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Chapitre 70

Royalement, - peut-être en vain, -
Car, hélas ! à l'heure qu'il est
J'ignore encor ce qui te plaît,
Je t'ai fait des cadeaux divins !

Sans que tu puisses t'en douter,
Et comme un jardin pour les dieux,
Mon cœur te situe au milieu
De tous mes immortels étés.

Et cependant que sous ton toit
Tu ne rêves peut-être à rien,
Je vois d'un œil aérien,
Ce grand ciel que j'ai mis sur toi…

Anna de Noailles


Ils étaient rassemblés dans l'immense salon des Avery, comme ils avaient eu l'habitude de le faire tous les soirs à Poudlard. Les trophées de chasse jetaient leurs ombres immenses contre les murs et les surveillaient de leurs regards éteints. Ils fumaient, plaisantaient et fumaient encore. Parfois ils buvaient et prenaient un air plus sombre quand l'euphorie artificielle retombait, mais ils étaient aussi apaisés qu'ils auraient pu l'être par cette heure tardive, alors que le reste des vivants dormaient et les avaient oubliés.

Aidlinn regardait ses anciens camarades et tentait de déceler ce qui avait changé. Andrew vidait rapidement ses verres, les yeux injectés de sang, lui qui avait autrefois été si modéré ; Edern avait un sourire plus cruel et il se donnait moins en spectacle ; les yeux de Mulciber étaient devenus deux billes noires remplies de vices ; Rodolphus ressemblait à un oiseau de proie avec ses épais sourcils froncés de fatigue et son air austère ; Evan ne se tournait plus vers elle.

Ils avaient changé et elle comprenait que la chose était inévitable, qu'elle-même avait sûrement évolué en une version plus acérée, moins naïve que ce qu'elle avait été. Toutefois, les voir ainsi réunis ne pouvait que la ramener en arrière, vers des jours plus clairs et elle pouvait presque remplacer l'immense pièce et ses têtes d'animaux empaillées par la confortable salle commune des Serpentard, avec sa douce lueur émeraude, ses vitres donnant sur les profondeurs du lac, le feu vert ronflant dans la cheminée et les éclats de rire de leurs camarades. Presque, mais pas tout à fait, car ils n'étaient pas seuls, d'autres visages venaient s'ajouter au tableau – des visages qui n'avaient pas été avec eux pendant ces années d'insouciance.

Il y avait quatre jeunes filles venues compléter le petit groupe : Odélie Greengrass, assise à côté de Jared Avery, Fanny Yaxley, calme et digne, Séphronie Parkinson, qui souriait à Wilkes et Cyrelle Flint, qui avait seulement un an de moins qu'Aidlinn et avait étudié à Durmstrang tout comme Xalème Shafiq, lui aussi présent.

-On dirait que Séphronie a oublié son Serdaigle préféré, souffla Avery à l'oreille d'Aidlinn.

Ils se tenaient tous les deux à l'écart, près d'une fenêtre donnant sur le parc. L'obscurité était totale au-dehors, la lune n'était pas visible et aucune étoile ne venait éclairer le grand parc des Avery. C'était une de ces nuits totalement noires où l'on pouvait penser que la lumière ne reviendrait jamais.

-J'imagine que ses parents l'ont rappelée à l'ordre, répondit distraitement Aidlinn. Et elle doit s'inquiéter pour son frère.

-Si elle les a écoutés, ce ne devait pas être si sérieux que ça.

La jeune fille se tourna avec surprise vers son ami dont le visage arborait une expression de dédain ostentatoire.

-J'aurais pensé que tu approuverais son revirement, remarqua Aidlinn.

-Je l'approuve, mais je m'inquiète de la pauvreté des élans de son cœur. Si elle aimait ce pauvre sang-mêlé, alors pourquoi l'a-t-elle quitté ? Si elle ne l'aimait pas, pourquoi était-elle avec lui ? Tant d'inconstance ne lui rend pas service.

-Tu es dur.

Il lui lança un regard inflexible. Avery n'avait jamais été tendre, mais sa tendance à émettre des jugements impitoyables s'était exacerbée.

-Tu l'as vue comme moi avec ce Serdaigle, quand elle était à Poudlard. Combien de temps est-ce que ça a duré ? Quatre ans au moins ? Si l'on s'abandonne à quelqu'un de cette façon, on ne doit pas le faire à la légère. On ne devrait pas vouloir reprendre son cœur quand on l'a donné.

C'était une très belle vision de l'amour et une terrible à la fois, une conception correspondant au caractère entier de son ami.

-Tout le monde peut se tromper, tenta Aidlinn.

Elle ne savait pas pourquoi la réflexion de son ami la mettait mal à l'aise. Peut-être avait-elle peur qu'il pût la jauger aussi sévèrement sur ses actes passés ou à venir. Cependant, ce soir, Edern était de si mauvaise humeur que rien ne semblait pouvoir l'apaiser, il ne cessait d'émettre des critiques sur tout et tout le monde.

-La robe de Cyrelle Flint est indécente, continua-t-il. On voit bien pourquoi elle est venue.

-Qu'est-ce que tu as à être aussi agité ? lui demanda Aidlinn. Tu semblais heureux à la perspective de cette soirée, l'autre jour.

Les lèvres d'Edern frémirent d'agacement ; elle comprit qu'il retenait une réponse acerbe à son encontre.

-Je suis simplement fatigué, répliqua-t-il finalement.

Rodolphus s'installa au piano installé à l'extrémité de l'immense salon et les notes d'une valse rapide se mirent à tourbillonner entre les murs. Odélie entama une danse avec Jared en riant, Séphronie voulut traîner Andrew sur la piste, mais trop enivré pour la suivre, il céda sa place à Mulciber, Fanny accepta l'invitation d'Isaac et Cyrelle invita Evan, qui, à la grande surprise d'Aidlinn, accepta facilement. La fille Rowle se rappela l'intérêt qu'il éprouvait pour l'éducation dispensée à Durmstrang.

Xalème se rapprocha d'Aidlinn et Edern, et en profita pour complimenter ce dernier sur le château.

-C'est mon père qui serait ravi de t'entendre. Ce domaine, c'est toute sa vie. Il est dans la famille depuis qu'un de nos ancêtres l'a fait construire, à la fin du seizième siècle. Parfois, je me demande s'il ne le préfère pas à nous.

Il eut un sourire désabusé.

-Ne soyons pas trop sévères avec nos parents, nous risquons bien de finir comme eux, plaisanta Xalème.

Il apparaissait extrêmement serein en comparaison d'Avery, son teint caramel prenait un éclat saisissant à la lueur des éclairages, le faisant rayonner comme un prince.

-Ta sœur m'a dit que tu étais parti chez des amis de Durmstrang, dit Aidlinn.

-En effet, chez les Gruev. Je suis rentré plus tôt que prévu, ma sœur se languissait de moi.

-Elle ne sort pas beaucoup, observa Aidlinn.

C'était un euphémisme. Il lui semblait qu'Ozarine ne quittait presque jamais Bury Lane. Xalème sembla hésiter, mais en voyant Avery partir remplir son verre, il poursuivit :

-Ma sœur a des ennemis dangereux étant donné ses… aptitudes. Pour sa propre sécurité, elle doit se tenir à l'écart de la foule.

-Et toi, tu n'as pas le même don ?

Il secoua la tête :

-Ce n'était pas héréditaire pour ma sœur. Elle a payé un prix très cher pour être dotée de voyance.

Aidlinn brûlait tant de curiosité qu'elle ne put s'empêcher de demander quel était ce prix.

-Du temps, quoi d'autre ? C'est ce qu'elle avait de plus précieux. Elle a donné quinze ans d'existence pour permettre à notre famille de recouvrer sa gloire passée.

-C'est… très courageux de sa part. Est-ce qu'elle sait quand…

-Bien sûr. Mais ne t'en fais pas, il y a des moyens pour contourner l'échéance.

Il semblait serein face à la mort de sa sœur ; Aidlinn supposa que celle-ci n'était pas censée se produire avant un grand nombre d'années. Elle fut soulagée – seulement un peu – pour Ozarine. Puis elle pensa aux révélations d'Edern, se demanda si les Shafiq faisaient partie du petit cercle de fidèles en quête de vie éternelle.

-Je n'ai jamais entendu parler de pareils échanges.

-On n'en entend pas parler, on le sait ou on ne le sait pas. C'est une forme de magie très ancienne, qui n'a rien en commun avec ce que vous pouvez apprendre à Poudlard. Elle repose sur le principe du don : chaque sort se paye au prix fort, il faut une transaction pour maintenir l'équilibre. En-dehors de la divination, ça ne vaut pas le coup, c'est une science trop inexacte. Les baguettes sont bien plus pratiques.

Avery revint vers eux, l'air sombre.

-Andrew a trop bu. Encore. Il ne peut pas s'en empêcher.

Il désigna Wilkes, avachi sur un canapé, les paupières abaissées. Il offrait un piètre tableau avec sa chemise sortie de son pantalon, ses cheveux ébouriffés et son teint verdâtre.

-Il s'est endormi, remarqua Xalème.

-On devrait le transporter à l'écart, suggéra Aidlinn.

Avery fit léviter le corps d'Andrew jusqu'au premier étage, en passant par l'escalier principal en bois de chêne, et le déposa dans la chambre confortable qu'il lui avait réservée. Aidlinn et Xalème lui ôtèrent ses chaussures et le bordèrent avec précaution.

-Qu'il dorme autant qu'il le peut, souffla paisiblement Xalème.

Ils redescendirent. La scène semblait avoir un peu calmé Edern, qui proposa à Xalème une partie de bataille explosive. La jeune fille les laissa pour se diriger vers Jared, qui ne dansait plus avec Odélie, mais s'était mis à contempler le fond de son verre vide avec nostalgie.

-Tu es fatigué ? lui demanda aimablement Aidlinn.

Elle ne lui parlait pas souvent, bien qu'elle le connût depuis un certain temps ; il demeurait le frère d'Edern et c'était avec son frère qu'elle partageait une amitié fidèle, pas avec lui. Il redressa la tête et elle aperçut l'océan bleu au fond de ses prunelles, ce monde immergé si similaire à celui de son cadet.

-Andrew n'est pas malade, au moins ? s'enquit-il plutôt.

-Non, il dort. Ça lui arrive de plus en plus de boire à outrance, n'est-ce pas ?

-Qui pourrait lui en vouloir ? soupira Jared. Il porte la respectabilité de sa famille à bout de bras.

Aidlinn acquiesça et se sentit honteuse d'avoir mis autant de temps à remarquer l'inquiétude qui rongeait Andrew. Elle se rendait compte qu'elle ne pouvait pas totalement comprendre la situation de son ami, car elle-même avait été dotée dès sa naissance des privilèges qu'il recherchait tant, mais ça ne l'empêchait pas d'éprouver de la compassion pour lui. Jared ne lui accordait plus d'attention, il surveillait Edern et Xalème d'un air tourmenté.

-Tu t'inquiètes pour Edern.

-Toujours, acquiesça-t-il. C'est comme ça, je ne peux pas m'en empêcher. Il faut bien que l'un de nous ait la tête sur les épaules.

-Je trouve qu'il a mûri, pourtant.

Edern n'apparaissait plus tout à fait à Aidlinn comme l'adolescent exalté et défiant qu'il avait été, mais peut-être était-ce seulement dû au fait que le monde qu'elle côtoyait était devenu trop imprévisible.

-Pour certaines choses. Mais il a toujours été attiré par les causes perdues.

Il lui adressa un sourire ironique qu'elle ne comprit pas.

-Est-ce qu'il va accompagner Mulciber ? Pour le sauvetage de Manfred.

-Tu n'as pas entendu ce que j'ai dit ? Bien sûr qu'il va y aller, alors j'irai avec lui.

En retournant se poster auprès d'Edern et Xalème pour surveiller leur partie, Aidlinn ne put s'empêcher d'épier discrètement Evan et Cyrelle qui se tenaient près de la piste de danse. Rodolphus avait abandonné son piano pour allumer une grosse radio qui crachait des morceaux de rock, et les danseurs avaient l'air de s'amuser davantage. Evan refusait catégoriquement de retourner sur la piste malgré les suppliques de Cyrelle, qui semblait trouver son côté obstiné absolument charmant car elle continuait d'essayer de le faire changer d'avis en rigolant. Peut-être aurait-ce été différent si elle n'avait pas eu de nouveau contact avec le jeune homme, mais leurs récentes interactions avaient ouvert dans le cœur d'Aidlinn un brasier qui refusait de s'éteindre. Elle souffrait de le voir évoluer dans la pièce en ignorant aussi facilement sa présence. Depuis sa sortie à Pré-au-Lard, elle se rendait compte qu'elle n'avait jamais cessé de tenir à Evan Rosier et qu'il suffirait à ce dernier d'un claquement de doigts pour qu'elle retombât sous son influence. Elle ne pouvait s'empêcher de songer à ce que lui avait dit Edern à propos des horcruxes et de se demander si Evan était au courant.

Devant elle, les cartes explosèrent à la figure d'Edern, et Xalème eut un petit sourire supérieur.

-J'ai menti quand j'ai dit que je n'avais jamais joué, s'excusa-t-il.

-Je vois. Laisse-moi me passer un coup d'eau fraîche et je reviens, marmonna Edern en se levant.

Il s'arrêta près de Mulciber, qui était aux côtés de Rodolphus sur le canapé, et lui glissa quelque chose à l'oreille. Aussitôt, son camarade parut revigoré et se redressa en direction de la porte avec espoir. Aidlinn se demandait bien ce qu'Edern avait pu lui dire en le voyant se diriger à la cuisine. Elle croisa le regard d'Evan alors qu'il détournait les yeux de sa partenaire et la pièce se figea, le temps ralentit. Quelqu'un frappa à la porte.

-Quelqu'un si tard ? Il doit être une heure du matin, fit Jared Avery en allant ouvrir.

C'était Bellatrix Lestrange et Walden Macnair. Ils entrèrent et balayèrent les lieux de leurs yeux noirs comme deux vautours avides. Mulciber sauta sur ses pieds pour accueillir Macnair tandis que Rodolphus se précipitait pour diminuer le volume de la radio.

La fête reprit avec les deux nouveaux invités, mais le ton était moins joyeux. Bellatrix accapara aussitôt Rodolphus, qui semblait dépassé par les évènements.

-C'est toi qui les as invités ? demanda Aidlinn à Edern quand il revint avec la figure propre.

Elle avait parlé d'un ton bas, sans quitter les nouveaux venus du regard.

-Oui, pourquoi ? C'est un problème ?

Il semblait tellement insensible à sa détresse qu'elle abandonna. Avery ne comprenait apparemment pas qu'elle pût trouver dérangeante la présence de deux mangemorts aussi cruels que Bellatrix et Walden. Isaac semblait toutefois partager son avis car il abandonna Fanny Yaxley pour apostropher Jared :

-Qu'est-ce que Macnair fait ici ? S'il reste, je m'en vais.

Jared écarta les mains en signe d'impuissance et son frère s'interposa :

-C'est moi qui leur ai dit de passer. Arrête d'être aussi rabat-joie.

-Moi, rabat-joie ?

-Ma présence t'indispose tant que ça, Rowle ? persiffla Macnair avec ravissement.

-Je refuse de partager davantage d'oxygène avec ce dingue !

-Alors va-t'en, personne ne te retient, grinça Edern.

-Edern ! protesta Jared.

-Comme vous voudrez.

Isaac prit aussitôt le chemin de la sortie, sans même récupérer son manteau, suivi de près par Fanny, qui leur présenta des excuses polies. Aidlinn hésita à partir avec eux, mais le ton exaspéré d'Edern l'en dissuada :

-Tu ne vas pas partir aussi ?

Elle secoua la tête, même si elle était agacée par le comportement d'Edern. Qu'avait-il à être aussi provocant et insensible ? Elle regretta instantanément son choix quand Macnair finit par se diriger vers elle. Elle n'était plus qu'avec Xalème, tandis qu'Avery était parti discuter avec animation avec Bellatrix. La jeune fille se rappelait très bien les avertissements de Rosier et d'Ozarine, mais il était trop tard, elle était piégée.

-Quelle agréable surprise de voir enfin la cadette des Rowle se joindre à une petite fête privée de mangemorts. Je commençais à penser que ce jour ne viendrait jamais.

-Je participe à de nombreuses réceptions, pourtant.

-Les officielles ne comptent pas, grimaça Macnair.

Il posa une main rugueuse sur la sienne. Ses ongles étaient incrustés de terre. Aidlinn se demanda d'où il revenait.

-Avec Bella, nous avons terminé un petit travail avant de venir, ricana-t-il en suivant son regard. Tu veux bien danser avec moi ?

-Eh bien, la musique ne me plaît pas vraiment…

Elle s'apprêtait à refuser plus nettement, mais les yeux de Macnair se plissèrent en deux atroces fentes noires et ses ongles se plantèrent dans la peau d'Aidlinn. Il se dégageait de son aura une impression de méchanceté étouffante, même pour un quelqu'un d'accoutumé aux êtres cruels et violents.

-Après tout, pourquoi pas ?

Macnair étira ses lèvres en un horrible sourire et ils se mirent à danser avec les autres dans l'indifférence générale. Le mangemort était assez mauvais danseur, brutal et rigide, et ses mains s'imprimaient contre la chair tendre d'Aidlinn à travers le tissu de sa robe. Ils ne dansèrent que le temps d'une chanson, mais il la retint au bord de la piste à la fin et elle n'eut pas le courage de se dérober.

-Il ne me semble pas que nous ayons échangé plus que des banalités, malgré toutes ces années, reprit Macnair dans une tentative de conversation. Je me rends compte que c'était du temps perdu.

Aidlinn ne répondit rien et il parut vexé.

-Je suis désolé d'avoir fait fuir ton frère, reprit Macnair, nullement perturbé par le silence de sa cavalière. Il me voue une haine tenace, mais très injustifiée. Comment peut-il avoir une sœur aussi charmante ? C'est ce que je me demande souvent.

Aidlinn n'arrivait pas à croire que les mises en garde proférées par Rosier et Ozarine se révélaient si justes. Elle ne croisait Macnair que rarement et voilà qu'il surgissait et l'invitait à danser. Elle osa un regard vers Rosier, qui discutait toujours avec Cyrelle en se dirigeant vers la terrasse. Elle comprit qu'il ne l'aiderait pas, alors même qu'il était bien conscient du danger, et son cœur se serra.

-Tu me fais penser à un oiseau blessé que j'ai eu, plus jeune. Il avait une aile cassée, ma mère l'avait recueilli et me l'avait confié. Je l'ai mis dans une cage et je le nourrissais chaque jour, pour qu'il guérisse et reprenne des forces. Quand il me regardait, il avait les mêmes yeux inquiets que toi.

Il lui fit un sourire tordu et soupira :

-Malheureusement, il est mort. Le chat l'a attrapé à travers la cage quand j'ai eu le dos tourné. C'était le chat de mon frère - un exotic shortair. Je le détestais, avec sa face écrasée ; il miaulait constamment dans la maison. J'ai fait payer le chat, bien sûr, mais c'était trop tard, l'oiseau était mort quand même. Depuis, je déteste les chats.

-Alors, je te fais penser à un oiseau mort, résuma Aidlinn avec autant de réserve que la politesse le lui en permettait.

-Tout juste, sourit-il.

Ses yeux la scrutaient, attendant une réaction de sa part. Elle ne tenait plus. La présence de Walden était si noire qu'elle engloutissait tout. Il n'y avait aucune beauté dans son être, aucune majesté dans ses gestes, aucune intelligence admirable dans ses paroles. Il n'y avait que du vice, de la méchanceté et de la colère. Elle s'échappa en marmonnant une excuse et sortit sur la terrasse, le cœur au bord des lèvres. Comme elle s'y attendait, Rosier se trouvait là à fumer et à contempler les ténèbres du parc des Avery alors que Cyrelle monologuait à son côté.

Il ne restait que quelques pas à faire à Aidlinn pour rejoindre la protection de Rosier, il lui suffisait d'ouvrir la bouche et de l'appeler, mais elle hésita une seconde de trop et Macnair la rattrapa et la tira brutalement vers lui.

-Je t'interdis de me fuir, siffla Macnair. Je ne suis pas assez bien pour toi, c'est ce que tu penses, n'est-ce pas ? Tu préférerais courir vers ce cher Rosier, mais regarde, il est déjà occupé et il ne veut pas de toi.

La vérité suintait si affreusement des propos de Macnair qu'Aidlinn en eut le souffle coupé.

-Maintenant que tu as compris ça, nous pouvons retourner à l'intérieur et finir notre discussion.

Elle le suivit et dut l'écouter raconter ce qu'il considérait comme ses exploits – des tueries affreuses et sans gloire -, l'entendre parler de son travail sordide – l'abattage minutieux de toutes les créatures magiques ayant attaqué des humains – et de son intérêt tout aussi morbide pour la taxidermie.

-J'ai essayé sur des daims, principalement. C'était plutôt réussi, mais pas autant que les trophées de ce cher Mr Avery.

Il prenait plaisir à la dégoûter, elle le sentait, et s'efforçait donc de rester aussi impassible que possible.

-Les moldus ont essayé sur des humains, tu sais. On peut leur reconnaître qu'ils ne manquent pas d'ingéniosité. Il y a quelques années, j'ai lu l'Essai sur l'anthropo-taxidermie de Mathias Mayor, un ouvrage plutôt intéressant. J'étais obsédé par le sujet, à l'époque. Je ne lis jamais rien de moldu, normalement, et le Maître serait très déçu s'il l'apprenait. Ce sera notre petit secret, si tu es d'accord.

Il lui fit un clin d'œil.

-Je les ai gardés, les daims. C'étaient ceux de ma mère, elle les élevait dans un grand parc clos. Tous les matins, elle venait leur donner du grain en chantant et ils approchaient. Ils étaient toujours un peu prudents, tu sais. J'ai toujours trouvé ça ingrat de leur part. Ils ne voulaient pas donner leur pleine confiance à ma mère, elle pouvait à peine les caresser alors qu'elle se levait pour eux tous les matins. A défaut de pouvoir la garder, j'ai conservé ses maudits cerfs. Mon père a trouvé ça bizarre, mais il a simplement déménagé avec mon petit frère. Je ne les ai jamais revus.

Il semblait plus perplexe que désolé, ne comprenant apparemment pas pourquoi sa famille avait voulu le fuir.

-Parfois, je rêve que je les retrouve et que je leurs rends au centuple ce qu'ils m'ont fait, ajouta-t-il sur un ton de confidence.

Il l'enjoignit ensuite à jouer au bridge avec lui, Bellatrix et Rodolphus. Si Bellatrix ne fit que critiquer toutes les cartes de Rodolphus, Macnair fut pire en incitant Aidlinn à tricher et à regarder les cartes de Bellatrix – ce qu'elle ne s'aventura certainement pas à faire. Après l'avoir effarouchée, il entreprit de l'interpeller ou de la suivre dès qu'elle faisait mine de s'esquiver, lui infligeant ainsi en continu son aura oppressante.

Peu avant l'aurore, Macnair finit par la laisser et quitter le château, laissant Aidlinn épuisée et tremblante sur un divan. Tout son être avait violemment rejeté la présence de Macnair, il la rebutait comme jamais quelqu'un ne l'avait rebutée. Peut-être étaient-ce ses yeux lascifs et vicieux, ses mains crasseuses qui se refermaient sur ses épaules comme des crochets ou ses remarques effrayantes ; elle gardait de leur entrevue un dégoût violent, accentué par son apparent intérêt pour elle.

Les autres partirent se coucher et Edern la guida à la chambre qu'il lui avait réservée. C'était une jolie chambre, décorée d'une tapisserie couleur crème et garnie de meubles de bois clair. Il y avait une banquette collée à la fenêtre et Aidlinn s'y assit ; de là, elle avait une vue imprenable sur le parc avec son grand lac illuminé par l'aurore et ses bois sombres endormis. Toutefois, la vue, aussi magnifique fût-elle, ne pouvait lui remonter le moral ; elle se sentait affreusement mal, salie par la société de Macnair.

-Pourquoi tu n'as pas réagi, Edern ? osa-t-elle demander alors qu'il se retirait. Tu n'es pas venu tandis que Macnair me retenait avec lui, tu n'as pas réagi. Personne n'a réagi.

Le pire était que tout cela s'était déroulé devant ses amis ; ils n'avaient pas ressenti sa détresse, n'avaient pas reçu ses appels muets. Peut-être qu'Andrew l'aurait aidée, si seulement il n'avait pas été en train de dormir dans une chambre. Mais qu'Edern fût resté sourd à ses appels, elle ne le comprenait pas. C'était inimaginable. Elle se sentait trahie.

-Je ne savais pas que tu voulais de l'aide, répondit lentement Avery.

Il était toujours sur le point de quitter la pièce, une main posée sur le chambranle de la porte.

-Tu mens.

La voix d'Aidlinn avait tremblé. Edern se retourna et lui adressa un regard glacial.

-Peut-être que je ne me sentais pas en légitimité d'agir, Aidlinn. Tu ne peux pas espérer que tout le monde te défende pour toujours.

Elle accusa le choc.

-De quelle légitimité tu parles ? Macnair est un psychopathe. D'ailleurs, je ne comprends pas pourquoi tu l'as invité.

-Et moi, qu'est-ce que je suis alors ? Tu sais que je le côtoie à toutes les réunions, qu'il nous arrive d'œuvrer ensemble ?

-Tu n'as rien à voir avec lui.

-Tu n'en sais rien, Aidlinn.

Il fit une pause et l'étudia avec toute la réprobation dont il était capable.

-Tu n'avais qu'à demander à Evan de voler à ton secours, non ? C'est ce que tu fais toujours.

-Tu sais bien qu'on ne se parle plus.

Avery avait beau ne pas être au courant des lettres, il avait depuis longtemps compris que quelque chose s'était cassé entre Evan et elle, elle n'avait jamais eu besoin d'en dire plus.

-C'est toi la menteuse, cette fois. Je sais que tu es allée au restaurant avec lui, qu'il est venu te voir au ministère quand j'étais absent.

-Ça n'a rien à voir, c'était…

Elle rougit, mais refusa de se laisser démonter face au ton accusateur d'Edern.

-Alors c'est à cause de ça que tu es en colère ? Parce que j'ai parlé avec Evan ?

Avait-il été en colère à cause de cela toute la soirée ? Elle sonda son visage revêche sans trouver de réponses.

-Non, je t'en veux parce que tu recommences à faire les mêmes bêtises. Il t'a blessée et toi, tu ne peux pas t'empêcher d'être en admiration devant lui, encore maintenant. Tu crois que je n'ai pas vu comme tu le dévisageais ce soir ? C'est lamentable.

-Lamentable ? C'est ce que tu penses de moi ?

-Oui.

-Parfait, pense ce que tu veux.

-Parfait.

Et il sortit de la chambre en claquant la porte, laissant un courant d'air froid derrière lui. Aidlinn fit les cent pas pour se calmer, affronta son reflet dans le grand miroir de la salle de bain attenante.

-Je ne suis pas en admiration devant Evan, répéta-t-elle inutilement.

Elle finit par aller se coucher dans le grand lit aux draps de satin. Incapable de s'endormir, elle contempla le plafond et les ombres qui s'y mouvaient. Elle imagina ses amis endormis derrière les murs, dans la paisible quiétude du château alors que l'aube lustrait la campagne au-dehors. C'était un étrange entre-deux qui mettait au défi la réalité. Il lui semblait presque que Macnair n'était jamais venu la voir, qu'elle ne s'était pas disputée avec Edern, que Rosier n'avait pas passé la soirée à l'ignorer ; elle aurait voulu demeurer ainsi pour toujours.


Désolée, le poème est long mais je ne me décidais pas à le couper... Sinon, on a enfin pu découvrir un peu Macnair !