La réunion avait lieu dans une salle de classe et, à vrai dire, avait tout à fait l'air d'un cours ; les médicomages moldus avaient une façon très particulière de parler en public. Peut-être se pensaient-ils toujours dans leur école d'adultes. Les tables avaient été réarrangées – probablement par les Moldus vu leur respiration haletante, de sorte à ce que nous puissions tous nous voir mutuellement. Ils s'étaient positionnés sur la gauche de la salle, tandis que les médicomages de Sainte-Mangouste étaient sur leur droite. Les professeurs leur faisaient face et nous étions sur leur gauche ; Lilith était présente également, étant donné les cours supplémentaires de potions qu'elle avait gagné avant les vacances - ce qui ne manquait pas d'amuser Stewart si on s'en fiait aux regards qu'elle nous lançait.

— J'espère que le voyage n'a pas été trop indigeste, s'enquit Shadlakorn envers les médicomages moldus alors que les derniers professeurs de Poudlard prenaient place dans la salle.

— Oh, ce n'était pas pire que la dernière attraction de l'Alton Towers que mon fils a voulu me faire découvrir, répondit la femme. Disons que mon cerveau est toujours persuadé d'être à Londres.

— Je vous assure que nous sommes bien en Ecosse. Vous avez pu voir un peu où vous serez logés ?

— Oui, c'est très gentil à vous.

La professeure de potions acquiesça et notre directrice sembla prête à commencer la réunion. Shadlakorn rejoignit les apprentis de Sainte-Mangouste et McGonagall se leva.

— Bonjour à toutes et à tous, commença-t-elle. Je suis le professeur McGonagall, Directrice de l'école, dit-elle tant en direction des Moldus – qui avaient l'air de déjà la connaître, que des apprentis de Sainte-Mangouste qui devaient être d'anciens élèves. Comme le Dr. Higgins et le Dr. Wright l'ont proposé, l'idée de cette réunion est de pouvoir nous présenter les uns aux autres. Nous allons passer beaucoup de temps ensemble durant les deux prochains trimestres. Alors, aujourd'hui n'est évidemment pas une réunion de travail sur la création du remède. Cette partie ne nécessitera pas la présence de tout ce monde et c'est le professeur Shadlakorn qui s'occupera de la gérer, ajouta-t-elle en montrant notre professeur d'un geste de la tête. Je vous laisse peut-être commencer ? reprit McGonagall en se tournant vers les Moldus.

Les deux médicomages moldus se regardèrent et l'homme se redressa.

— Je peux commencer, ça ne me gêne pas, répondit-il. Je suis Anthony Wright, je suis psychiatre dans le département de psychologie médicale du King's College, à Londres. Nous avons une équipe pluridisciplinaire constituée de médecins, biologistes, psychiatres, et psychologues sur les conséquences psychologiques de différents traumas, notamment sur les conséquences de certains conflits armés dans les pays de l'est. L'idée étant de pouvoir développer dans le futur une thérapie cognitivo-comportementale permettant de mieux prendre en charge le stress post-traumatique. Nous commençons d'ailleurs à recevoir doucement les fonds pour pouvoir tester tout ça, s'amusa-t-il en se retournant vers sa collègue, puisque nous sommes plutôt axés sur la thérapie par les preuves, les protocoles sont assez coûteux. J'exerce en libéral également. Je suis un des seuls à toujours le faire, mais je le fais toujours.

— Je pense qu'ils n'ont aucune idée de ce dont tu parles, l'informa soudainement sa collègue.

— Oh. Oui. Vrai. Toutes mes excuses, les vieux réflexes ont la vie dure. Euh… Disons… que je travaille sur cette « maladie » avec des spécialistes différents et que nous sommes sur le point de pouvoir commencer à créer une thérapie. Ou une forme de traitement, si vous voulez.

La femme, elle, travaillait en milieu hospitalier et non en « libéral » ; la distinction n'eut pas trop de sens pour moi, mais elle semblait être assez importante pour qu'elle la souligne. Visiblement, ils étaient réellement collègues dans leur école d'adultes mais ne travaillaient pas exactement avec les mêmes personnes ; la femme avait l'habitude des adultes et des soldats quand l'homme s'était spécialisé chez les enfants et les victimes civiles. La psychiatre collaborait directement avec l'Armée et les « hôpitaux militaires » et s'était rapidement retrouvée à devoir nous expliciter ce que cela sous-entendait. Le concept-même de l'armée était à la fois étrange et logique ; peut-être que si nous avions eu une force armée telle qu'elle existait chez les Moldus, la Guerre n'aurait jamais été ce qu'elle avait été. Nos efforts auraient été coordonnés, et pas simplement le fait de quelques poches de résistance à droite à gauche, et les mangemorts auraient peut-être pu être arrêtés bien plus tôt.

Enfin, peut-être était-ce le rôle de nos Aurors. Dans ce cas, quelque chose n'avait pas fonctionné correctement ; les Aurors avaient été fourvoyés et nous nous étions retrouvés avec une guerre qui ressemblait plus à des affrontements entre groupuscules de sorciers. Le concept des forces armées n'avait probablement de sens que si le Ministère était capable de maintenir une certaine rigueur et sa place au sein de la société ; pour cela, il aurait fallu que des personnes partageant les idées des mangemorts ne puissent avoir accès à des positions de pouvoir au sein de notre Ministère. L'institutionnalisation de notre société, comme l'appelait Lilith, était bien plus que bancale en réalité. Si les sorciers ne donnaient pas d'importance au Ministère et à sa fonction dans l'organisation de notre société et de sa stabilité, alors ils n'éprouvaient aucun scrupule à le dévoyer. Et le Ministère était si peu institutionnalisé, avec si peu de règles ou de lois en place pour limiter les dévoiements, que ces individus n'avaient aucune difficulté à mettre leur plan à exécution ; une fois fait, ils avaient accès aux Aurors et pouvaient les utiliser comme ils le souhaitaient. Les Moldus ne semblaient pas connaître tant de problème, à en écouter la psychiatre ; leur Ministère fonctionnait probablement différemment du notre.

— De quelle nature seront vos interventions avec les élèves ? demanda soudainement Flitwick, me retirant à mes pensées.

— Eh bien, nous ne pourrons pas intervenir tout de suite auprès de vos élèves, répondit la femme. De ce que nous avons compris de votre représentant, votre société est organisée d'une façon particulière. Nous aurons besoin de nous acclimater un peu avant de commencer à travailler avec les élèves.

— D'une certaine façon, continua son collègue, nous avons besoin de comprendre votre monde, et les évènements récents qui semblent être à l'origine des problèmes que vous avez observés, afin de ne pas être déboussolés lorsque nous serons avec les élèves.

— Nous avons une connaissance singulière du fonctionnement humain, enchérit la femme. Nous avons étudié l'humain dans une société non-sorcière. Nous ne savons pas si… le contexte a pu modifié certaines choses. Par exemple, nous ne savons pas trop ce qu'il en est des pressions sociales de l'adolescence chez vos jeunes. Des anxiétés courantes : sont-elles similaires à celles des non-sorciers ou avez-vous des enjeux particuliers qui peuvent influencer le développement socioémotionnel. Des structures familiales habituelles. Des schémas éducatifs récurrents. Nous avons des connaissances sur l'humain dans un contexte particulier, utiliser notre cadre de référence pour comprendre le vécu de vos élèves serait contre-productif. Nous avons besoin de comprendre cette école, votre société, leur fonctionnement.

— Mais concrètement, demanda O'Connell, une fois que vous vous serez acclimatés, à quoi ressemblera votre intervention ?

Les psychiatres expliquèrent leur façon de procéder ; ils avaient longuement réfléchi à la question. La première phase de leur intervention, comme ils l'appelaient, était une acclimatation à nos coutumes. Ils discuteraient de manière conviviale avec certains d'entre nous, surtout chez les préfets. Lors de la deuxième phase de leur intervention, ils discuteraient avec les élèves individuellement. Normalement, cela devait se faire en plusieurs séances de 30/40 minutes mais puisque nous étions nombreux et qu'ils n'étaient que deux, ils allaient - dans un premier temps, faire une séance unique avec chaque élève. À ce propos, le psychiatre avait rapidement explicité que les entretiens seraient absolument secrets. Ce qui serait dit lors de ces discussions ne serait jamais divulgué. Ni aux professeurs, ni aux parents, ni à d'autres élèves. L'idée était visiblement que nous puissions avoir un espace où une véritable discussion sans jugement pouvait s'établir et que, pour cela, la confiance était absolument cruciale. C'était un peu surprenant de les entendre insister autant sur le fait qu'ils n'accepteraient de répondre à aucune question sur le contenu des entretiens qu'ils envisageaient avec les élèves ; déjà parce qu'il suffirait d'un sortilège ou d'une potion pour que des sorciers aient accès aux informations en question – même si les Moldus l'ignoraient, ensuite parce qu'ils mettaient des limites très claires que nous n'avions pas réellement l'habitude d'avoir. Au moins, avec eux, nous savions à quoi nous attendre précisément. Cela avait quelque chose d'agréable.

La psychiatre avait précisé que, bien que leur mission principale à Poudlard était de toute évidence la pose d'un diagnostic, celui-ci ne serait pas réellement fait. Ils allaient d'abord déblayer le terrain pour avoir une idée générale de la prévalence de ce trouble dans cette école, mais ne pourraient – au vu du peu de temps qu'ils auraient, diagnostiquer avec précision. Ce serait trop risqué, selon elle. Il allait falloir être patient et attendre la troisième phase de leur intervention durant laquelle ils pourraient passer plus de temps avec les élèves qu'ils suspecteraient être potentiellement atteints de ce trouble.

Elle avait également ajouté qu'il nous faudrait dès maintenant envisager la possibilité que certains élèves aient besoin d'un accompagnement en-dehors de toute intervention institutionnelle. Même si nous pensions pouvoir établir un « remède » ou en tout cas que notre magie – comme elle l'avait dit, puisse aider ces élèves, il faudrait tout de même envisager de ne pas y arriver. Dans le meilleur des cas, avait-elle ajouté, les élèves seraient suivis, dans le pire des cas, si nous n'arrivions pas à créer ce « remède », les élèves n'auraient pas perdu des mois précieux pour la prise en charge du trouble.

— Le représentant du Ministère vous a expliqué ce que vous pourrez ou non faire de notre collaboration ? demanda Shadlakorn.

— Nous sommes au courant que nous n'aurons pas accès à ce remède, si c'est votre question, répondit fermement la psychiatre.

Les médicomages de Sainte-Mangouste s'étaient ensuite présentés à leur tour ; ils étaient des sorciers qui « guérissaient » d'autres sorciers à l'aide de la magie, mais étaient tous des apprentis en formation. Il était évident que les Moldus avaient été briefés bien avant la réunion : ils se retenaient manifestement de poser des questions. Plus d'une fois, ils ouvrirent la bouche pour la refermer aussitôt, un air particulièrement frustré sur le visage. D'autres fois, leur corps sembla réagir à leur place ; la surprise, l'émerveillement, ou la frustration, à nouveau, de ne pouvoir avoir plus d'informations. À un moment, la femme osa tout de même demander de quelle nature étaient les différents remèdes qu'ils utilisaient. Lorsque l'apprentie lui expliqua pour les potions – et les plantes magiques que nous utilisions, elle s'était contentée de sourire en disant que c'était, en soi, de la pharmacologie, et que nos méthodes ne différaient finalement pas tant que cela.

Les apprentis étaient présents à Poudlard pour la création du remède et semblaient impatients de commencer à travailler. À ce sujet, notre professeure de potions se tourna rapidement vers les plus jeunes.

— Miss Parker et Miss Jonsson, ici et ici, indiqua Shadlakorn en nous désignant d'un geste de la main, vont nous assister dans la création du remède. Nous nous verrons à cet effet la semaine prochaine afin d'organiser notre collaboration.

— Jonsson ? reprit le psychiatre. Avec deux « s » ? Ah mais oui, fit-il sans même attendre de réponse. Je me disais depuis tout à l'heure que j'avais l'impression de… Tu es la fille d'Elizabeth.

Je pris un coup de chaud tandis que les regards se tournèrent vers moi ; c'était la deuxième fois ce week-end que l'on me prenait à parti publiquement et cela commençait à faire beaucoup pour mes joues.

Le psychiatre semblait me reconnaître mais je n'avais aucune idée de qui il était. Et le fait qu'il connaissait ma mère avait quelque chose de particulièrement gênant. Elle ne m'avait jamais réellement parlé de son travail – à part quelques généralités, et cela me rappela une fois de plus à quel point elle avait vécu dans notre monde sans que nous ne fassions grand effort pour comprendre le sien. La culpabilité me prit aussitôt tandis que les Moldus semblèrent avoir retrouver une énergie folle.

— Elizabeth comme Elizabeth Scott ? demanda la femme.

— Oui, rit soudainement son collègue. Oh mon dieu. Quelle coïncidence. Je suis un ancien étudiant et collègue de ta maman, c'était ma directrice de thèse avant que l'on devienne collègues, enfin tu ne te souviens probablement pas de moi. Elle a quitté l'université quand tu étais encore très jeune, mais tu dessinais souvent dans mon bureau quand tu avais 4/5 ans. Je crois même avoir toujours un de tes dessins accroché quelque part.

— Tu avais un bureau quand tu étais doctorant ? s'enquit sa collègue.

— C'était la belle époque, ma chère. Ta maman était… Elizabeth était une sorcière ? demanda-t-il dans ma direction.

— Euh non, répondis-je les joues brûlantes, c'est mon père qui l'est.

— Oh. Il faudra définitivement que l'on comprenne comment cela fonctionne. C'est fou ça. Et Cecilia, tu as connu Elizabeth aussi, non ?

— C'était ma prof de psychopatho infantile en troisième année.

Je rencontrai les yeux de Lilith d'un geste de la tête automatique ; elle sembla particulièrement amusée – ou attendrie, de me voir dans cet état et cette réalisation me fit reprendre pieds avec la réalité.

Ce fut bientôt le tour des préfets de se présenter ; Miller expliqua rapidement notre rôle. Cela sembla surprendre les psychiatres. La première question que nous posa la femme fut celle de notre relation avec les autres élèves, et la seconde fut plutôt un constat sur le fait que la « demande » émanait de nous.

— Est-ce qu'il y a un sens à ces couleurs ? demanda brusquement l'homme, sur les tenues des élèves, j'entends.

— Oh. Euh, oui, répondit Miller. Nous sommes répartis dans des maisons à notre arrivée dans l'école. Enfin, ce sont… nos dortoirs. Nous sommes dans des dortoirs différents selon notre maison.

— Des « maisons » ? Le choix de mot est intéressant, répondit la femme avant de se reprendre devant nos regards surpris. Sur quelle base êtes-vous répartis ?

— Notre personnalité.

— Votre personnalité ? Vous entrez à quel âge dans cette école ?

— 11 ans.

— Vous faites passer des tests de personnalité à des enfants de 11 ans ? reprit la femme avant de se retourner vers son collègue, surprise.

— Ce n'est pas un test comme vous l'entendez, répondit McGonagall, il s'agit d'un rite de passage magique d'une certaine façon. Les fondateurs de l'école ont des visions particulières de l'élève-modèle et ont créé un objet magique permettant de répartir les élèves selon leur adéquation à ces visions.

Le fait que les psychiatres soient surpris – et visiblement quelque peu désemparés par notre Cérémonie de la Répartition, avait quelque chose de tout autant déstabilisant que rassurant. Leur spontanéité témoignait de leur réelle incompréhension ; notre monde venait de se confronter à celui des Moldus et, déjà, certaines choses que nous tenons fermement pour acquises étaient remises en question. Au moins, mes interrogations sur les différentes maisons et le Choixpeau me semblèrent moins illégitimes.

J'aurais aimé qu'ils explicitent un peu plus leur surprise mais les psychiatres eurent surtout l'air gêné d'avoir réagi aussi vivement. Leur discours changea totalement ; il ne fut plus question de ce qu'ils pensaient eux de la situation, mais de ce que nous en pensions nous.

— Désolée, c'est juste surprenant. Et du coup, pour vous, reprit-elle en notre direction, ces maisons ont quel sens ?

— Est-ce vraiment important ? demanda Miller.

— C'est important si vous y donnez de l'importance, répondit la psychiatre.