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Chapitre 68
À présent que j'ai bien connu
Ton visage calme et suave,
Et, dans leur repos triste et brave,
L'allongement de tes doigts nus,
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Comment voudrais-tu qu'autre chose
Ne provoquât pas mon dédain ?
Comment aimer encor la rose
Vaine et fringante des jardins ?
Anna de Noailles, A présent que j'ai bien connu
Aidlinn prenait le thé chez Ozarine Shafiq. C'était un samedi aussi paisible que les autres pour la rue de Bury Lane, elle serait probablement restée chez elle si elle n'avait pas reçu la missive amicale de sa voisine.
-Je suis contente que tu aies accepté mon invitation ! Je m'ennuyais à mourir, ici, babillait Ozarine. Mon père m'a envoyé un hibou pour me dire qu'il ne rentrerait d'Egypte que dans un mois. Il doit tenir compagnie à ma pauvre mère. Xalème est ravi, évidemment. Il en a profité pour partir rendre visite à un de ses anciens camarades de Durmstrang. Il va sûrement y rester au moins deux semaines, sans se préoccuper de la mélancolie de sa pauvre sœur !
C'était l'avantage d'Ozarine : elle pouvait meubler à elle seule une conversation. Aidlinn pouvait ainsi se laisser distraire par le charisme envoûtant de la fille Shafiq, si énigmatique, drapée dans sa robe chatoyante qui bruissait au gré de ses amples gestes théâtraux. Ozarine était aussi époustouflante qu'elle-même se trouvait fade, elle ne pouvait qu'être impressionnée par l'assurance de son hôtesse.
-C'est moi qui te remercie de m'avoir invitée.
-Alors, raconte-moi ! Comment se déroule ton emploi au ministère ? Tu dois voir et entendre plein de choses, surtout au vu de ta localisation.
Elle lui fit un clin d'œil réjoui. Aidlinn eut un sourire de circonstance pour tenter de dissimuler sa gêne, Ozarine avait une idée très romanesque de ce que pouvait être le quotidien au ministère. En réalité, il ne s'y passait pas grand-chose, le moindre évènement extraordinaire finissait absorbé dans les nuances de gris du labeur quotidien.
-Mon service est plutôt calme, dit-elle.
Elle n'osait jamais s'approcher du bureau des aurors. La seule fois où elle s'y était rendue pour porter des papiers, elle avait compris qu'elle n'était pas la bienvenue : dès qu'elle s'était présentée à l'accueil, on lui avait jeté des coups d'œil hostiles. Elle s'était demandé s'ils savaient des choses sur sa famille ou si son nom la précédait d'une façon ou d'une autre. Ce n'était pas la première fois qu'elle était forcée de considérer ses origines comme un handicap, mais elle avait espéré que ces autoproclamés défenseurs de l'égalité lui auraient laissé le bénéfice du doute.
-Tu pourrais facilement laisser traîner une oreille, pourtant, objecta Ozarine.
-Je ne vois pas comment ce serait possible. Ils s'apercevraient de ma présence, si je me mettais à rôder autour d'eux.
Aidlinn n'était pas sûre de vouloir se risquer dans une affaire pareille. La suggestion de son interlocutrice lui rappelait désagréablement la proposition de partenariat de Rosier, qu'elle avait refusée. En avait-il touché quelques mots à Ozarine ?
-Tu as peut-être raison. Ne t'en fais pas, ce n'était qu'une boutade. Tu n'es pas au service du Seigneur des Ténèbres.
Là encore, Aidlinn repensa à l'avertissement de Rosier. Tu bénéficies de sa protection, comme tous les sang-pur ralliés à son parti. Il peut exiger le paiement de cette protection quand il le souhaite.
Avait-il essayé de lui faire peur ? Ou le Seigneur des Ténèbres avait-il assez conscience de son existence pour la convoquer s'il le jugeait utile ? Elle ne l'avait jamais approché de près, elle n'avait toujours aperçu de lui qu'une inquiétante silhouette entourée de ses fidèles, aux plus grandes réceptions où elle avait eu l'honneur d'être conviée.
-Mais le Maître pourrait m'ordonner de le faire, non ?
Ozarine eut une hésitation qui lui fit froncer les sourcils.
-En théorie, oui. Mais ça n'arrive pas souvent, il a bien assez de tous ses mangemorts. Surtout quand on sait que des fanatiques comme Macnair, Selwyn et Dolohov redoublent d'ardeur à la tâche.
La fille Shafiq avait bien appuyé sur sa dernière phrase, ses yeux d'encre décortiquant la réaction d'Aidlinn. Cette dernière se contenta de hocher la tête, bien qu'un frisson la traversât en repensant à ces êtres effrayants, qu'elle avait vus réunis à la même table si récemment, lors du mariage de Rodolphus. Elle avait assez côtoyé la société sang-pur pour comprendre le sentiment général à l'égard de ces mangemorts impitoyables : Lord Voldemort tenait entre ses mains les laisses de redoutables chiens de garde, mais s'il venait à les lâcher, personne n'était certain de savoir sur qui ses molosses se jetteraient.
-Ça n'arrive pas souvent ? Alors c'est déjà arrivé ? s'enquit Aidlinn, qui n'appréciait pas du tout la teneur que prenait leur conversation.
-Oui. Pour régler quelques litiges, organiser un mariage…
Aidlinn papillonna des paupières, abasourdie.
-Un mariage ?
Elle avait bien du mal à imaginer le Seigneur des Ténèbres prendre la peine de jouer les entremetteurs.
-Il s'assure de la perpétuité de notre race. Je sais que c'est assez surprenant, mais on se fait à l'idée. Certaines des plus grandes familles l'ont déjà consulté avant d'officialiser les contrats. La famille Lestrange par exemple, pour ton ami Rodolphus.
Aidlinn s'étrangla avec sa gorgée de thé et se mit à tousser. Le Seigneur des Ténèbres avait décidé de la femme de Rodolphus ? Dans un sens, c'était encore pire que si la décision n'était venue que de ses parents.
-Rodolphus ? Je ne savais pas… Comment des parents pourraient-ils laisser le destin de leur fils aux mains de…
-De leur Maître ? compléta posément Ozarine. C'est plutôt compréhensible, de leur point de vue. Ils servent la cause des sang-pur, elle est plus importante pour eux que n'importe lequel de leurs proches.
Aidlinn fixa le contenu de sa tasse en serrant les lèvres. Peut-être était-ce son problème. Elle n'imaginait pas faire passer leur cause avant ses proches. Cela faisait-il d'elle quelqu'un d'égoïste ? Ou n'était-elle pas assez convaincue de ce pour quoi ils se battaient ? Elle se souvint de sa mère, de ce qu'elle avait été prête à sacrifier.
-Je ne sais pas si j'en serais capable, avoua-t-elle. Je ne sais pas si je pourrais sacrifier ma famille ou mes amis pour…
Elle s'interrompit en pensant à Sylvia Prewett. Elle avait consenti à perdre sa compagnie pour rester dans les bonnes grâces de ses amis sang-pur, elle n'avait eu aucun scrupule à lui mentir et à abuser de sa confiance, quitte à lui faire du mal. Sylvia n'avait jamais su ce qui était arrivé à Richard Jones, Aidlinn lui avait menti effrontément pour défendre Evan, qui n'avait eu aucune hésitation au moment d'achever le Gryffondor. Était-elle aussi ce genre de personne ? Ozarine l'observait avec compassion derrière ses longs cils noirs.
-On ne sait jamais de quoi on serait capable, philosopha-t-elle.
Elle leur resservit du thé et un elfe de maison vint leur déposer une fournée de scones tout juste sortis du four. L'odeur alléchante chassa en partie la culpabilité d'Aidlinn, alors que son ventre grondait.
-Pour le mariage, tu devrais quand même te méfier, reprit Ozarine dont le front était barré d'un pli de souci. Si ce n'est pas le Seigneur des Ténèbres, quelqu'un d'autre t'en parlera. Est-ce que tu y as pensé au moins ?
-Non, pas vraiment.
-Tu auras bientôt vingt ans, n'est-ce pas ? C'est encore jeune, bien sûr, mais tu sais, les bons partis sont peu nombreux.
Aidlinn ne sut pas répondre. Il n'y avait qu'une seule personne avec qui elle avait envisagé de se marier, mais ses espoirs s'étaient effondrés de manière brutale et elle éprouvait beaucoup moins d'intérêt que par le passé pour ce genre d'affaires. Si l'amour était censé ressembler à ce qu'elle avait ressenti pour Evan Rosier, elle n'était pas sûre de vouloir renouveler l'expérience.
-Je pourrais te retourner la question, rétorqua-t-elle avec une pointe de défi dans la voix.
Elle appréciait Ozarine, mais en avait assez de l'écouter lui prodiguer des conseils. Elle n'avait aucune envie de penser à cela et se demandait bien pourquoi Ozarine, une fille de sa tranche d'âge, lui tenait ce discours moralisateur.
-Mon tour viendra prochainement. Mon père m'a déjà choisi un fiancé. Nous, les femmes, devons accepter certaines obligations, mais il ne tient qu'à nous de transformer ces chaînes.
Ozarine sourit avec incertitude et ses grands yeux expressifs s'attachèrent à ceux d'Aidlinn.
-Mais toi… Je ne te conseille pas de te marier, simplement de considérer tes possibilités. Il y a beaucoup de jeunes gens qui signent des promesses de mariages, de nos jours. Nous ne sommes plus obligés de passer à l'hôtel juste après notre majorité.
Aidlinn s'était plongée dans la contemplation de la rue ensoleillée par la fenêtre, refusant d'affronter son hôtesse. Il n'y avait aucun passant flânant le long des trottoirs impeccables de Bury Lane, rien que des façades de briques rouges, des portiques de fer noir et des buissons vert foncé.
-Si je dis ça, c'est parce qu'il y a eu des rumeurs… Macnair commence à se chercher une épouse, maintenant qu'il a vingt-six ans, et il a mentionné ton nom.
-Evan me l'a dit. C'est absurde.
Elle ne l'avait pas pris au sérieux quand il lui avait dit cela. D'ailleurs, elle se fichait bien de Macnair en cet instant aussi. Que pourrait-il bien faire si elle refusait ses avances ? Lui faire une cour assidue ? C'était insensé, il avait sûrement bien d'autres affaires plus importantes.
-Vraiment ? Oh bien sûr, tu n'es pas la seule concernée, ne t'inquiète pas. Mais Macnair n'est pas vraiment le genre de mari dont on peut rêver, tu l'imagines aisément. Les filles de notre âge sont toutes en train de prendre leurs dispositions. Il serait dommage que tu te retrouves sans personne, tu comprends ?
La jeune Rowle ne put s'empêcher de soupirer. Elle n'avait jamais réalisé que les choses tourneraient ainsi. Force était de constater qu'elle n'avait reçu aucune attention particulière, encore moins une proposition de fiançailles. Si cela ne l'avait jamais dérangée – le seul garçon qui l'avait intéressée toutes ces années avait été Evan Rosier -, elle se rendait compte que les choses n'étaient pas aussi simples. Tout le monde s'attendait à ce qu'elle trouvât quelqu'un de son rang et si elle refusait de rentrer dans les convenances, la société qui l'avait protégée la renierait.
Elle avait cru que libérée des directives parentales, on la laisserait tranquille, mais ce n'avait jamais été le cas. Elle détestait l'échéance qu'on tentait de lui imposer. Pourquoi devrait-elle se marier un jour ? Pourquoi ne voyait-on en elle qu'une future mère ? N'aurait-elle jamais le droit de choisir ce qu'elle voulait faire de sa vie ? N'avait-elle pas le droit d'avoir d'autres espérances que celle de fonder une famille ?
-Si je déclinais la proposition de Macnair, qu'est-ce qu'il pourrait bien me faire ? Nous sommes dans le même camp, il ne va quand même pas…
Aidlinn n'osa pas finir sa phrase. Ozarine étira ses lèvres roses en un sourire hésitant.
-Disons qu'il ne s'entend pas vraiment avec ton frère.
Les deux filles se perdirent dans la contemplation du mobilier jusqu'à ce qu'Ozarine trouvât le courage de conclure :
-Macnair n'est pas vraiment quelqu'un de sain d'esprit, Aidlinn. Je te demande simplement de faire attention.
oOo
Aidlinn sortit de chez les Shafiq plus bouleversée qu'elle ne se l'aurait avoué. Les menaces d'Ozarine planaient au-dessus de sa tête alors qu'elle hâtait le pas pour traverser la rue déserte en diagonale et rentrer chez elle. L'horizon artificiel de Bury Lane baissait de lumière en même temps que le ciel réel, pour ne pas perturber les protégés de ce petit paradis. C'était de l'avis d'Aidlinn un enchantement incroyable, même si Isaac affirmait que ce perpétuel beau temps lui minait le moral. Il parlait parfois de déménager, mais Aidlinn appréciait la sécurité de la rue. Les Shafiq avaient engagé un gardien qui logeait au numéro 1 quelques années auparavant et qui servait aussi d'homme à tout faire quand le besoin s'en faisait sentir. Elle ne lui avait jamais rien demandé, mais il lui adressait invariablement un signe de tête poli quand ils se croisaient et sa présence discrète la rassurait.
En passant la porte, elle sut automatiquement qu'Isaac avait de la compagnie. L'atmosphère n'était pas aussi immobile qu'elle aurait dû l'être, des éclats de voix lui parvinrent. Ce n'était pas une situation inhabituelle, elle prit le temps d'accrocher son manteau à l'entrée avant de rejoindre à pas feutrés la salle à manger, l'oreille tendue pour déterminer l'identité de l'interlocuteur. Elle ne reconnut pas le timbre de l'invité et se décida à se montrer.
Isaac était assis face à Mézélias Moon et tous deux échangeaient avec amabilité. A son arrivée, ils se redressèrent. Angus vint sauter entre ses jambes de son air de labrador comblé et elle passa une main absente dans son cou noir et doux.
-Aidlinn Rowle, c'est un plaisir de te retrouver, la salua Mézélias. Je disais justement à ton frère que cette petite maison est ravissante et la rue tout autant. J'étais loin de soupçonner l'existence d'un tel sanctuaire. On croirait se trouver dans une petite ville de poupées.
Il portait un gilet aux boutons de manchettes en or et des chaussures de cuir luisantes de cire ; sa mise était impeccable, pourtant il exhalait de lui une harmonie cassée. Aidlinn n'appréciait pas vraiment le tutoiement qu'il employait – après tout, ils ne se connaissaient pas et sa familiarité avait quelque chose de forcé. Isaac lui tira une chaise et elle s'installa à côté de lui.
-Mézélias est venu parler de Melyna, expliqua son frère. Il voulait… des anecdotes sur sa vie à Poudlard.
-Elle me manque, avoua leur invité. Je me suis fait un devoir de reconstituer ses derniers mois d'existence.
Il parlait d'elle comme si elle était morte. Les deux jeunes hommes l'étudiaient avec patience, s'attendant à ce qu'elle réagît – mais comment aurait-elle dû réagir ?
-Je ne sais pas ce que je pourrais dire. Ce que je sais, c'est que Melyna ne laissait personne indifférent.
Mézélias s'esclaffa doucement, en hochant la tête avec affabilité.
-C'est bien vrai, ma chère sœur avait un don pour attirer le regard. N'est-ce pas, Isaac ?
Il y eut un instant de flottement. Aidlinn tâcha de ne pas trahir son frère en s'intéressant à Angus, qui se collait à ses jambes en haletant.
-Comment es-tu au courant ?
-Allons, pas de ça entre nous. Disons que j'ai eu l'occasion de parler un peu avec ses anciennes camarades de chambre – de vraies pipelettes et, à vrai dire, ce sont les seules qui ont bien voulu me renseigner.
-Nous nous sommes fréquentés quelques mois, puis nous nous sommes séparés. Rien de plus.
Isaac s'était départi de son sourire engageant et il s'excusa pour surveiller le four. Sa sœur tenta de lui lancer un regard pour le supplier de rester avec elle, mais il était déjà parti.
-Les affres des amours adolescents ! plaisanta Mézélias pour détendre l'atmosphère. Tu sais, j'ai aussi appris que tu avais eu un différend avec ma sœur.
Mézélias l'observait à présent avec une certaine avidité et tout son corps s'était penché dans sa direction, par-dessus la lourde table qui les séparait ; on aurait dit qu'il se préparait à lui sauter dessus.
-Et alors ?
-Alors, au vu de la situation…
-Je n'ai rien fait à ta sœur, c'est elle qui m'a attaquée. Elle n'avait pas toute sa tête ce jour-là.
-Pas toute sa tête ?
Aidlinn se mordit la lèvre. Assurément elle en avait trop dit.
-Je n'en sais pas plus. Elle avait semblé bizarre.
-C'est marrant, parce que de toutes les personnes que j'ai interrogées, tu es la plus susceptible d'avoir eu un mobile pour lui faire du mal.
La jeune fille ne put retenir un hoquet halluciné.
-Et quel mobile aurais-je pu avoir ?
-Cette dispute. Le fait que ma sœur sortait avec ton frère. Son aventure avec Evan Rosier.
Il appuya sur la dernière phrase avec un plaisir évident, comme s'il dévoilait une autre de ses cartes. Toutefois, c'était ridicule, Aidlinn n'aurait jamais pensé à assassiner la fiancée de son frère ou d'Evan Rosier. Moon devait le savoir, il s'amusait avec elle, mais elle ne rentrerait pas dans son jeu.
-Mon frère peut sortir avec qui il veut, ce n'est pas mon problème.
-Et le fait qu'elle ait séduit le garçon que tu convoitais ? Melyna a toujours attiré les jalousies.
La façon qu'avait Mézélias de déformer la vérité, de présenter sa sœur en innocente vedette de Poudlard victime de rivales, était intolérable pour Aidlinn. Cette dernière avait beau avoir de la peine pour ce qui lui était arrivé, elle se rappelait parfaitement la manière méprisante dont Melyna traitait les autres et tentait de s'emparer de tout ce qu'elle désirait.
-Qui est allé te raconter ça ?
Qui aurait pu orienter Mézélias sur sa piste ? Il l'observait, le visage moqueur et Aidlinn avait une fois de plus l'impression de faire face au fantôme de Melyna : Mézélias avait les mêmes yeux verts, le même teint hâlé, les mêmes ondulations d'un blond vénitien, bien que ses cheveux fussent trop courts pour donner à ses boucles davantage de liberté.
-J'ai appris beaucoup de choses. Il semblerait que tu n'es pas la fille sans histoire qu'on croirait.
De quoi parlait-il ? Savait-il quelque chose d'autre ?
-Je n'ai rien fait à ta sœur.
-Dans ce cas, prouve-le-moi, susurra Mézélias. Donne-moi un autre coupable.
Aidlinn songea à Lothaire Selwyn, aux fenêtres dorées qui donnaient sur son âme désolée, à leur promenade dans le jardin des Lestrange. Il aurait été facile de donner Lothaire à Mézélias et de les laisser s'entre-déchirer, mais quelque chose la retint. C'était de la peur, mais pas seulement ; cela avait tout à voir avec le jour où il lui avait rendu visite chez elle, à sa surprise en voyant qu'elle ne l'avait pas dénoncé à Rosier.
-Je n'en ai pas.
-Et Evan Rosier ? insista-t-il. Il ne pourrait pas être mon coupable ?
-Non, répondit aussitôt Aidlinn. Il était avec moi pendant la garden-party.
-Tu pourrais le couvrir.
Mézélias paraissait se délecter de l'accuser ; cela rappelait à Aidlinn l'attitude charmeuse de Melyna.
-Pourquoi lui aurait-il fait du mal ?
-Peut-être parce qu'elle avait rejeté ses avances.
Aidlinn ricana faiblement, plus incertaine qu'elle ne l'aurait voulu face à cette possibilité.
-C'est Evan qui l'a repoussée. Et ce n'est pas lui.
-Très bien. Et Lothaire Selwyn ?
Aidlinn tressaillit et Mézélias eut un petit sourire en relevant sa stupeur. Il resserrait son étau autour d'elle, à la manière d'un gros serpent.
-Je ne le connais pas, dit-elle d'une voix qu'elle espérait ferme.
-C'est amusant, on m'a pourtant raconté que tu t'étais promenée avec lui au mariage des Lestrange.
-Ce n'est pas… C'était juste… Lothaire n'est pas quelqu'un que l'on peut provoquer.
C'était une mise en garde et soudain, Aidlinn n'eut plus peur de Mézélias, une certitude paisible s'était emparée d'elle : Mézélias ne pouvait rien contre un spectre tel que Selwyn, il se briserait contre sa volonté et n'ennuierait plus personne. Moon eut un rictus étrange :
-Qu'il cesse de terrifier, le mortel qui n'est que terre !*
Isaac revint à ce moment précis, chargé d'un plat où s'entassaient des petits fours. Il semblait avoir retrouvé sa sérénité.
-J'espère qu'ils ne sont pas trop cuits, s'excusa-t-il. Nous n'avons toujours pas d'elfe de maison.
* Psaume 10:18 de la Bible
Voilà deux nouveaux chapitres. Merci énormément à Baccarat V, RhumFramboise, Zod'a, LeleMichaelson, feufollet, MarlyMcKinnon, FelicityCarrow et Guest pour vos encouragements, vous êtes formidables !
Les prochains chapitres devraient arriver plus rapidement et si vous êtes en manque d'Evan Rosier, je vous conseille la très bonne fanfiction de Baccarat V : Le pays des merveilles (pour celles et ceux qui ne connaissent pas), où vous pourrez, entre autres, avoir une vue imprenable sur les mollets d'Evan !
