers temps pour vous offrir une représentation la plus exacte possible. Personne n'ignore les grandes avancées politiques qui ont été établies à cette époque et qui érigent encore aujourd'hui nos lois magiques. Pour ses cinquante ans, nous avons donc décidé de les mettre à l'honneur, ici, dans ce temple de la culture.

La femme adresse un grand sourire à son assemblée et une vague d'applautissements s'élève. Elle poursuit alors.

— Avant d'entrer plus en détail, je laisse le soin à notre Ministre de la Magie, d'introduire ce nouveau projet ! enchaîne la rousse. Mesdames, Messieurs, Monsieur le Ministre de la Magie !

Les cris et hurlements de foule redoublent. Je tends le cou, impatiente de savoir et de voir à quoi ressemble mon nouveau chef d'Etat. D'après les descriptions que m'a donné Adrian, je m'attends à voir apparaître un petit homme replet et dégarni.

Pourtant, c'est une silhouette élancée et un sourire magnétique qui surgit sur la scène. Un sourire bien trop familier… Le même est dessiné sur le visage d'Adrian dont l'attention est entièrement braquée sur la scène.

Habillé d'un élégant costume sombre, Aaron serre chaleureusement la main de la Directrice du musée puis prend sa place, derrière le magicophone. Il mime une légère courbette pour saluer respectueusement le public puis se racle la gorge.

— Mesdames, Messieurs, bonjour, annonce-t-il calmement. Je suis Aaron Potter, représentant du Ministre de la Magie. C'est un réel plaisir de vous retrouver si nombreux aujourd'hui, surtout à l'occasion d'un événement tel que celui-ci.

Les applaudissements résonnent plus fortement encore et j'entends des murmures provenant d'attroupements de femmes. Comme son frère, Aaron suscite un réel intérêt auprès de la gente féminine et plus d'une se gausse sur leurs chaussures à talons pour mieux apercevoir et reluquer le spécimen.

— Qu'est-ce qu'Aaron fout ici ?! demande Lexie en tombant des nues.

— Il remplace le Ministre. Il n'a certainement pas pu venir, répond Leigh en haussant les épaules.

— Et c'est une très bonne chose, souffle Adrian en étirant un sourire satisfait.

— Tu y es pour quelque chose ?! percuté-je.

— Quoi ?! Moi ! Et comment ? Chaton je suis quelqu'un de connu mais quand même… Faut pas pousser le bouchon, se marre le brun en m'adressant un jeu de sourcil.

Ses cousines roulent des yeux, pas vraiment convaincues.

— Je le sens pas cette histoire, grimace Lexie.

— Mon cœur bat comme un dingue ! assure Leigh.

Je ne peux qu'approuver. Je suis persuadée que ce n'est pas un hasard si Aaron est ici. Je n'ai aucun mal à l'imaginer modifier l'emploi du temps du Ministre pour devoir le remplacer ici-même. Ses yeux verts sont braqués sur l'audience, qui reste pendue à ses lèvres, en tout habile orateur qu'il est.

— Il y a quelques mois de cela, reprend le grand brun dans son élégant costume, l'envie de retranscrire l'histoire à travers une exposition unique et nouvelle a émergé dans l'esprit de ces passionnés.

Il se tourne vers l'équipe du Musée de la magie et Haley, plantée aux côtés de la Directrice, avale de travers. Elle est pâle comme un linge et ses lèvres ne sont plus qu'une ligne mince. Je jurerais presque voir une goutte perler le long de ses tempes tant elle est paralysée.

— L'Histoire, reprend-t-il, est notre point d'ancrage. Elle détermine qui nous sommes aujourd'hui. Elle marque des fondements, des bases et chaque jour qui passe, nous ne faisons qu'ajouter une ligne supplémentaire à l'Histoire. L'histoire de la vie, l'histoire des sorciers de ce monde. Elle nous porte, elle nous guide, elle nous forme. À travers elle, nous continuons de vivre. Sauf que parfois, l'Histoire, ou le passé, nous poussent à faire des erreurs.

— Oh bordel de Scroutts à pétard, jure Lexie en écarquillant les yeux.

Leigh et Lexie se tiennent la main, comme si elles avaient besoin l'une de l'autre pour se soutenir face au discours du brun. Moi j'échange un regard avec Adrian, qui se permet d'esquisser un simple sourire en coin.

— Allez champion, encourage-t-il tout doucement, pour que je sois la seule à l'entendre.

Pourtant je suis à peu près certaine qu'il a également crié cela dans la tête de son frère puisque ce dernier se racle la gorge, expire, puis bombe le torse.

— Je ne dis pas qu'il faut rejeter la faute sur l'Histoire pour assumer ses erreurs, dit Aaron. Je dis simplement qu'elle nous a façonné mais qu'elle ne nous a pas préparés à l'imprévisible. C'est cet imprévisible qui marque le temps.

Aaron se tourne directement vers Haley et je la devine sur le point de s'effondrer.

— J'ai pas su gérer l'imprévisible, annonce brutalement le jeune homme. Je ne m'étais pas préparé à ce que tu débarques dans ma vie si bien ordonnée, si bien rangée, si parfaite en apparence. Je ne m'attendais pas à tomber fou amoureux de toi, à découvrir une personnalité aussi unique que la tienne, ni même à plonger dans toute cette histoire avec… impulsivité. Pourtant, c'est ce qu'il m'arrive maintenant à chaque fois que je te vois. L'impulsivité. Je ne réfléchit plus quand je croise ton regard. Je me laisse complètement aller parce que tu réveilles tant de choses en moi, que je ne peux pas lutter contre mon subconscient. Tu me fais passer de la joie à la colère en un instant. De la tendresse à la brutalité. De l'apaisement à la peur. Peur de te perdre, peur de plein de trucs. Pour un homme aussi ordonné que moi, c'est inhabituel de ressentir toutes ces choses. Je n'ai pas l'habitude d'envoyer valser toutes mes retenues et de partir comme ça, à la dérive. J'ai l'impression d'être le cerf-volant dont tu détiens la corde. Sauf qu'un jour, le vent a soufflé trop fort et je suis parti. Tu as dû lâcher la corde, parce que je me suis comporté comme un connard. Parce que j'ai eu tort.

Personne n'ose faire un bruit dans la pièce. Tous comprennent que Aaron ne parle plus de l'exposition mais qu'il s'adresse directement à la belle brune, dressée en retrait sur la scène, avec des joues incroyablement rouges. La Directrice à côté d'elle semble s'agacer. Elle s'apprête à intervenir quand Aaron l'arrête d'un signe de la main.

— Je n'ai pas fini ! lance-t-il, d'un ton paniqué. Désolé de m'afficher comme ça mais je n'avais pas le choix. Je ne trouvais pas d'autre façon pour te dire que je t'aime, que tu m'obsèdes et que je veux te retrouver. Je veux me faire pardonner. Je veux te prouver que je peux te rendre heureuse, Haley.

— Oh putain de Merlin, souffle Lexie.

— Il est fou !

Moi, un grand sourire niais et admiratif est logé sur mes lèvres. Les mecs Potter sont carrément des cinglés mais qu'est-ce qu'ils sont touchants !

Haley hyperventile et sa manager perd patience.

— Merci Monsieur Potter pour cette entrée en matière ! annonce la grande rousse en le chassant presque du pupitre. Nous allons à présent passer au dévoilement de cette exposition tant attendue…

Sa main s'enfonce dans l'épaule d'Aaron et elle lui jette un regard assassin qui lui fait comprendre que c'est le moment de déguerpir. Le jeune homme ne se fait pas prier et s'avance vers la sortie de scène, droit vers Haley.

Au moment où la Directrice du Musée reprend la parole, sa jeune conservatrice d'art se jette au cou d'Aaron. Dans un même élan passionné, leurs bouches se plaquent férocement l'une à l'autre et une salve d'applaudissements explose aussitôt dans toute la salle.

— OUUUUUAAAIS !

— BRAVO AARON !

J'éclate de rire, encore abasourdie par toute cette mise en scène. Leigh, Adrian et Lexie exultent de joie. Ils sifflent les deux amoureux et les encouragent.

La rousse à qui on a volé la vedette roule des yeux et secoue la tête de mécontentement. Le couple se presse l'un contre l'autre, se caressent et s'embrassent comme s'il n'y avait plus personne. Bon et bien je crois que c'est une fière réussite pour Aaron !

Pourtant, Haley et lui sont très vite chassés par deux vigiles qui arrivent sur le plateau, montés à bloc. Avant qu'ils ne parviennent à leurs mettre la main dessus, Aaron attrape la main d'Haley et saute de scène, elle sur ses talons. Elle atterrit dans ses bras dans un rire sonore, la foule s'écarte, amusée, et ils détalent à toute vitesse vers la sortie.

— Bon bah je crois que la cérémonie d'ouverture attendra, pouffe Adrian.

— Du coup le plan machiavélique que vous voulez infliger à Aaron tombe à l'eau ? me moqué-je en agitant ma coupe de champagne.

La brune et la blonde roulent des yeux, encore surprises. Aaron et Haley, eux, ont disparu, Merlin seul sait où et la Directrice tente de rediriger l'attention du public vers elle.

Beaucoup trop amusés et exaltés par cette déclaration d'amour, nous partons à notre tour et allons nous poser au pub de la rue d'en face.

Je n'en reviens toujours pas ! J'espère qu'ils n'auront pas d'ennuis vis-à-vis de leur job respectif…

Mes nouvelles amies, Adrian et moi, trinquons à la santé de ces deux amants euphoriques. Un grand sourire illumine mon visage car je sais, au fond de moi, qu'ici est ma place. Dans cette Histoire.

Dans cette famille de fous.