Bonjour, bonjour ! Nous avons laissé nos chers Théo et Shinddha dans une position délicate. Comment vont-ils bien réussir à s'en sortir ? Ou à ne pas s'en sortir, c'est une question de point de vue eh eh. Le nouveau chapitre de Silverberg est là ! Merci à tous pour votre support continu depuis deux ans, c'est super chouette et je suis contente de voir que cette histoire vous plait toujours autant ! Bonne lecture !

CHAPITRE 59

Théo et Shinddha s'interrogeaient l'un et l'autre du regard. Ils devaient faire quelque chose, mais quoi ? Si un seul mage pouvait ramener à la vie autant de cadavres à la fois, il ne devait pas faire partie des magiciens de bas étages comme Balthazar. Nerveux, le paladin gigota dans l'armoire pour saisir son épée.

"Je peux essayer de lui tirer une flèche, chuchota Shin. Mais s'il est protégé par un bouclier, on risque d'avoir des problèmes.

— Je ne pense pas qu'on est tellement le choix. Si on sort d'ici, il va nous repérer de toute façon. Le puant, tu es plus petit que nous. Glisse-toi dehors et va prévenir les autres.

— Mais Triste Pin a peur, maître Théo, réagit le lutin, terrifié. Triste Pin veut rester avec maître Théo.

— Si tu ne le fais pas, les autres vont mourir. C'est vraiment ce que tu veux ?"

Le lutin hésita, son visage déformé par le doute. Finalement, à contrecœur et au grand soulagement des deux aventuriers, il accepta sa mission. Il sortit de l'armoire et se glissa parmi les cadavres. Le nécromancien releva la tête au bruit, mais ne réagit pas plus que cela en voyant la petite créature détaler. Ils étaient au milieu de la forêt, et la présence d'un lutin se nourrissant de crottes n'était pas si étonnante, en particulier au milieu des cadavres. Théo le suivit du regard jusqu'à ce qu'il disparaisse à l'orée des bois. Ils étaient seuls à présent.

Shin descendit prudemment à son tour, l'arc à la main et se plaça près du rebord défoncé d'une fenêtre ancienne. Le paladin resta pour l'instant caché dans le placard, plus lourd et de ce fait plus bruyant. Le bois sur lequel ils marchaient était vieux et usé. Un craquement pourrait avertir le mage de leur présence. Les yeux du demi-élémentaire prirent une teinte de cristal que Théo n'avait pas vu depuis longtemps et une flèche de glace chargée de magie se cristallisa sur l'arc bandé.

"Par pitié, ne te foire pas cette fois, ne put s'empêcher de lâcher Théo."

Concentré, Shinddha ne répondit pas. Il prit une grande inspiration et visa la tête du nécromancien. Il adressa une brève prière aux dieux de la nature pour qu'il ne rate pas sa cible et relâcha la corde. L'homme bougea pile à ce moment-là. La flèche traversa un bouclier magique qui la ralentit et se ficha dans son épaule. Le demi-élémentaire grimaça.

"Eh ben, je crois qu'on est morts, commenta-t-il dans un rire nerveux.

— Shin. Sérieusement, change de métier, soupira Théo, désespéré."

Le nécromancien fit volte-face et scruta la cabane où ils se trouvaient. Il tendit le bras et des formes se redressèrent chaotiquement devant l'entrée, suivies de râles étranges et bestiaux. Shin se plaça dans un coin de la pièce pour avoir un angle de tir, alors que Théo se mettait en position de combat. Le premier elfe entra, le regard vide et la tête pendant sur le côté de manière anormale. Il était lent, et peinait à trouver ce qu'il cherchait. Le paladin l'envoya valdinguer d'un coup de pied bien placé à travers l'ouverture. Il entraîna son copain dans sa chute vers le tas de cadavres qui commençait à s'éveiller.

Yeux dans les yeux avec le mage, maintenant pleinement retourné vers lui, Théo put lire toute la détermination dans ses yeux. Il claqua des doigts et deux démons tombèrent du ciel pour se placer devant lui. Le guerrier sentit sa magie bouillir à leur approche. Il n'aimait pas l'aura qu'ils dégageaient, comme s'ils cherchaient à le dominer. Dans un hurlement guerrier, Théo chargea le premier, épée en avant. Le démon glissa sur les cadavres et ne parvint pas à esquiver. La lame rentra dans sa poitrine jusqu'à la garde. Le deuxième voulut profiter de l'opportunité pour attaquer, mais une flèche de glace se planta entre ses deux yeux et il tomba à terre avant même de lever le bras. Le démon transpercé s'agiter sous lui et claquait des dents pour essayer de le saisir au cou. Théo abattit son poing plusieurs fois sur son visage jusqu'à ce que son crâne explose.

"C'est trop facile, réagit Shinddha depuis le porche de la cabane. On a déjà croisé des démons et on n'a jamais pu les avoir en si peu de temps. Ça sent le piège."

Théo tourna la tête vers le mage. Ils les dévisageaient, un grand sourire aux lèvres. Soudain, la terre se mit à trembler sous eux et il sembla à Théo que les corps commençaient à se mouvoir. Pas comme s'ils revenaient à la vie, mais plus comme s'ils étaient attirés vers un même point. Lorsque les premiers cadavres commencèrent à s'agglomérer, les deux aventuriers comprirent ce qu'il était en train de faire. Shinddha essaya d'attaquer le nécromancien une nouvelle fois, en vain. Un bouclier magique épais l'encerclait désormais. Il ne ferait pas deux fois la même erreur.

"On se tire ! cria Théo."

L'archer approuva et ils coururent vers le passage emprunté par Triste Pin. Un mur de cadavres fondus les uns aux autres s'éleva devant eux, leur bloquant le chemin. Le guerrier recula d'un pas et regarda partout autour de lui, affolé. Le nécromancien bloquait une à une les sorties, formant une arène gigantesque et mortelle autour d'eux. Au centre, le tas de cadavres continuait de grossir et s'agitait peu à peu, pris de spasmes.

"Qu'est-ce qu'on fait ? demanda Shin, inquiet. On est coincés.

— On n'a pas le choix. On va devoir leur faire la peau en attendant que les autres arrivent. Tu as encore de quoi tenir ?

— Pas pour longtemps. Et toi ?

— J'ai mon épée, mais s'ils viennent à plusieurs, ça va devenir un problème. Attention !"

Un corps tenta d'attraper Shin vers l'arrière dans un grondement menaçant. L'archer prit son arc comme une massue et lui écrasa sur le crâne. Il retomba mollement au sol et fut aspiré avec d'autres morts vers la masse centrale. Théo regarda l'énorme créature qui se formait avec appréhension. Des bras des jambes battaient furieusement l'air dans un concerts de cris et de grognements de plus en plus sonores. Impassible, le nécromancien continua d'incanter, même quand Théo, excédé, donna un grand coup dans la bulle de protection qui l'entourait.

Où Enoch pouvait bien trouver tous ces cinglés ? Autour d'eux, de plus en plus de morts s'éveillaient. Théo réussit à contenir les premiers, mais il se retrouva rapidement submergé. Ils étaient trop nombreux et trop excités. Plusieurs essayèrent de le mordre, mais il réussit à se dégager de la masse qui se formait autour de lui. Shinddha n'était pas en meilleur état. Il avait réussi à trouver refuge sur le toit en paille d'une habitation, mais les morts s'escaladaient les uns les autres sous lui et menaçaient de bientôt l'atteindre.

Théo inspira et regarda autour de lui pour trouver un point en hauteur. Soudain, sous lui, une main lui saisit la cheville. Il recula d'un pas, mais d'autres émergeaient du tréfond du tas de cadavres. Les doigts crochus et décharnaient le poussèrent par centaines jusqu'à ce qu'ils tombent à genoux et qu'ils puissent lui saisir les bras. Théo sentit son cœur battre plus vite alors que des mains le tiraient de plus en plus fort et de plus en plus vite vers l'immense amas de chair. Son épée lui fut arrachée des mains et il se retrouva allongé sur le sol, couvert de morts qui s'assuraient qu'il reste à terre. Il entendit Shin hurler son nom et quelques flèches abattirent des morts autour de lui, sans succès.

Son visage se retrouva enfoui une première fois dans les corps, et l'odeur putride de décomposition lui retourna l'estomac. Il réussit à se dégager une première fois, mais une masse de corps lui passa sur le dos et il rejoignit l'amas de corps malgré lui, sans pouvoir rien n'y faire. Ses muscles se contractèrent alors que la peur prenait le dessus.

Il se rappela le bruit des sabots et des cors de guerre rugissant partout autour de lui. Lumière qui s'élançait avant qu'il se fasse faucher comme les autres. La boue dans laquelle il rampait pour essayer d'échapper au charnier alors que les corps des soldats de son bataillon lui tombaient dessus les uns après les autres.

Il se revit hurlant à plein poumons dans cette petite salle alors qu'on lui infligeait des visions qu'aucun homme ne devait à subir. Il se rappelait les rochers tombant dans cette foutue montagne, le puits sans fond, le gouffre noir dans lequel il avait flotté pendant des mois et des mois.

Et puis, comme dans tous ses cauchemars, tout devint noir.


Triste Pin courait à vive allure entre les fourrés en se répétant la consigne de Maître Théo, encore et encore, pour ne pas l'oublier. Trouver maître Balthazar et maître Grunlek. Les conduire dans la décharge qui sentait la mort et la magie pas nette, et ensuite chercher à manger. Il s'arrêta brusquement. Le doux fumet d'une crotte de cerf bleu tricorne millénaire lui enivra l'esprit. Il se frappa la tête, il devait se concentrer ! Accomplir la mission, manger après.

Dans un ultime effort, il poussa les fougères et déboula là où il avait laissé ses autres maîtres plus tôt. L'hystérique qui sentait le phallus de titan était réveillée. Triste Pin ne l'aimait pas. Non seulement elle sentait mauvais, mais elle s'énervait toujours contre lui lorsqu'il ramenait ses précieux mets dans son sac pour les grignoter plus tard. Encore une qui ne savait pas la valeur de la bouse de chevaux de Montazac. Et ça se disait archimage ! Pouah.

Il secoua la tête. Qu'est-ce qu'il faisait déjà ? Oh oui !

"Maître Balthazar ! Maître Balthazar ! cria-t-il. Triste Pin apporte une terrible, terrible nouvelle !

— Qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-il en continuant de mixer des choses dans le chaudron magique qui crachait de la nourriture le soir.

— J'étais sur la trace d'une crotte d'ours ou de tigre à dents de sapins quand j'ai découvert quelque chose de bizarre. J'ai été chercher maître Théo, et il a dit que c'était des cadavelfes, et il a avait l'air très inquiet. Et puis ça sentait la magie comme votre magie, maître Balthazar, mais en plus fort. Je trouve toujours que ça pue, mais Maître Théo a dit qu'on devait explorer, et ensuite j'ai trouvé des crottignoles de lapin et je n'ai pas trop compris. D'un coup, on s'est cachés dans une maison et de gros oiseaux rouges à écailles ont lâché des cadavelfes sur la terre. Ensuite, un maître qui sentait la magie qui pue est venu et les cadavelfes se sont mis à bouger et maître Théo m'a dit d'aller vous prévenir."

Balthazar se figea, et échangea un regard inquiet avec Grunlek.

"Le mec bizarre, il avait une robe bleue ? demanda Balthazar.

— Ah ça oui !

— Un nécromancien.

— Une crotte d'ancien ? demanda Triste Pin, confus.

— Triste Pin, dit Balthazar en posant ses deux mains sur ses épaules. C'est important, concentre-toi. Où sont Théo et Shin ? Tu peux nous amener là-bas ?

— C'est que j'ai faim moi et ça fait peur là-bas…

— Triste Pin !

— Oui, grogna le lutin. Oui, je peux vous amener là-bas, Maître Balthazar. Mais après je vais manger !"

Un grognement effrayant retentit au loin et fit trembler le sol. Les aventuriers se regardèrent les uns les autres, inquiets. Peu importe ce qu'était cette chose, elle semblait bien trop proche pour que ce ne soit qu'une coïncidence.

La créature venait pour eux.