Deux heures et quatorze minutes.

Brillant de cette lumière verte artificielle, les chiffres affichés sur cette espèce de boîte noire en – qu'est-ce que c'était déjà, que ce matériau dont les Moldus raffolaient et qu'ils mettaient de partout ? Ah ! oui, du plastique – plastique lui brûlèrent rapidement les yeux.

Il ne pouvait plus dormir. Il n'avait sombré dans le sommeil qu'une poignée d'heures, mais son cerveau ne semblait pas vouloir de repos – au contraire, ses méninges s'acharnaient, incessantes, et il lui était impossible de trouver la paix.

En étant le plus discret possible, il sortit de son lit, posa ses pieds doucement sur le parquet aux planches grinçantes, enfila son pull, enroula une écharpe qui se trouvait là – d'un goût vestimentaire douteux, mais il avait fait la terrible erreur de ne pas prendre la sienne avec lui lors de leur évasion du château. Il décida que prendre l'air lui ferait du bien. Plus tôt dans la soirée, Weasley avait parlé de toutes ces fois où lui et ses frères et sœur passaient leur soirée sur le toit de la maison pour regarder les étoiles – et Draco avait très envie de s'y faufiler à son tour. Après avoir monté une floppée d'escaliers tordus, et grimacé dès qu'un grincement se faisait entendre, surtout au cinquième étage, devant la porte de la chambre de Ron et Hermione, il finit par arriver devant la petite échelle faite de barreaux de métal rouillé, se trouvant juste à côté de l'accès aux combles.

Il s'installa vers le milieu, ajustant sa position pour limiter l'inconfort et être suffisamment en équilibre pour ne pas risquer de tomber – il réussit en calant son dos contre une des multiples cheminées, et ses talons dans l'interstice entre les tuiles.

Et quelle douceur que celle de la nuit.

Sentir le vent nocturne sur sa peau. Un silence tel qu'on aurait pu croire qu'une chape de plomb était tombée sur les lieux. Rien ne bougeait. Rien n'effleurait ses tympans, si ce n'était le bruit d'un oiseau nocturne qui prenait son envol, ou le doux son d'un poème inachevé, qui s'écorchait les ailes en rejoignant les étoiles – peut-être une bribe échappée de ses rêves oubliés.

Draco se sentait vivre.

C'était une sensation encore peu familière, comme s'il avait pris conscience seulement très récemment qu'il avait passé une bonne partie de son existence à demi-mort.

C'était la nuit qu'il se sentait le plus en vie. Il se rappelait alors brusquement – et cela le transcendait littéralement – qu'il était un être vivant, aussi vivant que les arbres qui s'entrelaçaient dans une danse indescriptible, aussi vivant que les oiseaux qui parcouraient les cieux et se laissaient porter par les vents, aussi vivant que les roses parfumées d'un jardin, aussi vivant que le chat errant qu'il avait aperçu ce matin, aussi vivant que tous les autres. Tous les autres. Ceux et celles qu'il affectionnait, ceux et celles qui lui donnaient cette impression profonde, et non de surface, qu'il était quelqu'un. Qu'il importait. Ce n'était pas son nom qui importait, c'était lui. Être vivant, c'était un peu fou.

Il aimait la nuit, et cette impression que le monde était immobile. Les constellations étaient difficiles à distinguer car la lune brillait d'une clarté argentée. Nitescence. Beauté inénarrable. Peut-être était-elle plus belle que tout. Il se sentait ancré au sol lorsqu'il la contemplait, extraordinaire de simplicité et mélancolie, une petite éternité faite de débris. Il avait beau avoir étudié l'astronomie à Poudlard, rien n'était comparable à la pure et simple vision du ciel étoilé et de la lune. Se rendre compte que quoi qu'il arrivât, il ne serait jamais rien de plus qu'un petit humain sur une petite planète dans un petit système solaire, perdu au milieu d'une galaxie, perdue au milieu de milliards d'autres galaxies, dans le cosmos. Et pourtant, quand on était là, en bas, sur cette Terre, cette lune était bien belle, les étoiles étaient des astres peut-être morts à des milliers d'années-lumière de lui, et tout cela résonnait en écho dans son cœur comme une symphonie.

Et puis, un son de fenêtre qui s'entrebâille.

La paroi de verre qui encerclait Draco dans une bulle flottant au-dessus de la réalité se fendilla – bruit de pas, frémissement, respiration – puis éclata en mille morceaux tranchants. Draco n'avait pas besoin de se tourner pour savoir – il savait. Pas besoin de regarder. Toutes les parcelles de son être savaient, sans aucun doute. Il n'y avait qu'une seule personne. Une seule personne dont la simple présence hérissait ses poils et le faisait frissonner.

C'était la somme d'années et d'années d'observation lointaine, d'intériorisation inconsciente du rythme des pas, de l'aura de son corps dans une pièce, du magnétisme de ses prunelles, de la forme de sa silhouette – il pouvait la voir dans l'obscurité la plus totale.

S'asseyant à ses côtés, le brun ne dit rien. Mais, il n'avait besoin de rien dire.

Draco essayait de ne pas oublier de respirer. Le silence n'avait pas besoin de mot pour être brisé. Il y avait autre chose. Un surplus d'âme, un débordement. Une vague qui déferle. Quelque chose en plus qui fissurait les masques d'acier et les armures de fer. Quelque chose de plus, qui était ineffable. Cela n'avait pas de nom – et paradoxalement, cela en avait un. Un nom très simple, presque oublié, presque inexistant, un mot qui en était en fait deux. Peur peur peur peur peur. Le sang qui coulait dans ses veines était fait d'argent et de fragments de porcelaine.

Qui es-tu et qui suis-je ?

J'ai peur, j'ai peur, pensait-il. J'ai l'impression d'être en train de perdre l'équilibre au-dessus d'un gouffre sans fond.

Il ferma les paupières, fort, très fort, s'immergeant dans le noir de son esprit – y avait-il seulement plus noir ? Il ferma les paupières, essayant de calmer la terreur qui lui embrasait les entrailles. Il avait l'impression d'être en danger de mort. Il craignait de s'écrouler, de partir en fumée au moindre mouvement. Pourquoi aimer était-il si proche de mourir ?

Il perçut le changement, dans l'air, dans l'épaisseur de l'obscurité, dans son souffle.

Ouvrir les paupières. La lune était-elle plus belle que tout, en fin de compte ?

Portant une main à sa poitrine, il vérifia que son cœur était bien là, et que ce n'était pas un tambour allégorique, battant un rythme effréné, qui lui meurtrissait la cage thoracique – c'était bien un tambour, mais fort, puissant, tangible. Ses doigts tremblaient. Draco se força à se tourner, très lentement, vers celui qui demeurait muet et stoïque près de lui. La chaleur irradiait de son corps – serait-il réellement un astre, après tout ? – malgré la finesse de son pull. Harry était aussi sombre que la nuit qui l'entourait, et seuls ses yeux ressortaient parmi les ténèbres. Seules ses prunelles étincelaient, et Draco les maudit une seconde de le transpercer d'une façon si terrible. Il avait l'impression que ce jeune homme qui lui faisait face ne pouvait être autre qu'un rêve, qu'une illusion. Ce jeune homme qui habitait ses pensées depuis un laps de temps inconcevable ne pouvait être réel. Le blond tendit le bras, et sursauta presque en rencontrant celui de Potter. Il était là, pour de vrai. Palpable. Incontestablement là. Il n'était pas un être onirique venu pour se rire de lui. Chaud, brûlant, solaire.

Leurs visages de faisaient face, et Draco réalisa subitement à quel point ils étaient proches. Il avait envie de se laisser emporter, se laisser engloutir, et d'emmener ce magnifique jeune homme avec lui.

Harry s'approcha de quelques centimètres, ils n'étaient qu'à un souffle et demi de distance – Draco comprit, inconsciemment, que la dentelle de néant qui les entourait allait se rompre. Il était déchiré entre l'envie de l'en empêcher, de l'empêcher de briser la paroi de verre qui les maintenait hors du temps, parce que cette paroi les protéger du reste du monde et que le reste du monde était dur et chaotique et plein de tristesse et de mort, et par Merlin, il n'en pouvait plus du chaos et de la tristesse et de la mort, et le désir infini de laisser la délicatesse de ses yeux le noyer intégralement.

Il n'esquissa pas le moindre geste.

- Draco, dit le brun en un murmure.

Murmure qui n'était en réalité qu'une bribe de vent perdue dans l'univers. Murmure qui se muait en vérité, en évidence, en une chute inexorable. Murmure, si infime, qui voulait tout dire.

Il se pencha, irrésistiblement. Respirait-il ? Il ne s'en rappelait plus. Il se pencha encore.

Sa bouche, sa mâchoire, son menton, ses joues, sa peau à la couleur indescriptible, un peu ombre, un peu lumière, comme lui, comme eux, ses cils, ses prunelles, ses mains, son cou, ses grains de beauté qui formaient des dessins invisibles comme des astérismes, son souffle. Souffle qu'il sentait caresser son propre visage, s'écraser contre lui comme s'écraserait une vague contre une falaise lors d'une tempête. Harry, tu es pire qu'une tempête.

Peut-être qu'une seule seconde s'était écoulée, il n'en savait rien, peut-être qu'une heure était passée.

- Harry.

Quelque chose devait bien exister au-delà de ce toit aux tuiles branlantes, quelque chose devait bien exister au-delà de ce garçon, au-delà d'eux deux – mais si c'était le cas, il ne s'en rappelait plus. A cet instant, il ne se rappelait plus de rien. si ce n'était le prénom de ce garçon aux yeux vert. Son prénom, et qu'il était étrange et étrangement beau de l'entendre résonner dans cet océan silencieux de nuit, aux côtés du sien, comme des odes nocturnes, comme si c'était là leur place. Dans le silence, dans la nuit, sous la lune.

Leurs lèvres se frôlèrent d'abord avec une douceur indicible, avant de se transformer en un baiser – celui auquel Draco avait tant songé – comme la fin tant attendue d'un baiser inachevé, qui remplaçait au centuple toute parole vide de sens.

Ils s'embrassèrent maladroitement, l'esprit si engourdi par la sensation qu'il avait du mal à savoir ce qu'il faisait. Il était malhabile, incertain de ses mouvements, incertain de la caresse de sa bouche, incertain, frémissant, malhabile. Leurs lèvres se touchèrent de nouveau, encore, Draco se sentait gauche, il hésitait à bouger, à rapprocher leurs corps, leurs visages, à intensifier le contact – il perdait la tête en sentant la respiration de Harry, il perdait la tête en sentant sa bouche contre la sienne, ses lèvres douces et écorchées et parfaites. Son cœur était totalement à la dérive. Lorsque leur baiser se fit moins timoré, qu'il sentit un feu se propager de sa poitrine vers toutes les extrémités de son corps, il osa s'agripper plus fermement au bras qu'il touchait seulement jusqu'alors, avancer avec hésitation sa seconde main vers le torse de Harry... Et puis il cessa d'hésiter lorsque le brun l'attira plus proche de lui, son bras droit se glissant dans son bas du dos ; Draco cessa d'hésiter et posa sa main derrière la nuque de Harry, s'y cramponnant, s'y accrochant, pour approfondir leur étreinte.

C'était la nuit. La lune brillait.

okAY

aLORS

je sais pas du tout si c'est à ça que vous vous attendiez ou pas, je sais pas non plus si ça répond un peu à vos envies ou pas. en tout cas c'est un moment que j'ai imaginé dès mai dernier, et que j'ai commencé à écrire bien avant d'en être là dans l'histoire, donc c'était un peu hors contexte de base..

après tant de slowburn c'était un peu difficile, et c'est peut-être un peu trop métaphorique et pas assez concret, mais je suis assez mauvaise pour écrire du contact physique mdr (je suis trop timide ça me fait rougir)

bref, dites-moi ce que vous en avez pensé! j'espère que ça ne vous a pas trop déç .

merci à de continuer à lire et suivre un jour!

love. 3