Mot de l'auteur

/!\ Cette histoire est une réécriture en version boy x boy de "La quête des Livres-Monde" de Carina Rozenfeld, l'histoire et les personnages lui appartiennent ! Les livres peuvent être acheter sur amazon, fnac et en librairie ! (Environ 5 à 14 euros le livre et environ 30 euros l'intégrale) pour soutenir l'auteur et la financer dans ses projets ! /!\

PS : Les personnages autres que Nathan, Zayn, Lia et Aela ne m'appartiennent pas ! Ils sont de Carina Rozenfeld, une écrivaine très talentueuse que j'admire !


Il était bien. Le petit creux était juste à sa taille et il y subsistait encore le parfum de son passage. Et, d'ici, il pouvait tout comprendre, tout voir, tout entendre. C'était la cachette parfaite où attendre le meilleur moment pour agir. Car ce moment viendrait, cela ne faisait aucun doute. Maintenant, il savait ce qu'il avait à faire : détruire trois livres. Pour le moment, deux avaient été retrouvés, le troisième manquait. Quand ils seraient tous réunis, les livres et les anomalies, il jaillirait de son repaire douillet et les annihilerait tous. D'un coup. Ainsi, plus de distorsion, plus de douleur, plus de sommeil interrompu, plus de déséquilibre dans l'univers. Chaque chose retrouverait sa place, ou sa non-place, et il pourrait retourner dormir pour une éternité dans le vide sombre et silencieux, paisible...

Il rêvait déjà de ce moment. Mais, avant qu'il n'arrive, il avait encore du travail. Le plus discrètement possible, il se retourna dans le petit espace qui l'accueillait et se prépara à attendre encore...


Tôt le matin, Lodan les conduisit au labo, et c'est là-bas, devant un café fumant, que Nathan lui exposa leur nouvelle théorie. Au départ, il avait un peu hésité à s'exprimer, car Riguel était là, le dos tourné, planté devant l'écran de son ordinateur, faisant mine de les ignorer, comme il le faisait depuis leur échange verbal musclé.

Le Chébérien s'efforçait de les éviter, et Nathan ne l'avait aperçu que quelques instants, de loin, à la fête la veille. C'était plutôt une bonne chose. Le garçon n'avait aucune envie de l'affronter à nouveau. Du coup, son attitude faussement détachée les arrangeait tous. Ainsi, pas besoin de faire semblant, de se forcer à des salutations qui n'auraient pas été sincères. Ils s'ignoraient les uns les autres et c'était mieux ainsi.

Oui, l'Avaleur de Mondes représentait toujours une menace et, chaque jour, Nathan se levait en craignant de le ressentir, ombre invisible qui l'observait. Mais pour le moment rien ne laissait présager que l'entité les avait retrouvés. Aucune impression flottante d'être guetté, aucun coup de poing à l'intérieur de son esprit, aucun signe de possession chez Lia ou Aela, ni chez aucun habitant du village. Tout était paisible, calme, et cela l'étonnait presque. Est-ce que l'Avaleur de Monde les cherchait ? Arrivait-il à les percevoir depuis l'autre côté de la planète ?

Il valait peut-être mieux éviter de se poser la question et continuer à profiter de ce séjour agréable et riche d'espoir. Mais, dans un coin de sa tête, Nathan ne pouvait s'empêcher de se demander à quel moment il reviendrait et quelle serait alors sa tactique pour tenter de les détruire à nouveau...

Son attention revint vers Lodan, qui était allé chercher une carte et la déroulait à présent devant lui. Elle représentait l'ensemble des tracés de Nazca. Dès qu'elle fut à plat sur la table, il pointa du doigt une première spirale, celle qui était prise en sandwich dans un angle.

- En voilà une, déjà.

Aela, Zayn et Lia se penchèrent sur les motifs dessinés au feutre sur une carte de la région. Nathan, quant à lui, regarda du coin de l'oeil Riguel se lever et se diriger vers eux, les mains enfoncées dans les poches de son jean, l'air nonchalant.

Lodan se poussa pour faire une place à son frère. Les voir côte à côte était troublant : ils se ressemblaient vraiment beaucoup.

- Ce n'est pas celle-là, déclara le Chébérien à voix basse.

- Pardon ? demanda Lodan en dévisageant son frère.

Tous les regards étaient à présent tournés vers Riguel. Il les fixa chacun à leur tour, l'air sérieux et concentré.

- J'ai entendu ce que Nathan a raconté. Il a parlé du « chemin ».

- Oui, en effet, murmura le garçon. C'est comme ça que le père d'Aela a nommé le tatouage en spirale.

- Le chemin vers le Livre-Monde, confirma Aela. Je suis certaine que c'est ce qu'il voulait dire.

- Sans aucun doute, la rassura Riguel en esquissant un sourire. Mais j'ai bien connu Larchael. Il était d'une intelligence redoutable et, avec lui, rien n'était laissé au hasard.

Lodan fronça les sourcils. Visiblement, lui non plus ne voyait pas où voulait en venir son frère.

- Je le sais bien, mais qu'est-ce que tu entends par là ?

- Enfin, Lodan, c'est évident ! (La voix de Riguel s'anima.) Le chemin... C'est à double sens.

- Double sens ? répéta Zayn.

- Le chemin, Lodan, le chemin !

Riguel insistait sur le mot en le prononçant de façon légèrement différente. Il allongeait la première syllabe en l'accentuant, et le "in" de la fin du mot devenait presque guttural, "ûn". Le visage de son jumeau s'illumina et il éclata de rire.

- Bien vu ! Vraiment bien vu ! C'est tellement évident ! Comment je n'ai pas compris moi aussi ?

Hilare, Lodan déplaça son index, toujours posé sur le premier motif qu'il leur désignait, vers un autre dessin, celui du singe. Là aussi se trouvait une spirale : la longue queue de l'animal était enroulée sur elle-même, représentant le fameux motif qui était leur indice de départ.

- Le Sheumun. Un singe que l'on trouvait sur Chébérith. Il avait la particularité de vivre en ville, et il n'était pas rare d'en voir entrer dans les maisons et les appartements pour partager un repas ou chiper le contenu d'une assiette. Ils enroulaient leur queue en spirale quand ils se perchaient sur une branche d'arbre ou un lampadaire ! Le soir, on pouvait les entendre cavaler sur les toits des immeubles, lors de nos balades nocturnes dans le ciel mauve. Ils chantaient de façon extraordinaire, envoûtante, et c'est pourquoi on acceptait leurs farces de bon cœur. Larchael les adorait. Il voulait en ramener un avec lui sur Terre, mais évidemment c'était impossible. Le Sheumun. Le chemin. Riguel a raison, les enfants. C'est certainement là qu'il a dissimulé le livre. J'aurais dû y penser moi-même.

Un silence abasourdi tomba sur le laboratoire. La solution était là ! Après les révélations de Riguel, c'était d'une évidence criante, c'était comme s'ils pouvaient entendre le Livre du Temps les appeler depuis sa cachette.

- Papa a toujours aimé les singes. Quand j'étais toute petite, on allait au zoo les observer et il me racontait des histoires à leur sujet..., chuchota Aela, le regard fixé sur le dessin de l'animal.

- On у va ? demanda Lia en se redressant, brisant ainsi l'émotion et la solennité du moment.

Zayn se secoua et lâcha le coin de la carte qu'elle tenait, la laissant s'enrouler à nouveau.

- Oui, allons-y !

- Pas de problème, les enfants, mais cette fois on y va en voiture. Il est trop tard pour voler, j'entends déjà les avions qui survolent la zone.

Riguel approuva d'un signe de tête et continua :

- Je vais chercher des renforts au village. Le singe occupe une surface au sol immense et à cinq vous allez y passer des jours. Je vous rejoins là-bas avec les autres.

- Parfait !

Lodan attrapa les clés de sa jeep et fit signe aux jeunes de le suivre. Une sorte de courant électrique semblait grésiller dans l'air, traduction de leur impatience, de leur excitation. À toute allure, ils s'engouffrèrent dans la voiture et leur chauffeur démarra avant même que la dernière portière n'ait claqué. Avec un large sourire, il filait sur la route, le pied à fond sur l'accélérateur.

- Mon frère a un caractère difficile, il est souvent bougon, mais il a de la ressource et un talent incroyable pour relier les détails entre eux, expliqua-t-il comme pour occuper les minutes qui les séparaient du tracé du singe.

Personne ne répondit. La tension était palpable dans l'habitacle de la jeep. Le paysage défilait à toute allure derrière les vitres, la poussière tournoyait dans leur sillage. Le ciel, d'un blanc laiteux, ressemblait à un drap posé sur l'horizon inégal. Était-il possible qu'ils touchent enfin au but ? Dans quelques heures, si tout se passait bien, ils tiendraient entre leurs mains le dernier Livre-Monde, celui dans lequel était consignée toute l'histoire de Chébérith - les grands et petits événements qui avaient rythmé les siècles de son existence - et surtout le mécanisme permettant de lancer le processus de reconstruction de la planète.

Chacun à sa manière, ils pensaient aux âmes contenues dans les puces du premier livre qu'ils avaient trouvé dans le Sud de la France. Ces minuscules grains sombres qui paraissaient respirer lentement dans l'attente d'un réveil incertain. Des millions de vies, de souffles, d'esprits, d'histoires personnelles... Bonheurs et malheurs, amours, projets, inventions, prodiges... toutes ces choses que les êtres vivants pouvaient expérimenter et réaliser au cours de leur existence. Existence qui paraissait tellement brève mais qui, à la lumière du drame qui avait touché les Chébériens, devenait infiniment précieuse. Oui, chaque vie comptait, car qui savait ce qu'elle pouvait contenir de promesses et de miracles ? Chaque souffle devenait inestimable et méritait de vivre jusqu'au suivant.

Jamais le trésor de la vie ne leur était apparu aussi concrètement que pendant ces longues minutes qui s'étiraient dans ce désert de pierres et de poussière.

Nathan pensait aux porteurs des livres, qui avaient tout fait jusqu'à leurs derniers instants pour permettre à Chébérith de revivre un jour. Eux aussi reviendraient, mais plus jeunes, vierges de tous ces événements héroïques accomplis dans une vie qui n'était plus. Il pensa à Eyver dans sa version antérieure, libéré de son corps souffrant. Oui, il était curieux de faire connaissance avec l'homme fort, debout sur ses jambes. Mais qu'adviendrait-il de sa « version » terrienne, celle qui se tassait au fil des jours sur un fauteuil ?

Zayn, quant à lui, pensait au continent de Goth et à sa poussière dorée, berceau de ses origines, aux agrales qu'il survolerait quand l'océan Majilpuûr serait recréé. Il n'oubliait pas la promesse qu'il s'était faite de les étudier et de percer le mystère de leur langage coloré.

Lia se voyait déjà comme l'héroïne terrienne adulée par un peuple d'êtres ailés. Lui revenait la chance de pouvoir visiter une autre planète, de détenir un secret bien gardé : la vie ailleurs, à des distances incommensurables, dans une autre partie de l'univers, existait...

Quant à Aela, bien entendu, elle pensait à son père. Elle savait qu'il ne la connaîtrait pas, qu'il reviendrait à un stade où il ne l'avait même pas conçue. Mais peu lui importait. Elle lui raconterait tout, lui montrerait toutes les photos de sa vie qu'elle avait soigneusement rangées et légendées au fil des années.

Toutes ces réflexions silencieuses tournoyaient dans les esprits, crépitaient dans l'air, semblaient se propager dans l'espace comme des tentacules tâtonnant à la recherche mentale du Livre du Temps. Où était-il caché ? Sous une pierre ? Dans un trou ? Comment le retrouver précisément au milieu de toutes ces roches qui se ressemblaient tellement, dans cette immensité désertique monotone ?

Enfin, après un temps qui leur parut très long, Lodan arrêta sa voiture sur le côté de la route et leur fit signe de descendre.

- Il est là. Évidemment, on ne le voit pas au sol puisque les tracés ne sont identifiables que du ciel, mais il est là, à vos pieds ou presque. Suivez-moi.

Le Chébérien s'enfonça dans la plaine terne et ondulée, jonchée de cailloux de toutes tailles, ses chaussures épaisses faisant craquer le sable sous ses semelles.

- Ici. C'est là que commence le singe. La queue est par là bas.

Il fit un vague signe de la main droit devant eux, vers l'horizon morne.

Nathan sentit la vague d'espoir qui l'avait porté depuis leur départ du labo retomber. En effet, d'ici, on ne voyait aucun détail. S'il n'avait pas eu l'occasion de contempler le tracé depuis le ciel, il aurait pu croire qu'il n'y avait rien d'autre que de la terre et des rochers. Rien ne laissait soupçonner qu'on avait dessiné un animal dans toute cette poussière. Cela changeait complètement sa perspective : comment orienter les recherches ? Par où aller ? Où se trouvait vraiment la spirale qui les intéressait ?

Zayn n'avait pas l'air de se poser toutes ces questions. Il refit son lacet et déclara d'une voix ferme :

- Parfait. On s'y met. Je propose qu'on fasse un râteau.

- Quoi ? Un râteau ? De quoi tu parles ? s'exclama Lia.

Zayn leva les yeux au ciel et expliqua:

- Oui, un râteau ! On se met en ligne, à environ un mètre les uns des autres, et on avance tout droit en explorant le sol dans notre périmètre.

- Ah ! Ce genre de râteau... Mais tu es fou ! Tu as vu jusqu'où va la spirale ? Lodan, dites-lui qu'il est fou. On n'y arrivera jamais à cinq.

Lodan éclata de rire et pointa du doigt un nuage de poussière qui grossissait à vue d'oeil.

- À cinq, non, mais regardez, les renforts arrivent. Tous ensemble, on va faire un râteau du tonnerre !

Quelques minutes plus tard, une demi-douzaine de véhicules, des voitures et des camionnettes, se garèrent près de la jeep de Lodan. Une foule de Chébériens en sortirent qui les rejoignirent au trot, visiblement tous impatients de commencer les recherches eux aussi. Très vite, ils s'organisèrent comme Zayn l'avait imaginé : formant une grande ligne, ils se mirent en marche, les yeux rivés au sol, à la recherche du moindre signe laissant supposer qu'un objet était caché dans les parages. Des enfants qui s'étaient portés volontaires couraient entre les uns et les autres avec des bouteilles d'eau et des tablettes de chocolat pour les sustenter et les encourager.

La concentration primait, mais parfois un éclat de rire jaillissait, des paroles s'échangeaient. De temps en temps, une exclamation s'élevait, quelqu'un qui pensait avoir trouvé quelque chose, faisant éclore l'espoir dans les rangs, mais à chaque fois c'était une fausse alerte.

Le temps s'écoula lentement, les heures succédèrent aux heures, les ombres au sol s'allongèrent... Quand la soirée ternit la lumière sur le désert, rien n'avait été trouvé. Et dès qu'il ne fut plus possible de distinguer quoi que ce soit, ils arrêtèrent leurs recherches et se regroupèrent près des voitures.

Leur motivation était retombée d'un cran. Ce bel espoir qui les avait portés pendant toutes ces heures s'était essoufflé au fur et à mesure que la fatigue grandissait. Toutes les pierres se ressemblaient. Malgré leurs tailles et leurs formes différentes, après ces longs moments à garder les yeux fixés dessus, elles avaient fini par se confondre, par devenir une sorte de bouillie grise et brune, un amalgame de sable, de roche, de poussière... Et au milieu de ce gruau triste, pas un signe de la présence du livre. C'est ce que Nathan avait craint depuis le début, mais il ne dit rien. Si demain ils continuaient les recherches en procédant de la même façon, il craignait que ce scénario ne se reproduise...

Lodan fit le tour des troupes en donnant des claques dans le dos et en distribuant des sourires à chacun.

- Hauts les cœurs ! Demain, on y retourne. Prions que le brouillard s'écarte quelques heures pour que nous puissions voler un peu. En attendant, je vous conseille une bonne nuit de sommeil. Reprenez des forces. On aura besoin de toutes vos ressources demain...


Morose, Nathan regardait, sans vraiment le voir, le village noyé dans l'obscurité. Il avait l'impression d'avoir encore, imprimé sur ses rétines, le sol du désert qui défilait en une tapisserie interminable. La nuit était fraîche et il frissonna, perché sur le toit de leur petite maison. Après s'être tourné et retourné sur son matelas sans trouver le sommeil une fois de plus, il s'était décidé à sortir, pris à la gorge par une sensation d'étouffement. Le livre était là, à quelques kilomètres ! Il en était sûr. Mais il restait introuvable et cette sensation d'être si près du but sans pouvoir l'atteindre le frustrait au point de perdre le sommeil.

Au village, tout le monde dormait. Pas un bruit, pas un mouvement entre les arbres et les bosquets, si ce n'étaient quelques chats qui prenaient possession des lieux quand les gens se calfeutraient derrière leurs portes.

- Toi non plus, tu ne dors pas ? Le chuchotement, bien que léger, le fit sursauter.

Silencieusement, Zayn vint s'asseoir près de lui. Son profil parfait, se découpait dans la lueur claire de la lune aux contours légèrement estompés par la brume qui s'était un peu dissipée.

- Je n'y arrive pas. Je suis tellement frustré que je pourrais casser quelque chose, répondit Nathan en haussant les épaules.

Le jeune homme posa sa tête sur l'épaule de son ami.

- Pareil. En enlevant la partie où je casse quelque chose, ce n'est pas trop mon genre.

Nathan s'esclaffa et embrassa les cheveux de Zayn, qui releva son visage de manière à ce que leurs lèvres se rencontrent. Aussitôt, le sang de Nathan se mit à bouillir, comme si toute son irritation se diluait dans ce contact.

En un mouvement fluide, il allongea Zayn sur le dos contre les tuiles et la recouvrit de son long corps, ses ailes écartées masquant le ciel.

Plongeant ses mains dans la chevelure douce du jeune homme, il approfondit leur baiser puis autorisa ses doigts à quitter ses mèches pour caresser son cou, ses épaules dénudées. Leur respiration se fit plus rapide, plus rauque.

C'était leur façon de se rassurer, de se dire qu'ils n'étaient pas seuls, que l'espoir n'était pas mort tant qu'ils étaient là, en vie, prêts à tout pour arriver au but. Sans qu'ils le réalisent, leurs bassins se collèrent, ondulant l'un contre l'autre, jusqu'à ce que Nathan, à bout de souffle, s'écarte légèrement du jeune homme en haletant.

- Il faut que je me calme. Tu me mets dans un état pas possible...

Zayn eut un petit rire.

- Je crois que je suis dans le même état que toi, mais tu as raison, on va se calmer un peu…

A regret, ils se séparèrent et se rassirent sagement l'un contre l'autre. Nathan ferma les yeux et inspira longuement pour apaiser les élancements de son corps.

- Je voudrais tellement y retourner tout de suite, murmurat-il entre ses dents.

- Pareil... Quand on était sur place, le temps paraissait aller trop vite, je voyais les heures défiler à toute allure et on ne trouvait rien. Et maintenant il me semble qu'il passe trop lentement.

- Et si on y allait ?

Zayn, qui avait posé son menton sur ses genoux relevés devant lui, se redressa.

- Maintenant ? En pleine nuit ?

- Oui. Regarde, la garúa est plus légère, la nuit est à peu près claire, la lune brille à travers les nuages. En volant, on y sera super vite.

Son ami prit le temps de réfléchir quelques instants, puis il sauta sur ses pieds.

- Allons-y.

- Sérieusement ?

- Sérieusement.

D'un même mouvement, ils déployèrent leurs ailes et, silencieusement, prirent leur envol. Bientôt leurs silhouettes se fondirent dans l'obscurité.

Se diriger n'était pas très difficile, même dans le noir : la route traçait un long ruban bien visible au milieu du désert. Ils n'avaient qu'à la suivre d'en haut pour arriver à l'emplacement où, le matin même, ils avaient commencé leurs recherches. Les nombreuses traces de pneus se voyaient encore. Certains d'être au bon endroit, ils prirent de l'altitude et, éclairée par la lune, la silhouette du singe à la queue en spirale apparut, dessinée depuis des siècles dans ce coin perdu de la planète.

- D'après toi, où est-ce qu'il aurait pu le cacher ? demanda Zayn en volant près de son ami.

- Je ne sais pas... Il avait le choix, vu la surface qu'occupe le tracé. Tu m'étonnes qu'on n'ait encore rien trouvé. Vu d'ici, je réalise mieux à quel point il est grand !

- Justement, Nath, réfléchis, il avait le choix. Mais on a appris quelque chose d'important à propos de Larchael : il ne fait rien au hasard. Son tatouage en forme de spirale, le nom qu'il lui a donné, « le Chemin », qui est aussi le nom du singe sur Chébérith... C'était visiblement quelqu'un de cartésien, qui savait exactement ce qu'il faisait.

- Très juste. Et c'est peut-être par là qu'on aurait dû commencer : réfléchir à ce qu'il aurait pu faire plutôt que de partir à l'aveugle.

- Je suis arrivée à la même conclusion que toi.

Nathan faisait défiler dans sa tête tout ce qu'ils avaient assimilé. Lentement, il se mit à réfléchir à voix haute :

- La spirale est le symbole du temps et on cherche le Livre du Temps. Mais il doit y avoir un point précis qui nous intéresse dans cette boucle.

- Vas-y, continue..., l'encouragea Zayn.

- Il disait également que c'était le signe de la réversibilité. C'est un point qu'on n'a pas abordé encore. On peut cocher le temps, le chemin, le sheumun, le singe, quoi, mais la réversibilité, on n'a pas encore découvert à quoi ça correspondait.

- Oui ! J'avais oublié ce détail !

Zayn se mit à battre des ailes frénétiquement, signe de sa réflexion intense. Nathan le suivit dans ses arabesques au cœur du ciel nocturne. Il reprit d'une voix légèrement plus grave :

- Qu'est-ce qu'il entendait par « réversibilité », d'après toi ? Je suis sûr que c'est important.

- Hum... Je dirais que c'est le moyen de faire demi-tour, de pouvoir repartir en arrière.

- Oui. Et lui, il ne pouvait pas aller en arrière. Son seul choix, c'était de continuer jusqu'à l'effacement, jusqu'à...

- Jusqu'à ce qu'on trouve le Livre-Monde et qu'on puisse recommencer.

- Et à quel moment on peut recommencer ?

- Une fois qu'on est arrivé au bout du chemin, qu'on n'a pas d'autre choix que de faire demi-tour.

Ils se regardèrent, les yeux brillants, leur cœur battant la chamade, emportés par le raisonnement qui les avait menés au même point.

- Le centre de la spirale ! s'exclamèrent-ils de concert.

- Oui, c'est ça !

- Yes !

Ils se tapèrent dans les mains avant de se ruer à tire-d'aile vers le point central de la grande hélice qu'ils ne pouvaient identifier que de là-haut. Cela coulait de source quand on comparait avec la recherche des livres précédents, le mode opératoire était le même : les cachettes n'étaient visibles ou atteignables qu'en volant ! La méthode de ce matin, qui consistait à chercher le livre à pied, était vouée à l'échec depuis le début.

Ils piquèrent sur l'objectif et la solution leur sauta aux yeux. Là, sur une grosse pierre presque plate, était gravée une fine spirale. Le chemin... C'était un trait léger, presque invisible, mais il était très blanc sur le brun de la roche et, dans l'éclat argenté de la lune, il ressortait particulièrement bien.

Avec légèreté, ils se posèrent de chaque côté, saisis par l'importance du moment. Le dernier livre. Le but ultime de leur quête. La promesse de ramener à la vie tout un monde et ses habitants. Un miracle...

- C'est là, murmura Nathan. Oui, c'est ici...

Il effleura de la main le dessin, certainement gravé au canif. Lodan leur avait bien expliqué que le climat de la région empêchait l'érosion et tout changement important des lieux, ce qui expliquait la conservation exceptionnelle des tracés. Il ne pleuvait, tout cumulé, que vingt minutes par an... Larchael le savait et en avait conclu que le signal qu'il laissait ne disparaîtrait pas avant de très nombreuses années. Nathan tenta de soulever la pierre.

- Elle est lourde.

- Attends, je vais t'aider...

Ils s'arc-boutèrent, leurs doigts agrippés aux aspérités de la roche, et lentement, centimètre après centimètre, ils réussirent à la soulever. Nathan, avec mille précautions, passa ses mains en dessous pour avoir une meilleure prise et, en concentrant toute sa force, parvint à la relever suffisamment pour que Zayn puisse se glisser sous sa surface.

- Nath, il y a une cavité creusée dans la terre ! Est-ce que tu peux la tenir encore un peu plus haut ?

- Han ! Oui, je vais y arriver, mais dépêche-toi, c'est hyper lourd.

Pourtant ses bras ne tremblaient pas et il avait l'impression d'être plus fort que jamais, ses capacités multipliées par l'adrénaline. Ils y étaient arrivés ! Ils l'avaient trouvé !

Zayn rampa sur le sol rocailleux, et les égratignures qu'il se faisait sur la peau nue de ses bras et de ses jambes lui rappelaient le moment où il avait attrapé le coffret en bois caché dans l'anfractuosité de la calanque pendant que Nathan maintenant écartés les buissons épineux. Cette fois, c'était une pierre. Les événements se répétaient presque, comme les anneaux d'une spirale sur le point de se chevaucher...

Il étira le bras dans le trou frais et ses doigts explorèrent la cavité. Soudain, il sentit quelque chose qui ne laissait planer aucun doute.

- Un coffret de bois. Nathan ! il est là, à portée de main !

- Vas-y, prends-le. Tu peux ?

Il sentit qu'il s'enfonçait un peu plus sous la pierre et il ne vit plus dépasser que ses sandales.

- Je l'ai ! Je l'ai ! J'avais oublié que c'était si lourd.

- Pas autant que le rocher, je parie…

Zayn devina sa peine et se reprit.

- Je fais vite.

Il l'entendit gigoter puis reculer centimètre par centimètre, ses jambes réapparurent, ses genoux, ses cuisses, le bord de son short, sa taille, jusqu'à finalement émerger entièrement, tirant à bout de bras un coffre de bois recouvert d'une fine couche de poussière, en tous points semblable à celui qui renfermait le Livre des Âmes.

- Tu peux lâcher !

Sans se le faire répéter, Nathan laissa retomber lourdement la pierre et, sans se soucier de ses muscles douloureux, il se pencha sur leur découverte. De sa main, il repoussa tous les grains de sable accumulés pour découvrir les nœuds du bois lisse et brillant.

Il ne trouvait rien à dire, étreint par une émotion si intense qu'il avait l'impression que sa poitrine allait exploser. Zayn, près de lui, laissait ses larmes couler silencieusement et tracer des sillons clairs dans la poussière grise déposée sur ses joues.

- Chébérith peut renaître, finit-il par dire de longues minutes plus tard…