Avec les filles, nous avions pris l'habitude de faire un repas de fêtes à trois – entre Noël et Nouvel-An, et passions généralement notre première journée ensemble à le préparer, afin de nous échanger nos cadeaux en soirée après une traditionnelle promenade nocturne sur le lac gelé qui bordait la maison.

Nous avions passé la majeure partie de notre seconde journée à discuter bien au chaud dans le salon, en nous partageant quelques biscuits que nous avions cuisiné le matin-même. Mon père avait repris le travail selon ses horaires habituels et nous avions la maison pour nous toutes seules. Je partageais le canapé avec Emily, qui était très concentrée sur la neige qui tombait par la fenêtre – la température s'était réchauffée aujourd'hui, et Alice avait pris le fauteuil près de la cheminée.

Cette dernière avait eu un Noël très habituel ; son grand-frère avait passé la soirée à lui verser discrètement du Whisky Pur-Feu dans sa bièraubeurre et elle s'était retrouvée complètement ivre à 22h. Alice nous avait assuré ne pas s'en être rendue compte, mais j'avais du mal à comprendre comment il lui avait été possible de confondre une bièraubeurre avec de l'alcool fort – elle était peut-être déjà légèrement alcoolisée lorsque son frère avait commencé son rituel, cela dit. Leur mère les avait sévèrement réprimandés – sans trop de succès, et Alice avait fini par raconter les pires conneries de son frère à sa nouvelle copine pour se venger ; et probablement parce que, dans son état, elle aurait été bien incapable d'inhiber quoique ce soit.

Visiblement, aux alentours d'une heure du matin, le frère, la sœur et le père étaient partis dans un concours de métamorphose complètement ivres ; le sapin de Noël n'était plus qu'un amas de bois sec impossible à faire revenir à son état initial, les coussins étaient devenus un semblant de nourriture – majoritairement des toasts qui avaient tâché tout le canapé, et les verres de champagne s'étaient mis à courir – enfin à « sauter comme à pied joint » dans la cuisine lorsque son père avait préféré enchanter plutôt que métamorphoser les objets. Alice était persuadée d'avoir gagné leur concours et était très satisfaite de ses prestations, surtout vu son état d'ébriété bien avancé. Dû à ce même état, elle avait cependant passé le reste de la soirée à avoir peur que le Ministère vienne l'arrêter pour avoir pratiqué ce genre de magie tout à fait intentionnelle sans être majeure – avec l'appui évidemment très convaincant de son frère qui n'avait pu s'empêcher d'accroître sa peur, jusqu'à ce qu'elle s'endorme d'elle-même sur le canapé.

Des fêtes de famille somme toute assez normales chez les Stevens. Peut-être que la plus grande surprise de ces fêtes était que la copine du frère n'avait pas pris les jambes à son cou le lendemain matin.

Mais, évidemment, Alice avait trouvé mon Noël bien plus drôle à en croire le grand éclat de rire dans lequel elle était partie lorsque je lui avais raconté le « fameux » repas, devant le regard amusé d'Emily.

- En même temps, c'est normal qu'elle veuille la rencontrer, fit Alice alors que nous discutions de ma grand-mère. Elle ne sait pas depuis quand vous êtes ensemble, en plus tu ne lui as jamais présenté personne donc elle est toute excitée, et tu lui as vendu la copine parfaite. J'aimerais trop être là quand tu le diras à Parker pour voir sa tête, reprit-elle avant de repartir dans un grand éclat de rire.

- Je me suis laissée emportée avec le stress, soupirai-je. Elle oubliera peut-être d'ici les vacances.

- Oh, non, s'amusa Alice, ta grand-mère n'oubliera certainement rien. Mais bon, elle risque d'être déçue, quand même.

- Comment ça ?

- Très jolie ? Si tu aimes les reines de glace, alors Harper est très jolie, mais Parker est… jolie. Point. Et très intelligente ? insista Alice. Elle est cultivée, ce n'est pas pareil, tu sais.

- Tu n'es quand même pas sérieusement en train de dire qu'Harper est plus jolie que Lilith ? m'offusquai-je non sans un sourire. Et tu ne la connais même pas, je te signale, tu ne lui as jamais parlé ! Elle est intelligente et cultivée.

- Eyrin, dit-elle d'un air tout à fait sérieux, je pense que tu as un grave problème de perception. Si ça se trouve, tu as besoin de lunettes. Il ne faut pas déconner avec ça, tu sais, la vue c'est important. Va falloir consulter avant que ta vue baisse trop drastiquement et que tu te mettes à trouver Campbell « très » jolie.

Je ne pus m'empêcher de rire et la culpabilité me prit aussitôt ; c'était d'une méchanceté absolument gratuite. Au moins, Emily m'avait accompagné dans cette déplorable crise de rire.

- Tu sais, commençai-je en récupérant un biscuit sur la table basse, peut-être que tu pourrais l'appeler par son prénom.

- Tu viens toi-même de dire que je ne la connaissais pas, rétorqua Alice. C'est trop bizarre de l'appeler par son prénom.

- Oui mais Parker, ça me fait penser à sa famille plutôt qu'à elle.

- Et nous n'aimons pas sa famille.

- Nous n'aimons vraiment pas sa famille.

- Ok, très bien, soupira-t-elle en se laissant tombée contre le dossier du fauteuil. Mais je veux lire une de ses lettres.

Je soupirai ; elle était là depuis deux jours à peine et c'était déjà sa sixième tentative.

- Hors de question, répondis-je fermement.

- Allez ! implora-t-elle. Je suis sûre que même son écriture doit nous prendre de haut.

- Elle écrit bien, rétorquai-je, il n'y a rien de condescendant là-dedans.

- Eyriiiiiin, s'agaça Alice dans un long soupir.

- Aliiiiiiice, l'imitai-je aussitôt.

Emily éclata de rire sur le canapé et la blonde lui lança un coussin – enfin peut-être avait-elle essayé de me viser moi, car elle eut l'air déçu que le coussin arrive à destination d'Emily qui l'évita de justesse. Nous éclations de rire tandis qu'Alice tentait péniblement de s'excuser.

- Tu sais que les lettres sont sur ton bureau, reprit-elle finalement.

- Serait-ce une menace ?

- Je constate simplement que j'aurais pu les lire hier soir pendant que tu prenais ta douche.

- Eyrin, s'amusa Emily, je pense qu'Alice imagine que tu la récompenseras en la laissant lire tes lettres sous prétexte qu'elle s'est retenue de les lire.

- Oui, et c'est tout à fait normal, répliqua Alice. Si Eyrin était bien élevée, c'est ce qu'elle ferait.

- Il est hors de question que tu lises quoique ce soit.

- Mais tu passes tellement de temps à lui répondre, de quoi est-ce que vous parlez ? demanda Alice en sautillant presque d'impatience sur le fauteuil. Et tu sais, si ça avait été un garçon, je t'aurai pris la lettre des mains sans me gêner. Je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas la lire.

Nous eûmes le réflexe de répondre dans le même temps, Emily et moi.

- Parce que si elle lui répondait en 5 minutes, dit Emily, tu ne serais pas curieuse ?

- Ca n'a rien à voir avec le fait qu'elle soit une fille, tu n'oses pas lire les lettres de Lilith à cause de son statut et tu essayes de m'embobiner avec la première connerie qui te vient à l'esprit.

La blonde leva les yeux au ciel – deux fois vaincue, avant de se tourner justement vers Emily pour l'un de ses habituels changements de discussion ; je n'eus cependant aucun doute quant au fait qu'elle continuerait d'essayer dans les jours à venir. Aucune lettre de Lilith n'était en sécurité dans cette maison.

- Et toi, chez la famille de Théo, ça s'est bien passé ?

- Je crois qu'ils pensent que je fais partie d'une secte.

- Qu'est-ce que c'est ? demanda Alice.

Emily nous expliqua succinctement qu'il s'agissait d'un groupe de personnes qui pouvaient manipuler d'autres à les rejoindre pour de soi-disant croyances ; visiblement, une fois le groupe rejoint, celui-ci avait tendance à les y enfermer et à faire en sorte qu'ils ne puissent plus en sortir. Les victimes donnaient aussi ce qu'ils avaient – argent, patrimoine, au groupe.

Visiblement, la famille de Théo lui avait fait remarqué que l'isolement qu'il voyait chez Emily – le fait qu'elle ne pouvait réellement parler de Poudlard ou de la magie, était un signe qu'elle avait besoin d'aide. Personnellement, cela me fit surtout penser aux mangemorts.

- Mais ce n'est pas ce que Théo croit, pas vrai ? vérifia Alice.

- Non mais c'est difficile pour lui de comprendre la situation et de pouvoir se défendre auprès de sa famille tant que je n'ai pas le droit de lui montrer réellement la magie, répondit Emily. Au moins, ça le rassurerait sur le fait que ce soit sans danger, par exemple.

- Mais ça fait une éternité que vous êtes ensemble ! s'indigna la blonde.

- Trois ans, Alice.

- C'est ce que j'ai dit !

Je ne pus empêcher un sourire devant l'air exaspéré d'Emily.

- Il faut que vous soyez mariés, c'est ça ? demandai-je. Pour avoir le droit de faire de la magie devant lui, je veux dire.

- Oui, répondit la brune en se reversant du thé.

- Mais s'il le sait déjà, fit Alice, le Ministère s'en fout, non ? Qu'est-ce que ça change si tu fais vraiment de la magie ou non, à partir du moment où Théo te croit sorcière ? Le Secret Magique est rompu dans tous les cas.

- Je ne sais pas Alice, j'imagine que je n'avais pas réellement le droit de lui dire en réalité, répondit Emily. Mais c'est trop étrange de nous forcer à mentir dans ce genre de cas et j'ai préféré lui dire la vérité. De toute façon, Théo est très curieux. S'il n'a pas toutes les réponses, il va forcément les chercher. Il a déjà essayé de chercher l'école privée dans laquelle je suis censée être avant que je lui demande d'arrêter. Je ne voulais pas qu'il se passe quelque chose dans sa tête, qu'il aille chercher là où il ne devait pas, et qu'après il se retrouve à être oublietté ou quelque chose.

- C'est un vrai risque, ça ? demandai-je. Ou c'est comme métamorphoser un sapin le jour de Noël quand on est mineure, techniquement interdit mais pas réellement appliqué ? m'amusai-je en lançant un regard à Alice qui leva les yeux au ciel.

- J'étais à deux doigts de choisir de métamorphoser les cadeaux, en plus, répliqua la blonde, mais j'ai préféré prendre le sapin parce qu'il avait l'air triste avec ses petites décorations toutes désordonnées. Mon père est vraiment nul en enchantements. Elles bougeaient toutes en décalage, ça m'a perturbée toute la soirée. Aucune boule n'était synchronisée avec une autre, aucune, répéta-t-elle sidérée. C'était tellement triste à voir.

Nous rîmes ; Alice avait dû être particulièrement ivre, tout de même. C'était incroyable que, dans un état pareil, elle avait tout de même été en capacité de métamorphoser un sapin entier. Même sobre, je devrais m'y prendre à plusieurs reprises pour arriver à quelque chose de potentiellement potable. Elle avait une maitrise de la magie bien supérieure ; à part en potions, respecter des instructions l'avait toujours ennuyée et, plus la potion nécessitait d'étapes de préparation, plus elle perdait de concentration au fil de sa lecture. Lorsque nous étions en binôme, il lui était déjà arrivé de presque s'endormir en pleins travaux pratiques si ce n'était pas moi qui organisait notre travail.

- Après, reprit la blonde, il y a des Moldus qui ont dû être oubliettés après une rupture. Donc j'imagine que c'est un vrai risque, quand même.

- Vraiment ?

- Ouais ouais, répondit Alice, y'a eu un scandale il y a quelques années quand ils se sont rendus compte qu'une bonne partie des oubliettes était liée à des relations amoureuses qui se sont mal terminées. Ces idiots n'arrivaient pas à être assez précis pour leur faire oublier l'annonce, alors ils ont simplement fait disparaître la relation. D'un côté, c'est pratique, pas vrai ? s'amusa Alice. Pas d'ex chiant à gérer. Mais bon, tu imagines des Moldus qui ont pu être parfois pendant des années avec quelqu'un ne soudainement plus se souvenir de la personne en question ? reprit-elle, ahurie. Les Moldus ont failli inventer une maladie du cerveau, comme celle d'Emily, pour expliquer le phénomène avant que le Ministère intervienne de manière un peu plus intelligente pour contenir la chose. J'ai lu ça la semaine dernière. Maintenant qu'ils ont fini de nettoyer les ravages de la Guerre, ils reviennent aux affaires habituelles et ils ont peur que les oubliators soient un peu trop exténués pour faire du travail de qualité. L'histoire est remontée à titre d'exemple…

Au final, ces histoires étaient assez surréalistes ; les sorciers ne pouvaient se permettre de dire la vérité à toutes les personnes Moldues qu'ils côtoyaient, mais devoir attendre le mariage pour dire la vérité – puisque c'est ce qu'Emily sous-entendait lorsqu'elle disait qu'elle n'avait peut-être pas eu le droit de le lui dire, était réellement étrange. Le Ministère avait probablement besoin d'utiliser un indice pour décréter qu'un couple était stable et se projetait suffisamment dans le futur pour pouvoir partager le Secret Magique, mais cela nécessitait forcément de passer par le mariage. Si c'était un symbole fort dans les deux cultures, moldue comme sorcière, ça restait très contraignant pour les personnes ne souhaitant pas se marier. Peut-être notre société aurait-elle pu gérer le Secret Magique différemment ; après tout, comment construire une relation basée sur la confiance s'il fallait qu'Emily mente afin de pouvoir dire la vérité plus tard. C'était assez contradictoire – comme nos relations avec les Moldus de manière générale. Et, bien sûr, le Ministère usait constamment d'oubliettes comme si ce n'était pas un problème éthique de pouvoir s'amuser avec la mémoire des Moldus. Nous en avions peur mais nous avions pourtant l'avantage sur eux sans réellement le reconnaître.

Cela me rappela le livre que Lilith m'avait offert. C'était l'histoire d'un Moldu – Elias Scott, qui vivait dans un appartement d'un immeuble en très mauvais état en plein Londres des années 40. Les murs étaient fins et il entendait tous les soirs les conversations de certains de ses voisins ; évidemment sorciers. Au bout d'un moment, il finit par réaliser que quelque chose n'était pas normal et décidait de mener son enquête – nous le suivions alors qu'il tentait de faire sens des propos sorciers, dans le même temps que, en tant que sorciers, nous essayions de comprendre qui étaient ses voisins et ce qu'ils faisaient dans cet immeuble. Des résistants ? Des soutiens à Grindelwald ? Des criminels ? De simples sorciers qui essayaient de faire sens de la situation ? Nous découvrions la vérité en même temps qu'Elias, même si lui n'avait clairement pas assez d'informations pour en comprendre autant que nous ; ce qui créait un décalage assez comique à la lecture. Évidemment, venait le moment où la confrontation eu lieu – et l'éternelle oubliette. Pourtant, les sorciers étaient toujours là le lendemain et les murs étaient toujours aussi fins. Alors Elias se posait à nouveau des questions et repartait dans une nouvelle enquête. Il finissait par comprendre que son esprit lui jouait des tours et, au fur et à mesure que les oubliettes passaient, il se laissait des indices écrits ici et là ; que les sorciers ne verraient évidemment jamais car ils ne bougeraient pas de leur appartement. Finalement, les oubliettes furent tellement nombreuses et les oublis de mémoire si fréquents qu'Elias finit par devoir être pris en charge par un médicomage moldu ; après avoir accessoirement perdu sa femme à cause de son obsession. Les sorciers, pourtant, n'avaient jamais changé leur façon de vivre ou de se comporter vis-à-vis d'Elias.

Si les sorciers ne s'étaient pas reposés sur la Magie uniquement – et notamment sur l'oubliette, Elias n'aurait pas eu besoin de finir dans l'état dans lequel il avait fini. La société sorcière était restée immobile et sur ses acquis ; dans un appartement, sans jamais prendre la peine de questionner sa présence dans cet immeuble Moldu en premier lieu – puisque nous n'avions, à la fin, aucun indice quant au pourquoi de leur présence. Tout comme les sorciers n'avaient jamais reconnu que le rapport de force était en leur faveur ; s'ils l'avaient fait, ils se seraient retenus d'user de tant d'oubliettes et auraient simplement déménager – ou parler moins fort. Le livre terminait sur un voisin d'Elias qui, en aidant la famille à faire les cartons pour le déménagement suite à l'internement d'Elias, retrouvait les notes et les écrits de l'enquêteur. Ses murs à lui étaient tout aussi fins et le récit se terminait sur le moment où, à son tour, il se mit à regarder avec attention l'appartement occupé par les sorciers.

Je me demandais comment Lilith avait pu avoir connaissance de ce genre de choses ; même mon père n'était pas familier de ce genre littéraire et avait eu l'air surpris par le livre, lui qui avait pourtant lu beaucoup de choses en rapport avec les Moldus lorsqu'il était tombé amoureux de ma mère. En tout cas, il ne s'était pas privé de me le piquer.

- Notre Eyrin pense à son amoureuse, s'amusa brusquement Alice.

- Quoi ? Non, répondis-je les joues rouges.

- Tu souriais effectivement, s'amusa à son tour Emily.

- Je pensais à son cadeau plus qu'à elle.

- « Oh, non, je pensais à ses baisers plus qu'à elle », m'imita Alice.

Je récupérai le coussin qui était tombé à côté d'Emily pour le rendre – d'une belle envolée à travers le salon, à sa juste propriétaire qui se le prit en pleine figure. Au moins, moi, je savais viser. Les entrainements de quidditch n'avaient pas été inutiles. Nous rîmes à nouveau et Alice promit de se venger.