Chapitre 55 : Fergus
Sans grand espoir, Arthur fit signe à Gauvain et Elyan de se déployer pour que le premier attaque Fergus par la gauche et le second par la droite. Ils étaient pris au piège dans un combat qu'ils ne pouvaient que perdre, et leur adversaire le savait parfaitement. Mordred et la foule le savaient aussi. De même, les chevaliers en avaient conscience et semblaient incertains face au manque d'assurance de leur chef. Le jeune roi aurait dû motiver ses troupes, se montrer directif et sûr de lui malgré la difficulté de la situation. Mais l'énergie lui manquait, il ne s'était jamais senti aussi faible et impuissant. Ses égratignures le brûlaient, la faim lui nouait l'estomac et il avait la gorge sèche. En cet instant de fatigue mentale profonde, il ressentait chaque point de douleur ou d'inconfort, avec une puissance décuplée. Son armure était lourde, tout comme son épée.
Je pensais être un homme bon. Je pensais être un roi juste.
En perdant cette perception de lui-même, il avait perdu une partie de son identité. Il était devenu un combattant médiocre. Lent dans ses mouvements aussi bien que dans ses prises de décision, il avait l'impression d'avancer à l'aveugle. Pire que tout, il ne savait plus comment diriger ses hommes.
En réalité, il ne voulait pas se battre. Il s'obligeait à le faire pour tenir le monstre qui leur faisait face à l'écart de Gilli et Hunith. Mordred avait interdit à Fergus de pratiquer tout acte de torture devant la foule : il ne le laisserait donc pas leur infliger le même mal qu'au jeune villageois.
Chaque mouvement était difficile, douloureux. Le souverain se força à attaquer.
Pour Gilli et Hunith.
Ils se ruèrent vers le sorcier.
Mais avant même que les chevaliers aient pu parcourir la moitié de la distance qui les en séparait, ils se retrouvèrent immobilisés. Leur adversaire leur avait successivement asséné son sortilège de paralysie. Celui-là même qu'il avait auparavant utilisé contre Gilli et Arthur.
D'ici une poignée de secondes, il aurait aussi neutralisé le roi. Ce dernier s'efforça de ne pas y penser.
Etonnamment, lorsque Fergus se tourna vers lui et que son regard se teinta d'or, rien ne se produisit
Arthur en fut presque déçu mais il réprima ce sentiment, refusant d'admettre ce qu'il impliquait.
Tandis que le sorcier répétait ses tentatives contre lui, toujours sans succès, le souverain se rapprocha suffisamment pour le toucher avec Excalibur. In extremis, Fergus para le coup de sa propre lame et le repoussa, avant de pousser un cri et de faire apparaître un muret en pierre entre eux à l'instant précis où le roi revenait à la charge.
Ayant perdu ses réflexes habituels, celui-ci s'y heurta de plein fouet et il tomba au sol, lâchant malgré lui son épée. Il était complètement sonné.
-Cet hypocrite utilise la magie pour échapper à mes sortilèges ! brailla Fergus en le pointant du doigt.
Mordred fronçait les sourcils :
-C'est son épée, comprit-il. Emrys a dû l'ensorceler.
Le druide avait raison.
C'était donc cela qu'évoquait Freya lorsqu'elle disait qu'Excalibur conférait à son porteur une protection et une puissance particulières. Cela expliquait aussi pourquoi les pouvoirs d'Emrys n'avaient pas fonctionné sur Arthur lorsqu'ils s'étaient affrontés dans cette ruelle de Camelot. La seule chose que Mordred n'avait pas comprise était qu'il s'agissait probablement d'un accident. Emrys avait bien fait en sorte de mettre cette épée entre les mains du Roi d'Hier et d'Aujourd'hui, comme l'avait expliqué la jeune femme, mais sans savoir qu'elle le protégeait de cette manière. Autrement, il n'aurait pas eu l'air si surpris en se découvrant incapable d'utiliser la magie contre lui.
Coupant court à ces considérations, Fergus fit disparaître le muret en pierre et s'avança pour donner un coup de pied dans l'arme d'Arthur, encore au sol. Le mouvement l'envoya glisser au loin, hors d'atteinte.
-J'imagine que vous ignoriez que votre épée était magique, se moqua Mordred. Nous voyons à nouveau dans quelle mesure vous dépendez d'Emrys pour survivre. Mais, ici et maintenant, je n'autorise aucune magie à vous assister. Vous qui l'avez rejetée toute votre vie et qui viviez dans l'ignorance des agissements de votre protecteur, battez-vous réellement sans son aide pour la première fois !
L'injonction était claire. Recommencer sans Excalibur. Démontrer la réalité du rapport de force entre la magie et la caste des chevaliers.
Voyant que Fergus libérait Elyan et Gauvain du sortilège, le roi se leva péniblement.
Mordred prit l'épée de l'un de ses gardes et la lança depuis le balcon vers Arthur.
-Voici votre nouvelle arme, dit simplement le druide alors que celle-ci tournoyait dans les airs.
Le souverain ne tenta pas de l'attraper au vol. Il s'écarta et la laissa heurter le sol dans un fracas qui fit vibrer ses tympans. Puis, il la ramassa sans un mot.
C'était un combat de tous les instants pour résister à l'envie d'abandonner, un combat contre lui-même qui faisait écho à celui qu'il s'apprêtait à mener contre le sorcier. Où était passée la fièvre de la bataille qui l'avait toujours habité, même dans les situations les plus désespérées ? Un tel abattement ne venait pas de la perspective de sa défaite. La cause de son état était bien plus profonde, enracinée dans la prise de conscience brutale de l'homme qu'il était réellement depuis toutes ces années.
-Que fait-on ? murmura Elyan en le rejoignant, Gauvain à ses côtés. Quelle est notre stratégie, cette fois-ci ?
-La même chose, répondit Arthur à voix basse. Mais cette fois-ci, surveillez ses mouvements. Dès qu'il fait mine de lancer un sort, essayez de vous écarter de sa trajectoire.
-Etes-vous sûr que cela fonctionnera ? demanda Gauvain, dubitatif.
-Je suis quasiment sûr que cela ne fonctionnera pas, admit Arthur. Mais avez-vous une meilleure idée ?
Le silence qui suivit lui donna sa réponse.
Ils reprirent position, épée à la main et visière abaissée, chacun se tenant prêt à partir dans chacun une direction différente pour former un arc de cercle.
Si seulement quelqu'un avait pu prendre la place d'Arthur à cet instant, mener cet affrontement pour lui. Si seulement il avait pu s'écrouler immédiatement, au lieu de devoir tenir le cap vers ses objectifs. Que Gilli, Hunith, Merlin et les autres se sauvent eux-mêmes !
Une nouvelle fois, il se fit violence pour repousser ce sentiment et il ordonna l'attaque.
Ils se lancèrent à l'assaut de l'adversaire, cette fois-ci attentifs au moindre de ses mouvements.
La cour retenait son souffle.
Le premier vers qui Fergus se tourna fut Elyan, qui le remarqua et tenta de bondir de côté tandis qu'Arthur et Gauvain en profitaient pour accélérer le pas.
Elyan tomba.
Fergus se concentra ensuite sur le second chevalier, qui se jeta à terre vers la droite.
Il le toucha malgré tout sans la moindre difficulté.
Enfin, vint le tour d'Arthur.
Le roi voulut exécuter une feinte vers la droite avant de se projeter vers la gauche, mais cela ne troubla le sorcier que l'espace d'une seconde. Pour atteindre sa cible, celui-ci avait simplement besoin qu'elle soit dans son champ de vision. Il serait toujours plus difficile pour elle de s'écarter suffisamment que pour lui de corriger l'orientation de son regard.
Arthur heurta le sol à son tour.
L'affrontement tout entier s'était déroulé en quelques secondes seulement, peut-être six ou sept tout au plus. Comme on pouvait s'y attendre, la défaite avait été fulgurante.
Fergus esquissa un petit sourire satisfait :
- La magie est la plus puissante des forces. Les Pendragon ont condamné leur lignée le jour où ils lui ont déclaré la guerre.
Mordred lui donna l'ordre de les libérer du sortilège, et Fergus s'exécuta en levant les yeux au ciel. Les chevaliers se regroupèrent silencieusement autour d'Arthur.
C'était terminé.
Comme le souhaitait le druide, ils avaient fourni la preuve qu'un dirigeant et une armée ne valaient rien sans magie à leurs côtés pour les appuyer. La caste des chevaliers de Camelot n'était qu'une plaisanterie quand Emrys n'était pas là pour les aider. Pire encore, ils avaient échoué si rapidement que le répit obtenu par Gilli s'avérait infime. L'homme de main de Mordred allait retourner dans la tour et s'en prendre à nouveau au jeune sorcier de Willowdale.
Le seul aspect positif de cette humiliation était qu'elle avait permis à Hunith d'échapper au sorcier.
Pour Gilli et Hunith…
Alors qu'en était-il à présent ? Quel sort allait-on leur réserver après toutes ces épreuves ? Quel était le dénouement de cette mise en scène ? Qu'avait donc prévu Mordred ?
Ce dernier semblait perdu dans ses pensées, déconcentré. Que se passait-il ? Qu'attendait donc le druide ?
Il avait gagné. Il les avait écrasés de toutes les manières possibles.
Le sentiment d'injustice et de frustration d'Arthur grandit soudain en lui de manière irrépressible. Mordred avait dominé cette confrontation du début à la fin, forçant les chevaliers et leur roi à se comporter comme des marionnettes. Ce dernier sentit la colère l'animer et brûler en lui jusqu'à ce que s'impose une résolution.
Non.
Mordred ne les avait pas vaincus.
Pour Gilli et Hunith.
Quelque chose craqua en lui à ce moment-là.
Quelques instants plus tôt, anéanti, il avait dû lutter pour garder ses missions en tête. A présent, il ne voyait plus qu'elles.
Le combat interne qu'il avait mené pour s'obliger à combattre venait de s'achever. Il l'avait enfin emporté.
Plus aucune lassitude, plus aucun épuisement, plus aucune tristesse ne l'habitaient. Continuer était maintenant un besoin irrépressible, et non plus une corvée. Une détermination froide remplaçait tout le reste, lui permettant de retrouver ses réflexes, ses sens aiguisés et sa capacité de réflexion.
-Remettez-vous en position ! rugit-il.
Il eut l'impression que l'ancien Arthur venait de mourir. Il ne souffrait plus de ses émotions car il s'en était détaché.
Interloqués, Elyan et Gauvain échangèrent un regard avant d'obéir. Ils se replacèrent à quelques pas du souverain, prêts à se déployer à son signal. Tout le monde pouvait sentir que quelque chose avait changé chez Arthur, mais lui seul savait dans quelle mesure.
Mordred haussa les sourcils mais les laissa faire, intrigué.
Le roi plissa les yeux et croisa le regard de Fergus. Comment l'empêcher de les toucher ? Tant que le sorcier voyait sa cible, il pouvait l'atteindre.
Arthur baissa les yeux vers l'armure qu'on lui avait prêtée. La portion qui recouvrait son bras reflétait le soleil.
-Attaquez à nouveau ! ordonna-t-il. Soyez plus rapides, ne le laissez pas vous toucher !
Elyan et Gauvain attaquèrent l'ennemi pour la troisième fois, bondissant en avant à toute vitesse.
Mais le roi n'avança pas d'un pas.
Concentré, il tentait de rediriger les reflets qui touchaient son armure vers les yeux de Fergus. Il se moquait bien d'avoir l'air ridicule. S'il pouvait seulement l'éblouir l'espace d'une seconde, cela laisserait à l'un des chevaliers le temps nécessaire pour le faire tomber.
Malheureusement, cette tâche se révéla aussi difficile qu'on pouvait l'imaginer. En un instant, ses compagnons se retrouvèrent tous deux à terre, paralysés, et il ne tarda pas à s'écrouler à son tour.
-Avez-vous réellement essayé de m'éblouir ? se moqua le sorcier.
Son ton était railleur mais quelque chose dans son attitude donnait à Arthur l'impression qu'il avait réussi à l'inquiéter.
-Libérez-les ! répéta Mordred.
Fergus relâcha son sortilège pour qu'ils puissent recommencer à bouger.
-Remettez-vous en position ! s'écria le souverain d'une voix rauque.
Les visages des chevaliers ruisselaient de sueur mais ils s'exécutèrent.
-Laissez-les essayer autant de fois qu'ils le souhaitent, dit le jeune druide. Chaque nouvel échec ne fait que souligner leur médiocrité.
Il ne les laissait continuer que parce qu'il pensait conserver le contrôle sur la situation. Il ignorait encore qu'Arthur avait prévu de renverser la balance.
-Soyez plus rapides ! gronda ce dernier.
Frustré, il arracha son armure pièce par pièce et les jeta au sol l'une après l'autre, n'en gardant qu'une unique plaque pour s'efforcer d'aveugler son ennemi. Il serra la pièce métallique dans sa paume, tandis que son autre main raffermissait sa prise sur l'épée.
Libéré de l'excédent de poids, il aurait la possibilité de se déplacer bien plus rapidement. Avec de la chance, peut-être parviendrait-il à bondir hors d'atteinte des sortilèges.
Des exclamations de surprise émergèrent parmi les spectateurs mais il ne leur accorda pas un regard. Il décela aussi une once d'hésitation chez Fergus et Mordred, qui disparut aussi vite qu'elle était apparue.
Son acte avait des airs de rébellion. Il rejetait les équipements fournis par son ennemi tout en montrant qu'il n'avait pas peur de s'exposer. Sa détermination transparaissait à travers sa volonté de gagner en rapidité à n'importe quel prix.
Après un instant de considération, les chevaliers suivirent son mouvement et firent de même. Les trois hommes se tenaient à présent côte à côte sans armure. Chacun avait une plaque métallique dans une main et une épée dans l'autre.
-Attaquez !
Ils bondirent tous trois en avant. Pour Arthur, se battre n'était plus un effort mais la seule chose qui existait. Dans le feu de l'action, guidé par sa volonté de combattant, il pouvait canaliser ses pensées, courir plus vite et frapper plus fort. Là aussi, il reprenait le contrôle.
Cette fois, Fergus s'en prit d'abord à lui et l'immobilisa. Ce fut Elyan qui eut le réflexe de manipuler sa plaque métallique pour en rediriger les reflets. Il semblait mieux s'en sortir car un éclat de lumière apparut brièvement sur le front du sorcier. Malheureusement, il ne fut pas assez rapide et ne parvint pas à viser les yeux à temps. Malgré la feinte que tenta un Gauvain rendu plus vif par l'absence d'armure, les chevaliers furent touchés à leur tour.
-Libérez-les ! cria Mordred.
Fergus obéit.
-En position ! cria Arthur.
Les chevaliers obéirent.
Aucun d'entre eux ne mentionna le caractère désespéré de la situation. Se mesurer sans cesse à une force capable de les faire tomber à distance en quelques secondes relevait de la folie. Tous leurs espoirs reposaient sur l'idée qu'Arthur avait eue de bloquer la vision de Fergus et sur leur regain de vivacité suite au rejet des armures. Malheureusement, aucun de ces éléments n'avait produit de résultat pour l'instant. Il apparaissait aux yeux de tous qu'ils n'en produiraient probablement jamais, et ce malgré l'acharnement des trois hommes.
Ils essayèrent encore et encore, en variant les enchaînements de mouvements à chaque tentative. Fergus les envoyait constamment à terre.
Le souffle finit par leur manquer mais, trempés de sueur, ils refusèrent de renoncer, s'exerçant à être chaque fois plus rapides et agiles que la fois précédente. Ils remarquèrent qu'Elyan était le plus habile pour dévier les reflets, et ce fut donc lui qui se chargea le plus souvent de cette tâche. Bien sûr, leur ennemi l'avait aussi remarqué et en tenait compte dans ses réactions, c'est pourquoi Arthur et Gauvain continuèrent malgré tout de tenter leur chance. Parfois, l'un d'entre eux essayait de manipuler la plaque métallique tout en courant. C'était encore plus difficile, mais c'était aussi plus troublant pour Fergus. Parfois, il arrivait que deux d'entre eux s'attèlent à cette tâche en même temps. Mais personne n'avait pour l'instant réussi à aveugler le sorcier au point d'empêcher sa magie d'atteindre sa cible.
Arthur n'avait plus qu'une seule chose en tête.
Se battre.
Gagner.
Protéger la mère de Merlin et le villageois de Willowdale.
Hunith était l'incarnation de tous les innocents qu'il aurait dû protéger et Gilli représentait tous les sorciers qu'il avait fait souffrir. Il fallait neutraliser Fergus à tout prix, c'était lui le danger.
Le visage de Mordred ne révélait rien. Sentait-il le souffle intense qui s'était emparé de ses prisonniers et les soustrayait à son emprise ? Sentait-il que la masse des gens présents dans la cour était transportée par cet incroyable spectacle, cette stupéfiante démonstration de volonté ?
Certes, les chevaliers de Camelot pouvaient facilement être vaincus par la magie, mais ce n'était pas dans la puissance pure que résidait leur force. Ce n'était pas cela qui avait jadis donné à leur caste une aura si prestigieuse. C'était autre chose. Une chose qu'ils étaient en train de dévoiler lors de cette épreuve. Et Arthur était le plus déchaîné d'entre eux, le visage recouvert de transpiration et de sang, une grimace de colère et de détermination déformant ses traits. Il suscitait de temps en temps quelques regards inquiets de la part des chevaliers, qui ne l'avaient jamais vu dans cet état et qui sentaient que quelque chose s'était brisé en lui ce matin-là sur cette île.
Entre chaque nouvelle attaque, le roi regardait vers le balcon et voyait que Mordred paraissait absent, comme s'il n'était pas totalement concentré sur l'affrontement et qu'il percevait un danger invisible aux environs. Mais si c'était le cas, pourquoi ne disait-il rien ? L'instant d'après, Arthur se replongeait dans l'action et oubliait tout ce qui avait trait au druide.
Pour Gilli et Hunith.
Après une énième défaite, Arthur poussa un cri presque animal. Fergus venait à nouveau de les libérer et les chevaliers s'étaient rassemblés à ses côtés comme à chaque fois. Ce n'était pas assez, il fallait qu'il soit plus rapide.
Dans un moment de hargne, le roi jeta son épée à terre. Elle aussi le ralentissait. Il se débarrassa aussi du morceau de métal qu'il avait jusque-là gardé. S'il avait les mains libres, il irait plus vite. En outre, il était convaincu d'une chose : il ne gagnerait que s'il rejetait tout ce qui lui avait été fourni par l'ennemi.
A présent, ce n'était plus que lui : Arthur. Sans Excalibur ni d'autre épée. Sans armure ni de morceau de métal. Juste lui.
Les chevaliers l'imitèrent mais, du coin de l'oeil, le roi aperçut un reflet dans la manche d'Elyan. Il comprit que celui-ci ne s'était pas débarrassé de sa propre plaque de métal. Peut-être Fergus n'aurait-il rien remarqué.
Quant à Mordred, il était toujours aussi songeur : il regardait alternativement Arthur et la foule, en proie à des pensées qu'il ne partageait avec personne.
Le souverain l'ignora, concentré sur le sorcier qui lui faisait face. Celui-ci semblait lassé, agité et fatigué, bien que son état physique restât bien meilleur que le leur.
Cette fois-ci, Arthur n'ordonna pas l'attaque. Il se jeta simplement sur lui. Gauvain se précipita à son tour.
L'effet de surprise leur permit de s'approcher plus près que jamais mais Fergus finit par frapper le chevalier de son sortilège habituel.
Quand il voulut ensorceler le roi, celui-ci fit une roulade vers la gauche, chose qu'il n'aurait pas pu faire s'il avait eu les mains prises. Il se prépara à recevoir le sort de paralysie malgré tout mais Fergus poussa alors un cri. Elyan avait parfaitement orienté la lumière, profitant du retard de réaction de l'homme de Mordred, qui ne s'était pas attendu à la soudaineté de l'attaque. Ebloui et troublé par la vitesse d'esquive d'Arthur, le sorcier manqua sa cible pour la première fois. Il ne parut même pas se rendre compte qu'il n'avait pas touché le souverain, car son attention se reporta immédiatement sur celui qui avait osé lui brûler la rétine. Mû par la fureur, il n'utilisa pas le même sort sur lui, préférant lui envoyer ce qui ressemblait à de la foudre.
Le cri poussé par Elyan ne brisa pas la concentration d'Arthur. En une seconde, il s'était hissé au niveau de Fergus, qui ne le vit qu'au dernier moment. Par réflexe, le sorcier utilisa la magie pour ériger un muret similaire à celui qui lui avait permis de bloquer le roi lors de leur tout premier affrontement.
Mais cette fois-ci, ce dernier s'y était préparé. Dès l'apparition du muret, il prit appui dessus et l'enjamba en une fraction de seconde. Fergus ne s'était pas attendu à le voir jaillir malgré l'obstacle, et il poussa un gémissement au moment où le poids du souverain le plaqua au sol. A mains nues, Arthur lui asséna un coup qui le sonna et lui fit lâcher son épée. Sans perdre un instant, il arracha la bague de Gilli du doigt du sorcier et la passa à son propre doigt. Il se saisit ensuite de l'épée, poussant un cri sauvage qui résonna dans la cour toute entière :
-Pour Gilli et Hunith !
D'un geste large, il fit tournoyer l'arme et trancha la tête de Fergus.
Plus personne ne fit le moindre bruit. Le temps se suspendit.
Puis, l'enfer se déchaîna depuis les cieux. Un énorme déplacement d'air traversa toute la cour, accompagné d'un rugissement d'une puissance impossible à égaler par un animal normal. Quelque chose d'invisible et de gigantesque surplombait la scène.
Puis, la chose invisible et gigantesque apparut, comme si un voile venait d'être levé. C'était un énorme dragon, et pas n'importe lequel. C'était le Grand Dragon, celui qu'Arthur avait déjà affronté quelques années plus tôt. La créature était chevauchée par Emrys, à côté de qui l'on pouvait voir la silhouette inconsciente de Guenièvre.
Le dragon cracha un long jet de flammes vers le balcon, mais Mordred ne s'y trouvait déjà plus. Avait-il perçu l'approche de ce danger plus tôt que les autres ? Était-ce pour cette raison qu'il avait semblé si distrait ces dernières minutes ?
La foule se mit à pousser des hurlements et à prendre la fuite dans l'anarchie la plus totale.
Fergus était mort.
Emrys était là.
Au milieu du chaos, Arthur était en paix.
Notes : Merci à Sapindetin, Gwenetsi et Lison Doute pour vos reviews, c'est toujours aussi agréable pour moi de pouvoir interagir avec vous et lire vos analyses. ;)
