Ah que bien le bonjour moussaillons !

Ça fait quoi, trois mois que je n'ai pas publié ? Mes excuses ! Voilà ENFIN la suite ! Et depuis le début de cette fic, je crois que c'est l'un de mes chapitres préférés. Sûrement parce qu'un certain pirate l'honore de sa présence... *sourire malicieux* Je n'en dis pas plus à ce sujet, on se retrouve à la fin pour le petit commentaire de l'auteure !

Avant de vous laissez avec la lecture du chapitre, je tiens à remercier .1996 et LeighInTHeSky pour leurs favoris ! J'espère que la suite répondra à vos attentes :3 Merci également à Silomede pour sa review, ça fait plaisir d'être soutenue ;)

Rappel de la flotte d'Akira :
Équipage principal - Navire : Mahogany / Membres : Akira (Capitaine), Amerika (Navigateur), Kenban (Musicien), Nanaly (Chanteuse), Sanae (Cuisinière) et Jita (Charpentier naval).

Première unité - Navire : Ebony / Type : Offensif / Membres : Dread Kharbonn (Commandant), Bazal et Wane (frères), Kitanda (rouquine au langage fleuri) et autres personnages lambdas. Ils ont tous des dreadlocks.

Deuxième unité - Navire : Sycamore / Type : Défensif / Membres : Skalpell D. Arzt (Commandant, chirurgien aveugle), Elas (guetteur sale sur lui), Ganryo (gynécologue aux longs bras) et autres personnages lambdas. Ils sont tous médecins.

Troisième unité - Navire : Amaranth / Type : Exploration et protection / Membres : Phasco (Commandant, minks koala), Big Bean (Wotan), Alana (sirène), Francesca (Okama) et autres personnages lambdas. Ils collectionnent les foulards bleus de la Marine.

Citation du chapitre : Si tu brandis ton arme tu ferais mieux de t'en servir. (Shanks Le Roux)

Bonne lecture !


Chapitre cinquante-quatre

Si tu brandis ton arme tu ferais mieux de t'en servir

/

-J'aimerais savoir, Sabo… Les armes peuvent ôter la vie d'un être vivant en un clin d'oeil. Alors pourquoi ont-elles été conçues ?

/

La gifle retentit dans ma boîte crânienne. Je sens distinctement ma cervelle vaciller, mes dents s'entrechoquer et ma langue se prendre dans les lames des couronnes. Le sang se propage dans ma bouche alors que la douleur s'infiltre seulement. Il n'y est pas allé de main morte le bougre, il aurait pu utiliser son poing que le résultat aurait été identique. J'évacue le liquide vermeil en le crachant sur le pont. Et mes prunelles harponnent les billes d'acier de Voghi.

Plus question de le quitter des yeux un seul instant.

Pas alors que la vie de Jita est en jeu. Le garçon paraît terrorisé, ça me rassure qu'il tienne en considération sa propre existence. Ainsi il ne commettra aucun acte suicidaire pour me tirer de là au péril de sa vie.

- Ne me toise pas comme ça pouffiasse ! aboie Voghi en me postillonnant dessus par la même occasion.

Je préfère me faire arroser par sa bile que le perdre de mon champ de vision. Il souffle fort comme un bœuf, et essuie la sueur grasse sur son front. Une longue chemise recouvre sa physionomie longiligne, des boucles d'oreille en or complètent le décor. Il a meilleure allure que lors de l'épisode d'Obuolys où il était captif tout comme moi. Il n'est plus aussi repoussant qu'avant, mais quelque chose dans ses traits invite à la méfiance. J'ai beau être à genoux devant lui, les mains liées dans mon dos, ce n'est pas encore assez pour ce scélérat. Il voudrait que je panique, que je le supplie, que je me déshonore. Je lis tout ça dans ses iris aussi sombres que le fond d'un gouffre.

- Mes excuses, fais-je faussement navrée. Il va falloir que tu m'expliques quel regard je suis censée lancer au charlatan que tu es.

- LA FERME !

Tellement prévisible. Pas question qu'il me malmène à sa guise. Avant que la claque ne parte à nouveau, je diffuse mon pouvoir dans ma joue intacte. Je dose au mieux mon énergie. Par conséquent, au lieu de lui déchiqueter la peau, je ne fais que le repousser. La répulsion le fait tituber et il lui faut quelques secondes pour reprendre contenance. Sa prise se resserre sur le corps du garçon et la pointe de son arme se plante plus profondément dans la chair de sa gorge.

- Recommence ça bécasse et je l'égorge ! Tu ne vois pas dans quelle position tu es ?!

J'essaie d'ignorer le sang qui commence à perler du cou de Jita pour déclarer posément :

- Ne te mens pas à toi-même, Voghi. Tu ne lui feras rien car tu sais pertinemment que s'il lui arrive quelque chose, je ne répondrai plus de rien. Les attaches autour de mes poignets sont inutiles, je pourrai…

Ma verve s'éteint lorsque la dague du forban quitte la gorge de mon jeune ami pour se planter brutalement dans son épaule. Le garçon s'époumone aussitôt, ses jambes gigotent par réflexe. Pas besoin de langue pour émettre la plus sinistre des plaintes lorsque celle-ci s'extrait de vos entrailles. La sève rougeâtre imbibe rapidement sa marinière. J'assiste immobile à cette séance des plus lugubres, mon instinct me faisant défaut pour une fois. Je n'avais pas prévu ça. Je l'ai provoqué pour déceler une faille chez lui et contre-attaquer. Je ne pensais pas qu'il serait assez fou pour blesser son otage et...

- Je te conseille de ne pas jouer la prétentieuse avec moi, minette.

...et me mettre hors de moi. Cette pensée prend la forme d'une clé de serrage qui pulvérise le cadenas que j'avais placé mentalement sur Colère.

Je suis…

Je plisse les paupières. Non, je te te défends d'ouvrir cette porte ! Ce n'est pas ton corps. J'essaie de juguler les virulentes émotions qui me traversent à la vue du torse ensanglanté de Jita. Et ses larmes… ! Oh bon sang ses larmes !

Je suis là, toute proche...

Mes épaules s'affaissent, ma tête dodeline face à ma longue jupe lilas sertie d'accessoires tribaux. Je ne relève le menton que lorsque j'entends le sifflement libidineux de Voghi. Il me considère de toute sa hauteur, les membres légèrement relâchés. Je suis sidérée lorsque je découvre que sa rage a engendré le plaisir. Derrière ses mèches filasses vénitiennes, je devine des iris dilatés. Il savoure sa position dominante, mon débat interne traduisant une reddition à ses yeux. Mon corps est nettement plus avachi que tout à l'heure, il doit prendre ça pour de la soumission. Seigneur… Je baisse les yeux et regrette aussitôt mon geste. Car mon champ de vision racornit pour se focaliser sur le renflement dans le pantalon noir du pirate. Oh bon sang...

- Alors on ne fait plus la maligne ? brocarde-t-il. T'étais pas censée me mettre en pièces ? Pour quelqu'un qui a réussi à se défaire de ses chaînes dans cette foutue prison, je croyais que t'en avais dans le bide. En fait ce n'était que de l'esbroufe !

Je serre les dents, les yeux exorbités. Il est inutile de discuter avec ce dépravé. J'expulse mon pouvoir de répulsion hors de mon corps et l'envoie vers lui. Il plisse le nez en me détaillant et une épiphanie fait luire son regard brumeux. Il bondit en arrière et dégaine un pistolet en silex qu'il colle au crâne d'un Jita tremblotant.

- Arrête ça de suite ou je l'abats sur le champ !

Je hoquette et interromps mon action. Comment a-t-il deviné ?

- Qu'est-ce que tu croyais biquette ? J'ai eu le temps de me renseigner sur toi et sur ton Fruit du démon ! T'avais l'air tellement perché avec ton histoire d'allégeance que je me doutais que tu aurais une dent contre moi. Tu croyais me prendre par surprise ? Et ben c'est raté !

D'accord, je crois que je l'avais totalement sous-estimé. Je le prenais pour un blanc-bec, couard en plus d'être individualiste. Mais malgré ces défauts qui sont les siens, je ne peux que louer sa défiance à mon égard. Il reprend l'air encore plus venimeux :

- Sans parler de l'autre gros lard aux dreadlocks ! Il a envoyé tous mes matelots par le fond ainsi que mon navire ! J'ai dû user de mille ruses pour les berner et me planquer sur sa frégate.

Il fait une pause pour renifler. Mes neurones s'activent pour démêler le reste de l'histoire passée sous silence. Voghi s'est caché sur l'Ebony et puis… Amerika m'a dit que le Mahogany, le Sycamore et l'Ebony s'étaient rassemblés pour faire le point de la situation et décider quels bâtiments me rejoindraient sur Kaskade. Le scélérat a dû profiter de ce moment de délibération pour s'introduire au sein de mon navire. Je déglutis. Il a fait tout ça pour m'atteindre, pour me châtier car mes hommes et moi avons cherché à le nuire. Je déglutis, refusant de me considérer comme l'auteur de sa soif de vengeance. Car…

- Tu as la mémoire courte Voghi, j'assène durement. Tu as promis de rejoindre mon équipage si je te libérais. Chose que j'ai faite, et tu n'as pas respecté ton engagement.

J'avise la dague plantée dans l'épaule de mon jeune compagnon. Comme c'est ironique. C'est ce type d'arme que Dread Kharbonn a utilisé pour le Serment des Capitaines. La cicatrice sur ma main s'éveille à ma mémoire, me rappelant que trop bien la poltronnerie de cet individu. Le concerné allonge un énorme mollard sur mon gilet sans manche. Puis il s'agenouille et je dois me faire violence pour ne pas trop lorgner la blessure de Jita. Je frémis d'horreur lorsque j'entends le sang dégoutter sur le plancher.

- Ça a pourtant fait le gros titre de l'un numéro du Times il y a quelques semaines mais j'crois pas pouvoir me remettre le terme tout seul. Tu veux bien être mignonne et me rappeler le message apporté par ton cortège ?

Je vois bien qu'il se fiche de moi mais je ne sais que répondre d'autre si ce n'est la vérité :

- La liberté.

- Voilà, la liberté. Je suis devenu un pirate pour en jouir à chaque levé de soleil et de lune. Ma liberté à moi consiste à ne jamais entreprendre ce qui me débecte. En l'occurrence, il s'agissait de naviguer sous tes ordres. J'ai menti ? C'est vrai. J'ai abusé de ta naïveté ? Encore plus vrai. Et tu peux pas me reprocher de vouloir être libre puisque c'est précisément ce que tu recherches, ma belle. On aurait pu faire un bon tandem tous les deux, sauf que présentement j'veux pas de femelle sur le même tillac que moi.

Il se relève et me laisse cogiter sur ses paroles qui font sens sur certains points. La liberté… Il a raison sur ça, je ne peux pas le blâmer pour… Mes ongles se plantent dans ma chair.

Il m'a prise pour une sotte. Il s'est servi de ma bienveillance pour rompre sa promesse. Et les promesses sont des dettes, on ne les bafoue pas impunément. Des bruits de pas font léviter la tension sur le pont du Mahogany.

- Ma douce, t'es là ?

- C'est Jita qu'on a entendu hurler ?

Kenban et Amerika. Les traits du charlatan se crispent et mon coeur loupe un battement lorsque le pistolet se presse davantage sur la tempe du charpentier naval. Le garçon s'égosille de plus belle et si Voghi avait cherché à se la jouer discret, c'est râpé. La seconde suivante, le navigateur et le musicien apparaissent dans notre champ de vision. Ils sont perchés sur un monceau volant de sable glaisifié par le natif de Bibidia. Leurs expressions se figent lorsqu'ils aperçoivent l'intrus. Ce dernier désigne son otage et se met à déblatérer des menaces pour forcer mes deux compagnons à rester en place.

A vrai dire, j'ignore jusqu'aux mots employés par le forban. Mon attention s'est détachée de ce qui se joue sur le pont pour voltiger plus loin. Bien plus loin, derrière Voghi pour être plus précise. L'une des cascades inversées se fend en deux pour laisser passer un drakkar gigantesque. Il est pourvu de trois mâts ainsi que d'une étrange bulle qui englobe l'intégralité du bâtiment. C'est impossible… Comment a-t-il pu naviguer dans l'océan ? Mes interrogations se volatilisent lorsque mes yeux harponnent le Jolly Roger du drakkar, le même qui protège cette île. Ce qui signifie que ce bateau…

est le Red Force, navire principal de l'Équipage du Roux.

Mon admiration est reléguée au second plan car une paluche astreint ma concentration à regagner mon propre bâtiment. Il s'agit de Voghi qui a empoigné ma chevelure et qui agite ma tête sans me ménager.

- Je vais pas m'éterniser ici, j'ai d'autres chats à fouetter ! Maintenant ma poule tu vas jurer sur ton foutu honneur de Capitaine pirate que ton équipage merdique et la chienne que tu es ne me poursuivrez plus ! Vous allez me laisser tranquille une bonne fois pour toute !

Il me relâche pour remettre en joue mon jeune ami. C'est à peine croyable, il était tellement concentré à beugler qu'il n'a pas remarqué l'arrivée du Red Force. Il… Attendez… Qu'est-ce qu'il vient de dire ? L'honneur… Il ose employer l'honneur comme si la définition de ce terme ne valait pas son pesant en or ? Qu'est-ce que disait Kharbonn à ce sujet ? Je souffle pour moi-même :

- L'honneur c'est comme une bonne bouteille de gnôle. On ne joue pas avec elle si on ne sait pas jongler.

Les affronts à l'honneur ne se réparent pas. Mes poings me démangent, mes dents claquent et je ne sais plus si c'est Colère ou moi qui prend la parole d'un ton cynique :

- Ne parle pas d'honneur alors que tu ne sais même pas l'orthographier. Tu méconnais totalement ce terme ou plutôt tu l'as fui, pleutre. Pour le préserver il aurait fallu être plus sage de ne pas adopter une conduite aussi honteuse.

La pression se resserre autour de mes poumons. Ça doit être elle qui s'est exprimée puisque mes liens se sont désintégrés. Calme-toi Akira, respire… Pour ne pas alerter mon opposant, je garde mes bras dans mon dos. Indigné par ma remarque, il s'applique à meurtrir mon abdomen à l'aide de son pied. Argh ! Le coup me plie en deux l'espace d'une poignée de secondes durant lesquelles Amerika et Kenban s'affolent sur leur amas de glaise volante. La semelle de Voghi relève mon menton.

- T'as toujours pas pigé ? vocifère-t-il. J'ai pas signé pour être digne mais pour être un forban ! L'honneur ? La sagesse ? Non mais tu t'entends piailler ? T'es une pirate ou une sainte ? Entre nous je pencherais plus pour la deuxième option !

Sa botte cogne mon épaule et me déstabilise sur le côté. Me voilà affalée sur le flanc à me mordre la langue pour ne pas que Colère riposte. J'ai bien trop peur de ce que Voghi pourrait faire endurer à Jita. Dans cette position, je distingue un peu mieux les visages de mes autres camarades. Amerika et Kenban doivent se sentir aussi impuissants que moi. Le pied malmène encore mon buste en le contraignant à s'allonger sur le dos. La semelle oscille au dessus de ma petite poitrine avant de venir exercer plusieurs pressions sur l'un de mes seins. Le débauché déclame :

- Les femelles n'ont rien à faire sur un navire, ça porte malheur. C'est né pour la fermer, pondre des marmots et gober ce que l'homme leur expose si tu vois ce que je veux dire. Alors avant de me saucer avec tes principes à la con, apprends le code de la piraterie ! Trêve de bavardages inutiles, j'en ai plus qu'assez de tes jérémiades ! Tu vas promettre de me foutre la paix ou je vous exécute tous les uns après l'autre. En commençant par le grand dadais, puis le blondinet, le bambin et finir par toi, crevette.

J'entends les offuscations de Kenban d'ici. Les lèvres scellées, je fais au mieux pour ne pas céder alors que les vies de tant de personnes qui me sont chères reposent sur ma seule décision. Je pourrais jurer, à bien y regarder Voghi ne demande rien de plus. Seulement... Les mots ont beaucoup plus d'impact que ce qu'il semble croire, je refuse de lui faire la moindre promesse. Mon mutisme achève de le mettre hors de lui. Il remue violemment le corps de Jita comme s'il n'était pas un être humain.

- Tu ne te soucies pas ce qui va arriver à ce trousse-pète et aux autres larbins de ton harem ?!

Le jeune charpentier naval secoué comme un prunier alors qu'il se vide de son sang, la mention de « larbins » pour désigner mes amis et celle de « harem » pour me cataloguer au rang de dépravée. Tous mes sens sont prises d'assaut par cette raclure, je ne peux plus ignorer la contrariété qui me broie les entrailles.

Je grogne et rembarre brusquement son pied d'un coup d'épaule. Il perd l'équilibre et mes membres inférieurs se mettent en marche, prêts à bondir sur lui. Accroupie, ma main libérée bouillonne déjà de le défigurer. Il va déguster ce… Non, je ne vais rien lui faire tant que ça risque de compromettre la vie de mes camar... ! Il ne me respecte pas, je dois agir avant qu'il n'ait trop l'ascendant sur moi, il le fa… Je ne peux pas prendre ce risque, je ne peux vraiment pas !

Mon esprit est pris en étaux entre des contradictions. Mes jambes poussent vers l'avant pour ne plus être à terre mais mes bras encerclent mon buste pour contenir toute cette rage qui m'incendie au gré des minutes. Trop préoccupée par les actions de mon propre corps, je délaisse ma bouche qui se met à remuer sans que je puisse rien y faire :

- C'est plutôt toi… c'est plutôt toi qui devrais te préoccuper de ton sort, je gronde alors que me visage se tord. Tu as enfreint tous les principes qui auraient pu te protéger. Tu me barres actuellement la route en exigeant certaines choses de moi, tu as sous-estimé la promesse que tu m'as faite sur Obuolys et tu m'as traînée à terre. Métaphoriquement et physiquement.

Voghi paraît dérouté par mon comportement plus que déraisonnable et discordant. Je perçois les hurlements d'Amerika et Kenban qui m'appellent. Je ne peux pas leur répondre, je suis bien trop accaparée par mes propres membres. Le scélérat souffle, interloqué :

- Qu'est-ce que tu me chantes ? De qui ces principes à la noix me protègent-ils ?

Mes prunelles dardent leur courroux sur mon opposant. Et cette bouche… cette bouche qui ne veut pas se taire :

- De moi.

Et alors le pistolet à silex change de cible et pointe mon crâne. C'est seulement maintenant que je me rends compte qu'il est fait avec du granit marin. Et donc ses balles aussi. S'il tire je rejoindrais le trépas en moins de deux. Puis Voghi semble se raviser et dirige son arme sur un Jita évanoui. Le pistolet passe de l'un à l'autre et connote dans quel état d'hébétude

se tient le forban. L'animosité a déformé ses traits, je distingue son doigt qui tremble sur la gâchette. Cette fois Kenban supplie notre ennemi de le prendre lui comme cible. Mon souffle se coupe. Il va abattre l'un d'entre nous, j'en suis certaine. Juste par esprit de vengeance. Juste parce que j'ai titillé sa virilité et son besoin d'être dominant. Juste parce que je n'ai pas su promettre.

- Si tu brandis ton arme tu ferais mieux de t'en servir.

Une voix inconnue, sur mon navire. A en juger les réactions de la petite assemblée, personne ne l'a entendu approcher, ni même monter à bord. Et je comprends alors toutes les comparaisons qui sont sorties de la bouche de mon petit frère. Il n'y a qu'une personne au monde qui, tout comme moi, peut-être désigné par l'incandescence de sa chevelure.

- Ils sont trop chouettes tes cheveux ! Ils ressemblent à ceux de…

Shanks. Shanks Le Roux se tient debout sur le pont du Mahogany. En l'espace d'un battement de cil, il est apparu non loin de nous. Il n'est pas excessivement grand, son sourire se veut chaleureux. Et surtout la mutilation de son bras gauche nous est révélée par le ponant qui fait voleter sa cape. Ainsi, au premier abord, il a tout l'air d'un estropié un peu trop détendu qui n'a pas conscience du voltage qui électrise l'air ambiant. Mais quelque chose dans son attitude me pousse à croire qu'il a deviné la situation en un clin d'oeil.

Voghi marque un temps d'arrêt qui paraît lui coûter de l'espérance de vie.

- Le… Le Roux… Qu'est-ce que tu… qu'est-ce que vous... ?

Ses yeux hallucinés balayent la superficie de l'île et la découvrent pour la première fois. Ils se stabilisent sur le drapeau frappé du symbole de l'Empereur. Ses membres se relâchent assez pour libérer Jita qui s'écroule sur le plancher. Alors que la vigueur du charlatan s'éclipse peu à peu, sa main est heurtée par un soubresaut de frustration. Elle cesse de trembler, encourage son arme à m'abattre et le pistolet s'ajuste sur mon front. Je retiens mon souffle et au battement de coeur suivant le calibre est dévié par un tir aérien. Voghi pousse une plainte de surprise et nos regards convergent vers la vergue. Un homme aux longs cheveux grisonnants souffle sur le guidon de son fusil puis le replace tranquillement sur son épaule.

- Tu as eu ta chance mais mon coéquipier a jugé qu'il était trop tard, reprends le rouquin. Je suis on ne peut plus d'accord avec lui. Il faut dire que je trouve que c'est...

Ses prunelles sombres se posent sur la dague toujours fichée dans l'épaule de Jita.

- ...fortement pitoyable d'avoir entraîné ce gamin dans une effusion de sang.

Et il avance d'un pas,

d'un seul pas,

et une onde considérable se propage sur le Mahogany. L'accastillage gémit, les mâts grincent et quelques tonnelets se fissurent sous la pression. C'est comme si une tempête emportait ma conscience ailleurs. Ma vision se trouble un court instant mais je m'accroche pour ne pas tomber dans les vapes. Je cligne des paupières, chasse le malaise et sursaute lorsque je découvre le corps de Voghi à terre, la bouche écumeuse. Un coup d'oeil vers mes compagnons m'indiquent que Kenban s'est également évanoui. Amerika a dû cesser l'utilisation de son Fruit du démon, il dépose le blond contre le bastingage. Le navigateur vacille un peu, lui a aussi a dû lutter contre cet étrange flux. Ce flux, cette onde… Quelle étrange impression de familiarité…

- J'ai déjà vécu ça..., je souffle en m'asseyant plus confortablement.

Mais oui ! J'ai déjà vécu ça ! Un panorama d'enfer, d'incendie. Luffy qui hurle, blessé à l'arcade sourcilière. Moi, à terre, le dos scindé en deux par une entaille qui va donner le jour à cette cicatrice que je porte encore aujourd'hui. Ace, debout, seul face à Bluejam et à son rictus de hyène. Mon aîné qui hurle de nous laisser tranquille et cette onde qu'il déploie pour nous protéger. Qu'est-ce donc que ce pouvoir ?

Je cligne des paupières et regarde mes mains, surprise de pouvoir me mouvoir seule. Colère s'est éclipsée, plus rien ne justifie sa présence ici. Mince, Jita ! Je glisse jusqu'à lui et, sans le toucher, j'analyse sa blessure. Elle n'est pas mortelle mais il a perdu beaucoup de sang, il va falloir retirer la dague et nettoyer la plaie au plus vite. Le coéquipier de Shanks est descendu de son perchoir et allume calmement une cigarette.

- T'en fais pas, mon coup de feu a retenti assez fort pour attirer mes compagnons et les tiens. Je les ai vus accourir dans notre direction.

Je le zieute du coin de l'œil. J'ai déjà vu son visage qui est mis à prix, il s'agit de Ben Beckman et il est activement recherché par la Marine. Il n'a pas un visage des plus avenants mais son ton s'est voulu rassurant. Un pied chaussé d'une sandale vient claquer le parquet juste à côté de ma longue jupe évasée. Ce détail me fait sourire malgré tout ce qui vient de se passer.

- Je comprends mieux pourquoi Luffy porte ce genre de souliers par tous les temps.

Je relève la tête et peux enfin mettre une expression, une attitude sur un nom, un visage que je n'avais fait qu'apercevoir sur un avis de recherche.

- Vous êtes Shanks, je souffle enthousiaste.

Son sourire s'élargit imperceptiblement tandis qu'il détaille ma figure en sueur.

- Oh, je vois. Toi tu es une amie de Luffy, la fille dont m'a parlée Ace. Je t'avoue que j'étais à mille lieues de deviner qu'il s'agissait de toi, la Super Rookie qui s'est déjà constituée une flotte alors qu'elle est aussi jeune. Tu as l'air moins sanguinaire que le suppose ta photo qui circule dans le Times.

Je tire aussitôt la grimace et choisis de rectifier aussitôt ces informations erronées :

- Le cliché joue en la défaveur des messages que je veux colporter à travers le monde. Et, plus important encore, je ne suis pas une amie de Luffy, ni même d'Ace. Je suis leur sœur.

Sa mine estomaquée me fait penser que nous allons avoir beaucoup de choses à nous raconter...

/

- Mais comment avez-vous fait ça ?! j'exulte. Ce flux était tout bonnement incroyable !

- Il s'agit d'une technique secrète et ancestrale qui se transmet de génération en génération, mais comme tu as l'air sympathique je veux bien te la divulguer.

Le Roux émet un sifflement succinct et me fait signe du menton de me rapprocher. Ce que je fais, l'indiscrétion ayant bousculé toutes les convenances. Je crois même que le haut de mon crâne cogne sa mâchoire mais il ne s'en formalise pas. Tout en poursuivant notre route dans le sable, il souffle à mon oreille :

- Il te suffit de porter des sandales et de relever le gros orteil droit exactement à quarante-deux degrés. Tu as pris des notes j'espère ? Quarante-deux degrés, c'est un détail qui a toute son importance.

Je papillonne des paupières et me décale pour éplucher son air malicieux. Mon rire éclate et fait sursauter Karma la Tortesurf, qui se pavane non loin de là. Le dos de ma main vient frapper spontanément l'abdomen de l'Empereur.

- Qu'est-ce que c'est que cette cagade foireuse ?! je m'esclaffe. Vous croyez vraiment que je vais avaler ça ?

Les yeux du rouquin deviennent aussi ronds que des boulets de canon. Et après le farceur, voilà le chérubin. Les facettes multiples de Shanks n'ont pas fini de m'ébahir.

- Tu possèdes un sacré jargon pour ton âge, il fait remarquer l'air sérieusement impressionné.

Les silhouettes d'Amerika, Dread Kharbonn, Kenban et Kitanda me sautent à l'esprit.

- Ah ça, c'est à force de côtoyer des dictionnaires de patois sur pattes.

Shanks rit d'une façon totalement décomplexée. Sa nonchalance n'est pas qu'une couverture, elle s'illustre parfaitement avec sa dégaine et son style vestimentaire. De la chemise blanche à moitié ouverte sur son torse musclé, jusqu'aux sandales, en passant par le pantalon clairsemé de motifs floraux, l'allure de l'Empereur est des plus décontractées. Mais à la moindre menace un peu trop conséquente, il pourrait changer d'attitude et on retrouve cette particularité chez tous ses coéquipiers. En parlant d'eux, Shanks a été salué ses matelots après l'échauffourée avec Voghi. L'accueil qui lui a été réservé enrichit encore davantage l'image que je me fais de l'équipage du Roux. Celle d'un groupe soudé, chaleureux, et fêtard.

Du côté des Crimson Pirates, Arzt a pris Jita en charge et l'a amené à l'infirmerie. Le garçon est entre de bonnes mains, je n'ai plus de souci à me faire pour lui. Cependant… Quelque chose me taraude… Je souffle fort puis désigne mon bâtiment.

- Ça vous dérange si on passe par le Mahogany ? J'aimerais nettoyer le pont.

Shanks ne s'y oppose pas. A bord, je rassemble un seau, un pain de savon et une brosse dure. Les taches de sang semées par la blessure de Jita asticotent mon coeur et font vibrer la porte de Colère. Si je l'avais écoutée et si Shanks n'était pas intervenu, cela aurait tourné à la boucherie pure et dure. Voghi aurait mis à exécution son plan et aurait décimé mes compagnons. J'ignore à quel moment j'aurais cédé le territoire à Colère, mais elle l'aurait massacré de la plus barbare des façons. C'est étrange d'en avoir conscience, comme si j'avais de plus en plus accès à son mode de pensée

et elle au mien.

Je brique vigoureusement le tillac pour faire disparaître la sève rougeâtre. Où se trouve le forban en ce moment ? Seule Grand Line connaît cette réponse. L'équipage du Roux l'ont remonté à la surface et l'ont placé sur une simple barque. Le pirate a dû avoir la peur de sa vie, il ne s'en prendra sous doute plus à nous. Et il en va de même de notre côté, j'informerai Kharbonn qu'il est inutile de poursuivre un homme qui recherche une liberté semblable à la nôtre.

Les mouettes piaillent au dessus de nous et je suis à peu près certaine que Gaviota est en train de se faire des ennemis. Leurs clameurs sont revigorantes et me poussent à savourer ce moment unique. La commissure de mes lèvres s'étirent légèrement. La vie a de quoi surprendre, je ne cesserai jamais de le penser. Si Luffy apprenait que je me tiens actuellement en compagnie de celui qu'il admire tant, il n'en reviendrait pas.

- Revenons en à nos moutons et donc à ce flux des plus singuliers que vous avez expulsé, Shanks.

Je lui jette un coup d'oeil avant de reprendre la friction. J'ignore comment le dire autrement, mais j'ai l'impression qu'il est enchanté que je n'utilise verbalement que son prénom. Je poursuis :

- Si je ne m'abuse, cela ne provient pas d'un Fruit du démon. Vous n'êtes pas le seul à détenir ce pouvoir puisque j'ai déjà vu… quelqu'un dégager les mêmes ondes.

- Ah oui ? Qui ça ?

- Ace.

Cet aveu semble lui plaire et il hoche lentement la tête en frottant sa barbe débraillée.

- Oh, Ace aussi donc… Eh bien, pour faire simple, as-tu déjà entendu parler du Haki ?

Ayant fini de nettoyer le plancher, je jette la brosse dans le seau et m'éponge le front avec mon avant-bras. Il fait rudement chaud sur Kaskade. Pas autant que sur l'île natale d'Amerika, mais bien plus que sur l'île de Dawn.

- L'un de mes coéquipiers m'a expliqué les variantes du Haki de l'Observation, je réponds en me redressant. Il a également stipulé qu'il existait trois types de Haki en tout.

- Je vois.

La cape noire de Shanks se met à onduler au rythme du joyeux ponant et un détail dans sa physionomie rend son expérience dans la piraterie clairvoyante. A n'en pas douter, l'Empereur s'est tracé une voie dans le savoir de notre monde. Ses connaissances doivent être encore plus riches que celles de Sanae. Il me considère et malgré le déploiement de sa sympathie, son examen me fait frissonner. Comment me juge-t-il ? Généralement, je me fiche bien d'apprendre ce qu'on pense de mon image tant qu'on me respecte. Sauf que là… je ne sais pas, je crois que ça me déplairait fortement qu'il me trouve insignifiante, immature ou utopiste.

Il me sourit un peu plus, comme s'il avait deviné mes craintes effectives, et reprend :

- Tu découvriras sans doute les autres formes du Fluide dans ton périple, ce n'est pas à moi de te les enseigner. Ta route est encore longue, elle ne fait que commencer. Retiens juste que la volonté est la pierre angulaire de toute aventure. Une puissante détermination peut-être plus forte qu'une armée.

J'acquiesce et spécule mentalement là-dessus. J'ai l'impression d'avoir mûri et d'avoir accompli tant de choses. Mais il a raison, je suis encore jeune. Les différents itinéraires qui s'étalent devant moi sont plus longs que celui que j'ai déjà parcouru.

Sans trop réfléchir, mes pas m'ont menée jusqu'à la cuisine du Mahogany. Pas bête, ce serait désobligeant de mal recevoir cet homme qui non seulement nous accueille sur son île, nous a sauvé la vie et qui en plus a fait tout ce chemin pour m'écouter. Je sors deux coupelles et une bouteille de saké.

- Oh, tu aussi tu choisis du saké ! constate joyeusement Shanks.

Je penche la tête sans comprendre. Comment ça « moi aussi » ? Mais je suis bien trop accaparée par notre discussion pour m'en soucier davantage.

- Je suis d'accord avec ce que vous avez avancé précédemment. La force n'a rien à voir avec les compétences physiques, elle provient en vérité d'une volonté indomptable.

Nous ressortons et je suis éblouis par le soleil couchant. Tous ses reflets sur les cascades rendent le décor étincelant. Je continue ma tirade :

- Et il y autre chose. Quelque chose qui est en nous, qu'on ne peut atteindre, qu'on ne peut toucher. Qui est à nous, seulement à nous.

- De quoi s'agit-il ?

- C'est l'espoir.

L'Empereur s'accoude au bastingage avant de me contredire :

- L'espoir peut devenir une quête périlleuse. Ça peut même rendre un homme dangereux.

Je m'appuie à mon tour sur le garde-fou et m'incline pour qu'il aperçoive mon air hilare.

- Vous me trouvez dangereuse ? Vous ?

Il me sourit en retour.

- Tes projets semblent l'être. Pourquoi avoir constitué une flotte aussi tôt dans ton expédition ? s'enquiert-il en désignant le Sycamore. Quels que soient tes desseins, ils vont acquérir une ampleur qui peut te dépasser.

Je fronce les sourcils, un peu rebutée.

- Mais le temps n'attend pas. Il me faut agir maintenant.

- Si tu te sens soumise au temps, alors tu ne peux être libre. C'est pourtant ce que prône ton équipage, non ?

J'ouvre la bouche puis la referme, n'ayant aucun argument pour contrecarrer ses idées. Le temps… La liberté… La pression que je m'impose en souhaitant intervenir le plus rapidement possible auprès des civilisations assujetties et défavorisées. Et si j'allais trop vite en besogne ? Si je brûlais les étapes ? Un doute immense vient fragiliser mes certitudes si durement acquises. Depuis la création de la flotte, toutes les opérations des Crimson Pirates ont abouti à un résultat des plus satisfaisants. Des peuples délivrés, des familles réunies, des nations dorénavant égalitaires. Est-ce que, inconsciemment, je ne me serais pas laissée influencer par le triomphe de nos entreprises ? Je n'ai pas fini de démêler les nœuds de l'incertitude dans mon esprit que j'entends Shanks souffler :

- L'honneur aussi est dangereux. C'est bien ce que tu défendais tout à l'heure face à ce pirate ? La blessure de ton jeune camarade a découlé de la préservation de ton honneur.

Le coeur soudainement meurtri, je fais volte-face pour observer la parcelle du pont que j'ai briquée. Colère souhaitait mettre Voghi en pièce, quitte à risquer la vie de mes compagnons. Mais ai-je le droit de remettre la faute sur elle pour cet épisode ? Qu'aurais-je choisi si j'avais été en pleine possession de mes moyens ? Au début de l'altercation, je m'étais fait la réflexion que rien ne pouvait arriver à Jita et pourtant Voghi l'a blessé...

Le Roux se retourne également, sa cape se coinçant dans son dos. De ce fait je peux examiner sa manche vide avant qu'il ne la cache mollement. Luffy nous a conté cet épisode, celui où Shanks l'avait sauvé non seulement de la noyade mais aussi d'un terrible monstre marin. Il y a laissé un bras et je conçois quelles difficultés il a dû surmonter ainsi mutilé avant de s'y habituer. Un homme estropié est toujours sous-estimé et sa dignité a dû en prendre un coup avant qu'il ne devienne l'Empereur d'aujourd'hui. Contrairement à moi, Le Roux a troqué son honneur contre la sécurité de mon petit frère.

Le rouquin soupire et paraît passablement ennuyé :

- D'ailleurs, quelle idée d'embarquer un enfant dans le monde de la piraterie.

- Je me doutais que vous me feriez cette remarque. Un jour, Luffy m'a expliqué votre refus de le laisser rejoindre votre équipage.

Je souris un peu tristement, me remémorant de la proposition que j'ai faite à Jita tout à l'heure. Celle de continuer sa route avec les Crimson Pirates, de rejoindre la Troisième unité qui navigue sans mes couleurs ou de partir ailleurs. J'enchaîne :

- Pour vous dire la vérité, l'un de mes coéquipiers m'a déconseillé d'engager Jita au sein des Crimson Pirates. J'avais une idée bien arrêtée à ce sujet, mais je pense remettre mon jugement en question.

- Et donc si je comprends bien tu vas changer d'opinion là-dessus ?

- Hum hum, j'approuve.

- Là, maintenant ?

- Hum hum, je récidive.

- Je te pensais plus butée ! s'esclaffe-t-il.

Cette fois mon expression se teinte de nostalgie et un peu de mélancolie. Modifier son opinion, transformer son mode de vie… Changer, tout simplement. C'est une thématique qui revient souvent, déjà pendant mon enfance. La bouille floue de Sabo me revient et je donnerai cher pour me rappeler avec plus de détails de ses traits. Je murmure, couvrant à peine le bruit du vent :

- Auparavant je détestais le changement. Cependant, un proche m'a fait comprendre que c'était la seule chose qui nous permettait d'avancer. Il disait toujours que changer c'est grandir, et grandir c'est vivre.

Je me souviens également de Makino qui m'a aidée à accepter la mutation de mon corps pendant l'adolescence. Je me mords les lèvres, crevant d'aborder ce sujet avec Shanks. N'y tenant plus, j'explose :

- Raaaaah ça suffit ! J'en ai marre des convenances, j'ai tellement de choses à vous dire Shanks !

Il expose sa surprise et sa joie de vivre en riant très fort. Et alors nous nous mettons à permuter d'un sujet à l'autre. Nous évoquons Makino, et je suis rassurée de constater qu'il se souvient très bien d'elle. Les sentiments de la tavernière pour cet homme sont quelque chose que je ne veux pas gâcher, du coup je ne les aborde pas. Nous descendons du navire et allons nous asseoir sur des rochers à l'écart des autres. La nuit tombe alors nous rallumons un feu qui a dû brûler la veille. Nous remplissons copieusement nos coupelles avec du saké et citons plusieurs fois Luffy, des souvenirs qu'il honore de se présence et mentionnons même le chapeau de paille que lui a confié l'Empereur. Je me rends compte tout à coup que j'ai complètement oublié de le remercier d'avoir sauvé la vie de mon petit frère. Je le fais un peu maladroitement et ça fait pouffer le rouquin. Il se demande ce que nous avons tous à vouloir le gratifier de cette façon, et j'en traduis qu'il songe à Ace en disant cela.

Un poids s'infiltre dans mon estomac. Je triture mes doigts, me demandant si je peux aborder ce sujet. Shanks m'a prouvé qu'il était très ouvert alors…

- Dites… Je peux vous poser une nouvelle question ?

- Seulement après que nous nous soyons resservis.

Il remplit nos coupelles, la bouteille se trouvant vide après cela. Je place une mèche indomptable derrière mon oreille mais cette dernière revient chatouiller ma joue. Mon coeur tambourine dans ma poitrine et ça m'insupporte d'être aussi nerveuse.

- Comment Ace a-t-il parlé de moi ? Enfin…, comment dire ? je bégaye sans oser le regarder en face. Je ne comprends juste pas pourquoi il ne m'a pas qualifiée de « sœur »...

J'enfonce mes pieds sous la surface sableuse. C'est frais, les grains n'ont pas retenu la chaleur diurne. Lorsque je relève la tête, Shanks est de nouveau en train de me sourire.

- Eh bien, cela semble grandement t'importer. Pourquoi ne pas lui poser la question toi-même ?

Mes mains se contractent sur mes cuisses. Je suis certaine que Shanks excelle au jeu de fléchettes. C'est fou comme il parvient à atteindre la cible avec une facilité déconcertante, pile là où ça démange. Il ne le fait pas avec des intentions mauvaises, mais il sait mettre les gens face à ce qui leur pose problème. Autrefois ce fut Luffy qui en fit les frais et qui dût se confronter à son trop jeune âge pour monter à bord du navire du rouquin. Et aujourd'hui, c'est moi qu'il pousse dans les bras de mes émotions. De tous les sentiments qui s'agitent en moi lorsque je songe à Ace. En premier on retrouve la déception et la contrariété vis à vis de son allégeance envers Barbe Blanche. Je m'accroche à ça pour ne pas réfléchir au reste.

- Je ne peux pas le contacter, je bougonne. Il a pris des décisions qui me laissent dans une incompréhension des plus pénibles.

L'Empereur s'appuie en arrière et hausse les épaules.

- Ne te tracasse pas trop pour cela. Je suis d'avis que si deux personnes partagent des visions dissemblables, il serait plus judicieux pour elles de suivre des chemins différents.

Suivre... des chemins différents ? En d'autres mots, rompre mes liens avec lui ? Je me statufie, cette idée me paralyse totalement. Elle me secoue au plus profond de mon être et invoque trois enfants au bord d'une falaise. Décor maussade qui porte encore l'odeur du deuil d'un frère. Un souvenir. Et ma bouche enfantine, pleine de candeur et de détermination proclame avec force :

/

- Et qu'importe si le futur nous sépare, si nos routes diffèrent à un tournant de notre aventure ! Je garderai toujours un œil sur toi Ace, même si je suis à l'autre bout de l'océan ! Sache que même si tu ne me vois pas, même si tu ignores où je suis, je serai toujours là pour toi !

/

Coup de fouet sur mon coeur qui balaie ma conscience. Oublier, ce garçon revêche, qui n'arrête pas de m'engueuler mais qui me soigne avec tant de maladresse et de douceur ? Oublier sa voix qui me hurle qu'il a confiance en moi et en mes capacités ? Oublier ses larmes, ses petits bras qui s'agrippent désespéramment à ma nuque ? Oublier ses yeux onyx qui me sondent et me soufflent qu'il ne m'arrivera jamais rien tant qu'il sera là ? Seigneur… Tant, tant, tant de souvenirs m'inondent. Ma bouche récupère les fragments de mon âme qui viennent de s'éparpiller pour déclarer clairement :

- C'est impossible. Je n'imagine pas ma vie sans lui.

Shanks se penche, le bras en appui sur sa cuisse, l'air intéressé par ma proclamation. Il me scrute longuement et cette fois j'affronte son regard. Au bout d'une kyrielle de secondes, il finit par dire :

- Je ne me souviens plus très bien de ce qu'il m'a confié à ton sujet. Ce qui m'a nettement plus marqué c'est la tendresse dans son timbre, comme s'il te reconnaissait comme un être d'exception, un être précieux pour lui.

Je papillonne des paupières et suis perturbée par les termes qu'il emploie. Parfois, les mots sont trop incisifs et paradoxalement pas assez précis pour désigner un ressenti, une émotion.

Un lien.

De la tendresse dans la voix d'Ace ? A mon égard ? Shanks est forcément en train de fabuler, d'interpréter. Mi-gênée, mi-offusquée, je déblatère :

- Vous ne pouvez pas annoncer ce genre de propos à la légère ! Vous ne savez rien de nous !

- J'en sais bien assez, susurre-t-il avec toujours son air tranquille et serein.

Je me renfrogne, déçue par son attitude. Il ne connaît pas Ace, il ne sait rien de lui. Alors que moi je… Ma bouche s'entrouvre pour exprimer la percussion qui envahit mon corps. Je le connais…bien… c'est sûr, je…

Vraiment ?

Avais-je prévu son torrent de larmes après la lecture de la lettre d'adieu de Sabo ? Avais-je anticipé sa crise de panique après qu'il a laissé Luffy et moi-même à la merci d'un ours gigantesque ? Avais-je pleinement saisi tout le ressentiment d'Ace envers son père ? Et sa promesse au bord de la falaise… En avais-je tiré les mêmes significations que lui ? La dernière chose qu'il m'ait dit avant de prendre le large, c'est qu'il ne faisait pas de promesse en l'air. Alors pourquoi l'aurait-il trahie ?

La porte de Colère gronde pour qu'elle puisse se manifester et me contredire, mais je suis trop concentrée. Mon esprit cogite tellement qu'il n'y a pas de place pour elle pour le moment. Et les prises de conscience déferlent, les vannes sont ouvertes. Est-ce que je connais Ace comme je connais Luffy ? Est-ce que je suis capable de prévoir ses agissements aussi bien que ceux de mon petit frère ? La réponse à toutes ces interrogations que je me pose depuis tout à l'heure est la même :

Non.

Car j'ai toujours perçu Ace différemment, je ne peux plus me voiler la face à ce sujet. Je l'idéalisais, je l'admirais plus que tout au monde. Et parallèlement, je me sentais tellement insignifiante à côté de lui. Je doutais sans cesse de moi, de mes capacités, de mon droit de fréquenter mes trois frères. Je ne voyais pas ce que je pouvais leur apporter. Quel intérêt avait Sabo à discuter avec moi des heures durant ? Pourquoi Luffy a-t-il pleuré en proclamant qu'il ne voulait pas que je meurs ? Pour quelle obscure raison Ace a-t-il reconstitué à l'aide de bouts de bois la stèle qui m'était si chère ?

Non, c'est clair, je ne connais pas si bien Ace. Je convoitais sa compagnie sans jamais m'en sentir légitime. Alors… Alors il y a plein de choses, de détails chez lui que je n'ai pas dû percevoir. Que j'ai dû mal interpréter. Ma poitrine se soulève et mes prunelles s'humidifient. La tendresse de son timbre en m'évoquant, le fait que je sois un être d'exception à ses yeux.

Je veux bien y croire. Pour la première fois, et grâce au parcours que j'ai réalisé jusqu'à aujourd'hui, je suis en mesure de le croire.

Je reviens à la réalité lorsque mes prunelles croisent celles de Shanks qui ne m'ont pas quittée. Sa voix n'est qu'un souffle lorsqu'il dit :

- On garde tous en nous la trace d'un ami, d'un amour, d'un absent. Et tout refait surface un jour.

Il se lève à ces mots et me tapote amicalement l'épaule. Puis il fait volte-face et se dirige vers les baraquements, là où ses hommes sont en train de festoyer. Au bout de quelques mètres, il se retourne juste pour préciser :

- Ah au fait, c'est une drôle de coïncidence mais j'aurais juré que l'un des membres de l'ancien équipage d'Ace avait la même trombine que l'homme aux longs bras, celui qui traîne avec Skalpell D. Arzt !

Je penche la tête sur le côté, interloquée. Ganryu, le gynécologue de la Seconde unité ? Aurait-il navigué au sein des Spade Pirates ? Ou aurait-il un proche qui lui ressemblerait énormément ? Je reste un instant hypnotisée par le mouvement de cape de l'Empereur. Quel homme… Nous avons conversé que l'espace de deux heures, mais rarement une discussion n'a été aussi enrichissante.

Une bise fraîche vient lécher mes bras. Je me lève et admire un instant la voûte céleste et le reflet de ses éclats sur les cascades. Quel endroit presque féerique. On dirait qu'on est coupé du reste du monde. Je ferme les yeux et essaie de concevoir ce qui me semblait inimaginable il y a même pas dix minutes. Quels mots a utilisés Ace pour me décrire ? Il ne m'a pas évoquée en tant que sœur mais à en croire Shanks c'était loin d'être dévalorisant. Je veux savoir, ça m'importe. Ça m'importe tellement de savoir ce qu'il pense de moi. Mon coeur tambourine dans ma poitrine et mes vieux réflexes me proposent de fuir. Cependant, je suis bien décidée à accepter des sentiments que je jugeais comme étant monstrueux jusqu'à lors. Car Ace est mon frère. C'est ce que souffle ma tête, mais mon coeur me chante une toute autre mélodie.

J'inspire et me rappelle des passages de ma vie qu'Ace a enjolivés. Je souris. Parfum de mémoire quand tu es loin de mes yeux. Sa silhouette adolescente se dessine. Nous sommes seuls là où se trouvait la stèle. Ce sont nos derniers instants ensemble avant qu'il ne quitte l'île de Dawn. Je viens de lui offrir son collier et je l'ai effrayé en ressortant mots pour mots ses dires. Puis j'ai sorti une plaisanterie et il s'est tourné vers moi avec…

J'ouvre les yeux, son image me percutant de plein fouet. Il s'est tourné vers moi avec le regard le plus tendre qu'il ne m'ait jamais adressé. Ses prunelles sur moi qui se posent et m'entraînent. Mes mains viennent prélever les battements frénétiques de mon palpitant et lui permettent d'accepter une pensée. L'envie de le revoir…

/

- Akira, la prochaine fois qu'on se verra, ce sera là-bas !

/

Les rayons matinaux de l'aube qui l'aspergent. Et son doigt qui pointe l'horizon, le sourire aux mille feux qu'il me dédie. Cette image de toi qui me suis où je vais, comme une gravure marquée pour ne pas oublier. « Tout refait surface un jour » disait Shanks.

Ace… En vérité...

Me vois-tu comme je te vois ?


Le petit commentaire de l'auteur : J'ai écrit ce chapitre en novembre il me semble, juste après avoir revu l'intégralité des films de la saga "Pirates des Caraïbes". La philosophie de vie de Jack Sparrow m'a inspirée celle de Voghi pour ce début de chapitre. Un homme qui ne veut jouir que d'une chose : d'une liberté totale et absolue et qui n'hésite pas à tromper les autres pour arriver à ses fins. Avant de rédiger ce passage, je savais que c'était Shanks qui allait mettre fin à l'altercation en utilisant cette phrase "Si tu brandis ton arme tu ferais mieux de t'en servir". Cette phrase qui fait également office de titre pour ce chapitre, cette phrase qu'on retrouve dans le manga One Piece.

J'ai adoré écrire bon nombre de dialogues dans ma fic, mais alors je crois bien que celui d'Akira et Shanks est l'un de mes préférés. Il était compliqué à articuler de prime abord, Shanks n'est pas si facile à illustrer. Il représente un juste milieu entre la nonchalance et le savoir. Je voulais que chaque phrase qu'il prononce soit retentissante pour Akira sans pour autant qu'il lui apprenne trop de chose, le but de Shanks n'étant pas d'empiéter sur l'aventure d'Akira en lui faisant partager ses connaissances. Akira se confronte à l'expérience du Roux et cet échange la met face à la pression qu'elle exerce sur elle-même et sur son objectif, mais aussi face à ce qu'elle fuit : c'est-à-dire ses sentiments pour Ace.

Car oui, Akira se reçoit une gifle mentale. Et si, depuis tout ce temps, c'est elle qui se fourvoyait sur ce qu'elle avait vécu sur l'île de Dawn ?. Et si son manque de confiance avait empiété sur la vision qu'elle avait d'Ace ? Le connait-elle si bien ? La réponse est donnée dans le chapitre. Une épiphanie illumine l'esprit d'Akira le temps d'un souvenir que j'ai décrit. Un souvenir qui illustre un moment de lucidité d'Akira quand elle était adolescente. Un moment que l'on retrouve au chapitre 24 écrit il y a plus de trois ans, ce moment là où Ace regardait Akira avec tendresse et où cette dernière l'a vu.

BREF ! Sur ces mots, je vous souhaite le meilleur en ces temps difficiles. Prenez soin de vous et de vos proches. A bientôt !

Ciaossu !