Mot de l'auteur

/!\ Cette histoire est une réécriture en version boy x boy de "La quête des Livres-Monde" de Carina Rozenfeld, l'histoire et les personnages lui appartiennent ! Les livres peuvent être acheter sur amazon, fnac et en librairie ! (Environ 5 à 14 euros le livre et environ 30 euros l'intégrale) pour soutenir l'auteur et la financer dans ses projets ! /!\

PS : Les personnages autres que Nathan, Zayn, Lia et Aela ne m'appartiennent pas ! Ils sont de Carina Rozenfeld, une écrivaine très talentueuse que j'admire !


D'une main, Nathan pressait le Livre des Âmes fermement contre son cœur, et de l'autre il agrippait celle de Zayn, leurs doigts entrelacés, serrés à s'en faire blanchir les articulations. Enfin, c'est ce qu'il croyait. Ses sensations se trouvaient si déformées dans le vortex. Parfois il sentait la présence de son ami tout proche, sa paume brûlante contre la sienne, et la seconde suivante plus rien. C'était comme si il avait disparu, qu'une distance immense les séparait. Puis à nouveau il était là, à ses côtés, avec le Livre des Lieux.

Les silhouettes de Lia, qui portait le Livre du Temps, et d'Aela apparaissaient et disparaissaient également au gré des changements qui survenaient dans le passage. Parfois très petites, puis plus grandes, elles ondulaient dans l'étrange lumière miroitante.

Où ce chemin allait-il les mener ? Que trouveraient-ils au bout, là où Chébérith existait avant ?

Ils le découvrirent finalement quand l'éclat diminua et qu'une tache noire apparut au bout d'un moment à l'extrémité du tunnel. Sa fin, leur but.

Nathan trébucha légèrement en débouchant du vortex. Zayn, près de lui, fit de même.

Autour d'eux, c'était la nuit, une nuit immense qui les entourait complètement, où que leurs regards se posent. Des myriades d'étoiles de tailles différentes constellaient cet espace vertigineux.

Ils se tenaient sur une parcelle de terre grise, triste, déserte. Leurs pieds avaient soulevé un petit nuage de poussière en la foulant. Lia et Aela les rejoignirent rapidement.

- Où on est ? demanda Aela en frottant ses hérissés de chair de poule.

Il faisait très froid et de la buée s'échappait d'entre leurs lèvres à chaque respiration.

- Sur ce qui reste de Chébérith..., murmura Nathan contemplant ce minuscule îlot aride flottant dans le vide.

Lia inspira longuement l'air glacial et plissa le nez.

- Comment on fait pour respirer ?

- Ça doit être lié à la présence du vortex, murmura Zayn. Chébérith a été détruit, mais la porte qui reliait la planète à la Terre existe toujours car elle se trouve sur les deux planètes en même temps. De fait, une parcelle de terrain devait continuer à exister pour la soutenir. Enfin, c'est ce que j'imagine. En réalité, je n'en sais rien du tout.

- C'est un peu dingue, répondit Lia.

- Carrément, oui..., renchérit Nathan.

- Bon, on fait quoi ?

Zayn farfouilla dans sa sacoche, qui ne le quittait jamais, et en sortit quelques feuilles. Une partie des photocopies du carnet de Mélior, plus précisément les pages qui expliquaient comment les livres, une fois réunis, allaient fonctionner.

- Tout est expliqué là dans le détail, et c'est très simple.

- Je me méfie du mot « simple » maintenant, grommela Lia. Vous les Chébériens, vous ne faites rien de simple. Je vous connais !

Ignorant cette remarque, Zayn relut rapidement les description de Mélior.

Le froid devenait de plus en plus marquant. Nulle trace d'un soleil ici, seule la lumière du vortex les éclairait. Peut-être que l'astre qui chauffait Chébérith avait été oublié lui aussi, et qu'il avait disparu pour de bon, effacé de l'univers comme des mémoires, ou alors il n'était tout simplement pas visible d'ici. Quoi qu'il en soit, ils allaient devoir se dépêcher s'ils ne voulaient pas terminer gelés. En claquant un peu des dents, Zayn expliqua ce qui allait se passer :

- On va devoir ouvrir les trois Livres-Monde. Chaque couverture s'emboîte dans une autre, mais il faut coller la face extérieure du Livre des Âmes sur la face intérieure de celui des Lieux et ainsi de suite. Le mécanisme devrait être activé par la réunion des trois ouvrages.

Nathan fit la grimace.

- Tu imagines la distorsion que ça va créer, avec les trois ouverts en même temps ? On va se retrouver émiettés dans l'espace.

- C'est bien pour ça que vous avez besoin de vos deux assistantes sans ailes, qui pourront vous aider quand vous ne serez plus en état.

Ils se regardèrent en silence, les traits tirés par l'attente, l'angoisse, l'excitation, l'énormité de l'enjeu.

- Bon, ben, alors allons-y, décréta Nathan.


Jérôme se concentrait sur le contenu de la mallette qu'il avait posée près du panneau de contrôle quand un bruit le fit sursauter. Il se retourna vivement, cherchant l'origine du vacarme. Quand il le trouva, son visage se tordit dans une grimace. La chaise roulante d'Eyver était renversée sur le côté, une roue tournant encore dans le vide. Et de son occupant il n'y avait aucune trace.

- Vous aviez raison, monsieur, murmura Jérôme en revenant à sa mallette. Vous aviez raison, et j'aurais préféré que vous eussiez tort.

Les mains tremblant légèrement, il s'activa, saisit l'énorme seringue couchée sur le capiton de la valise, ainsi que la bouteille en verre, fermée par un bouchon en liège, contenant un liquide d'un vert foncé épais.

Il inspira, ferma les yeux et, d'un geste plus sûr, il planta l'aiguille dans le bouchon et tira le piston. Un éclat émeraude se refléta sur ses traits tendus et une émotion fugace passa dans ses yeux sombres.

- Je sais ce que vous me diriez, monsieur. Vous que nous n'avons pas le choix et que c'est mieux ainsi. Vous me rappelleriez que ce n'est pas vraiment terminé. Je sais tout ça, je le sais bien, mais vous n'imaginez pas la douleur que cela représente pour moi d'avoir à le faire.

Jérôme, toujours en murmurant son monologue, se nouveau vers le fauteuil inerte. vous l'avez

- Je vous aime, moi, monsieur. Je crois que vous l'avez deviné depuis tout ce temps. Et je ne cesserai jamais de le faire. Et c'est parce que je vous aime que je vais commettre l'irréparable. Parce que vous me l'avez demandé.

Son regard parcourut le vaste espace de l'usine désaffectée. Tout ce qui n'était pas éclairé par la lumière du vortex était noyé dans l'ombre des machines sales et abandonnées. D'une voix plus forte, il l'interpella.

- Où es-tu ? Où te caches-tu ? Montre-toi, lâche !

Il fit quelques pas en avant, fouillant toujours des yeux les recoins sombres. Lentement, un sourire anima ses lèvres. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas ressenti cette tension, l'adrénaline de la chasse. Il s'était juré de ne jamais recommencer, ayant abandonné son passé trouble derrière lui. Mais, cette fois, c'était pour la bonne cause. Alors il laissa ses réflexes, son instinct, reprendre le dessus. Tout ce qu'il avait été, tout ce qu'il avait fait remonta en lui, comme une bête sauvage libérée après des années de captivité.

La seringue toujours en main, il s'avança. Maintenant, il pouvait presque deviner où il se cachait. Il lui suffisait de tendre l'oreille, d'oublier les bruits parasites, les craquements de la structure, le souffle du vortex, les bips du panneau de contrôle. D'un coup, pour lui, toute cette symphonie de sons discordants s'éteignit. Seul l'écho d'une respiration un peu trop appuyée lui parvint. À droite. Là... caché certainement derrière cette vieille cuve rouillée.

À pas de félin, il s'en approcha, tous les sens en alerte, concentré sur sa cible. Il avait connu un temps où l'arsenal à sa disposition était plus évident : revolver, fusil... ou même des couteaux. Cette fois, il avait une seringue pleine de mémo. Et il allait tuer à nouveau.

Il contourna la cuve par la gauche mais s'arrêta au bout de quelques pas. Sa proie n'était plus là. Au moment où il allait se retourner, une main lourde se posa sur son épaule, le prenant par surprise. Sous le choc, il lâcha la seringue, qui alla rouler sous le réservoir. Le son léger du verre roulant sur le sol parut résonner longuement, aussi longuement que les regrets et la culpabilité dans l'âme de Jérôme. Dans son autre vie, jamais il ne se serait fait surprendre, jamais il n'aurait laissé échapper son arme. Étouffant un juron, il se retourna, sachant déjà ce qu'il allait découvrir. Et malgré tout il tressaillit sous le choc.

Eyver se tenait debout et sa haute silhouette trop mince le dépassait d'une bonne tête. Ses yeux étaient emplis d'un noir d'encre noyant les pupilles, les iris et le blanc qui les entourait d'un néant incommensurable. Le visage était crispé par l'effort requis pour parvenir à faire bouger ce corps malade.

D'un mouvement souple et rapide, Jérôme se baissa et réussit à échapper à la poigne de l'entité, dont les mouvements n'avaient pas encore acquis agilité et précision. En glissant silencieusement, il fit le tour de la cuve. Derrière l'énorme appareil, il faisait très noir. Mais, rapidement, ses yeux s'habituèrent à la pénombre grâce au léger éclat qui lui parvenait toujours du vortex. Sans aucun doute, le monstre allait chercher à suivre les jeunes afin de les empêcher de recréer Chébérith. Il avait pensé brièvement à refermer le passage mais, ne sachant pas quelles conséquences cela aurait de l'autre côté, il avait rejeté cette idée. Ses petits protégés, qu'il avait appris à apprécier au fil des semaines, étaient en danger. Il n'était plus temps de faire du sentimentalisme. Plus décidé que jamais, il accomplirait sa mission, aussi douloureuse et difficile fût-elle. Sans se préoccuper de la poussière ni de la saleté du sol, il s'aplatit et tendit le bras sous le réservoir, à la recherche de la seringue. Elle représentait son unique chance. À tâtons, il parcourait chaque centimètre carré de la surface cachée par le récipient démesuré.

Eyver l'avait prévenu. Le doute avait commencé à le saisir en constatant que son état de santé s'améliorait de façon miraculeuse. Ce n'était pas normal : après le choc de la distorsion, le coma, et compte tenu de l'état général très dégradé dans lequel il se trouvait avant tout cela, il aurait dû être encore plus diminué. Or il était empli d'une vitalité, d'une clarté d'esprit qu'il n'avait pas connues depuis des années.

Les soupçons avaient jailli alors qu'un jour le vieux Chébérien tentait de préciser ses impressions à son majordome.

- C'est vraiment curieux, c'est comme si le vide que j'avais en moi, après que l'oubli y eut été implanté, avait été comblé. Comme si...

Il s'était interrompu brusquement, les Jérôme avait croisé son regard et une lumière de compréhension avait jailli entre eux, un message silencieux, une révélation. Aucun mot n'avait été ajouté, cela n'était pas nécessaire. Eyver dit, d'une voix sourde :

- Vous savez que faire, n'est-ce pas ? Mais nous attendrons que les petits n'aient plus besoin de moi. Sauf s'il se manifeste avant.

L'homme sombre s'était contenté de hocher la tête, la mine grave.

Toutefois, Jérôme ne pouvait pas injecter du mémo à Eyver comme il l'avait fait pour les autres. Le vieil homme en avait pris durant tellement d'années sous forme de tisane qu'il était quasiment immunisé contre ses effets. La dose que le majordome devait lui inoculer pour chasser l'entité devait être considérable et donc mortelle. Et si Eyver voulait vivre encore un peu, c'est parce qu'il savait que les jeunes avaient besoin de lui. Ils tenaient à sa présence, et lui-même était resté pour eux. Jusqu'au bout. Jusqu'à ce que...

Et voilà que, le moment venu, Jérôme n'avait pas été assez rapide, l'Avaleur de Mondes avait pris possession du corps du vieux Chébérien et lui avait insufflé sa force afin qu'il tienne debout malgré ses membres atrophiés inutiles depuis tant d'années.

Pour l'instant, il était encore lent : le corps de son hôte était rouillé, malade, et cela lui demandait de s'ajuster, de compenser pour le faire se déplacer. Ce n'était peut-être pas une si bonne idée que d'occuper cet organisme débile. Il étendit un bras de particules noires comme de la cendre pour renifler l'air autour de lui. L'humain était là, par terre. Il cherchait l'arme qu'il avait fait tomber, la même arme que la jeune anomalie avait employée contre lui quand il avait pris possession de sa mère. Cette arme était dangereuse, mauvaise, elle lui faisait mal, le chassait des corps qu'il occupait. Et, ici, il n'avait pas tellement de choix en matière d'hôte. Il savait déjà que l'humain s'était protégé : il avait tenté de faire un tour dans sa tête, une nuit, quittant l'esprit malade mais poreux du vieil homme. Très vite, après avoir tourné en rond dans les circonvolutions du cerveau de l'autre, il avait compris qu'il n'arriverait à rien.

Il ne lui restait que le déficient, l'infirme. Alors il ferait avec. Il se gonfla, encore et encore, de manière à contracter muscles et tendons afin de manœuvrer les membres de son hôte, et il parvint à se déplacer plus vite. En quelques instants, il fut sur l'homme toujours couché sur le sol. Avec force, il lui enfonça un pied dans le dos.

- Aaah !

Le cri de douleur le fit jubiler. L'humain avait peut-être protégé son cerveau, mais sa matière demeurait faible, fragile. Il allait le briser. Sans hésiter, il appuya plus fort.

Jérôme sentit sa colonne vertébrale craquer. Ignorant la douleur fulgurante, il profita du moment où le pied se soulevait pour se retourner et prendre son élan avant le prochain coup. Des deux mains, il attrapa la cheville d'Eyver et réussit à le faire reculer le temps qu'il se redresse et que, d'un bond, il se retrouve debout, prêt à se battre.

Toutefois, il hésita quelques secondes de trop et un premier coup l'atteignit en plein visage. Malgré ses résolutions, c'était plus dur que prévu. Le majordome avait beau savoir que c'était l'Avaleur de Mondes qu'il avait devant lui, il voyait quand même Eyver, son visage émacié, son crâne glabre, son corps trop mince. C'était son maître, l'homme sur lequel il veillait depuis des années. Comment le frapper, comment parvenir à lui infliger de la peine alors qu'il l'avait soigné si longtemps ?

L'autre devina son hésitation et ricana. Il avait enfin compris comment insuffler toute sa puissance à son hôte, et c'est à une vitesse ahurissante qu'il se jeta à nouveau sur Jérôme, qui tenta de l'esquiver sans succès. Le poing le frappa durement au menton. Du sang apparut à la commissure de ses lèvres, qu'il essuya du revers de sa manche.

- Tu ne m'échapperas pas ! cria l'entité d'une voix si énorme qu'elle se répercuta longuement sur les parois de l'usine gigantesque. Je sais ce que tu veux faire, et je vais t'en empêcher !

Jérôme eut un sourire, un rictus narquois. Il passa sa langue sur ses lèvres et parut apprécier le goût du sang.

- C'est ce qu'on va voir, sale bête.

Dans un rugissement, il se jeta sur la créature. L'Avaleur de Mondes ne fut pas surpris par cette réaction. Depuis qu'il était arrivé sur Terre, il avait commencé à comprendre les humains, leur comportement, leur désobéissance têtue et inconsidérée.

Il se cala sur ses jambes et réceptionna l'homme sans difficulté. L'attrapant par les bras, il le souleva et le repoussa violemment, l'envoyant valdinguer à plusieurs mètres de lui.

Jérôme sentit qu'il s'envolait et s'écrasa sur le béton. Ses poumons se vidèrent brusquement et, enrobé de douleur, le souffle coupé, il lui fallut un temps avant de recouvrer ses esprits. Temps que l'entité occupa à se précipiter vers lui. Elle lui attrapa la tête et d'un geste précis, sec, la souleva pour la frapper sur les dalles poisseuses de l'usine. Une fois, deux fois. La vue de Jérôme se troubla alors que le regard noir posé sur lui se durcissait. Trois fois, quatre fois.

Il essaya de se débattre. Il usa de toute sa force pour éloigner les serres qui le maintenaient en position, sans succès. Soulevant ses jambes, il tenta d'envoyer des coups de pied vers son assaillant, mais la douleur devenait trop intense. Cinq fois, six fois. Sa tête frappait de plus en plus fort, il avait l'impression que sa boîte crânienne allait exploser comme un fruit trop mûr tombant d'un arbre. Sept fois, huit fois.

Finalement, ses paupières papillonnèrent, ses yeux se révulsèrent et il finit par sombrer dans l'inconscience. L'Avaleur de Mondes frappa encore une ou deux fois pour s'assurer que son adversaire était bien hors d'état de se battre.

- Je t'avais dit que tu ne m'échapperais pas. Vous les humains, vous êtes trop prétentieux, trop sûrs de vous. C'est certainement ce qui vous perdra.

L'entité se redressa, essuya consciencieusement ses mains sur la toile du pantalon d'Eyver et se retourna vers le vortex. En quelques pas, elle se retrouva au bord du passage, juste sous l'arche.

- On reprend là où tout a commencé, grinça-t-elle de sa voix déformée et effrayante.

Alors, sans un regard en arrière, elle y pénétra. La silhouette d'Eyver fut à son tour engloutie par la lumière...