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Chapitre 67
Pendant tout le temps que tu passes à essayer de reprendre ce qu'on t'a pris y a encore un peu plus de choses qui te filent entre les doigts.
Cormac McCarthy, Non, ce pays n'est pas pour le vieil homme
-Pourquoi est-ce que tu veux te battre ?
Il y avait un rayon de soleil qui traversait le carreau de la fenêtre et traçait un disque éclatant sur la nappe de la cuisine. Mulciber dut relever les yeux pour affronter les doux yeux noirs de Mercy. Il ne put tenir que quelques secondes avant de reporter son attention sur ses mains : leur chair pâle était striée d'égratignures plus ou moins récentes, à cause de son travail et de ses à-côtés – c'était comme cela qu'il qualifiait ses activités pour le Seigneur des Ténèbres auprès de sa famille.
-C'est une question d'honneur, répondit-il. L'honneur des sorciers. Tu ne peux pas comprendre.
C'était cruel, mais Mulciber n'eut aucun remord. Sa petite sœur baissa honteusement le regard et il attendit un sentiment de satisfaction qui ne vint pas. Mercy Mulciber était une cracmol et en tant que telle, elle connaissait sa place dans la société sorcière ; elle savait qu'elle ne pourrait jamais prétendre à aucune reconnaissance de la part des sorciers, qu'elle serait à peine mieux considérée que les elfes de maison et devrait peut-être se tourner vers les mêmes tâches qu'eux, et que jamais, au grand jamais, elle ne devait préférer la compagnie des moldus à celles de ses supérieurs, même s'ils la traitaient mal, même s'ils l'insultaient. Mulciber lui avait expliqué tout cela, pour son propre bien, et Mercy avait étonnamment bien assimilé les leçons, sa nature docile et effacée ayant facilité les choses. Il ne pouvait lui enseigner ces fondamentaux que lorsque leur mère n'était pas là – cette dernière aurait été furieuse contre lui et l'aurait peut-être jeté dehors.
-Ce tatouage sur ton bras, est-ce que c'est comme ça que vous vous reconnaissez ?
Elle fixait son bras gauche d'un regard pensif et rêveur. Mulciber perdit contenance pendant quelques secondes.
-Ne parle pas de ça, petite folle !
Il ne pouvait s'empêcher d'avoir peur à l'idée que cette jeune inconsciente le dénonçât, même sans le vouloir.
-Pardon.
Elle avait repris ce ton humble qui lui seyait bien mieux. Mulciber observa cette petite ingénue qui lui servait de sœur, cette cracmol qui faisait jaser avec son éternel air de crédulité imbécile. Il savait qu'elle n'était pas idiote – enfant, elle ne l'avait pas été -, mais quelque chose l'empêchait de communiquer avec aisance et elle ne saisissait pas entièrement la ruse.
-C'est un moyen qu'il a de nous appeler près de lui, consentit-il à expliquer.
-Il ? Le mage noir ?
-Oui.
Elle effleura son bras de sa main si petite et il la laissa faire, contenant son agacement.
-Est-ce que ça fait mal ?
-Non, pas trop.
Mercy fronça les sourcils, comme peu convaincue, mais peut-être était-ce seulement sa façon de se concentrer.
-Dans les journaux, ils disent que vous tuez les gens sans pouvoir... Les gens comme moi ?
-Non, toi c'est différent. Personne ne te tuera.
-Pourquoi ?
-Parce que tu connais ta place. Parce que tu es ma sœur.
Elle ne parut pas convaincue. Ses yeux papillonnèrent, sa bouche rose ouverte sur un étonnement candide qu'elle ne songeait pas à cacher, même en présence de ce frère qui pouvait se montrer si insensible avec elle.
-Je ne comprends pas ce que ces gens ont fait.
-Ils parasitent les vrais sorciers, ils outrepassent leur condition. Ils tirent notre société vers le bas. Ils font du tort aux autres.
-Moi, je t'ai déjà fait du tort ?
-Non, pas toi.
-Alors pourquoi les autres en ont fait ?
-Tu ne peux pas comprendre, répéta Mulciber.
Elle se remit à jouer avec son bracelet en tissu. C'était ce qu'elle s'amusait à faire pendant les longues journées où elle restait seule à la maison : tresser des fils colorés pour en faire de fragiles bijoux de ficelles. Elle en avait offerts à leurs voisins, à ses frères et même deux à Mulciber, mais lui ne les avait jamais portés - il trouvait ce passe-temps stupide. N'avait-elle rien d'autre à faire ? Ses parents payaient très cher un précepteur sorcier pour lui faire suivre certains cours dispensés à Poudlard : les potions, les runes, l'arithmancie et même pour lui faire suivre un cours sur le mode de vie des moldus – Mulciber avait vivement protesté en apprenant cela -, mais Mercy apprenait désespérément lentement, confirmant les nouveaux préjugés de son frère sur les cracmols. Les gens de cette espèce étaient peut-être incapables de s'adapter.
-Si je ne peux pas espérer avoir pour amis les sorciers, et si les sans-pouvoirs sont infréquentables, vers qui suis-je censée aller ? Est-ce que je dois rester toute seule pour toujours ? Avec maman et papa ? reprit anxieusement Mercy.
Enfin, elle comprend, pensa Mulciber. Il ne pensa pas à la ménager, il était excédé de voir son entourage le faire constamment.
-Les gens comme toi ne doivent pas se reproduire, ce serait contre-nature.
Il décela la peine qu'il lui avait causée dans ses yeux remplis de larmes contenues - des yeux dont la ressemblance avec les siens lui faisait honte.
-Alors je ne suis que ça ? Une anomalie ?
Il y avait tant de déception et de désespoir dans sa voix que Mulciber ne put l'affronter plus longtemps. Il se leva, prit son manteau abîmé et sa vieille écharpe accrochés à la chaise. Ce fut ce moment que choisirent les deux frères de Mulciber pour apparaître dans la cheminée en toussant, encore vêtus de leurs blouses d'usine et couverts de fumée. Le plus âgé, Morgan, saisit presque immédiatement le problème en remarquant le visage chagriné de leur sœur.
-J'y crois pas, Thomas, tu lui as encore glissé tes saloperies dans la tête ? T'es vraiment qu'un petit salopard.
Il s'approchait déjà pour frapper Mulciber, qui recula légèrement et rentra la tête dans les épaules pour se préparer au choc. Morgan était grand et massif, ses larges mains calleuses étaient des armes redoutables. Cela avait toujours été ainsi : Morgan attaquait et Thomas ployait. Cela changerait-il un jour ? Son aîné s'adoucirait-il ?
-Ne m'appelle pas Thomas, grinça-t-il courageusement.
-T'es qu'un taré. Comment tu peux faire ça à Mercy ? Qu'est-ce qu'elle t'a fait ? Tu vois pas que tu lui fais du mal ?
-Je lui ai rien dit, tenta Mulciber, en coulant un regard hésitant vers sa sœur. C'est elle qui me pose des questions.
La gifle claqua dans l'air électrique, brûla la chair tendre de sa joue, fit grincer ses vertèbres cervicales.
-Elle te pose des questions et ça te donne le droit de lui manquer de respect ? Dégage d'ici, va retrouver tes petits copains racistes. Quand papa et maman entendront que tu as recommencé, ils te jetteront dehors. Pas la peine de revenir.
Morgan s'avança vers la table et Mulciber crut qu'il allait le frapper à nouveau, mais il prit Mercy par les épaules et l'emmena à l'étage, déclarant qu'il allait lui prêter un de ses bestiaires – Mercy adorait les animaux magiques, comme Mulciber autrefois. Ce dernier les regarda disparaître avec jalousie ; Morgan ne lui avait jamais rien prêté. Il chercha de l'aide vers son autre frère Nelson, mais celui-ci secoua la tête avec désapprobation.
-Ton compte est bon, cette fois.
-J'ai rien dit à Mercy, essaya de se défendre Mulciber. Morgan me déteste, c'est tout.
-Ne te fatigue pas avec moi. Je sais de quoi vous parlez avec vos amis lors de vos réunions. Tu devrais avoir honte.
Tu devrais avoir honte.
-En attendant, ce n'est pas moi qui récure les chaudrons sales dans une usine miteuse, cracha Mulciber.
Nelson eut un rictus en croisant les bras :
-Tes amis de la haute t'ont offert un poste au ministère, je suis impressionné. En échange, tu leur lèches les bottes et tu leur sers de chien de garde.
Il y avait encore ce mépris dans la voix de son frère - il ne souvenait pas de ce qu'il y avait pu y avoir d'autre. Ce dénigrement, il le rencontrait partout, mais il ne lui faisait jamais aussi mal que lorsque c'était Nelson et Morgan qui en étaient à l'origine. Dans ces moments-là, une vague glacée le recouvrait entièrement, le gelait sur place et il ne pouvait que serrer les dents. Edern lui aurait suggéré de se battre, de faire front, mais Mulciber ne le pouvait pas, il en était incapable.
-J'ai eu ce poste car je le méritais.
-Un animal pour en gérer d'autres, c'est plausible en fait.
Mulciber allait tenter de répliquer par une autre insulte, mais les pas lourds de Morgan retentirent dans l'escalier. Un frisson de crainte le traversa et il battit en retraire, quitta la maison, trop effarouché pour se retourner. Il s'éloigna le long de la route qui longeait la rivière, les mains dans les poches, buttant rageusement dans les cailloux qu'il rencontrait. Derrière lui, la maison de pierres rapetissait et disparaissait entre les arbres.
oOo
Le silence était si épais que Mulciber avait l'impression qu'il aurait pu l'emprisonner entre ses doigts s'il avait osé tendre la main. Il était en bout de rangée, le long d'une longue table d'ébène, si longue qu'elle n'avait pu qu'être l'œuvre d'un sorcier, car aucun moldu n'aurait osé créer un meuble aussi impressionnant. Il y avait un gobelet de vin devant lui, mais il ne l'avait pas bu ; il avait trempé les lèvres puis avait remarqué les reflets rubis se jeter contre les parois d'argent ; il avait eu l'impression d'agiter un lac de sang.
-C'est d'accord, Bill, résonna la voix lente du Seigneur des Ténèbres. Nous allons le faire. Choisis tes coéquipiers, vas-y. Ceux qui le désirent t'accompagneront. Voyons si tu auras plus de soutien parmi nos jeunes recrues.
Mulciber dut tendre le coup pour apercevoir le visage de marbre de son maître. Il siégeait en bout de table, grand et impressionnant, et autour de son siège de bois sculpté s'enroulait un énorme serpent. Le reste de la table était occupée par ses fidèles, qui posaient sur lui des regards écarquillés de peur et d'adoration. Ils étaient tous là : les enfants marqués des plus grandes familles sang-pur, les parvenus décidés à se hisser à leur niveau, les intrépides prêts comme Mulciber à se salir les mains pour se frayer une place dans la société. Comme souvent, Lord Voldemort avait séparé les générations et aucun des mangemorts rassemblés ici n'atteignait trente ans ; Mulciber se demandait parfois à quoi ressemblaient les réunions des plus âgés car Rodolphus lui avait assuré qu'elles étaient très différentes, mais il ne voyait pas ce qu'il y aurait pu y avoir de plus que ce qu'il voyait ici : une bande de malfrats querelleurs affectant des manières d'aristocrates.
Bill Parkinson, de loin l'homme le plus âgé de l'assemblée, se tourna vers les sorciers les plus proches du Seigneur des Ténèbres :
-Lothaire, est-ce que tu voudrais bien…
Le mangemort en question se tenait à la droite de Lord Voldemort, les bras croisés et il observait Bill qui n'arrivait pas à finir sa phrase. Il y eut un long silence qui se répercuta contre les murs lambrissés.
-S'il te plaît, Lothaire, je t'en prie.
-C'est un peu facile de m'amadouer à coups de s'il te plaît, Bill.
Bellatrix Lestrange, qui était positionnée non loin de lui, lâcha un gloussement hystérique.
-Propose-lui de l'argent, Bill, tu verras qu'il acceptera.
Aussitôt Lothaire Selwyn, qui avait jusque-là superbement ignoré la jeune femme, tourna vers elle ses yeux d'ambre perçants. Bellatrix arrêta de rire, mais elle lui décocha un sourire vicieux.
-Walden, tu ne refuserais pas une occasion d'étriper quelques progressistes, n'est-ce pas ? reprit Bill en s'épongeant le front.
A côté de Lothaire, Walden Macnair se curait les ongles avec un couteau de chasse d'un air profondément ennuyé, s'attirant des regards réprobateurs des plus fervents adeptes des convenances.
-Ce n'est pas contre ta famille, Bill, mais j'ai d'autres choses à faire cette semaine.
Bellatrix se remit à ricaner et certains mangemorts échangèrent des sourires goguenards. Mulciber vit Jared Avery froncer légèrement les sourcils.
-Moi, je vais t'aider, déclara subitement Antonin Dolohov. Vous autres, vous détournez les yeux, mais si vous aviez été à la place de Manfred, vous auriez pleurniché pour être secourus.
Des protestations s'élevèrent, arguant que lorsque le ministère serait tombé, Manfred et les autres seraient de toute façon libérés, qu'il ne servait à rien de gaspiller leurs forces pour un ou deux pauvres bougres.
-Des lâches, voilà ce que vous êtes, siffla Dolohov. Allons-nous fermer les yeux encore longtemps ? Après ce que Griffin et York ont subi ? Et Lambert ? Rogers ? Snyder ?
Il ne récolta qu'une clameur embrouillée qu'il balaya d'un geste dédaigneux de la main.
-Antonin, tu as toujours été un tel gentleman, le railla Bellatrix au-dessus des exclamations.
-S'il vient, alors je me porte volontaire aussi, s'interposa Jaurel Travers.
-Faites donc, bande de fous ! Vous tomberez seuls, c'est du suicide, menaça quelqu'un. Manfred sera bien gardé, le ministère a peur d'un soulèvement des prisonniers.
Des murmures d'assentiment se répandirent dans la pièce.
-Je viens aussi, ajouta Théomantine Bulstrode d'une petite voix.
Elle avait passé la réunion tassée sur son siège malgré sa grande taille, aussi impressionnée que Mulciber à côté d'elle.
-Moi aussi, dit alors Mulciber.
Il regretta immédiatement ses paroles tandis qu'il devenait temporairement le centre de l'attention. Venait-il vraiment de proposer sa contribution pour une mission aussi périlleuse ?
-Tu deviens téméraire, Thomas, lui lança Walden Macnair, depuis l'autre bout de la table. Un peu trop peut-être.
Une main amicale se posa sur son épaule. Andrew Wilkes l'enveloppa d'un doux regard protecteur, bien qu'embué d'ivresse. Mulciber se sentit mieux ; l'espace de quelques battements de cœur, il se crut de retour à Poudlard, dans l'ambiance secrète de la Salle sur Demande, au milieu de ses amis.
-J'apporterai aussi mon aide, Bill, dit Wilkes.
-Andrew, l'avertit Evan Rosier.
Il avait refusé de prendre part au débat jusqu'à présent, mais ce n'était pas inhabituel – il ne s'exprimait jamais ouvertement lors de ces réunions. Rosier se tenait droit au fond de sa chaise, les bras croisés, et ses yeux sombres chargés de mauvais présages étaient dardés sur Andrew. Mulciber espérait qu'il offrirait son aide, qu'il chasserait le danger comme il l'avait toujours fait à Poudlard quand ils étaient plus jeunes, mais Rosier se contenta de secouer la tête alors qu'Andrew répondait :
-Je sais ce que je fais, Evan.
A côté de lui, Rodolphus Lestrange n'ajouta rien, encaissant sans sourciller une pique de Bellatrix. Les bavardages avaient repris et Théomantine s'était tournée vers Mulciber, la face illuminée de reconnaissance.
-Merci, souffla-t-elle simplement.
Il haussa les épaules tout en détaillant le long visage maigre de Théomantine, ses cernes violacés, la coupure au coin de ses lèvres fines – l'enrôlement chez les mangemorts ne lui réussissait pas si bien. Il s'inquiéta pour Ettie, qui serait assurément dévastée s'il arrivait quelque chose à sa sœur. Il aimait Ettie, avec ses mains douces et son silence compréhensif, Ettie, qui était la seule à l'écouter, à l'estimer pour ce qu'il était ; il retrouvait un peu d'Ettie dans sa sœur Théomantine et cela suffisait pour qu'il se portât à son secours.
Après la réunion, Mulciber réussit à intercepter Jared Avery, qui se dirigeait vers la sortie du château des Lestrange. La voûte céleste était parsemée de rares étoiles qui jetaient sur eux leur lointaine clarté et un quartier de lune s'élevait lentement au-dessus des collines assoupies.
-Fais attention avec Bill, lui conseilla-t-il. Il est aveuglé par le désespoir.
Mulciber acquiesça, mais la mission n'était pas son souci principal.
-Tu as eu des nouvelles d'Edern ? Il est rentré ?
-Non, pas encore. Maman lui avait écrit de rentrer pour Noël mais il n'a pas daigné lui répondre. Il reviendra quand il le décidera, il n'en a toujours fait qu'à sa tête.
-Tu ne t'inquiète pas pour lui ?
-Si, tous les jours. Mais ça ne change rien, n'est-ce pas ? Je ne vais pas le tirer hors de son trou par la force de l'inquiétude.
Jared lui adressa un sourire amical et s'en fut. Mulciber dévala les marches du perron et se tint à côté de la statue du grand cerf, dont le dos était éclairé par les lumières du château. Il compara son ombre déformée à celle de l'animal ; les deux s'étendaient sur la pelouse, indifférentes à son sort, d'occultes habitantes d'un royaume secret que Mulciber ne comprendrait jamais.
Bill Parkinson le rejoignit et lui serra la main avec empressement :
-Merci pour ton soutien, mon garçon. Manfred serait si heureux de voir ses amis lui venir en aide. Il sera tellement content quand il apprendra tout, quand on l'aura libéré…
Mulciber hochait la tête aux paroles du chef des Parkinson, mais il songeait encore à la contrée désolée des ombres ; là-bas, en ce moment-même, l'alter ego de Mr Parkinson serrait la main au sien et il ne savait pas ce que pouvait bien trouver à répondre son ombre à cette vision désespérée.
Bill Parkinson le quitta et il se retrouva de nouveau seul, les derniers mangemorts disparaissant dans l'allée envahie de ténèbres. Il attendit sans trop savoir quoi et son ombre attendit à ses côtés. Il songea à Rodolphus, qui vivait ses derniers jours auprès de ses parents en attendant la remise à neuf d'un manoir secondaire pour lui et Bellatrix. Il s'imagina à sa place, avec Ettie à ses côtés - si seulement il avait eu un manoir à lui offrir ! Alors elle serait venue avec lui et ils auraient passé des moments agréables, il n'aurait pas eu besoin de retourner supplier ses parents.
Finalement, les lumières du château des Lestrange s'éteignirent une à une et Mulciber déguerpit, honteux de s'être laissé aller à cet étrange voyeurisme.
Les entrailles de la maison grise étaient éclairées ; Mulciber espéra qu'il s'agissait de son père qui n'arrivait pas à dormir - peut-être l'accueillerait-il pour la nuit. Quand il passa le seuil, il se retrouva face à un Morgan empestant l'alcool. Le premier coup lui explosa la pommette, le deuxième l'étala dans la boue de la cour. Mulciber tenta de ramper hors de portée de son frère, mais Morgan lui envoya un coup de pied dans les flancs, lui coupant le souffle.
-Je t'avais dit de pas revenir et voilà que tu te pointes. Je savais que t'essaierais de jouer au con.
Un autre coup fit craquer le nez de Mulciber, le choc se répercuta dans son crâne et il sentit le sang ruisseler sur ses lèvres et son menton. Il gémit, mais n'implora pas, ne demanda pas à Morgan d'arrêter tandis qu'il recevait un autre coup dans le ventre. Non, Morgan n'avait jamais été son frère. Morgan n'était rien. Il n'avait pas de frère.
-T'avise pas de reparaître ici.
Il entendit Morgan tituber jusqu'à la maison et ressortir quelques minutes plus tard avec un sac qu'il lui envoya au visage avant de claquer la porte. Mulciber resta couché à observer les lumières, comme il l'avait fait au château des Lestrange. Une part de lui priait pour que sa mère sortît, alertée par le bruit et qu'elle le recueillît entre ses bras guérisseurs. Il voulait les bras de sa mère, sa voix de berceuse et son parfum de lavande, ce même parfum qui imprégnait le linge propre de la maisonnée. Mais personne ne se montra. Peut-être que ses parents dormaient, ou peut-être qu'ils le feignaient seulement - Mulciber n'était pas sûr de vouloir connaître la réponse. Il n'y avait que le froid immobile d'une nuit d'hiver, la boue qui formait un coussin détrempé sous son corps fourbu et la douleur qui irradiait de son visage tuméfié.
