Le lendemain matin arriva rapidement.
Meredith mit un moment à s'éveiller, émergeant doucement d'un épais brouillard.
À son plus grand soulagement, la nuit qui venait de s'écouler avait elle aussi été sans rêves.
Un sourire agréable se dessina sur son visage lorsqu'elle commença à entendre les chuchotements d'Alex et Cristina, assis sur le canapé face à elle. Ils riaient, tout en tentant de se contenir, penchés sur le téléphone portable d'Alex.
Elle se retourna sur l'autre flanc mais fut surprise de trouver Bailey, confortablement installée dans le fauteuil mono-personnel. Mer sentit une pointe de déception l'envahir, elle qui aurait voulu voir le visage de Derek l'accueillir dès le réveil.
« Meredith ! Ces deux idiots ne t'ont pas réveillée, j'espère. »
Mer secoua la tête et se frotta les yeux.
« On ne fait presque pas de bruit, » se plaint Cristina de l'autre côté de la pièce.
La porte de la chambre s'ouvrit sur les docteurs Sloan et Shepherd, tous deux des gobelets fumants dans les mains. Avec un soupir de soulagement, Yang se servit la première.
Mark fit un grand sourire en s'approchant du lit.
« Grey ! Content de te revoir en forme. »
Elle ne répondit pas, loin d'être certaine qu'« en forme » était le terme approprié pour définir l'effondrement de son for intérieur.
Heureusement, Derek prit le relais et tendit un gobelet à Meredith. À l'odeur qui en émanait, elle reconnut le chocolat-chaud du stand à l'entrée de l'hôpital. Lorsque leurs mains se touchèrent, un courant électrique traversa le corps de la jeune femme, lui laissant un sourire niais sur les lèvres.
Peut-être étaient-ce les émanations de chocolat ou sa récente déshydratation, mais le fait était que Meredith avait le sentiment d'aimer Derek plus que jamais. Chaque seconde qui était passée ces derniers jours, elle aurait voulu la passer avec lui. Cette nuit, lorsqu'il n'avait pu se glisser contre elle sous les couvertures et la tenir dans ses bras, faute aux nombreux médecins qui avaient élu domicile dans la pièce, Mer s'était seule. Ridiculement seule. Après trois longues années, voilà que sa carapace avait volé en mille morceaux.
« Merci, » elle murmura.
Dans sa gorge, la chaleur se répandit.
Et bientôt, Mer eut l'impression que sa vie venait subitement d'accélérer.
La porte s'ouvrit encore, plus timidement cette fois, et April et Jackson entrèrent, vérifiant du regard que rien ne s'opposait à cette visite.
April s'approcha de Meredith avec une mine désolée.
« Meredith, on est tellement désolés de ne pas être venus plus tôt pour te soutenir, ç'a été un vrai casse-tête, de s'organiser avec Adam. »
« Il n'y a aucun problème, ne vous inquiétez pas. »
Les deux parurent considérablement plus détendus.
« Est-ce que tu as besoin de quelque chose ? » demanda Jackson.
Grey sourit pour les rassurer.
« Non merci, c'est gentil. Et comment va Adam ? »
Prononcer ce nom lui laissa une boule dans la gorge.
« Il va très bien, un petit ange. À part la nuit, là je pense qu'il essaie de nous rendre fous. »
Le reste de la chambre se tut. Personne ne posa de questions sur le bébé, personne ne s'enthousiasma à son sujet.
Meredith soupira et s'enfonça dans les oreillers.
Maintenant, ce ne serait plus jamais pareil. Car ils savaient tous. Il y aurait toujours ce silence, pesant et gêné sensé la protéger.
Jackson n'eut pas l'air de comprendre ce qu'il se passait et s'assit sur une chaise, perplexe.
Kepner, quant à elle, pressa la main de Mer, lui adressa un petit sourire et s'assit.
Mer se rappela avoir parlé de la fausse-couche à April sans trop en avoir le choix, le jour de la fusillade. Une personne supplémentaire à ajouter au compteur, pensa-t-elle sarcastiquement.
Une discussion se lança et tout le monde y prit part, bien trop heureux de faire cesser ce silence gênant.
Mais Meredith resta à distance et bloqua toutes les voix qui l'entouraient, c'était trop de bruit, trop de faux-semblants.
« Que ressentez-vous par rapport au fait de rentrer chez vous après cet entretien ? »
Meredith se mordit la lèvre.
« J'ai peur. »
Le docteur Gardner pencha la tête sur le côté.
« À quel point avez-vous peur ? Est-ce une petite appréhension ? »
Un long silence se déposa sur la chambre d'hôpital.
« Meredith ? »
« … Je suis terrifiée. »
« De quoi avez-vous peur à ce point ? »
« J'ai peur de ne pas être à la hauteur et de décevoir ceux qui comptent sur moi. »
« Y'a-t-il autre chose ? »
« C'est tout ce processus, pour aller mieux. Ça m'effraie, de franchir les étapes aussi rapidement. J'ai stagné pendant tellement de temps. »
« D'accord. Encore une chose dont vous voudriez me parler avant qu'on commence ? »
Mer adressa un petit sourire contraint au psychiatre, histoire de faire bonne figure.
« J'ai… C'est de moi-même dont j'ai le plus peur. »
« Dites-m'en plus. »
« Je ne devrais pas vous en parler. »
« Pour quelle raison ? »
« Vous n'allez jamais me laisser partir. »
« Dites-moi, Meredith. Je ne suis pas votre ennemi. »
« Je veux mourir. Je n'arrive pas à m'empêcher d'y penser. »
« Avez-vous tenté de vous suicider récemment ? »
« J'aurais pu le faire à Thanksgiving si Alex n'avait pas été là. Je pense que j'aurais pu le faire. »
« Et les jours qui ont suivi ? Cherchiez-vous à vous laisser mourir ? »
« Je pense que c'était plutôt inconscient. Je veux dire que je n'ai pas vraiment pris de lame ni de médicaments mais au fond de moi, j'espérais que ça finirait par arriver. »
« Et quand vous avez repris le travail ? Comment vous sentiez-vous ? »
« Au trente-sixième dessous. Vous ne pouvez pas imaginer ce que ça fait, de passer toutes ces heures dans un si grand bâtiment rempli de toutes les façons inimaginables de mourir, avec tout à portée de main. J'avais l'impression de me faire écraser par une énorme pierre, et je ne pouvais rien faire. »
« Pourtant, à ce moment-là, ces quelques jours à l'hôpital, vous n'avez rien fait. Concrètement, je veux dire. Pourquoi ? »
Elle hausse les épaules et tripote le bord de sa couverture bleue.
« Je n'en sais rien. »
« Vous êtes-vous retenue ? »
Elle fouille dans sa mémoire.
« Je pense que j'étais en mode automatique, pas une seconde pour réfléchir à autre chose qu'au boulot. Comme ça, je pouvais rester concentrée. »
Paul prend quelques notes.
« Là, maintenant, si je quittais la pièce et que je vous laissais avec de quoi mettre fin à vos jours. Que feriez-vous ? »
« Je ne sais pas. »
« Qu'est-ce qui vous fait hésiter ? »
« Derek, » elle murmure.
« C'est à lui que vous pensez en premier ? »
Elle acquiesce.
« Et Alex et Cristina. Et Bailey et Richard. Je les décevrais tous. Mark, April et Avery aussi. Ce sont mes amis, ma famille même. »
« Pouvez-vous imaginer qu'ils ressentent d'autres choses que de la déception ? »
« Sûrement de la tristesse. »
« La vérité, Meredith, c'est que tous ces gens tiennent à vous. Plus que vous ne le pensez. Je pense qu'ils ne s'en remettraient pas, si vous disparaissiez. »
« Ils l'ont déjà fait, quand je suis partie. Et ils sont toujours là, en vie. »
« Vous étiez quelque part sur terre, de l'autre côté du pays, certes, mais à un endroit accessible. Vous n'étiez pas… nulle part, si je peux dire. »
Elle se tait.
« Sont-ils la seule raison qui vous retiendrait, si vous aviez le choix ? »
Hochement de tête.
« Alors retenez qu'ils tiennent à vous, que ce n'est pas juste superficiel. Je ne connais pas beaucoup vos proches mais je suis certain que la relation que vous entretenez avec chacun d'eux est très importante. À vos yeux et aux leurs. Ne vous dévalorisez pas, Meredith. Des gens vous aiment, ils tiennent à vous. Et vous aussi, vous les aimez. Ce sont des liens très forts. »
« Vous voulez savoir à quoi je pense en ce moment ? »
« Bien-sûr. »
« J'ai l'impression de ne pas être à la hauteur, de ne pas mériter tout ce que vous me racontez. Alors, là, si j'avais le choix, je pense que j'arrêterais tout. Juste pour ne plus ressentir tout ça. Je crois que je ne suis plus capable de garder la tête hors de l'eau, docteur. »
