Précédemment : Les frères Winchester se sont réconciliés et font à nouveau équipe, avec Castiel. Ensemble, le trio se met sans grand succès sur la piste du Colt. En cherchant des démons, Castiel est contacté par un Ange, Inias, qui lui propose de guider quelques centaines d'Anges qui veulent mener une révolution au Paradis. Castiel accepte, et se sépare de Sam et Dean pour aller à la rencontre de ces Anges.

Ce chapitre se passe quelque part entre les épisodes 4 et 8 de la saison 5.

Bonne lecture !

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Murmures au clair de lune

Tu devrais les éviter comme la peste.

C'est ce que m'a affirmé Zedekiel lorsque je lui ai demandé conseil. Tout ce que tu gagneras à les suivre dans leur délire de révolution, a-t-il continué, c'est de te faire emporter dans leur chute. Et la chute sera rude.

Me voilà pourtant présent contre son avis au lieu de rendez-vous, sur le Mont du Golgotha, aussi appelé Mont du Calvaire en souvenir du supplice de Camael. Peut-être est-ce une erreur de ma part d'être venu. Et peut-être aurais-je suivi le conseil de Zedekiel et me serais-je contenté de vivre et mourir comme un Humain une fois ma Grâce drainée de son pouvoir, si l'Humanité n'était pas menacée d'extinction, si Sam et Dean n'étaient pas victimes du Destin. J'aurais vécu quelques années, peut-être même quelques décennies auprès de Dean, à apprendre ses us et coutumes jusqu'à ce que mon corps organique ne défaille et me plonge dans le néant éternel.

Oui, j'aurais pu accepter ce sort, mais le Paradis et l'Enfer ne me laissent d'autre choix que de me battre pour sauver Dean, coûte que coûte. À quoi bon survivre si je ne parviens pas à le protéger ? Intégrer le groupe d'Inias risque effectivement d'attirer encore plus l'attention sur moi et d'attiser la colère de Raphaël, mais c'est une chance inespérée, une alternative solide dans le cas où la stratégie du Colt venait à échouer.

J'inspire profondément l'air nocturne en embrassant du regard le ciel étoilé. Une bourrasque s'engouffre dans mon trench-coat, le déployant derrière moi et plaquant ma chemise contre mon torse.

C'est à cet endroit précis que, avant de succomber sur sa croix après des heures d'agonie, Camael a levé des yeux embués de larmes vers les cieux pour demander à Dieu pourquoi l'a-t-Il abandonné. Moi, j'ai cessé de me poser cette question. Mon Père n'a jamais répondu à mes prières, et j'ignore même si c'est Lui ou Lucifer qui m'a ramené à la vie. J'en ai assez de prier et d'offrir ma dévotion à un être pour qui je ne suis que quantité négligeable, ou qui n'a peut-être même jamais existé. Dean, lui, est bien réel et vivant, et rien, ni le Ciel ni l'Enfer n'auront raison de mon dévouement pour lui. Il m'a prouvé que je peux combattre le Destin au lieu de m'y plier comme je l'ai toujours fait.

Et pour lui, je vaincrai. Quoi qu'il en coûte.

L'aube naissante commence à faire pâlir les étoiles à l'horizon, déployant une palette de teintes rosées sur ce paysage de roches et de touffes d'herbe sèche. Le lieu n'est pas aussi désert que je l'avais escompté, je compte près d'une vingtaine de personnes foulant le sol aride à quelques dizaines de kilomètres de là, sans doute des fidèles en pèlerinage.

Un claquement feutré d'ailes suivi d'un déplacement d'air m'annonce l'arrivée d'un Ange derrière moi.

« Je me suis souvent demandé, ces deux derniers millénaires…

Je n'ai pas besoin de me retourner pour reconnaître Baradiel. Son aura est distincte et familière, et même déformées par les cordes vocales de son hôte, les intonations de la voix de mon ancien soldat sont les mêmes.

- … ce qu'il se serait passé si je n'avais pas averti Anna de la tentative de rébellion d'Uriel.

Je garde mes bras inertes le long de mon corps, et mes yeux fixés sur le soleil levant qui se fait plus lumineux à l'horizon à chaque seconde qui s'écoule. Tous mes autres sens sont focalisés sur la présence de mon ancien soldat derrière moi. La terre aride et les brins d'herbe secs crissent sous ses pas qui s'approchent, jusqu'à ce que je sente la douceur de ses plumes me frôler le coude.

- Les Archanges vous auraient exterminés jusqu'au dernier.

Ma voix semble enrouée tant elle est rauque. Je n'ai pas eu l'occasion de parler avec Baradiel depuis ma résurrection et je ne m'attendais pas à le voir parmi les Anges prêts à initier une insurrection au Paradis. Mais à bien y réfléchir, il m'a révélé lorsque j'étais encore son supérieur avoir été tenté de suivre Lucifer autrefois. Il a cédé à la reconversion d'Uriel et il n'a également pas hésité à braver le protocole en m'aidant à capturer Alastair. A-t-il toujours eu des velléités de désobéissance dissimulées sous ses airs stoïques ?

- C'est ce que j'ai pensé à l'époque, dit-il pensivement. Mais avec le recul, je ne peux pas m'empêcher de me dire que nous aurions eu nos chances, si seulement nous avions été un peu mieux préparés. Peut-être que nous aurions vraiment pu sauver Camael et reprendre le contrôle.

Je détache mes yeux du disque flamboyant de lumière qui s'élève dans le ciel à présent bleu, et me tourne tout à fait vers mon ancien soldat.

- Est-ce pour cela que tu as rejoint Inias ? Tu penses qu'on est en mesure d'arrêter l'Apocalypse et de vaincre les Archanges ?

Son hôte est le même, celui d'un homme aux cheveux rassemblés en un chignon haut, et une ombre de sourire se glisse sur ses lèvres lorsqu'il croise mon regard.

- Je suppose qu'on ne le saura que si on essaye.

Un claquement d'ailes interrompt notre conversation, marquant l'arrivée d'un Ange que je n'ai jamais vu auparavant. Celui-ci replie aussitôt ses ailes dans son dos, et ses yeux se posent sur moi, me dévisageant brièvement avant de reporter son attention sur Baradiel.

- Les autres ne sont pas encore là ? Ça valait bien la peine que je me démène pour inventer une excuse crédible pour quitter mon bureau si tout le monde se permet d'être en retard…

- Ils ont eu un contretemps mais devraient bientôt arriver, explique Baradiel. Castiel, je crois que tu ne connais pas encore Oyub, il travaille à l'Administration. Oyub, tu connais Castiel…

- Bien obligé, il est célèbre pour son exécution en direct et sa résurrection. Le rebelle au Paradis le plus recherché après Lucifer.

Comme l'hôte de Zachariah, celui d'Oyub n'a que très peu de cheveux, bien qu'il semble moins âgé. Il me scrute sans ciller, le regard acéré sous ses paupières tombantes.

- D'ailleurs, « Parce que je suis libre », comme derniers mots avant de se faire atomiser par Raphaël, c'est pas un peu stupide ?

Je tâche de cacher ma confusion et me contente de plisser les yeux.

- Pourquoi ?

- Disons que sacrifier ta vie pour accomplir ta mission première, ce n'est pas ce que j'appellerais être libre. En un sens, en protégeant l'Humanité contre les nouveaux ordres, tu ne fais que continuer à obéir à d'anciens ordres. Lucifer, Anael, Siosp, et même Zachariah dans son temps, tous les Anges qui se sont rebellés ne l'ont fait, au fond, que par loyauté pour une mission antérieure. Est-ce vraiment de la rébellion, ou juste une incapacité à s'adapter à de nouvelles directives ?

- Tu penses donc que nous sommes incapables d'être libres et de nous rebeller ? Tu prouves pourtant le contraire par ta seule présence ici, te rebellant pour sauver l'Humanité.

Oyub laisse échapper un rire sarcastique.

- Oh, non non non, je t'arrête tout de suite. Je ne suis pas là pour sauver cette espèce surestimée qui fait beaucoup trop parler d'elle depuis un paquet de millénaires. Leur sort m'est bien égal. Moi, tout ce que je veux, c'est virer ce ramassis d'incapables et d'opportunistes du Conseil, que l'Administration soit enfin gérée de manière cohérente et sans la menace constante d'un redressement. Je veux juste travailler dans de bonnes conditions. J'ai bien essayé de me plaindre par la voie normale, hein, mais les gros pontes veulent rien entendre. Je suis du genre patient, mais au bout d'un moment faut arrêter de se foutre de nous.

Les ailes de Baradiel s'étirent paresseusement tandis qu'il contemple le lever de soleil.

- Tu te rendras vite compte, Castiel, que les raisons qui poussent nos frères et sœurs à nous rejoindre sont diverses. Ceux qui souhaitent sauver l'Humanité comme toi sont plutôt minoritaires.

Maintenant que j'y pense, Baradiel n'a lui non plus jamais dit qu'il souhaitait sauver l'Humanité. Quelle peut bien être sa motivation pour désobéir et stopper l'Apocalypse, alors ?

Avant que je ne puisse poser la question, un double battement d'ailes se fait entendre, et deux Anges se posent devant nous en lissant leurs plumes ébouriffées par le vent. Inias, et…

- Ophaniel ?

Je n'ai pu dissimuler la surprise dans ma voix.

- Bonjour, Castiel. Je suis contente que tu sois venu.

C'est bien elle, qui pose un regard serein sur moi tandis qu'une bourrasque d'air sec fait claquer sa robe à motifs de fleurs sur son corps d'emprunt. Ophaniel, le Général de la division des mammifères, anciennement la supérieure d'Hester et Virgil.

- Pourquoi un membre du Conseil voudrait le renverser et prendre part à une insurrection au Paradis ?

Ophaniel incline la tête sur le côté, comme si la réponse allait de soi.

- Justement parce que je connais assez le Conseil pour savoir que rien ne changera tant qu'il sera en place. C'est moi-même qui ai formé ce groupe et initié cette réunion.

- Inias m'a dit que…

Je jette un œil à Inias en hésitant, et il m'adresse un signe d'encouragement de son aile.

- … que vous aviez besoin de moi pour vous guider. Pourquoi avez-vous besoin de moi, au juste ? Tu sembles avoir déjà bien les choses en main, Ophaniel.

Oyub émet un reniflement narquois, se tournant lui aussi vers Ophaniel.

- C'est vrai ça, rappelle-nous pourquoi on a besoin de lui, au juste ?

Cette fois, c'est Inias qui répond en plissant les yeux, clairement sur la défensive.

- Parce que l'idée même vient de Castiel à l'origine. Quand Anpiel a été dénoncée et envoyée en redressement pour avoir essayé de convaincre nos frères et sœurs de former une armée pour renverser le Conseil pour Castiel, Ophaniel en a entendu parler et a décidé d'agir.

- Ce que veut dire Inias, poursuit Ophaniel avec dignité, c'est que tu es un symbole fédérateur, Castiel. Nul au Paradis n'ignore que tu as défié le Destin, le Conseil et les Archanges, et que Dieu t'a ressuscité. Avec toi à notre tête, nous aurons bien plus de chances d'unir un grand nombre d'Anges à notre cause que si c'est moi, qui suis un membre du Conseil, ou n'importe lequel d'entre nous qui les appelle à la rébellion.

- Je comprends.

Ce que je comprends aussi, c'est que je servirai de bouc émissaire en cas d'échec. Mais cela me va. Je n'ai plus rien à perdre de toute façon.

- Combien d'autres attendons-nous encore avant de commencer ?

- Nous sommes au complet, répond Inias. Des centaines d'Anges et Chérubins sont déjà intéressés par notre cause, mais c'était trop risqué de nous réunir en grand groupe. Tu ne te rends pas compte à quel point la surveillance a été accrue au Paradis depuis ta résurrection, Castiel. Il est très difficile de s'éclipser et descendre sur Terre sans tout un tas d'autorisations et de rapports à rédiger ensuite.

- Le Conseil craint que ton exemple soit suivi, approuve Ophaniel. Le Paradis entier est comme une bombe sur le point d'exploser en ce moment. Et c'est nous qui allons l'allumer, dès demain.

Il semblerait qu'ils ne m'aient pas attendu pour décider d'une stratégie. Depuis combien de temps me cherchaient-il pour leur servir de symbole et porte-parole dans leur action ?

Je me redresse, intensifiant mon aura en signe de combativité.

- Je vous écoute. Quel est le plan ? »

oOo

Un rayon de lune filtre entre les rideaux entrouverts, traversant la chambre d'un trait argenté, serpentant sur les plis des draps et la forme des deux corps allongés. Sam est blotti sous la couverture, ne laissant deviner que ses cheveux déployés sur l'oreiller, et un ronflement régulier s'élève avec chacune de ses respirations. Dean, lui, comme souvent, dort par-dessus les draps, entièrement habillé, avec seulement sa veste posée en travers de son torse.

J'espérais pouvoir dire au revoir à Dean avant de m'envoler pour cette mission insensée, presque suicidaire, mais j'aurais dû me douter que son frère et lui dormiraient à cette heure-là, étant donné qu'il fait nuit dans cet hémisphère.

Peut-être devrais-je les réveiller, mais Dean m'a répété bien assez de fois que le sommeil est important pour les Humains et ne doit pas être interrompu intempestivement. Et est-ce vraiment utile qu'ils sachent où je me trouve pour les jours ou semaines à venir ? L'information ne leur serait d'aucune utilité, ce n'est pas comme s'ils avaient la possibilité de me joindre au Paradis ni de me prêter main-forte s'ils le souhaitaient. Et je préférerais éviter de donner à Dean de faux espoirs sur cette potentielle révolte des Anges. Rien ne garantit que notre action et mon message seront bien reçus par nos frères et sœurs. Peut-être même que nous serons tous capturés et exécutés pour l'exemple.

Peut-être que c'est la dernière fois que je vois Dean.

Je replie mes ailes dans mon dos et m'approche de son lit à pas feutrés. Sa bouche est entrouverte, révélant la muqueuse humide de l'intérieur de ses lèvres, et ses cils frémissent, les globes oculaires remuant derrière les paupières.

Il est en train de rêver. La tentation est forte de me plonger dans son esprit et de rejoindre son rêve comme il m'y a autorisé, mais je n'en ai pas le temps. L'heure de départ de la mission est imminente.

C'est étrange. Je suis incapable de voir son âme lorsque ses yeux sont clos, et pourtant, son visage endormi a comme un effet envoûtant sur moi. Ses traits sont relaxés, adoucis. Moi qui n'ai jamais pu tout à fait saisir le concept de beauté physique chez les Humains, je me retrouve absorbé dans la contemplation du grain de sa peau, des pâles taches de rousseur qui parsèment son visage et du dessin de ses lèvres. Et pour la première fois de mon existence, j'éprouve devant un être vivant la même fascination empreinte d'émerveillement que m'inspirent les paysages les plus splendides qu'il m'ait été donné de voir.

Avoir reconstitué ce corps cellule par cellule à partir d'os couverts de lambeaux de chair putréfiée restera à jamais ma plus grande fierté.

Comme en transe, je déplie mes doigts et tends la main pour frôler la joue de Dean, traçant doucement la peau jusqu'à l'angle de la mâchoire. La sensation est à la fois soyeuse et piquante, de l'effet des poils rasés qui commencent à repousser. Son cou irradie de chaleur, sa jugulaire pulsant sous ma paume tandis que mon pouce se risque à une caresse sur le lobe d'oreille.

J'aimerais pouvoir rester pour toujours ici, auprès de lui, à toucher sa peau, à admirer son visage, à écouter le rythme de sa respiration et le battement sourd de son cœur. Mais il est déjà temps pour moi de partir.

Mais lorsque je retire ma main, la respiration de Dean se bloque et sa main surgit comme un oiseau de proie pour saisir mon poignet dans un étau.

« … Cas' ?

Sa voix est rauque, enrouée, et ses yeux grand ouverts se lèvent dans le noir, scrutant mon visage parmi les ombres.

- Bonjour, Dean, je réponds en un murmure. Je ne voulais pas te réveiller. Mes excuses.

Son rythme cardiaque s'est emballé, je peux l'entendre. Relâchant sa prise sur mon poignet, il se redresse sur le lit et pose les pieds au sol, le bout de ses chaussures touchant les miennes. Faisant fi de ses propres règles quant à la distance d'un mètre minimum à respecter, il se lève précipitamment, se tenant debout si proche de moi que je peux sentir son souffle se mêler au mien.

- Mec, t'étais parti où ? J'ai essayé de t'appeler des centaines de fois !

Bien que chuchotant, il a sifflé ces mots assez fort pour perturber le sommeil de son frère, semble-t-il – celui-ci émet un ronflement entrecoupé d'un bruissement de draps lorsqu'il roule sur le côté, changeant de position pour s'étaler de tout son long, un pied et une jambe dépassant hors du lit. Ce n'est que lorsque ses ronflements reprennent étouffés par l'oreiller dans lequel il a enfoui son visage, que Dean glisse sa main sur le bas de mon dos. Il y applique une pression, poussant pour me guider à l'écart du lit de Sam, jusqu'à ce que nous soyons tous les deux près de la fenêtre.

- Je viens de voir tous tes appels en absence, Dean. Je n'avais pas de réseau, à Jérusalem.

Alors seulement retire-t-il sa main pour bien me faire face. Un rayon de lune caresse son visage, le nimbant d'un éclat argenté. Les fragments de son âme scintillent dans ses yeux, laissant deviner son inquiétude et une bonne dose de frustration. Ses sourcils se froncent, creusant le pli de peau sur son front.

- Jérusalem ? Qu'est-ce que t'es allé faire là-bas encore ? Chercher de l'huile ?

- Non. J'avais une affaire urgente là-bas qui nécessitait ma présence.

- Une affaire urgente, répète Dean platement.

Il pousse un profond soupir en se passant la main sur le visage. Puis, il me fixe avec détermination, pressant mon épaule d'une main en humidifiant lentement ses lèvres.

- Ok. Nouvelle règle à partir de maintenant. Quand tu dois t'envoler pour je ne sais quelle raison, tu me dis où tu vas, et pour combien de temps. Tu me préviens, tu te barres pas comme ça sans rien me dire.

Dean s'est-il inquiété pour moi ?

L'idée est nouvelle, et déstabilisante. Pas déplaisante. Et je l'aurais davantage appréciée si je ne devais pas repartir immédiatement, pour plus longtemps encore, sans certitude de pouvoir revenir auprès de lui.

- C'est à vrai dire pour cela que je suis ici, dis-je en brisant le contact visuel. Je voulais t'informer que je vais devoir m'absenter quelques jours, peut-être quelques semaines. Ou quelques mois, si les choses ne se déroulent pas comme je l'espère.

Entre les rideaux entrouverts, mon reflet me renvoie un regard morne, avec en transparence le parking de l'hôtel et quelques arbres à l'extérieur.

- Si je venais à ne pas revenir… poursuivez sans moi la piste du Colt, et ne tentez surtout pas de me retrouver.

- Quoi ? Pourquoi, tu vas où ?

- Quelque part où tu ne peux pas me suivre.

La lune est pleine, dans le ciel sans étoiles. Un homme, sans doute employé de l'hôtel, est en train de sortir un sac de poubelle pour le jeter dans la benne près du distributeur de boissons.

- Cas'…

La prise sur mon épaule se raffermit, et une seconde main se glisse sur le col de ma chemise, hésitant un instant avant de prendre ma joue en coupe. Sa peau irradie de chaleur contre la mienne.

- Cas'. Regarde-moi.

Avec une réticence résignée, je permets à sa main de tourner mon visage jusqu'à ce que nos yeux se croisent à nouveau. La pâleur de la lune illumine le vert de ses iris et éclaircit ses cils, laissant entrevoir l'éclat incomparable de son âme. Il y a dans son regard une gravité teintée de supplication.

- Je me fous d'où tu veux aller et pourquoi. Si c'est dangereux, n'y va pas, point barre.

Sa main se glisse jusque contre ma nuque, l'agrippant avec fermeté. Le contact fait naître une cascade de frissons qui dévalent ma colonne vertébrale et se répandent jusqu'au bout de mes ailes.

Je peux l'entendre déglutir, et ses lèvres s'entrouvrent à nouveau, sa voix s'enrouant en un chuchotement.

- Reste ici, avec moi. Avec nous.

Je ne peux me permettre de laisser ma volonté vaciller. L'enjeu est beaucoup trop important, il en va de la survie de l'Humanité et de Dean.

- Je n'ai pas le choix.

Ses sourcils se froncent et la prise sur ma nuque se raffermit, ses ongles s'enfonçant dans ma peau.

- C'est des conneries et tu le sais, Cas'. On a toujours le choix, t'as toujours pas compris ça ?

Mes ailes s'affaissent de dépit dans mon dos. Rien ne me plairait plus que de rester auprès de Dean, à savourer chacun de ses sourires et ses références que je ne comprends pas. Mais le combat que je dois mener maintenant se trouve au Paradis, ma seule chance de sauver Dean et garantir la survie de son espèce si la piste du Colt venait à échouer. Rester ici, peu importe à quel point j'en ai envie, serait égoïste et condamnerait Dean à subir le sort cruel que le Destin lui réserve.

Ne pouvant soutenir son regard une seconde de plus, je baisse les yeux pour briser le contact visuel, me focalisant sur ses lèvres à la place. Elles sont pincées, ce qui creuse ses fossettes. Pour les avoir reconstituées moi-même, je connais par cœur l'ourlet tendre de ces lèvres rosées et chacune de leurs fines striures. L'espace d'un instant, l'envie irrationnelle de les toucher, de vérifier leur texture du bout des doigts me traverse.

De frustration, je ferme les yeux et laisse échapper un soupir.

- Si cela ne tenait qu'à moi… j'aimerais autant rester auprès de toi pour le restant de ta vie. »

Je relève les yeux pour plonger à nouveau dans les siens, y lisant un trouble évident. Sa respiration s'est bloquée un instant, avant qu'il ne la relâche en un souffle tremblant qui effleure mon visage.

Soudain, un ronflement bruyant fait sursauter Dean, brisant notre contact visuel pour jeter un regard nerveux en arrière vers son frère endormi. Je profite de cette seconde où il libère ma nuque pour m'envoler à tire-d'aile. Fuir, avant que je n'en aie plus la volonté.

oOo

Sans Oyub pour me retenir d'une main ferme, j'aurais basculé et serais tombé à terre tant j'ai perdu mes repères au cours de ce vol erratique. Les plumes ébouriffées, je reprends tant bien que mal mon souffle, ma Grâce tournoyant en moi. Elle peut sentir que nous sommes au Paradis dont j'ai été banni et que je n'ai plus ma place ici.

L'endroit est sombre, bien plus étriqué que je ne me l'étais imaginé. Étonnamment, les quatre murs rapprochés, le sol comme le plafond sont tous recouverts de centaines, milliers de sigles, sceaux et inscriptions en énochian qui luisent et éclairent l'espace d'un halo argenté. Plus surprenant encore, je n'en reconnais aucun, moi qui me targue pourtant d'être un spécialiste en sceaux.

Est-ce donc ici que Pmox s'est perdu à notre retour de l'Enfer ? Zachariah avait pourtant évoqué des couloirs

« Voilà donc les Archives, dis-je en détaillant les inscriptions tout autour de moi. Je pensais que ce serait beaucoup plus grand.

Oyub relâche mon bras en haussant les sourcils.

- Plus grand ? On voit bien que t'as jamais eu à rechercher une information dans les Archives, toi… Pas étonnant, les gros pontes et soldats ne prennent jamais la peine d'aller voir comment on bosse dans l'Administration et les Archives.

- Il y a d'autres pièces que celle-là ? Je ne vois ni entrée ni sortie.

Avec un sourire ironique, il pointe un des sceaux contre le mur.

- Ça, c'est parce qu'il faut savoir où se trouvent les portails et comment les ouvrir correctement. Chacun peut mener à une partie complètement différente des Archives, selon comment on s'y prend. Heureusement pour toi, je connais bien les lieux et ses raccourcis.

Je ne connais encore que très mal Oyub, mais il m'est tout de même étrange de le voir dans ce nouvel hôte au corps de femme, aux courts cheveux roux et à la voix féminine. Sans doute devrais-je utiliser des pronoms féminins à son égard pour le temps de cette mission.

Oyub s'approche du mur, place son index sur l'un des sigles qui se met à briller plus fort à son contact, et trace un arc de cercle, avant de propulser une onde d'énergie. Aussitôt, le mur s'ouvre comme un rideau devant elle, dévoilant derrière une autre pièce aux mêmes dimensions qui semble en tout point identique.

Le portail se referme derrière nous, et l'impression troublante de ne pas avoir changé d'endroit et d'être revenu sur mes pas me saisit tout entier.

- C'est toujours la même pièce, dis-je en scrutant les inscriptions qui nous entourent. Es-tu certaine de ce que tu fais ?

Oyub se tourne pour me faire face, croisant ses bras sous sa poitrine.

- Techniquement, c'est bien la même, mais sans l'être. Pour résumer grossièrement, les Archives sont composées d'une seule et même pièce, mais déclinée à l'infini dans des dimensions parallèles. Nous sommes à la fois au Paradis et dans le vide intersidéral. Le truc pour y évoluer ou en sortir, c'est d'utiliser les bons sceaux dans le bon ordre, comme des couloirs. La moindre erreur, et on est perdu à jamais dans les limbes.

Je commence à comprendre. Bien que plus élaboré, le principe est le même que celui de la salle d'attente que Zachariah et moi avions mise en place pour garder Dean prisonnier tandis que Sam tuait Lilith et libérait Lucifer. La salle se trouvait à la fois sur Terre et dans le néant, tout comme les Archives existent à la fois au Paradis et nulle part. Voilà pourquoi Oyub a pu m'y introduire, moi qui suis pourtant banni et coupé du Paradis.

Ingénieux.

Oyub est déjà en train d'ouvrir un autre portail, et je m'empresse de lui emboîter le pas, peu désireux de me retrouver seul dans ce labyrinthe de dimensions empilées. Nous traversons ainsi plusieurs portails en nous retrouvant toujours au même endroit, mais je n'ai guère d'autre choix que de lui faire confiance.

Il est un peu déstabilisant toutefois de suivre cette Ange qui ne dégage ni aura ni présence et dont les ailes et le véritable visage sont dissimulés à ma vue, comme si j'étais incapable avec mes yeux de vraiment les voir.

Même Anpiel dont la maîtrise de son aura est exceptionnelle n'a jamais réussi à faire ça.

- Comment as-tu réussi à étouffer ton aura et cacher ton identité ?

Oyub me jette un coup d'œil par-dessus son épaule gracile. Son visage est très symétrique et elle ne comptabilise qu'une vingtaine d'années. Je me demande si Dean la trouverait attirante sexuellement, selon les standards humains de beauté.

- J'ai une sœur qui travaille depuis peu à la bibliothèque et a réussi à fouiner dans les livres des sceaux interdits, elle nous a appris ce sceau qui puise directement dans l'âme de l'hôte pour filtrer notre aura et tout signe distinctif. Ce n'est que temporaire, utiliser ce sceau trop longtemps est fatal à l'hôte. Le but de cette opération est que nous ne soyons pas reconnus. Je ne suis pas suicidaire, et aucun de nous ne veut être atomisé par les Archanges pour l'exemple. C'est aussi pour ça que nous avons tous investi des hôtes différents, pour ne pas être reconnus.

Elle ouvre un nouveau portail, et nous entrons à nouveau dans la même pièce.

- Vous m'utilisez donc comme distraction pour focaliser la colère des Archanges sur moi et non sur vous.

Oyub laisse échapper un rire étouffé.

- Ophaniel et Inias t'ont choisi comme symbole et tête d'affiche pour recruter d'autres Anges. Mais pour moi et bien d'autres, oui, tu es l'appât idéal. Sans vouloir te vexer.

- Je ne le suis pas. Si cela me permet de soulever une révolte au Paradis contre le Conseil comme je le souhaitais, peu m'importent les motivations de ceux qui me suivent.

- Tout le monde est content alors, lâche-t-elle d'une voix traînante en ouvrant encore un autre portail. Ça y est, voilà la sortie des Archives.

Nous émergeons dans un couloir éclatant de blancheur, et l'espace d'un instant je me fige, déjà prêt à combattre en me retrouvant face à face avec deux Anges inconnus – je me reprends vite en comprenant qu'il s'agit de nos alliés à l'aura dissimulée, qui ont eux aussi changé d'hôte et que je ne suis en conséquence pas en mesure de reconnaître.

- Vous en avez mis, du temps ! lance l'un d'eux d'un air soulagé. Baradiel et moi on commençait à se dire qu'on allait devoir commencer sans vous.

- Hé, j'y suis pour rien moi ! se défend Oyub en levant les mains. Castiel était en retard au rendez-vous et il m'a harcelée de questions pendant tout le temps où j'essayais de nous sortir des Archives. J'aimerais bien t'y voir avec une pipelette pareille, Inias.

J'ignore la critique indirecte et observe les trois Anges qui m'entourent. Oyub, Baradiel et Inias, tous trois méconnaissables sans leur hôte habituel ni leur aura. Je serai le seul exposé.

- Où est Ophaniel ?

C'est Baradiel qui répond à ma question en poussant un soupir :

- Elle n'a pas pu venir. Une réunion du Conseil a été programmée à la dernière minute et elle n'a pas eu d'autre choix que d'y aller. Son absence pendant la destruction de la salle de redressement aurait été trop suspecte.

- Il est temps d'y aller, intervient Inias en jetant des regards nerveux dans le couloir désert. Si mes informations sont correctes, la salle de redressement est vide en ce moment, aucun redressement n'est prévu dans les quatre heures qui viennent. Même sans Ophaniel, on peut le faire.

- Allons-y, approuve Baradiel.

Ensemble, nous parcourons d'un battement d'ailes la distance qui nous sépare de la salle de redressement. Cela ne fait pas si longtemps que j'ai été banni, mais traverser à nouveau ces couloirs si familiers me fait un effet étrange. Rien n'a changé.

Par chance, le couloir est désert lorsque nous atterrissons devant la porte de la salle de redressement. Nombreux sont les Anges qui craignent même de l'approcher, tant la menace constante d'un redressement au moindre écart plane au-dessus de leurs têtes. Je le sais, pour avoir moi-même évité d'emprunter ce couloir au cours de ces derniers siècles.

- Il n'y a personne, annonce Inias à voix basse. Parfait. Détruisons la salle, et ensuite Castiel pourra transmettre le message de ralliement via les canaux célestes. Vous êtes prêts ?

- Attendez.

Oyub s'interrompt à mon ordre, la main déjà sur la poignée de la porte, l'air impatiente. Comment peut-elle s'approcher sans crainte aucune ? Pour en avoir subi un moi-même, je sais ce dont un redressement est capable, et la seule vue de cette porte fait remonter en moi la terreur et fait bouillir ma Grâce.

- On ne sait pas ce qui nous attend derrière. Ça pourrait être dangereux.

- Rien ne nous attend derrière, rétorque-t-elle avec assurance. Vois par toi-même.

Et sans plus attendre, elle tourne la poignée et pousse la porte. Quelques bribes de souvenirs me reviennent, me projetant un an plus tôt, lorsque j'étais arraché à mon hôte et traîné de force à travers les couloirs du Paradis, jusqu'à être poussé dans cette salle, et propulsé aussitôt des dizaines de millions d'années dans mon passé, jusqu'à mon premier jour d'existence.

Pourtant, la salle qui se dévoile à mes yeux à présent est entièrement vide et nue à l'exception d'une chaise posée au milieu. Cette salle qui tout au long de ma vie a nourri en mes frères et moi la crainte de la désobéissance, que j'ai souvent essayé d'imaginer, et dont même Balthazar ignorait ce qu'elle pouvait contenir.

Et il n'y a… rien ?

Face à mon silence hébété, Oyub contemple elle aussi la salle vide d'un air peu intéressé.

- Surpris ? La fameuse salle de redressement qui nous fait marcher au pas et nous force à obéir à des ordres absurdes n'est que ça, une salle ordinaire. Peu d'Anges le savent, ça. Sa destruction la démystifiera et ébranlera le Conseil.

J'effectue quelques pas hésitants en avant, entrant tout à fait dans la salle. L'acier de la chaise sous mes doigts est froid, mais tout à fait ordinaire. Il n'y a vraiment rien de spécial dans cette salle.

- Je ne comprends pas, dis-je en me tournant vers mes frères et ma sœur. J'ai moi-même subi un redressement, ici.

Baradiel entre à son tour, les mains dans les poches, et déploie ses ailes dans l'espace vide.

- Tu as toujours été particulièrement doué pour manipuler les souvenirs des Humains, Castiel. Ce qui se sait moins, c'est que notre Grâce elle aussi peut être manipulée et modifiée, même si c'est un art complexe à maîtriser. Une poignée d'Anges ont reçu un entraînement spécial et la mission de réhabiliter les éléments rebelles. Le Conseil entretient le mystère pour qu'on voie le redressement comme une punition divine, et non comme l'œuvre d'Anges ordinaires qui exécutent la seule volonté des Archanges.

- Comment savez-vous tout cela ?

Oyub esquisse un sourire.

- Je t'ai parlé tout à l'heure de ma sœur qui travaille à la bibliothèque et nous a fourni le sceau de dissimulation. Son nom est Remiel, et elle faisait partie de ces Anges Redresseurs jusqu'à ce qu'elle soit rétrogradée pour avoir échoué ton redressement. Être accusée d'incompétence l'a tellement mise en rage qu'elle est la plus motivée de nous tous pour renverser le Conseil.

C'est une Ange qui m'a fait subir ce redressement ? En manipulant ma Grâce ?

Après plus de vingt ans à la tête de la Garnison à passer de désillusion en désillusion en découvrant le fonctionnement réel des hautes instances de la hiérarchie et les dessous peu reluisants de l'Apocalypse, je ne pensais pas pouvoir être encore choqué.

S'impatientant, Inias nous fait signe frénétiquement de ressortir.

- Ne perdons pas plus de temps ! Unissons nos forces pour détruire la salle. À nous quatre cela devrait être facile.

Nous nous exécutons, et une fois debout devant la salle ouverte, nous échangeons un regard entendu en guise de signal de départ. Aussitôt, je concentre toute l'énergie de ma Grâce pour propulser une onde d'énergie qui fissure les murs, tandis que mes frères et sœur mitraillent notre cible de boules de feu et éclairs foudroyants. Le sol tremble sous nos pieds, et il ne nous faut guère que quelques dizaines de secondes pour que la salle s'écroule entièrement sur elle-même, avalée dans un incendie rugissant.

Je n'ai pu m'empêcher de remarquer que mes attaques étaient bien moins puissantes que celles d'Oyub, Inias et Baradiel. Je n'avais pas remarqué jusqu'alors à quel point l'énergie de ma Grâce avait commencé à se drainer depuis que j'ai été coupé du Paradis. Chaque jour qui s'écoule m'affaiblit et me rapproche de ma déchéance finale. Je vais continuer de perdre mes pouvoirs goutte à goutte, jusqu'à ce que je ne puisse plus voler, et qu'il ne reste plus de céleste en moi que mes dizaines de millions d'années de souvenirs, me laissant prisonnier d'une masse de chair qui finira par pourrir et me précipiter vers une mort définitive.

Les flammes se déploient en tournoyant, avalant le plafond et saturant le fumée le couloir tandis que la température monte en flèche, atteignant les milliers de degrés en un rien de temps. Sans notre Grâce pour protéger les corps que nous occupons, nous aurions pris feu instantanément.

- C'est le moment de lancer notre message de ralliement à nos frères et sœurs, Castiel ! me crie Inias en me tendant sa main ouverte. Utilise ma Grâce pour te connecter aux canaux de communication !

Balayant toute hésitation de mon esprit, je saisis sa main et laisse ma Grâce filtrer à travers les pores de ma peau pour se mêler à la sienne. Un vertige me saisit lorsqu'avec la violence d'un raz-de-marée, les dizaines, centaines de milliers de conversations célestes se déversent dans ma tête en une cacophonie assourdissante de chuchotements. Après tous ces mois de silence et de solitude la plus complète dans mon propre esprit, le flot incessant de ces voix est presque trop pour moi à supporter.

- Qu'est-ce que t'attends, Castiel !? j'entends la voix d'Oyub derrière l'enchevêtrement de toutes les voix du Paradis qui me submergent. Si on reste trop longtemps ici on va se faire gauler ! »

Me concentrant pour réguler le flot, je ferme les yeux et fais tonner ma voix à travers tous les canaux célestes.

Mes frères et sœurs, écoutez-moi bien. Vous savez qui je suis, et j'ai un message important pour vous. Les ordres que vous recevez ne sont pas ceux de Dieu, ce ne sont que les caprices du Conseil et des Archanges. J'ai été exécuté pour avoir désobéi et tenté de stopper l'Apocalypse, et Dieu m'a ramené à la vie afin que je poursuive ma quête. Le Paradis doit être libéré, et l'Apocalypse arrêtée. Nous sommes nombreux et déterminés, et pour vous le prouver, nous avons détruit la salle de redressement. La tyrannie du Conseil, des Archanges et du Destin touche à sa fin, et le jour viendra où nous en serons libérés.

Rejoignez-nous. Il vous suffit de ne plus avoir peur.

oOo

« On a eu de la chance cette fois-ci, mais c'était juste.

Oyub époussette son tailleur couvert de suie avant d'y renoncer avec une moue ennuyée.

- Je regretterais presque de m'être fatiguée à prendre un nouvel hôte et d'avoir utilisé un sceau. Si j'avais su que ce serait si simple, je l'aurais fait depuis des siècles. L'arrogance du Conseil le perdra.

- Ils ne seront plus aussi négligents la prochaine fois. La sécurité va probablement être doublée, et il vont enquêter pour découvrir comment j'ai bien pu faire pour m'introduire au Paradis et utiliser les canaux de communication. Sois prudente dans les semaines qui viennent.

Oyub laisse échapper un ricanement.

- Oh, vu l'incompétence du Conseil, je n'ai rien à craindre.

J'imagine qu'elle n'a pas tort. Anpiel serait probablement encore dans notre camp si nul ne l'avait dénoncée à la hiérarchie.

Oyub lève les yeux vers le ciel nuageux, déployant ses ailes avec lassitude.

- C'est pas tout ça, mais je dois me dépêcher de remettre cette femme où je l'ai trouvée et récupérer mon hôte avant qu'il ne change d'avis. Il est beaucoup plus confortable et je préfère sa voix. Inias te contactera pour te prévenir de notre prochaine action.

Et en un puissant battement d'ailes qui fait virevolter les feuilles mortes autour de nous, Oyub s'envole, me laissant seul dans ce qui semble être une forêt quelque part dans l'Oregon. Je suis encore un peu trop désorienté pour me situer plus précisément, dans l'espace comme dans le temps.

Une vibration dans ma poche, aussitôt suivie d'une seconde, puis d'une troisième, et je baisse les yeux en y récupérant mon téléphone portable qui ne cesse plus de vibrer. Sur l'écran défilent des dizaines de notifications d'appels manqués, provenant pour la plupart (une trentaine) de Dean. Trois de Sam, dix-sept de Bobby, et un de Garth.

Je ne peux m'empêcher de sourire à l'idée de retrouver la compagnie des frères Winchester. Peut-être ont-ils déjà trouvé le Colt ? J'ignore combien de temps s'est écoulé ici-bas pendant mon expédition au Paradis, mes sens sont encore engourdis par le voyage et ma connexion brutale aux canaux célestes par le biais d'une autre Grâce que la mienne.

Mais alors que j'appuie sur les touches pour atteindre ma liste de contacts et appeler Dean, mon téléphone se met soudain à sonner dans ma main. Un nom s'affiche sur l'écran. Celui de Bobby.

Soit. J'appellerai Dean juste après.

À peine ai-je porté le téléphone à mon oreille que la voix de Bobby en surgit en un aboiement furieux :

« C'EST MAINTENANT QUE TU DAIGNES ME RÉPONDRE, ANGE DE MES DEUX ?! ÇA FAIT DEUX PUTAINS DE JOURS QUE J'ESSAYE DE T'APPELER ! »

- Bonjour, Bobby.

« Où t'étais passé, bordel ?! Et d'ailleurs, t'aurais pu me prévenir, c'est Dean qui m'a dit il y a un mois de ça que tu t'étais barré pour je ne sais quelle mission dangereuse à la con ! »

Un mois ? Nous sommes donc déjà en novembre ? Le temps s'écoule différemment au Paradis, mais je ne pensais pas que ça avait duré si longtemps, étant donné que nous n'avons subi aucun contretemps ni difficulté.

- J'étais au Paradis pour essayer de trouver une alternative au Colt. Je t'expliquerai plus tard.

« Dis-moi au moins que Sam et Dean sont avec toi. »

Sa voix bourrue s'est calmée, mais il y a dans sa voix comme une lassitude, presque une note… suppliante ?

- Ils ne sont pas avec moi, je réponds en fronçant les sourcils. Je viens tout juste de revenir sur Terre et comptais justement les appeler.

Un long soupir fait naître des grésillements dans la ligne. La connexion n'est pas très bonne, sans doute parce que je suis dans une forêt, et la voix de Bobby est un peu saturée et saccadée par instants. Et je ne peux même pas le rejoindre pour discuter en personne, étant donné que sa maison est désormais protégée contre les Anges.

« Ça fait deux jours que j'essaye de les appeler et que ça sonne dans le vide. Je commence à vraiment m'inquiéter pour ces idjits. Fais-moi plaisir et va vérifier s'ils sont en vie, ok ? Avant que je développe un putain d'ulcère en plus d'être coincé sur ce fauteuil. »

Ma Grâce se fige dans mes veines. Ce que je craignais le plus s'est réalisé. S'il est arrivé à malheur à mes protégés pendant que j'étais loin d'eux…

Non. Je retournerai ciel et terre s'il le faut, mais je les retrouverai, et je ferai payer le prix à quiconque aura osé leur faire du mal.

- Compte sur moi, Bobby. Je pars immédiatement à leur recherche. »


oOo

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« KOWABUNGA ! »