Juliet
1 an plus tard
Je suis étendue sur le lit depuis deux bonnes heures, le nez plongé dans mes livres de médicomagie. Autour de moi, je perçois le rythme incessant des basses qui tapent et qui résonnent dans toute la maison mais ce n'est pas suffisant pour me déconcentrer de ma lecture.
Avide et vorace de savoir, mes doigts tournent une à une les pages d'un manuel consacré aux corps humain que j'ai reçu ce matin par hibou express. Ma rentrée en tant que jeune interne de l'hôpital de Saint Mangouste est prévue pour la fin de la semaine et je crève d'impatience et d'excitation.
Pourtant, je n'ai pas du tout l'impression d'être prête. C'est vrai quoi… Ma chambre donne sur le bord de mer, il fait trente degrés, je suis affalée en bikini fluo sur le lit, mon bronzage jure avec la parure crème et une Margarita dont les glaçons ont complètement fondu est posée sur la table de nuit.
On a connu mieux comme ambiance studieuse ! D'autant plus qu'Adrian a mis la musique à fond dans la maison et que je l'entends lui et ses amis, rire, danser et plonger dans la piscine comme un troupeau d'éléphants. Peut-être que j'irai les rejoindre après… Je veux d'abord finir ce chapitre sur le cœur humain.
Après avoir arpenté l'Asie et l'Océanie pendant de longs mois, voilà que nous avons élu domicile dans ce petit coin de paradis, non loin de Rio de Janeiro. Cela fait déjà quatre mois que Adrian et moi louons cette maison, en bord de mer et je dois dire que jamais je ne me lasserai de ce paysage à couper le souffle. Je n'ai qu'à lever les yeux de mon bouquin pour observer le ressac, le ponton et l'eau turquoise.
Des couleurs chatoyantes qui me manqueront une fois que nous serons retournés vivre à Londres, dès demain.
Je me suis levée très tôt ce matin, comme si je voulais encore profiter un maximum de ces derniers instants. Des instants de notre escapade absolument vitale mais aussi pleine de découvertes et qui n'a cessé de nous rapprocher plus encore, Adrian et moi. Comme si c'était encore possible…
Notre tour du monde a permis de nous relâcher, de nous retrouver, de se confirmer qu'on ne se lâcherait plus mais aussi de nous intégrer peu à peu à cette nouvelle vie. À ces quatre-vingts ans d'histoire qui ont défilé à la vitesse de la lumière. C'était une pause indispensable qui nous a fait un bien fou et qui nous a permis de prendre le temps nécessaire pour définir qui nous étions vraiment et ce que nous voulions.
Pour ma part, c'est très simple, je veux être médicomage. Ce constat était déjà fortement ancré dans mes volontés mais il n'a fait que se confirmer au cours de notre voyage à travers le monde. Surtout lorsque nous étions en Asie et que j'ai appris avec fascination les différentes méthodes de guérison qui existent dans ces vastes contrées magiques.
Suite à cela, il y a quatre mois, j'ai passé les concours d'admission à l'école de médicomagie - sur un coup de tête. Force est de constater que mon dossier a suscité l'intérêt tout particulier de l'académie de santé de Londres. Trois mois après, j'ai reçu mes nouvelles plaques, avec mon nom gravé dessus et un traceur qui me bipera dès que je serai d'astreinte.
En somme, de nouvelles responsabilités m'attendent.
Si virevolter et vivre d'amour et d'eau fraîche pendant l'année entière qui s'est écoulée était semblable à un rêve éveillé, j'ai très vite retrouvé la volonté de me rendre réellement utile. Et de renouer avec un quotidien dans ma ville de cœur : Londres.
Je sais ! Il n'y a pas autant de soleil, de mer, de plage et de corps bronzés et dansants qu'à Rio mais… Je ne peux pas me l'expliquer. Mon âme est rattachée à cette ville. Mon désir d'y retourner vivre s'est très vite fait ressentir et Adrian a accordé mon souhait les yeux fermés.
Et c'est carrément le cas de le dire car de son côté, c'est plus compliqué. Juste avant que nous partions, il a essuyé un échec cuisant au concours de professeurs qu'il avait passé lorsqu'il avait remonté le temps seul. Depuis, il ne m'a pas une seule fois reparlé de sa volonté de devenir prof de nouveau. Ni même de retenter le concours.
Je crois… qu'il n'est pas encore prêt à rentrer. Contrairement à moi.
Faire la fête, animer des soirées sans fin avec ses amis qu'il a invité pour les vacances et me faire plaisir semble être son seul passe-temps favori. Ce qui est un véritable gâchis selon moi. Avec des pouvoirs tels que les siens, il pourrait conquérir le monde.
Depuis que nous sommes arrivés ici, au XXIème siècle, je n'ai cessé de m'ouvrir au monde et de m'épanouir. Pour Adrian, c'est bien différent. Il est borné et érige une barrière mentale qui l'empêche de s'avouer totalement à sa place.
Quand nous vadrouillons d'un pays à l'autre, quand nous découvrons d'autres cultures, profitons, vivons, célébrons, il est bel et bien l'Adrian que j'ai toujours connu. Mais dès qu'il s'agit de parler d'avenir et d'occupation professionnelle, il se braque et se retranche dans le mutisme et la mauvaise humeur.
Alors j'arrête de le harceler avec ça. Si j'ai bien appris quelque chose de cette nouvelle époque, c'est que nous ne sommes pas tous faits pour suivre le chemin « naturel » que la société nous dicte de faire. Adrian fait définitivement partie de cette trempe, de celle qui s'ennuie à faire comme tout le monde. Il est comme un papillon, qui survole là où ça lui chante, quand ça lui chante. Et je respecte totalement son choix.
Moi j'ai besoin de me sentir utile. Lui, a besoin de se sentir libre.
Grâce à nos économies respectives, nous avons pu nous offrir pendant un an cette "liberté". Mais nos réserves ne sont pas illimitées et retourner à la vie normale me paraît donc être nécessaire pour la suite. La suite de notre vie.
La porte de la chambre s'ouvre en grand et je sursaute. La musique perce ma quiétude et Adrian pousse un cri surexcité. Torse incroyablement bronzé (et musclé), lunettes fluos sur le nez, short de bain bleu électrique et bière dans les mains, il m'adresse un sourire ravageur qui me fait pouffer de rire.
— Chatoooon ! scande-t-il. Vire-moi ce bouquin et viens te foutre à l'eau ! Tout le monde t'attend.
Il boit au goulot sa bouteille et descend une longue gorgée fraîche avant de se planter devant moi.
— Mais je…
— Pas d'excuses ! C'est notre dernière journée ici. Demain on rend les clés. Tu auras tout le temps d'éplucher tes ouvrages d'apprentie guérisseuse une fois rentrés à Londres.
— Pour ma défense, c'était hyper intéressant, argumenté-je. Est-ce que tu savais que notre sang regorge de pas moins de 0,2 mg d'or !
— Ah ouais ? Ça doit être pour ça que les gens disent de moi que je suis un mec en or, réplique-t-il en plissant les yeux, comme pour réfléchir.
Je roule des yeux et pouffe de rire. Pourtant Adrian ne me laisse pas le temps de surenchérir qu'il grimpe sur le lit et arrache mon livre des mains. Il le referme soigneusement et l'ajoute sur la pile avant de retirer ses lunettes de soleil. Son regard gris se rive au mien et il m'encadre la tête de ses puissants avant-bras. Sa peau sent un mélange de tequila, de citron, de crème solaire et de sel marin. Ma bouche devient sèche et je n'ose plus bouger.
— Ça te dit une p'tite interro surprise ? gronde-t-il en plongeant sa tête dans mon cou.
Ses dents se plantent dans ma peau et je sursaute. Un grand sourire s'étire sur mes lèvres. Instinctivement, mes mains cherchent à tâtons ma baguette magique posée sur le matelas. Dès que je l'agrippe, je ferme la porte de la chambre, craignant qu'un de nos amis passe par là. Ne sait-on jamais…
La morsure d'Adrian se transforme en baiser. J'expire bruyamment et ferme les yeux tout en plongeant mes doigts dans ses mèches rebelles.
— Tout dépend des questions, murmuré-je en étirant un sourire polisson.
— Première question : qu'est-ce qui est gros et dur ? étouffe-t-il dans mon cou.
Je pouffe de rire et au même moment, il tire sur la ficelle de mon bikini pour libérer mes seins. Une vague de chaleur insoutenable se répand dans mon corps et je me cambre instinctivement sous lui.
— Tu savais que certains individus ont le cerveau situé en-dessous de la ceinture ? répliqué-je.
— Hum… C'est une prédisposition plutôt remarquable, jubile-t-il en léchant éhontément ma gorge. Je suis persuadé que ces personnes sont très douées pour faire jouir les brunettes au p'tit cul bien fait.
Il accompagne sa parole en me claquant les fesses. Je sursaute en riant, mais lui n'a en rien l'air d'être amusé. Une flamme de désir brûle dans ses iris et je me retrouve toute pantelante sous lui.
— Il fait chaud ici, l'informé-je. Peut-être qu'on devrait aller à la piscine ?
— La piscine viendra à nous, m'informe Adrian en plongeant ses mains entre mes cuisses.
Ahah… Très drôle ! Et toujours aussi subtil… Qu'on m'achève bordel de Merlin !
Je tressaille et ferme les yeux. Sa main brûlante se pose sur le bas de mon maillot de bain et caresse lascivement l'intérieur de mes jambes. Puis, il se redresse sur un coude et approche sa bouteille de bière vers ma bouche. Je réceptionne la boisson glacée dans mon gosier qui déborde et goutte le long de mon cou. Dans ce tableau incroyablement érotique, Adrian, assoiffé, plonge et récupère le surplus en me suçant la peau.
— Hum, grogné-je, gagnée par le désir.
— Alors chaton, dis-moi tout. Qu'est-ce que t'as appris d'intéressant ? continue le brun.
Cette fois-ci, il incline sa bière au-dessus de mon thorax et déverse un mince filet sur mon corps. Au contact de sa fraîcheur sur ma peau brûlante, une nuée de frissons se répand sur mes avant-bras.
La boisson alcoolisée file le long de mes seins et s'agglutine en une grosse goutte humide sur le bout de mes tétons, devenus incroyablement durs et excités. Sans perdre une minute, la bouche d'Adrian fonce sur ma poitrine et il s'abreuve en me léchant le mamelon.
L'intérieur de mes cuisses frémit et je gémis de bonheur. Putain ! Je me laisse tomber sur les coudes et laisse mon fiancé me dispenser ses meilleurs coups de langue. Il verse à nouveau de la bière sur mon ventre, qui forme un puits au niveau de mon nombril. Il aspire le tout, passant sa langue chaude et humide sur mon abdomen pour revenir prendre mes seins à pleine bouche.
— J'ai appris, commencé-je d'une voix rouillée, mes mains plongées entre ses mèches. J'ai appris que l'orgasme féminin durait trois fois plus longtemps que l'orgasme masculin… Oh !
Ses dents viennent de se refermer sur la peau de mon ventre.
— P'tite veinarde…
Il descend encore, tire la ficelle de mon bas de maillot de bain et je me retrouve alors complètement nue sur le lit. Le souffle d'Adrian est bruyant et irrégulier. Le mien aussi. Pantelante, je descends un regard en biais sur lui.
Les muscles de son dos roulent à mesure qu'il descend sur moi. Je frémis et me mords la lèvre.
Lorsqu'il fait glisser quelques gouttes de sa boisson fraîche sur ma féminité, je m'accroche aux draps. Ses doigts habiles viennent écarter mes chairs et sa bouche se plaque à mon clitoris qu'il se met à aspirer. Il avale goulûment ma candeur et sa boisson, ce qui m'électrise de la tête au pied. Je ne retiens pas mon gémissement exalté alors que je suis à la fois glacée et ébouillantée.
— Putain, soufflé-je, le cœur battant à mille à l'heure.
— Hum, grogne Adrian, visiblement affamé de la sapidité de mon corps. Et ensuite ?
— Ensuite ? Tu veux que je te dise quoi faire ?
— Non, contredit-il en roulant des yeux. Je sais exactement quoi faire. Je parlais de la suite de ton approfondissement...
Il mime son geste en me mettant un doigt. Je m'accroche aux draps, prise d'un plaisir ineffable. Je lutte pour ne pas couiner tant il est fort.
— Ton approfondissement sur l'anatomie, reprend le brun avec un sourire machiavélique.
J'inspire et expire bruyamment et ferme les yeux. Focus Juliet. Focus. De quoi parlait ton fichu bouquin déjà ?!
— Oh… Et bien, j'ai découvert qu'il existait un moyen pour que l'orgasme masculin soit aussi fort que le féminin, continué-je.
Adrian arque un sourcil et m'adresse un regard lubrique et curieux. Il continue de me prendre à pleine bouche, sa langue passant encore et encore dans mes recoins les plus retirés. Tendue à l'extrême, je me cambre sous ses assauts furieux. Je gémis et tremble de plaisir, pantelante.
— Intéressant, souffle le brun en revenant vers moi.
Sa bouche s'empare férocement de la mienne et je m'accroche aussitôt à ses mèches. J'approfondis le baiser en venant caresser sa langue contre la mienne. Excitée comme jamais, je replie mes jambes autour de ses hanches tout en tirant son short de bain vers le bas. Je le veux nu et maintenant ! Plus que jamais.
— Tu veux pratiquer ? m'interroge mon fiancé en étirant un sourire retors.
— Pourquoi pas… T'as déjà entendu parler du point P ? suggéré-je, mi-moqueuse mi-sérieuse.
Adrian hausse les sourcils, surpris, mais ne se dérobe pas. Il me contemple quelques instants avant de foncer à nouveau vers ma bouche pour m'embrasser comme un affamé.
— Je suis prêt à tout tester avec toi, tu le sais.
Au moment où ma main caresse longuement sa fesse douce et musclée, la porte de la chambre s'ouvre à la volée et je pousse un cri effrayé.
— Ah !
— Putain ! jure Adrian en serrant les dents.
— Encore ?! rugit Lexie, les yeux exorbités. Bordel vous êtes incapables de vous tenir !
— Qu'est-ce qui se passe ?! demande au loin la voix de Leigh.
— Est-ce que c'est trop demander de fermer cette putain de porte ?! vocifère Adrian, toujours nu sur moi.
J'épargne la vue de la blonde sur le corps d'Adrian en le recouvrant de mes jambes enroulées autour de lui. Pourtant, sous lui, je suis mortifiée et incapable de réagir.
— Y'a un truc grave ? s'enquit Haley qui monte les escaliers.
— Ils sont juste en train de baiser. Encore, répond Lexie en roulant des yeux. On vous attend en bas ! Dépêchez-vous !
— Lex, bordel, j'te jure que je vais te dégommer si tu fermes pas la porte dans la seconde, menace Adrian, toujours sur moi pour couvrir ma nudité.
VLAN !
La porte se referme enfin sur nous et je pousse un soupir de soulagement. Malheureusement la magie de l'instant est brisée...
Adrian jure, les dents serrées et se relève pour me libérer de notre position. Il se passe une main dans les cheveux et boit une longue gorgée de sa bière.
— C'était moins une, souffle-t-il.
— Oh un peu plus quand même, ne te crois pas si bien doté, taquiné-je.
Le brun s'esclaffe de rire et me regarde avec stupéfaction.
— Ok, je vais faire comme si tu n'avais pas blessé mon égo, Thorn, mime-t-il en portant sa main au cœur.
— Thorn ? m'étonné-je avec un sourire tout en ré-enfilant mon maillot de bain. Ça faisait longtemps que tu ne m'avais pas appelé comme ça.
— J'en profite tant que je le peux, susurre-t-il en venant écraser un baiser brûlant sous mon oreille.
Je roule des yeux face à ses belles paroles et le repousse en lui donnant un coup d'épaule. Je m'extirpe du lit et lui renvoie un regard lourd de reproches.
— Quoiiii ? s'étonne-t-il.
— T'es nul et tu le sais ! grondé-je en nouant le bas de mon bikini sur mes hanches.
Hanches d'ailleurs bien plus rondes qu'il y a un an. Eh oui… Merci les Margarita et la guacamole ! J'ai pris pas loin de huit kilos en quelques mois. Ce qui n'est pas pour m'en déplaire ; il y a un an j'étais sous-alimentée tant j'étais angoissée. Aujourd'hui… Fini les tracas et bonjour la bonne bouffe !
Adrian lui, pouffe de rire et m'imite en se rhabillant. Il replace ses lunettes de soleil sur son nez et se relève du lit pour me surplomber de toute sa hauteur, un sourire chafouin sur les lèvres.
— Moi ? Nul ? s'assure-t-il en levant un sourcil.
— Tu sais très bien de quoi je parle.
— Tu as dit "oui" mais tu n'as pas dit "quand" ! fanfaronne-t-il.
Voilà plus d'un an qu'il m'a demandé de l'épouser et nous en sommes toujours au même stade.
— Ta pâquerette en guise de bague, je l'attends toujours, d'ailleurs, rappellé-je. Enfin non… Je n'attends plus rien puisque ta demande est venue à expiration.
— À expiration ?! Carrément ? s'amuse Adrian en éclatant de rire.
Il s'apprête à me retenir dans ses bras mais je m'extirpe de sa prise et me dirige vers la sortie sans lui adresser un regard.
— Oui Potter, une demande de fiançailles n'a qu'une seule année de validité, sommé-je, d'une voix ennuyée.
— Une seule année ?! T'es sûre de toi ? demande-t-il en me courant après.
Je roule des yeux et réfrène mon amusement. Je me demande d'ailleurs pourquoi je suis seulement amusée. Je devrais le claquer contre un mur ou bien le tirer de force jusqu'à l'autel. Mais non, je suis simplement… amusée.
Je descends les escaliers aux marches faites d'un verre lisse et suspendu, de notre belle et grande maison brésilienne, Adrian sur mes talons. Ici tout est blanc, lumineux, et moderne. Une partie de la villa, surplombée de grandes baies vitrées, donne sur la plage. L'autre donne sur une terrasse avec piscine à débordement et vue sur les forêts luxuriantes du Brésil. Il n'y aucun voisin hormis les animaux. C'est le paradis sur Terre.
Adrian et moi nous sommes donnés comme objectif de nous offrir cette maison, d'ici quelques années. Elle sera à toujours et à jamais notre lieu de repos pour nos prochaines vacances.
Dotée de quatres chambres, d'une grande cuisine à l'américaine donnant sur le séjour et de trois salles de bains, elle est suffisamment équipée pour que nous puissions accueillir tous nos amis et notre famille.
Actuellement, Haley et Aaron occupent la deuxième chambre, Leigh et Matt la troisième, Lexie et Nate la quatrième et Jared, le frère de Leigh, dort sur le grand canapé d'angle du salon. La nôtre, de chambre, est à côté de celle de Lexie et j'en déduis donc qu'elle a dû nous entendre malgré les sortilèges d'insonorisation… Il faudra que je renforce mes enchantements à l'avenir.
Lorsque je les rejoins sur la terrasse, nous sommes acclamés par notre groupe d'amis.
— Je savais qu'il ne fallait pas envoyer Adrian te chercher, pouffe Leigh en m'entraînant vers elle.
J'ai à peine le temps de répondre qu'elle me dépose une ligne de sel blanc sur mon avant-bras, me coince une rondelle de citron entre les dents et un shot de téquila dans les mains.
— Pourtant je l'ai bien trouvée, répond Adrian en m'ébouriffant les cheveux.
Sa réplique est saluée par le sifflement de Jared et Nate. Les autres éclatent de rire. Je roule des yeux et me lance dans les festivités. Je lèche le sel déposé sur mon bras, suce le citron, mime une grimace puis avale cul sec mon shot d'alcool. Je secoue la tête et renâcle. Brrrr… Qu'est-ce que c'est bon !
La soirée débute alors et je me jure de profiter de ces derniers instants jusqu'aux derniers. Au fil des heures, les cocktails et les pizzas défilent.
Leigh, avec qui je suis devenue très proche, s'amuse à refaire le monde avec moi. Nous sommes assises au bord de la piscine, avec un verre bien frais dans les mains. Haley et Lexie, elles, s'amusent sur la bouée flamant rose pendant que Adrian, Aaron et Matt tentent de les faire couler. Autant dire qu'elles ont goûté plus d'une fois à l'eau chlorée. Nate et Jared, eux, fument un peu plus loin sur la terrasse et surveillent la cuisson de notre dîner.
Plus notre état d'ébriété avance et plus nous nous relâchons, rions, chantons et dansons. La musique tambourine dans nos oreilles et nous enivre de son ambiance festive. L'alcool réduit notre champ de vision et nous réduit à nos premiers instincts. Très vite, une bataille navale éclate dans toute la maison et nous nous retrouvons tous sur la plage à crier, danser et à se courir après.
Adrian me porte en sac de patate et nous atterrissons dans la mer en éclatant de rire. Comme des enfants nous bataillons dans l'eau avant d'être rejoints par tous les autres. Une équipe de filles se ligue contre celle des garçons.
La soirée défile alors et vers une heure du matin, nous allumons un grand feu de camp dans lequel nous faisons griller des chamallows. Adrian amuse la galerie en grattant quelques notes sur une guitare, ce qui n'a pas manqué de me surprendre la première fois que j'ai découvert qu'il savait jouer d'un instrument et chanter. D'ailleurs, cette fois-là, il n'a pas duré longtemps que je me suis jetée sur lui pour le déshabiller et lui faire l'amour sauvagement. Son timbre grave et sexy fait toujours vibrer des cellules nerveuses en moi.
Je frissonne alors et me rapproche de lui en reposant ma tête sur son épaule.
Passés cette heure, Leigh et Matt sont moulés l'un à l'autre tant leurs bouches sont incapables de se relâcher. Nous ne manquons pas de huer le couple de jeunes mariés. Cela fait tout juste un mois qu'ils se sont passés la bague au doigt et qu'ils ont décidé d'achever leur lune de miel en venant la passer ici, avec nous tous, à Rio de Janeiro.
Aaron et Haley ne sont pas mieux d'ailleurs. Depuis la grande déclaration d'amour du brun au Musée de la Magie, un an auparavant, les deux amoureux ne se quittent plus d'une semelle. Suite à cet épisode, Aaron a d'ailleurs démissionné du Ministère et a récupéré la boutique de son frère pour la transformer en cabinet d'Arithmancie, magie qui l'a toujours passionnée et dans laquelle il excelle. Haley, elle, a conservé son poste de conservatrice d'art et a récemment emménagé chez Aaron. Bien que plus discrets que nous tous, leurs doigts restent toujours noués et ils s'envoient constamment des regards chargés de tendresse.
La soirée se poursuit et les garçons décident de lancer des fusées W&W qui éclatent en un magnifique feu d'artifice dans le ciel. Nous crions et applaudissons la palette de couleurs étincelantes qui jaillit dans la nuit noire. Portée par cette ambiance de pur bonheur et de lâché prise, je m'accroche au bras d'Adrian et me serre contre lui de toutes mes forces.
Adrian pouffe de rire, surpris, avant de me réceptionner contre lui.
— Bah alors mon cœur ? susurre-t-il à mon oreille en nous faisant tanguer sur le sable fin.
J'esquisse un sourire et ferme les yeux. J'adore quand il m'appelle comme ça. C'est très rare, il ne l'utilise que lorsque toutes ses barrières sont abaissées et qu'il est en parfaite harmonie avec moi. D'ailleurs, ce surnom m'est exclusivement réservé.
— Je suis bien, avoué-je.
D'autorité, il place un doigt sous mon menton et me force à relever les yeux vers lui. Je peux lire alors du bonheur à l'état pur dans ses pupilles étincelantes.
— Moi aussi, plus que bien, avoue-t-il.
Je me dresse sur la pointe des pieds et dépose mes lèvres sur les siennes. Nous nous embrassons langoureusement, nos mains passant en une agréable caresse sur nos corps insatiables.
Puis, Adrian rompt le baiser et je discerne un nouvel éclat dans ses yeux. Quelque chose de taquin et de fou. Oh non… Qu'est-ce qu'il me prépare ?!
À peine ai-je le temps d'anticiper quoi que ce soit qu'il s'écarte de moi et pose un genoux à terre. Aussitôt, nos amis éclatent de rire et commencent à nous siffler. Moi, mon cœur s'embrase et mes joues virent au rouge. Bon sang ! Ce type est fou ! Ou bourré. Ou les deux ! Mais dans ce cas, on l'est tous alors tant pis ! On s'en fout !
Sans lui laisser le temps de continuer, je me jette à son cou et l'embrasse comme une aliénée. Emporté par mon poids, Adrian est déstabilisé et nous tombons dans le sable.
— Ouuuuhouhhhh ! hurle Leigh en joignant ses mains devant la bouche.
— Oh mais regardez-les moi !
— Allez Juliet, dis-lui oui à ce connard !
— Je pense qu'elle a plus fait que dire "oui", commente Aaron en s'esclaffant.
— Non mais c'est fou ça ! Regardez comme elle est impatiente, râle Adrian, hilare.
Assise sur lui à califourchon, j'éclate de rire mais trépigne d'impatience.
— Bon allez ! Dépêche-toi ! pressé-je.
— Il faut que tu ailles chercher dans mon maillot, sourit-il largement en désignant une bosse poindre sous son short de bain.
Je rougis de gêne face aux visages rieurs des autres. Ce gros dégoûtant d'Adrian Potter m'incite à plonger ma main dans son habit depuis son regard concupiscent.
Je m'exécute très rapidement pour refermer ma prise sur un écrin en velours et le sortir aussitôt de sa cachette. Le cœur tapant violemment dans ma poitrine, je déglutis avec difficulté, les yeux rivés sur cette petite boîte noire. Trop petite pour contenir des boules de geisha cette fois-ci…
— Euh… Ok ? demandé-je, devenue très calme.
— Bah ouvre-la, incite Adrian.
— Tu es pas censé parler avant ? m'enquis-je.
— Tu veux que je parle ?
— J'en sais rien…
— Tu veux que je dise haut et fort que je souhaite renouveler ma demande devant toutes ces personnes ici présentes ? demande-t-il en levant la voix pour bien se faire entendre.
Les autres l'acclament et m'incitent à ouvrir le coffret.
— Donc tu admets que ta demande était venue à expiration ? percuté-je.
— Oui, je suis pas complètement débile, tu sais, Thorn… , fanfaronne-t-il. Je me doute que je vais devoir renouveler tous les ans maintenant.
— Tu comptes renouveler pendant combien d'années ?!
— Jusqu'à ce que j'en ai vraiment marre de t'appeler Thorn, répond Adrian en m'adressant un sourire fier.
— T'es vraiment un gros con…
— Tais-toi et ouvre.
Nous échangeons un regard complice puis je me laisse enfin convaincre. Mes doigts déclipsent l'écrin et je l'ouvre en deux. Venant d'Adrian, je m'attends réellement à une pâquerette. Sauf que là… Ça dépasse toutes mes espérances.
C'est une putain de paquerette de millier de carats ! C'est une bague de fiançaille en or blanc et diamant, scintillante de mille feux. Je suis sans voix. Mon souffle est coupé et mes yeux reluisent d'émotions.
— Oh… gémis-je en me retenant d'éclater en sanglots. Mets-la moi…
— Tu acceptes ces renouvellements de fiançailles ? se moque le brun en m'adressant son plus bel air séducteur.
— Évidemment ! explosé-je en sentant une goutte salée perler sur ma joue.
Aussitôt les acclamations et les applaudissements résonnent sur la plage. Mais à mes yeux, plus rien ne compte à part lui et moi. Moi, vautrée sur lui à califourchon, lui, redressé sur ses avant-bras avec son magnifique sourire et ses yeux transis d'amour. Je recule sur ses jambes pour qu'il puisse relever son buste. Il me prend l'écrin des doigts et en sort le solitaire. Je n'avais jamais vu pareille merveille.
Aussi, je me mets presque à culpabiliser de mon reproche de tout à l'heure puisque force est de constater que Adrian a pensé à tout !
Mon cœur bat tellement vite qu'il menace d'exploser. Submergée d'une joie immense, je lui tends ma main tremblante. Adrian l'attrape délicatement et dirige le bijou vers mon annulaire. Il le fait coulisser dans une extrême lenteur, les yeux rivés aux miens. Le monde peut s'arrêter de tourner, je n'ai plus que cette image, cet instant en tête.
Lui, moi, l'un sur l'autre en maillot de bain sur la plage surplombée d'un feu de camp crépitant. L'odeur iodée de la mer et des chamallows grillés flottant autour de nous.
— C'est ça, ce que tu voyais dans le miroir du Risèd ? percuté-je dans un souffle.
Adrian incline la tête sur le côté et sourit tendrement, les yeux à présent rivés sur mon doigt bagué.
— Je crois bien, confirme-t-il calmement.
J'esquisse un sourire et rejoins très vite sa bouche pour un baiser brûlant. Merlin ! Qu'est-ce que je l'aime !
Les autres continuent à nous huer et se mettent à beugler des chansons paillardes. Je n'entends plus grand chose, tant je suis transportée par cette bulle de bonheur. Nos langues et nos soufflent s'entremêlent et je regrette infiniment que nous ne soyons pas seuls sur la plage.
C'est pourtant un flash aveuglant qui me vient en pleine tête qui met aussitôt fin à mes ardeurs.
— Ah !
— Putain mais c'est quoi ce truc ?!
Je passe une main devant mes yeux et fronce les sourcils, aveuglée. C'est quoi ce délire ?
Une bande de sorciers aux uniformes du Ministère de la Magie vient de transplaner sur le bord de mer et nous encercle avec leurs baguettes illuminées. Elles pointent toutes vers nous et à juger par les airs livides de nos amis, tout ceci est loin d'être une mise en scène.
Mon cœur se met alors à cogner lourdement dans ma poitrine, sentant que tout le bonheur dans lequel je nage depuis des mois vient de s'arrêter d'un coup net et franc.
Adrian se relève et se place devant moi. Je m'accroche à sa paume alors qu'il fait un pas en avant vers la brigade d'intervention. Qu'est-ce qu'ils foutent ici ? A en juger par leurs tenues, ce ne sont pas des Aurors.
— Adrian Potter ? demande l'un d'entre eux, sa baguette menaçante braquée sur lui.
— Ouais. C'est pour quoi ?
— Adrian Potter vous êtes en état d'arrestation, assure l'homme. Toute opposition à la loi sera passible d'emprisonnement. Vous avez le droit de garder le silence.
— Quoi ?! m'écrié-je alors qu'ils viennent tous se jeter sur lui pour le menotter. Laissez-le ! Vous n'avez pas le droit de nous arrêter sur un sol non britannique !
Les hommes éclatent de rire. Celui qui détient Adrian me sort sa plaque.
— Nous sommes la brigade d'intervention du Département des Mystères, explicite-t-il. Ce qui veut dire que nous avons tous les droits.
Nos amis s'agitent autour de nous. Jared et Aaron tentent de s'interposer mais ils sont maîtrisés d'une clef de bras et cloués au sol. Haley et Leigh poussent un cri terrifié. Moi, je ne comprends plus rien et j'ai la sensation que le sol se dérobe sous mes pieds. Mes doigts sont brusquement arrachés à ceux d'Adrian et j'ai comme la sensation d'être aspirée dans un gouffre.
— Juliet Thorn ? demande un autre en venant se poster devant moi.
— Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?! Qu'est-ce que vous nous voulez ?!
— Juliet Thorn, vous êtes également en état d'arrestation. Vous êtes priée de nous suivre jusqu'au Ministère de la Magie.
— Quoi ? Mais pourquoi ?!
— Vous avez pas intérêt à la toucher, menace Adrian, très sérieux.
Pourtant, un des sorciers m'attrape sans aucune douceur et noue fermement mes poings derrière mon dos. Je pousse un cri paniqué et Adrian est sur le point de percer son esprit quand une matraque surgit de nulle part et s'abat sur son crâne. Il tourne de l'œil et ses genoux flanchent.
— Adrian !
— Et voilà ! Un legilimens en moins, se félicite l'Auror qui lui a porté le coup de grâce.
Aussitôt, une rage terrible se répand en moi. Mon sang bouillonne dans mes veines et je compresse mes doigts. Je rassemble ma magie que je me suis peu à peu réappropriée au cours de ces derniers mois et l'homme qui a attaqué Adrian se met à dépérir sous mes yeux. Il pousse un hurlement sonore et tout le monde s'agite autour de nous.
— Putain ! Maîtrisez-la !
Je suis assaillie à mon tour d'une puissante gifle et plaquée au sol. Je me débats comme une furie alors que nos amis viennent à notre secours, plus révoltés que jamais.
— Qu'est-ce que vous faites ?! interviennent Matt et Nate en venant aux mains.
— Restez en dehors de ça !
— Non ! Je suis Rileigh Potter, je suis Langue-de-Plomb de grade 2 pour le Ministère. J'ordonne que vous les relâchiez !
Les sorciers pouffent de rire et reluquent Leigh moulée dans son bikini turquoise, de haut en bas avec un sourire moqueur.
— Nous sommes Langues-de-Plomb de grade 1 et Monsieur Potter et Miss Thorn viennent avec nous, cloue-t-il fermement.
— De grade 1 ?! Mais ce ne sont pas des criminels !
— Ils ont consciemment violé la loi.
— Quoi ?! répété-je en secouant la tête. Ce n'est pas vrai ! Nous ne faisons de mal à personne…
On m'appuie sur le crâne et je bouffe le sable. Saleté de fumiers !
— Les voyages temporels sont interdits par la loi, glapit Haley en le réalisant.
— Exact, cloue froidement le chef des opérations. Allez, on les embarque !
Quoi ?! Mais non ! Dites-moi que tout ça est un cauchemar !
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Adrian
J'exulte. Je bouillonne de rage.
Menotté et isolé dans une pièce sombre, les fentes de mon nez bougent au rythme de ma respiration chaotique et de ma colère qui croit de secondes en secondes.
Des Langues-De-Plombs. Des putains de Langues-De-Plombs.
Mon grand-père m'avait une fois dit qu'il existait différentes sortes de Langues-De-Plombs. Ils travaillent tous pour le Département des Mystères et la majorité ont pour missions de faire des recherches mais d'autres, sont des sortes d'Aurors formés pour le combat et les complots. "Ces gens réparent les erreurs, m'avait-il dit. Mais leurs méthodes sont méconnues et secrètes.". Ces gars sont donc des espions. Et j'ai fort à parier qu'ils me suivent depuis un moment. Sinon je ne vois pas comment ils auraient pu être au courant de mes récentes activités.
Génial...
Juliet et moi avons été isolés. Séparément.
Voilà plusieurs heures que je suis enfermé ici, sans avoir de ses nouvelles. Sans avoir pu prendre contact avec l'extérieur. Sans avoir pu faire quoi que ce soit. Putain de Langues-de-Plomb de merde…
J'étais loin, très loin, de me douter que ça finirait comme ça. Que le Département des Mystères ouvrirait une enquête sur ma petite personne, m'arrêterait comme un chien à l'autre bout du monde, devant mes proches, pour m'enfermer dans cet interrogatoire de merde.
Je ferme les yeux et tente de me calmer. De contrôler ces battements de cœur qui ne cessent de taper violemment dans ma poitrine.
S'ils la touchent, je ne réponds plus de moi. Loi ou pas. Ministère de la Magie ou non. Je m'en fous de devoir user de mes pouvoirs de legilimens sur eux.
Encore en short de bain et grelottant de froid dans cette pièce isolée et sans fenêtre, je prends sur moi pour ne pas m'emparer de ma chaise métallique et de l'abattre sur la porte de sortie. Ces connards nous retiennent clairement prisonniers et ne pas voir Juliet, ne pas savoir où elle est, ce qu'elle fait, comment elle va et avec qui elle est, ça me rend fou.
Je tâche de garder mon sang-froid et de réfléchir à une solution de fortune. Pour commencer, je regroupe toute ma concentration et essaie de passer les parois épaisses de la pièce dans laquelle je suis détenu. Mes pouvoirs sont comme des ombres invisibles qui arpentent les lieux à la recherche d'un esprit à se nourrir. J'essaie de percevoir du bruit, des mouvements, des gens. N'importe qui.
Lorsque je parviens à sortir spirituellement de ma prison, je me retrouve dans un long couloir sombre. Les plafonds sont si hauts qu'ils semblent sans fond. Des portes noires marbrées se font face, unes à unes. Je n'attends pas et pénètre la première sur ma droite.
Vide.
L'endroit ressemble en tout point à celui dans lequel je suis menotté mais il n'y a personne. Je fais demi-tour et tente ma chance ailleurs.
Juliet putain ! Réponds-moi !
Comme un détraqué, mes pouvoirs défoncent les portes unes à unes. Comme un fou colérique, je hurle le prénom de Juliet dans ma tête avec l'espoir que ma voix percute son esprit. C'est complètement improbable. À plusieurs mètres de distance, ce serait impossible qu'elle m'entende. Que je puisse seulement l'atteindre. Pourtant je ne défatigue pas et continue mon inspection.
JULIET ! T'es où putain ?!
Physiquement attaché à ma chaise, mon esprit, lui, s'emballe et vagabonde tel le fugitif que je suis. Cette démonstration de pouvoir me demande beaucoup d'efforts et je sens que mon nez commence à me picoter. Les yeux dans le vague, je ne perçois seulement ce que les ténèbres de mon pouvoir m'autorisent à voir dans ce couloir sombre et sans fin. Autour de moi, plus rien n'existe et ma détermination sans faille me pousse à continuer bien que mon rythme cardiaque s'emballe et que je deviens pantelant.
Je n'arrêterai pas avant de l'avoir retrouvée.
Juliet !
Alors que je perds patience et espoir, je suis soudainement aveuglé d'un flash bleuté. L'éclair lumineux est vaporeux et presque aussi transparent que mon esprit.
Qu'est ce que c'est que cette merde ?
La brume flottante m'entoure et m'enveloppe comme une couverture. Elle se mêle à mon ombre de legilimens et je suis parcouru d'un agréable frisson. Sa mêlée est douce, apaisante et je perçois une odeur caractéristique d'amande douce.
Juliet ? me risqué-je.
Tout se déroule en une fraction de seconde et j'ai l'impression de perdre la tête lorsque la brume bleutée prend la forme d'une lionne. J'entends à peine son rugissement qu'elle a déjà disparu et je me retrouve à nouveau seul dans ce couloir désert.
Bordel de cul ! Je vais devenir fou !
Je me sens faiblir et piquer du nez mais je refuse d'abandonner et tiens bon.
JULIET !
Adrian ?!
Mon cœur loupe un battement et je crois devenir fou.
Juliet ?! Juliet t'es où ?! m'affolé-je.
J'en sais rien... Je suis seule. Dans une pièce.
Ça va ? Tu n'as rien ?
Comme un lion en cage, je perds patience et grogne de rage. Je tourne sur moi-même pour voir la vague brumeuse bleue dépasser comme un clapotis lent et calme du bas de porte. L'endroit est séparé du mien de quelques mètres à peine. Sans réfléchir plus longtemps, je fonce vers la pièce.
Mon esprit transperce les murs à la vitesse de l'éclair et c'est alors que je la vois.
Menottée comme moi, toujours dans son maillot de bain fluo, ses lèvres sont bleues et elle grelotte de froid. Son regard est alerte, elle cherche quelque chose, quelqu'un. Ma voix, je suppose.
Je suis là, signifié-je.
Juliet sursaute et me cherche dans la pièce mais force est de constater que je suis seulement présent dans ses pensées. Mon ombre se dépose sur elle et j'essaie de la réchauffer, comme une couverture.
— Qu'est-ce qu'ils nous veulent ? ose-t-elle demander.
Chercher la petite bête, grommelé-je, acariâtre.
— J'ai peur.
Ça va aller. Ne leur dis rien. Et ferme ton esprit, ils ne pourront pas lire en toi.
— Je ne l'ai jamais fait… Et même si j'y arrivais, on ne pourra plus communiquer, toi et moi, souffle-t-elle, tétanisée.
Je vais nous sortir de là.
Maintenant que je sais où elle se trouve, je n'aurais plus qu'à briser mes chaînes et foncer jusqu'à elle pour ensuite nous enfuir. La question qui demeure encore c'est… dans quel sens ? Et fuir où ? Il faudra que j'inspecte encore ce foutu couloir qui semble sans fin.
Ferme ton esprit. Ne leur divulgue rien. On se retrouve bientôt, promets-je.
— Je ne sais pas faire Adrian...
Imagine une muraille. Érige-la comme une frontière de ton esprit. Plus cette muraille sera haute et épaisse, moins on pourra lire en toi. À l'intérieur, classe toutes tes pensées et tes souvenirs dans des compartiments scellés. Ils ne doivent rien savoir de nous, Juliet. Ils peuvent s'en servir contre nous.
— Mais je...
Fais-le.
Juliet prend sur elle. Elle inspire profondément puis ferme les paupières. Je la vois se concentrer et serrer les poings. Je vois ses yeux bouger sous ses paupières.
Alors que je suis plongé dans son crâne, j'ai comme la sensation que le sol tremble et se dérobe sous mes pieds. Avec fascination, je vois des remparts en grès noir s'ériger et s'élever devant moi. Des lianes végétales sortent de nulle part et viennent fortifier la forteresse qui entoure son esprit.
T'es parfaite, soufflé-je à son oreille bien que je doute qu'elle puisse m'entendre encore.
J'ignore si elle parviendra à maintenir son bouclier mental si on cherche à briser son esprit mais c'est déjà une belle tentative. Je ne l'embête pas plus longtemps et me retire doucement de sa pièce pour espionner les alentours.
Dès que je regagne le couloir, je me fige. Deux silhouettes vêtues de capes de sorciers noires le traversent et se dirigent droit vers ma salle d'isolement. Mon sang se glace et je vole aussi vite que la lumière jusqu'à la pièce pour regagner mon corps.
Lorsque j'émerge, j'ai la sensation d'avoir été plongé dans un bassin d'eau froide. Mes dents claquent et la seconde d'après, la porte s'ouvre derrière moi.
Aussitôt mon regard se durcit et tombe sur les deux sorciers qui me toisent du regard, un sourire féroce dessiné sur leurs lèvres fines.
— Monsieur Potter, salue le premier d'une voix rauque.
Il me contourne et deux chaises apparaissent en face de la table en fer. Il s'assied, suivi de près par sa collègue qui me dévisage comme une hyène affamée.
— Enlevez-moi les menottes, ordonné-je en grinçant des dents.
Je sais d'avance qu'ils vont refuser ma requête, c'est pourquoi j'enchaîne avec une deuxième.
— Et apportez des habits à ma fiancée.
Refuser la requête d'un prisonnier est une chose. Mais en refuser deux, en est une autre.
Les deux agents du Ministère échangent furtivement un regard. L'homme, de taille et corpulence moyenne, la trentaine et les cheveux blonds, soupire avant d'adresser un signe de tête à sa collègue. Cette dernière s'exécute et sort de la pièce en silence, nous laissant alors en face à face.
Je ne cherche pas tout de suite à pénétrer son esprit, Merlin seul sait quel genre de piège pourrait m'attendre si je m'aventurais dans sa sale caboche. Les Langues-de-Plomb sont connues pour être d'exemplaires Occlumens.
— Je suppose que vous vous doutez pourquoi vous êtes ici, soupire l'homme en brisant la glace.
Il dépose sans aucune délicatesse un dossier sur la table. Il est bien épais et je devine qu'il regorge d'informations sur moi. Sur ma vie. Sur mes proches.
Je serre les dents et me maîtrise du mieux que je peux pour éviter de péter un câble. Le fait qu'on ait violé ma vie et ce, depuis des mois, me met hors de moi.
— Qu'est-ce que ma petite vie d'antiquaire peut bien vous foutre ? grommelé-je, affalé sur mon siège.
— Elle est trépidante, assure l'homme en esquissant un sourire. J'aimerais écrire un livre sur vous.
— Allez vous faire foutre, craché-je tout en restant d'un calme impassible.
Le Langue-de-Plomb et moi nous dévisageons en chien de faïence. Ce dernier finit par dévier le regard pour ouvrir en grand son dossier. De là, des photos prises à la volée tombent de sa pile et glissent sur la table.
La première que je vois me représente en train de négocier un contrat avec des fournisseurs de majijuana dans un des carrés VIP du Niffleur Argenté, un bar sorcier très connu dans le Grand Londres. Je suis posé sur une banquette en cuir capitonné, une nana se trémoussant sur mes genoux tout en me caressant l'entrejambe pendant que je teste l'herbe de ce bon vieux Nick en tirant sur mon bédo. La fumée blanche s'évapore dans les airs et la scène tourne en boucle comme un GIF.
Je relève mon regard gris vers le sorcier, impassible.
— Oups, pardon, s'excuse-t-il faussement en ramenant le cliché vers sa montagne ambulante de déchets.
Je ne réponds pas et le foudroie sur place. Il veut me faire comprendre qu'il a un paquet de preuves affligeantes à mon sujet pour me faire plonger. C'est bon. J'ai compris son petit jeu. Seulement… Si je suis encore ici, en salle d'interrogatoire, sous la directive des Langues-de-Plomb et non pas directement à Azkaban, c'est la preuve qu'ils n'ont pas encore toutes les infos suffisantes. Il y a peut-être encore moyen que je tire profit de cette situation…
— Pourquoi ce ne sont pas les Aurors qui m'interrogent ? demandé-je, finalement.
— Je pense que vous vous en doutez, Monsieur Potter, me répond le blond en affaissant ses coudes sur la table.
— Parce que vous ne voulez pas ébruiter cette affaire, supposé-je. Ce serait équivalent à admettre que vous avez merdé ? N'est-ce pas ?
— Votre cas aurait dû nous interpeller déjà bien des années auparavant, en effet, me répond-il en poussant un soupir.
Pour accompagner ses paroles, il dépose devant moi un cliché. Trois cadavres effondrés dans une sombre ruelle du Chemin des Embrumes. Un seul coup d'œil d'une millième de seconde me suffit pour savoir de qui il s'agit. De ce jour où mes pouvoirs de legilimens se sont manifestés sans crier gare. De ce jour où j'ai dû tuer pour la première fois.
— C'était de la légitime défense, et vous le savez, grogné-je.
— Nous le savons. Mais ce que nous avons regretté, c'est de passer à côté d'une affaire aussi croustillante ; un jeune ado de dix-sept ans qui réduit le cerveau de trois malfrats à l'état de compote. Ça ne devrait pas passer inaperçu pourtant.
— J'ai passé un mois à Azkaban en attendant mon procès. Vous aviez un mois pour vous réveiller.
— Nous avions une guerre contre les moldus à gérer et nos effectifs n'étaient pas aussi nombreux qu'aujourd'hui, explique l'homme. Mais ça ne fait rien. Six ans plus tard, nous en savons bien plus sur vous et c'est tout à notre avantage.
Il se met alors à étaler différents clichés devant moi. La majorité me représentent et datent d'avant mon voyage dans le temps mais sur les derniers, Juliet y figure.
Mon sang se met à bouillir dans mes veines. Je serre les poings et la mâchoire et tâche de rester calme et de ne rien laisser paraître. Je ne dois rien leur donner. Ce serait admettre ma défaite.
Sur les photos, Juliet est à chaque fois quasiment nue ou en tenue légère. Ou pire, on nous voit baiser comme des bêtes sur une plage, dans un lieu exotique et paradisiaque ou chez nous. Sous tous les angles. Dans toutes les positions possibles et inimaginables. J'ai l'impression qu'un véritable film de cul se déroule sous mes yeux.
Je suis certain qu'il le fait exprès. Qu'il les a choisis pour me faire sortir de mes gonds. Pour la peine, je ne rentrerais pas dans son jeu, même si cela veut dire que lorsque nous nous pensions seuls, nous étions en réalité épiés dans nos moindres faits et gestes.
Je passe ma langue sur mes lèvres et lui adresse un sourire narquois.
— Elle est bonne hein ? taquiné-je d'un jeu de sourcil.
— C'est certain qu'on en fait plus des spécimens comme ça, à notre époque, se désole le Langue-de-Plomb.
Ahah ! Quel de fils de pute.
Je vais lui arracher les yeux et les lui faire bouffer. Il me répugne. Ce gros porc se rince l'œil sans ménagement. Mais je sais que c'est un rôle. Que c'est une façon de mener son interrogatoire. Avoir un grand-père Chef des Aurors et un père Défenseur m'a appris plus d'une fois que ces connards de Langue-de-Plombs ne sont que des fouilles merdes dressés pour faire craquer leur victime.
Hors de question de le laisser gagner.
— Je suis le lieutenant Killian McHerry, m'apprend le blond en reprenant son sérieux. Je suis Langue-de-Plomb de rang 1, ce qui veut dire que je suis un homme de terrain avec le permis de tuer. Je suis en charge de votre dossier depuis trois ans maintenant.
— Et bien Killian, annoncé-je en m'avançant vers la table en plantant mes yeux colériques dans les siens. Si vous avez bien compris qui je suis en ces trois ans d'espionnage, je pense que vous savez déjà que je m'en branle complet de qui vous êtes.
— Je m'attendais à une réponse du genre, accorde l'homme en m'adressant un regard amical.
— Vous avez du temps à perdre, visiblement.
— J'ai tout le temps que je veux, m'apprend McHerry en s'enfonçant sur sa chaise en ferraille.
Il croise les bras sous ses biceps étonnamment bien galbés et m'observe avec un intérêt tout particulier depuis son long nez droit. Au même moment, la porte s'ouvre à nouveau et laisse entrer la partenaire du lieutenant. Une rousse en uniforme du Ministère qui me foudroie sur place depuis ses yeux marrons.
Elle me regarde de haut en bas, me contourne avec dédain pour me faire face puis s'attarde sur mon torse nu savamment bien bronzé et musclé. Je lui adresse un sourire en coin. Pas folle la guêpe !
— Les photos ne suffisaient pas ? Vous aviez besoin de m'avoir en grandeur nature ? provoqué-je.
— Si tu veux je te le laisse, Rebekah, pouffe Killian. Et moi, je vais m'occuper de Madame.
Je ne réponds pas et l'affronte silencieusement du regard.
Soit je lui éclate la tronche sur la table, soit je joue le connard indifférent ce qui risque de le pousser à vouloir rentrer dans mon jeu. Je me contente donc de serrer les poings jusqu'au sang et d'agiter ma jambe gauche d'un tic frénétique. Signe inéluctable que je me retiens vraiment pour ne pas me jeter sur lui. Une part de moi est infiniment convaincue qu'il n'attend que ça.
La Rebekah en question semble, elle aussi, se passer de réaction. Pour toute réponse, elle me jette au visage une pile de fringues. Mes mains étant nouées dans mon dos, je les réceptionne sur mes genoux.
McHerry se relève en faisant racler sa chaise dans un vacarme épouvantable et me toise de toute sa hauteur, un sourire supérieur dessiné sur les lèvres. Le bracelet noir en cuir qu'il porte autour du poignet me confirme que je ne dois surtout pas m'aventurer dans sa sale tête : c'est un bijou puissant contre les legilimens. Il a le pouvoir d'emprisonner l'esprit du sorcier qui tente de lire ses pensées. Si je ne veux pas devenir un putain de légume, je ferai mieux de me tenir éloigné de ce connard.
Lorsqu'il voit mon regard se poser furtivement sur son poignet et constater que je ne fais rien et reste toujours assis sur la chaise, à l'affronter silencieusement, une mince ligne approbatrice apparaît sur ses lèvres.
— Vous êtes devenu plus tempéré, remarque-t-il en frottant sa barbe de trois jours. C'est parfait.
Il contourne calmement la table, soutenant mon regard féroce de ses parfaits yeux verts. On dirait un putain de renard. Ce type m'a l'air hyper rusé et prêt à tout pour me piéger. Le fait de ne pas pouvoir aller le vérifier me rend fou ! Je vais devoir me fier à mon intuition…
— Habillez vous Potter, ordonne-t-il en se dirigeant vers la sortie avec sa collègue sur ses talons.
— C'est un peu compliqué, mimé-je en désignant mes poings liés.
Killian m'adresse un clin d'œil taquin et referme la porte derrière lui, me laissant seul. Je soupire d'agacement mais constate alors que mes menottes ont disparu à la seconde même.
Machinalement, je me masse les poignets et me relève de cette horrible chaise en ferraille. Je roule des épaules et fait craquer mon cou de gauche à droite avant de jeter un coup d'œil sur la pile de vêtements devant moi. Il y a un pantalon d'uniforme en toile noir avec des poches taillées tout le long des jambes, un pull de la même couleur fait d'un tissu absorbant, une paire de chaussettes et de grosses rangers en cuir.
Je vais ressembler à un putain de Langue-de-Plomb en service. Ils l'ont fait exprès…
Je ravale ma fierté et enfile le tout, grelottant de froid. Pas le moment de faire la fine bouche…
Lorsque j'en ressors, la porte n'est même pas fermée à clé. Killian et Rebekah sont tout simplement affaissés contre le mur d'en face et semblent m'attendre. Sur leur gauche, une brune habillée du même uniforme que le mien semble patienter nerveusement. Je reconnais tout de suite son identité rien qu'à la forme de son beau cul pulpeux.
Elle fait volte face et ses grands yeux clairs s'agrandissent de stupeur.
— Adrian ! glapit Juliet.
Elle se jette sur moi et je la réceptionne dans mes bras. Mon cœur bat à mille à l'heure et je la serre comme un forcené. Bordel… Je déteste être séparé d'elle. C'est semblable à un déchirement. Mes mains passent autour de sa taille, se baladent dans son dos et terminent sur sa chute de reins.
Sans attendre, j'encadre son beau visage et dépose férocement mes lèvres sur les siennes pour un baiser sulfureux. Juliet me le renvoie avec autant de passion. Pressée contre mon torse, elle se moule à mon corps comme si nous étions nus et seuls.
— Hum hum, interrompt Rebekah en se raclant la gorge.
Gênée, Juliet s'écarte de moi et tourne la tête sur le côté en mordillant ses adorables petites lèvres roses. Les deux Langues-de-Plomb nous dévisagent, l'un avec mécontentement, l'autre avec un air amusé.
— Ça va ? m'enquis-je. Ils ne t'ont rien fait ?
Ma fiancée secoue négativement la tête. Elle s'accroche à mon col et m'observe avec inquiétude.
— Non. Et toi ?
— Nous ne sommes pas vos ennemis, interrompt Killian en se décollant du mur. À présent que vous vous êtes retrouvés, peut-être consentirez-vous à nous suivre ? Notre entrevue ne fait que débuter.
— Qu'est-ce que vous voulez ? Exactement, demandé-je d'une voix dure.
— Vous le saurez bien assez tôt, pouffe Rebekah en nous emboitant le chemin.
La rousse s'enfonce dans le couloir et d'un signe de tête, le lieutenant McHerry nous intime de la suivre. Ma main retrouve celle de Juliet et pour rien au monde je ne la lacherais. Je sens sa nouvelle bague rouler sous mes doigts et me confirme alors que cet instant sur la plage n'était pas un rêve.
Après avoir arpenté le couloir pendant cinq bonnes minutes, la Langue-de-Plomb nous guide vers une porte en verre translucide qui ne laisse rien paraître de son contenu. Elle agite sa baguette et celle-ci s'ouvre toute seule. Nous nous retrouvons dans une immense pièce, si haute et si profonde qu'elle semble, elle aussi, sans fin.
Devant nous, trois énormes sabliers au sable doré trônent. Ils sont tous posés sur des socles au centre de la pièce et sont si grands que je dois tendre le cou pour pouvoir observer tous leurs contours.
— Bienvenue dans la Salle du temps, explique Killian en refermant soigneusement la porte derrière nous.
— Les sabliers devant vous représentent le passé, le présent et le futur, complète sa collègue en désignant les sabliers.
Je fais un tour sur moi-même et tente de repérer une issue de secours. Seulement, la porte d'entrée a déjà disparu et il n'y a pas de fenêtres. Nous sommes seulement éclairés par des boules de feu qui flottent au-dessus de nous comme des lucioles. Il n'y a pas de meubles, pas d'assises, rien. Juste ces trois foutus sabliers qui nous surplombent de toute leur mystériosité magique.
— Qu'est-ce que vous voulez ? répété-je, en tâchant de dissimuler au mieux mon agacement.
— Vous faire comprendre les changements que vous avez occasionnés lors de votre voyage, répond le lieutenant.
Il nous dépasse et vient se pointer devant la fiole du passé. Il agite sa baguette et un long et épais fil d'or se met à réfléchir comme un faisceau lumineux. Il se stabilise devant nous et le Langue-de-Plomb se met à désigner quatres petits filaments qui semblent prendre une direction opposée à celle du fil conducteur doré.
— Ceci représente la ligne du temps du passé, explique McHerry. Bon nombre de nos collègues ont pour mission de veiller sur celle-ci. Chacun des sabliers devant vous en possède un et le Département des Mystères a pour mission de garder ces trois lignes identiques.
— Vous vous emmerdez vraiment au Ministère, commenté-je, pas coopératif pour un sous.
Juliet tire sur ma main et me fait les gros yeux. Et bien quoi ? Je ne vais certainement pas leur faciliter la vie.
— Dès qu'une des lignes présente une disparité, une alerte est lancée et une équipe d'intervention est désignée, continue Killian en ignorant mon commentaire. Je vous laisse imaginer ma joie lorsque j'ai appris que vous aviez causé quatre distorsions temporelles.
Le lieutenant me renvoie un air de défi. Un foutu renard… C'est ce qu'il est ! Il me tourne autour avant de pouvoir me tomber dessus. Je tuerais pour connaître ses intentions !
— Nous avons été désignés pour lisser les fourches, reprend la rouquine. La première que l'on voit ici, représente les familles qui ont échappé à des attaques de Mangemorts en 1978 par votre faute.
— Euh… Grâce à moi vous voulez dire ?
— Non. À cause de vous, siffle Rebekah. Lorsque vous avez publiquement annoncé devant tout Poudlard que Evan Rosier et Marcus Avery étaient des Mangemorts, quelques familles ont décidé de déscolariser leurs enfants. Ils ont donc échappé à un sort triste certes, mais leur survie à engendrer des faits totalement nouveaux et inattendus.
Merde. Je m'attends au pire… Juliet et moi échangeons un furtif regard en biais avant de nous reconcentrer sur les deux Langues-de-Plomb.
— Comme ? demande ma fiancée, légèrement tendue.
— Comme le fait qu'ils se sont mariés et ont eu des enfants avec des personnes qui étaient censées continuer leur lignée avec d'autres personnes. À titre d'exemple, notre libraire Ernie Davis n'a jamais vu le jour.
Ah. Bah on lira moins de livres du coup, non ?
— Ce n'est qu'un exemple dérisoire mais c'est pour vous faire comprendre l'effet boule de neige de votre action, explique Killian. Pour notre sécurité à tous, la ligne du temps doit rester intacte sinon, des milliers de personnes ne pourraient jamais voir le jour. Ensuite, enchaîne-t-il, la deuxième brèche ici présente représente celle de Fabian et Gideon Prewett. Vous n'êtes pas censé ignorer que vous avez fait plus qu'allonger leur ligne de vie ?
— Pour Gideon seulement, rectifié-je.
— Certes mais Fabian Prewett a vécu bien plus longtemps qu'il ne le devait déjà. N'en parlons pas de Gideon Prewett qui coule encore aujourd'hui des jours heureux.
Il marque un temps de pause histoire de nous faire bien comprendre la portée de nos actes. Enfin… Surtout des miens.
— La troisième brèche représente Marlène McKinnon et Gaige Mulciber qui ont pu fuir et survivre, reprend le blond. Ils ont perpétué une descendance qui s'étale entre la France et l'Angleterre à présent.
— Où est le problème là-dedans ?
— La quatrième brèche, poursuit l'homme en continuant de m'ignorer, est bien évidemment celle de Miss Thorn.
Son regard vert se pose sur Juliet qui se tend à mes côtés. Ma prise sur sa main se renforce et lorsque je tente de rentrer dans son esprit pour l'apaiser, je constate que sa muraille mentale est toujours en place. Je fais marche arrière, ne manquant pas de caresser ses remparts en espérant qu'elle me sentira.
— Notre mission à présent est de lisser ces brèches, cloue Rebekkah.
— Et comment allez-vous faire ? osé-je demander bien que je connaisse déjà la réponse.
— Rétablir ce qui devait être fait.
— Comment ? se risque Juliet d'une voix tremblotante.
— Nous avons plusieurs options, soupire Killian. Remonter le temps jusqu'à six ans auparavant pour inculper Monsieur Potter de ses crimes. Dans l'hypothèse où il croupira à Azkaban il sera dans l'impossibilité de remonter le temps et donc de changer…
— Non ! rugit Juliet.
Elle fait déjà un pas en avant mais je la retiens fermement par l'avant-bras.
— Il ne le fera pas, rassuré-je aussitôt. N'est-ce pas ?
Je vais de Killian à Rebekah, en espérant qu'ils vont m'approuver. Pourtant, ils se contentent d'être silencieux et de me toiser d'un air impassible.
— C'est vrai, finit par soupirer le lieutenant. Nous pourrions aussi nous rendre personnellement en 1978 et achever le travail nous-mêmes. Nous tuerions nous même ces pauvres étudiants, Fabian et Gideon Prewett, Miss Thorn et Miss McKinnon. Monsieur Mulciber n'était pas censé retourné sa veste par ailleurs… Donc nous pourrions nous assurer qu'il ne le fasse pas. Et tout rentrerait dans l'ordre.
— Mais ? m'enquis-je.
— Il n'y a pas de mais. C'est ce que nous ferons, assure la rousse avec sévérité. Nous hésitons encore sur l'option.
— Dans ce cas pourquoi nous avoir fait venir ici ? s'insurge Juliet, les yeux pleins de colère, en se libérant de ma prise. Pourquoi nous expliquer tout ça ? Pour notre considération ?! Je ne crois pas !
— Effectivement, ce n'est pas par bonté d'âme, souligne le Langue-de-Plomb en étirant un sourire vicieux.
Il est certain que ce type a déjà tué. À son air je peux aisément deviner qu'il penche pour l'option numéro deux. Il se ferait une joie de terminer le travail que les Mangemorts n'ont jamais pu achever. À cette pensée, tous mes muscles se contractent.
Je balaie une nouvelle fois du regard la pièce, à la recherche d'un échappatoire. Mais sans baguette et sans la possibilité de les maîtriser par la pensée, ma dernière option reste… Juliet. Elle doit les faire pourrir sur place.
— Supposant que vous choisissez la première option, dis-je pour essayer de gagner du temps, vous ne risquez pas d'entacher mon futur à moi et donc de créer une nouvelle brèche temporelle ?
— Question très pertinente Monsieur Potter ! jubile McHerry en passant devant moi. Je vois que vous comprenez très vite.
De sa carrure impressionnante, il me bouscule presque et vient se planter devant le sablier du futur.
— Nous nous sommes effectivement demandés si retourner le temps de six ans pour vous envoyer à Azkaban afin de vous empêcher de faire votre voyage temporel, n'entacherait pas votre futur. Personnellement, je pensais que vous finirez mort d'une overdose ou assassiné au coin d'une rue, vu le rythme auquel vous alliez. Mais nous avons tout de même pris le temps d'observer votre futur et force est de constater que… Le futur est limpide à votre sujet.
— C'est-à-dire ? osé-je demander, sceptique.
— Il semblerait… Que le futur vous voyait entouré de Miss Thorn, soupire Killian en roulant des yeux. Il n'y avait aucune bifurcation à votre sujet Monsieur Potter. Elle était droite et linéaire. Aucune aspérité. Comme si elle était sûre et certaine de son issue depuis le début.
— Vous ne pouvez pas remonter le temps alors, comprends-je. Tout ceci était mon destin et ça ne peut pas être contourné.
— Le destin d'un seul homme ne parvient pas à influencer sur tout un milliard d'autres destins, Monsieur Potter. Ces lignes de vie que vous voyez là, passées, présentes et futures, sont composées de toutes les lignes de vie et d'histoire des individus qui ont peuplé, qui peuplent et qui peupleront cette planète. Ensemble, elles n'en forment qu'une. La ligne du temps.
— Donc ?
— Donc vous représentez une poussière face à toute l'humanité ! résume la rousse. Ce qui veut dire qu'on peut fermer les yeux sur vous et faire ce qu'il nous chante. Personnellement je penchais pour la deuxième option.
— Je sais que les années quatre-vingts te manquent ma chère, soupire Killian en donnant un coup dans le dos de sa collègue. Mais pas d'empressement… Monsieur Potter et Miss Thorn ont bel et bien compris qu'ils vivaient là leurs derniers instants alors ils ne vont pas tarder à…
Mon sang bouillonne. Je jette un coup d'œil alerte à Juliet qui semble prête à passer à l'attaque. Lorsque je rentre à nouveau dans sa tête, je vois avec satisfaction une passerelle s'ouvrir sur ses remparts. Je pénètre aussitôt son esprit.
Maîtrise-les ! Maintenant ! J'te couvre !
Elle acquiesce et brandit ses mains déjà scintillantes.
— … Nous attaquer, termine le lieutenant.
À peine a-t-il eu le temps de finir sa phrase que Juliet pousse un cri de rage et fait appel à toutes ses ressources. Comme une onde de choc, ses pouvoirs déferlent dans toute la salle, aussi violemment qu'une rafale de vent. Pourtant, les deux Langues-de-Plomb semblent immunisées. Ils ne fléchissent pas et nous observent avec intérêt.
— Ne vous fatiguez pas Miss Thorn, nous savions que vous alliez nous attaquer.
— On se casse ! hurlé-je en tirant Juliet en arrière.
En une synchronisation parfaite, nous détalons à toutes jambes. Je tiens fermement la main de Juliet et la tire aussi vite que je peux vers la direction opposée des deux sorciers. Pourtant, sans baguettes nous sommes impuissants et je ne suis donc pas étonné lorsque je les vois réapparaître devant nous en transplanant.
Sans réfléchir, je me mets devant Juliet et affronte du regard les deux connards.
— Fini de jouer, assuré-je. C'est quoi votre prix ?!
— Mais ça me parait simple Monsieur Potter, pouffe McHerry en m'adressant un grand sourire machiavélique. Vos bons et loyaux services.
Mon cœur loupe un battement. Juliet plaquée contre mon dos plante ses ongles dans mes bras, ayant peur de comprendre.
— Collaborez, rejoignez nos rangs et votre dossier sera complètement blanchi, propose Killian.
— Sinon ?! beuglé-je, hors de moi.
— Si vous refusez, nous irons lisser la ligne du temps, termine Rebekah d'une voix pleine de menace.
Putain les batards ! Je suis au pied du mur !
— Alors ? demande Killian en me tendant sa main droite. Nous avons un marché ?
Je détaille sa paume large et carrée. Si je veux rester avec Juliet, je dois la serrer. Sinon, et je sais qu'ils le feront, ils nous renverront tous six pieds sous terre.
— Adrian…, pousse Juliet, angoissée.
Fait chier ! Je fais un pas en avant et ma main rencontre celle du lieutenant pour une ferme poigne. Je m'en fiche si je dois vendre mon âme au diable, tant que je peux rester avec Juliet, le reste n'a pas d'importance.
— On a un marché.
— Excellent, jubile-t-il.
Sur ces mots, je suis percuté d'un violent contrecoup magique et invisible. Mon palpitant s'emballe et j'ai soudain chaud. Très chaud. Mais ce n'est rien comparé à la violente douleur qui me vient au niveau de la gorge et qui se répand comme du ciment dans toute ma bouche. Ma langue devient aussi lourde qu'un bloc de béton et je perds l'équilibre. Mon genoux droit fléchit et je me rattrape sur le sol avec les mains.
— Adrian !
— Pu… tain ! exprimé-je avec difficulté. Qu'est-ce que vous m'avez fait ?!
Je relève la tête et considère Killian et Rebekah avec effarement. Les deux me toisent avec un sourire fière sur les lèvres.
— Vous voilà Langue-de-Plomb, Monsieur Potter.
