Mot de l'auteur
/!\ Cette histoire est une réécriture en version boy x boy de "La quête des Livres-Monde" de Carina Rozenfeld, l'histoire et les personnages lui appartiennent ! Les livres peuvent être acheter sur amazon, fnac et en librairie ! (Environ 5 à 14 euros le livre et environ 30 euros l'intégrale) pour soutenir l'auteur et la financer dans ses projets ! /!\
PS : Les personnages autres que Nathan, Zayn, Lia et Aela ne m'appartiennent pas ! Ils sont de Carina Rozenfeld, une écrivaine très talentueuse que j'admire !
- J'aimerais autant que vous déclariez forfait rapidement et que vous rentriez chez vous.
La mine sombre de Riguel contrastait de façon frappante avec l'humeur positive et le visage souriant de son frère jumeau. L'homme enfoncé dans un fauteuil dans un coin sombre du séjour, les bras posés sur les accoudoirs, les jambes tendues devant lui de façon nonchalante, donnait une impression de décontraction que démentaient son visage à la mâchoire crispée, son regard fixe et son grondement menaçant.
- Pardon ? demanda Nathan, qui n'était pas certain d'avoir bien entendu ou compris la phrase d'accueil.
Riguel eut un sourire malicieux et mima Nathan en prenant une voix de fausset.
- "Pardon ?" Tu m'as très bien compris, jeune homme. Pour que ça ne paraisse pas louche, vous pouvez rester encore un jour ou deux, mais après je vous conseille de rentrer chez vous et d'oublier tout ce que vous avez vu ici.
Les quatre adolescents se regardèrent, abasourdis.
- C'est une blague ?
C'est tout ce que Lia avait trouvé à répliquer.
- Absolument pas...
Riguel se leva d'un mouvement souple et s'approcha d'eux. Dans la lumière, ses traits se révélèrent encore plus durs, et son regard prouvait qu'il ne plaisantait certainement pas.
- Je suis au contraire très sérieux. Vous êtes d'une inconscience folle d'être venus ici, vous le réalisez ?
Ils restèrent silencieux, incapables de répondre. Mais de quoi parlait Riguel ? Tout le monde ici était heureux de les rencontrer, de les accueillir au village. Razma leur avait parlé de la fête qu'on préparait en leur honneur...
- Asseyez-vous, leur ordonna-t-il.
Ils obéirent, un peu hébétés. Que se passait-il tout d'un coup ?
Riguel reprit sa place sur le fauteuil et les observa un moment avant de reprendre :
- Vous êtes encore plus inconscients que je ne l'imaginais. Vous n'avez aucune idée de la raison pour laquelle je vous demande cela, n'est-ce pas ? Non, aucune. Vous êtes des jeunes têtes de linottes...
- Bon, vous allez arrêter votre petit jeu d'insultes et de « je me sens tellement supérieur parce que je sais de quoi je parle », et nous expliquer une bonne fois pour toutes le pourquoi de tant de haine ?
Nathan se retint de pouffer en entendant Zayn. Il le reconnaissait bien là... C'était dans ces moments qu'il l'aimait le plus. Quand le volcan caché sous la soie dorée de sa peau entrait en éruption...
- C'est très simple : l'Avaleur de Mondes.
- Oui. Et ?... demanda le Chébérien.
- Est-ce que vous vous rendez compte que cela fait trente ans que nous vivons ici et que nous avons réussi à ne jamais attirer l'attention sur notre communauté chébérienne. Ni celle des Terriens, qui ne se doutent pas que des extraterrestres vivent parmi eux en toute discrétion, ni celle de l'Avaleur de Mondes, qui a pour but d'éradiquer notre civilisation entière de l'univers. C'est ce qui nous a permis de prospérer, d'avoir des enfants en toute sécurité et de faire vivre une portion de notre monde, sa mémoire, un peu de son essence même, malgré sa disparition. Et voilà que vous débarquez tout sourires, telles des stars d'Hollywood face à leur public hystérique...
Il reprit son souffle. Un rictus déformait son visage. Sa colère était évidente et sincère.
- Depuis que vos ailes ont poussé, depuis que vous savez qui vous êtes, vous avez réussi, en quelques semaines, à attirer l'attention de l'Avaleur de Mondes, à le faire venir jusque sur la Terre et à vous faire attaquer. Vous avez réussi à nous faire souffrir à cause des distorsions qui ont touché tous les Chébériens ici. Et maintenant je suis certain que vous l'amenez avec vous dans vos valises, depuis Paris. Si ça continue, c'est vous qui serez responsables de la disparition totale et définitive de Chébérith. Pas lui. Vous. Oui, je vous désignerai comme responsables
- Mais qu'est-ce que vous racontez ? Faut vous détendre, faire du yoga ou arrêter le café, je sais pas, moi... On n'a pas pris l'Avaleur de Mondes dans nos valises, se défendit Lia.
Zayn ne laissa pas le temps à Riguel de répliquer.
- Je comprends ce que vous voulez dire. Vous avez peur que l'Avaleur de Mondes, qui connaît notre existence, finisse par découvrir la vôtre en nous suivant jusqu'ici.
- Enfin quelqu'un d'intelligent dans votre équipe de bras cassés. On a toujours prétendu que les habitants de Goth étaient les plus brillants, dans tous les sens du terme. Cela se confirme aujourd'hui. Parfaitement, jeune homme. Vous vous êtes précipités à l'invitation de mon frère sans réfléchir. Et je le mets dans le même sac que vous. Quel imbécile, lui aussi ! Il a toujours été trop spontané, il agit sans réfléchir. Son empressement a encore fait des siennes. Sa proposition de vous faire venir ici, il vous la faite sans même en référer au village, sans nous demander notre avis, sans provoquer de discussion ou de débat.
Nathan soupira. Il devait reconnaître que Riguel n'avait pas tort À aucun moment ils n'avaient pensé que l'Avaleur de Mondes allait tenter de les retrouver malgré la distance. Pourtant, Zayn ne se laissa pas faire, encore une fois.
- Vous vous trompez. Et même gravement.
- Je me trompe rarement.
- Eh bien, vous pourrez réviser cette affirmation. Vous vous trompez.
- Alors prouvez-moi que j'ai tort, jeune homme, je ne demande que cela.
Zayn se redressa, croisa le regard de Nathan pour y puiser un peu de courage supplémentaire. Bien qu'il ne sache pas où il voulait en venir, il lui envoya mentalement tout le soutien possible et un sourire discret d'encouragement.
Zayn leva l'index de sa main droite pour commencer le compte des preuves qu'il allait apporter à Riguel.
- Tout d'abord, l'Avaleur de Mondes ne peut pas nous retrouver comme ça, par miracle. (Il claqua des doigts pour illustrer ses propos.) Ce n'est pas nous qui l'avons attiré, c'est la première distorsion que nous avons provoquée, certes par ignorance, en ouvrant le premier Livre-Monde. Comment imaginer une telle réaction, de telles conséquences ? Vous auriez été aussi excité et curieux que nous. Bref, c'est la distorsion qui l'a fait venir sur Terre, à Paris précisément. Pas au Pérou, pas chez vous, mais à Paris, là où le livre a été ouvert. De là, il lui a été plus simple pour lui de nous dénicher. Cela fait des semaines qu'il est arrivé et pourtant il ne vous a pas trouvés, vous, que je sache. Il ne sait pas que vous existez et il ne vous perçoit pas. S'il en avait eu la capacité, il l'aurait fait depuis longtemps, et nous ne serions pas assis là à échanger ces amabilités.
Riguel réfléchit quelques instants, pendant que Nathan admirait la logique implacable de son ami. Il était très fort. Très, très fort. Son coeur se gonfla de fierté.
- Certes, finit par admettre le Chébérien. Vos arguments sont recevables, fils de Goth. Mais il vous perçoit, vous, et maintenant vous êtes là. Autant mettre des panneaux lumineux et clignotants pour lui dire : « C'est ici ! »
- Je ne crois pas, non. L'Avaleur de Mondes ne peut pas nous sentir sur une telle distance. Il a mis des jours avant de nous retrouver après la distorsion. Et quand nous avons quitté Paris, il n'était plus là. Nathan a réussi à le battre, une fois de plus, et il lui a fait mal. Quand il a mal, l'Avaleur se cache, il s'en va pour un moment. C'est ce que nous avons pu remarquer les fois précédentes où c'est arrivé. Je suis persuadée qu'il n'a pas eu le temps de se remettre avant notre départ. Et là, s'il est retourné à Paris dans l'espoir de nous frapper encore, il doit se demander où nous sommes passés.
- Oui, mais, s'il vous cherche, il va finir par vous trouver. Et donc nous trouver aussi. Même si ça lui prend une semaine ou un mois, nous sommes condamnés à terme.
- C'est possible qu'il finisse par découvrir votre village, mais vous n'êtes pas condamnés. Il y a un moyen de l'empêcher de vous faire du mal. Ce moyen, Lia, Aela et nos familles l'emploient pour se protéger eux aussi. Vous êtes là, enfoncé dans votre fauteuil, à vous apitoyer sur votre sort, mais à aucun moment vous n'avez pensé à nous, qui mettons nos vies et celles de nos proches en danger. Vous êtes-vous demandé une seule fois si nous n'avions pas également souffert pour faire renaître un monde dont nous ignorions l'existence il y a encore quelques semaines ? Nathan a été attaqué, blessé. Sa mère également. Aela en a fait les frais aussi, Lia a été investi par l'Avaleur de Mondes, moi, j'ai failli être tué et Eyver est dans le coma. Il n'y aurait que nous qui devrions payer le prix de la résurrection de Chébérith, c'est ça ?
La voix de Zayn s'emportait et, à chaque mot qu'il envoyait au visage de Riguel, ce dernier pâlissait un peu plus. Pourtant, il continua, aussi véhément que l'avait été l'homme un peu plus tôt quand il proférait ses accusations.
- Non, nous ne vous avons pas oubliés, nous. Jérôme vous a expédié une caisse de mémo, dosé parfaitement de manière à ce que le mélange vous protège des incursions de l'Avaleur de Mondes s'il venait à vous trouver. Lia et Aela ont déjà reçu une injection chacune, ainsi que mon oncle et les parents de Nathan. Comme c'est un produit qui ne franchira jamais les douanes, il a dû user de ses contacts pour le faire passer en contrebande à bord d'un cargo qui relie la France au Pérou. Bon, le voyage prend quelques semaines et le produit ne vous parviendra pas tout de suite. Mais nous avons fait en sorte que, le temps que l'Avaleur de Mondes nous retrouve, s'il y parvient, vous ayez tous reçu votre vaccin.
L'ironie dans la voix de Zayn était palpable alors qu'il mettait le point final à sa démonstration. En quelques phrases, il venait de remettre Riguel à sa place avec logique et brio.
Le silence retomba comme une chape de plomb.
Les paroles de Riguel et de Zayn flottaient dans l'air. La lumière, dehors, avait changé. Le ciel était gris, la soirée étendait déjà ses ombres sur les maisons du village et sur les flancs de la montagne.
Un chat sauta sur le rebord de la fenêtre et entra dans la maison sans s'effaroucher le moins du monde. Il passa entre les jambes de Riguel avant d'aller renifler les visiteurs. Le temps s'écoula encore, lourd et silencieux. Finalement, l'homme se racla la gorge.
- Veuillez me pardonner. Vous avez raison. Je suis égoïste. Je n'avais pas réalisé... Je suis désolé. Jeune homme, vous avez un caractère exceptionnel. Chébérith a de la chance de compter dans ses rangs des citoyens comme vous. Vous m'avez remis à ma place en beauté et, je dois l'avouer, j'avais tort. Nathan, Lia, Zayn, Aela, je vous remercie de vous battre comme vous le faites pour notre monde. Vous pouvez compter sur mon aide inconditionnelle à partir de maintenant.
Il se leva et fit une petite courbette maladroite avant de sortir de la maison, raide comme un piquet. Lia se retourna vers son ami et s'esclaffa :
- Zayn, quand Chébérith sera recréé, c'est promis, je vote pour toi aux élections présidentielles. Tu es incroyable.
- Lia a raison, tu as été fabuleux. Je vote pour toi aussi. renchérit Nathan, qui mourait d'envie de le serrer dans ses bras à cet instant.
- Tu peux compter sur ma voix aussi, ajouta Aela. Tu l'as bien remis à sa place.
Zayn eut un rire nerveux et se passa une main sur le front
- Merci, les amis, c'est gentil, mais maintenant il va me falloir du temps pour me remettre de cet affrontement. Et je ne compte pas me présenter aux élections. Une conversation comme ça, et je suis en miettes.
Comme pour la réconforter, le chat sauta sur ses genoux et se mit à ronronner.
La chambre de l'anomalie était vide depuis trop longtemps, sa trace, la vibration de l'air qu'elle provoquait quand elle était là, s'était effilochée. L'appartement de la fille blonde était abandonné, ainsi que celui de l'autre garçon dont le cerveau était un labyrinthe. Ils avaient tous disparu. Et ceux qui restaient avaient trouvé le moyen de lui bloquer l'accès à leurs esprits. Les parents de l'anomalie, par exemple... Depuis qu'il avait investi sa mère sans rencontrer le moindre problème, quelque chose avait changé. Il ne parvenant plus à lire en elle, à agir sur ses pensées, sa mémoire. Encore une fois, il devait réfléchir et changer de tactique.
Chaque particule de la nuée qui le constituait se resserra jusqu'à former une boule compacte et sombre qui aurait pu cacher la lune, si elle avait brillé cette nuit. Ainsi rassemblé, il s'ouvrit à toute perception. Les parfums, les bruits, les vibrations... Plus fort, plus fort, toujours plus fort.
Et soudain il sentit quelque chose. Un frémissement si ténu qu'il serait passé à côté sans cet état de concentration extrême.
Pourtant, c'était là depuis longtemps, il pouvait le deviner, car la perturbation que cela créait dans la toile de l'univers n'était pas neuve. Oui, il y avait autre chose. Curieux, il s'étira à nouveau et ondula jusqu'à la source de l'oscillation. Hahaha ! Ils ne pouvaient pas lui échapper, il savait qu'il finirait par les retrouver.
Et pourtant, quand il atteignit son but, une profonde surprise l'envahit. Certes, il y avait bien quelque chose qui n'aurait pas dû se trouver là, mais ce n'était pas ce qu'il espérait. Pas du tout. Toutefois, une porte était grande ouverte, on l'attendait, on l'appelait. Alors il entra...
Lia ronflait doucement, rythmant de sa respiration calme la nuit silencieuse.
Nathan, quant à lui, malgré la fatigue, n'arrivait pas à dormir. Il se retournait sans cesse sur son matelas, incapable de trouver une position idéale. Dans sa tête, ça tournait tout autant. Un tourbillon d'images. Celles des tracés que Lodan leur avait montrées dans le laboratoire, celles de Zayn, héroïque face au visage narquois de Riguel. Les images du village, de ses habitants, souriants, confiants, motivés dans leur recherche du dernier Livre-Monde. Il pensait aux paroles du Chébérien concernant l'Avaleur de Mondes. Même si tout ce que lui avait répliqué Zayn était juste, Riguel avait eu raison de s'inquiéter. Il n'était pas mauvais, seulement inquiet pour sa famille, ses amis, son peuple. C'était parfaitement légitime. Toutefois, il aurait quand même pu être un peu moins agressif dans la façon de s'exprimer…
Finalement, agacé par lui-même, par ses mouvements incessants sous le drap, il se leva et sortit de la chambre sans faire de bruit, enviant Lia qui, dès qu'elle se couchait, s'endormait et ne bougeait plus d'un millimètre.
Se faufilant entre les meubles du salon, il sortit. Dehors, la température avait considérablement chuté en raison d'un vent frais qui s'était levé. Il frissonna car il n'était vêtu que de son caleçon, mais cela ne le découragea pas. La brise avait temporairement repoussé la garúa et quelques étoiles piquetaient le ciel, avalées par la lumière plus vive de la lune bientôt pleine. Nathan fit quelques pas devant la maison. Le parfum des fleurs plantées en buissons et en bouquets le long du petit chemin qui menait à son entrée embaumait l'air nocturne. Il ferma les yeux, repensant aux textes de Mélior, qui parlait justement très souvent des fragrances fleuries baignant l'atmosphère de Chébérith. Ainsi, torse nu, ses ailes libérées, visibles par quiconque aurait eu l'idée de faire une promenade nocturne comme lui, il pouvait presque s'imaginer qu'il était là-bas. Il lui suffisait d'ajouter mentalement une lune rose dans le ciel, d'espérer un horizon mauve au lever du soleil, et il était ailleurs, sur cette autre planète.
Il ouvrit ses ailes en grand, les paupières toujours baissées de manière à créer l'écran sur lequel il projetait les images de Chébérith qu'il voulait reconstituer.
Au moment où il allait s'élancer dans le ciel, une voix légère l'interrompit dans son mouvement.
- Nath, attends-moi !
Zayn devait avoir du mal à trouver le sommeil lui aussi. Vêtue d'un t-shirt large en coton blanc, ses cheveux ébouriffées, ses ailes dorées brillant dans la faible lueur. Sa beauté simple mais émouvante, son apparence qui cachait une telle force de caractère mêlée de doutes et de fragilités, cet équilibre délicat qui définissait Zayn apparaissaient pleinement ici, au milieu de la nuit.
Le coeur de Nathan se serra en le découvrant ainsi, aussi merveilleusement lui-même.
- Qu'est-ce qu'il y a ? chuchota-t-il. On dirait que tu as vu une apparition.
Nathan resta silencieux quelques secondes avant de répondre sur le même ton, la voix légèrement tremblante sous le coup l'émotion.
- Je te vois, toi... Tu es... Tu es une apparition. (Il inspira.) Tu es magnifique, Zayn.
- Oh..., tu es gentil... Je suis en pyjama.
- Et alors ? Je te trouve beau même en pyjama.
Il s'étonnait lui-même d'avoir le courage de faire de telles déclarations. Était-ce la fatigue et le léger vertige qui l'accompagnait qui lui faisait perdre toute timidité ? Ou alors l'impression fugace de se trouver dans un autre monde, qui n'était ni tout à fait la Terre ni Chébérith, mais un mélange étrange des deux ?
Certainement un peu de tout ça.
Sans hésiter, il lui tendit la main. En trois pas il fut devant lui, entrelaçant ses doigts dans les siens. Ils n'eurent pas besoin d'échanger un mot. D'un mouvement commun, ils s'envolèrent vers la lune. L'air était de plus en plus froid à mesure qu'ils montaient, mais le mouvement de leurs ailes les réchauffait.
Jamais Nathan n'aurait cru pouvoir voler dans cette liberté totale, sans peur qu'on le voie. Il en rêvait depuis si longtemps. Devoir garder ses ailes pliées sous ses vêtements en permanence, devoir étouffer ses désirs de spirales aériennes était une torture qu'il masquait au quotidien. Mais là, affranchi de toute contrainte, il se découvrait tel un assoiffé qui retrouve de l'eau sans s'être aperçu combien sa gorge était sèche et parcheminée.
Zayn avait lâché sa main de manière à ce que tous les deux puissent dessiner des arabesques gracieuses contre le velours sombre du ciel. Sans se concerter, ils effectuaient une chorégraphie complexe, délicate, élégante, au cours de laquelle ils se séparaient, se rejoignaient, virevoltaient l'un autour de l'autre.
Ce faisant, ils s'étaient déplacés sur les flancs de la montagne et éloignés du village. Dans le désert serein de la nature, ils poussaient des cris de joie, de surprise, de plaisir, en montant et en descendant devant la lune qui les observait paisiblement de son regard minéral et millénaire.
Finalement, hors d'haleine, grisés de joie et de vent, ils se rejoignirent, à plusieurs dizaines de mètres du sol. La lumière de l'astre nocturne les éclaboussait de paillettes argentées, ils étaient ivres, leurs yeux brillants de pur bonheur. Sans préméditation, juste parce que c'était le moment, le lieu, leurs mains se joignirent alors qu'ils étaient face à face, leurs ailes les maintenant ainsi en position stationnaire par de petits mouvements réflexes.
D'abord ils se regardèrent sans dire un mot, s'emplissant de la vue de l'autre, plus magnifique que jamais à cet instant. Puis Nathan se pencha en avant. Son cœur battait la chamade dans sa poitrine. Il avait attendu ce moment si longtemps. Dans sa bêtise, il avait failli le gâcher, l'empêcher d'arriver un jour. Mais, finalement, la vie était plus forte que tout. Elle apaisait les douleurs, refermait les blessures et permettait au meilleur de rejaillir...
Zayn le contemplait, les yeux écarquillés, alors que son visage se rapprochait du sien. Oui, c'était lui, depuis le début. Lui qui le touchait plus que quiconque sur cette planète et les autres, lui qui le faisait rire, qui le faisait se sentir plus fort, meilleur qu'il ne l'était réellement. Zayn était son paradis à lui. Leurs lèvres se rencontrèrent enfin, vibrantes d'attente et d'émotion. Embrasser Zayn, c'était comme aller à la rencontre d'un monde merveilleux. Son goût, la douceur de sa peau, son corps qui se plaquait contre le sien, ses courbes qu'il sentait à travers la finesse du tissu, le frottement léger de l'air contre leurs ailes qui battaient d'elles-mêmes, car à ce moment ils avaient oublié qu'ils volaient. Tout était parfait. Ils étaient seuls au monde, se nourrissant de la présence l'un de l'autre.
Ils restèrent longtemps enlacés ainsi, intensifiant leur baiser, leurs dents finissant par s'entrechoquer dans la fougue de leur échange.
Finalement, à bout de souffle, ils se séparèrent à regret et se regardèrent, hébétés, heureux, échevelés. La main dans la main, ils redescendirent au sol et s'assirent au bord d'un rocher qui dominait la plaine plongée dans la nuit.
Zayn posa sa tête sur l'épaule de Nathan, comme la fois où ils étaient montés au dernier étage de la tour Montparnasse. Ses cheveux épais caressaient le cou du garçon. La première fois, il n'avait pas su comment réagir, comment interpréter ce geste de tendresse. Cette fois, il passa son bras dans le dos de son ami et déposa un baiser sur son front.
- Je ne sais pas si nous arriverons à recréer Chébérith... ou si nous finirons par succomber à une attaque de l'Avaleur de Mondes, mais je suis sûr d'une chose : ne serait-ce que parce que je t'ai rencontré, ça en valait la peine, chuchota Zayn tout contre l'oreille de Nathan.
Il frissonna en sentant son souffle hérisser sa peau et serra le jeune homme un peu plus fort contre lui.
- Oui... Il aura fallu une sacrée aventure pour que nous nous rencontrions. Tu imagines le voyage que nous avons fait ?
- Les voyages..., Nath. Ce n'est pas terminé. Nous allons y arriver. Je veux y croire. Nous ne sommes pas ici par hasard. Je le sens au plus profond de moi.
- Je fais confiance à ton instinct. Le livre est là, quelque part dans cette immensité... et nous allons le retrouver. Larchael a dû faire comme les autres : il l'a caché dans un endroit difficile à découvrir, mais pas impossible, afin que nous arrivions au bout de notre tâche. Il nous faut réfléchir. Raisonner comme lui, imaginer ce qu'il a pu penser quand il est venu ici pour le déposer quelque part.
Il sentait Nathan acquiescer contre lui.
- Mais, avant, j'ai autre chose à faire, conclut Nathan.
- Quoi ? Qu'est-ce que tu as d'autre à faire que de retrouver le Livre du Temps ? demanda Zayn en se redressant, surpris.
- Prendre mon temps, pour une fois...
Et il se tourna vers Zayn, l'embrassa encore et encore.
