72 | De belles paroles

Je me réveille le samedi en me disant que je vais me marier. C'est vraiment une idée étrange, alors je la répète à haute voix. Ça fait rire Defné.

"J'étais en train de me dire que c'était juste incroyable que ça finisse par arriver", elle me confirme.

"On doit être là-bas pour 16 h", je me souviens. "Pour voir comment se passe la cérémonie et je dois essayer ma robe - le tailleur doit l'apporter là-bas... "

"Largement le temps de sauver un type mordu par une chimère, d'écrire un article sur les usages lycanthropes des potions et de rassurer ta sœur sur sa prochaine maternité ", elle ironise en se pelotonnant contre ma poitrine.

"Largement", j'abonde. Ma main court sur son corps. "J'ai hâte de voir cette fameuse robe qu'on me cache !"

"On devrait se lever", elle conclut sagement, mais sans bouger.

J'aurais peut-être succombé à la tentation de manœuvres de diversion, mais j'entends nos deux prénoms clamés par Zef qui semble arriver en courant vers notre chambre. Il ouvre la porte avant que nous soyons totalement debout.

"Vous ne serez pas... là... ce soir ?", il hoquète au travers de larmes qui nous saisissent.

"De quoi tu parles ?", interroge Defné en le prenant dans ses bras.

Il se laisse faire, mais ne se calme pas. Et, comme Zef ne sait sans doute pas s'exprimer autrement, il nous pose la même question en italien, en turc et en arabe.

"Ce soir, on sera tous en train de fêter notre mariage", j'essaie.

"...Tante Gin..ny... dit qu'on... rentrera se... coucher ici, mais... pas... vous", il développe avec peine, toujours étouffé par les sanglots.

"Je crois que je ferais mieux d'expliquer", intervient alors Cyrus, arrivé je ne sais quand. Sibel est derrière lui. "Désolé pour le réveil. C'était censé être une surprise… une bonne surprise : une nuit d'hôtel pour vous deux... un moment à vous... "

"Ce soir ?", je vérifie. Est-ce qu'il ne m'avait pas promis qu'ils en avaient fini avec les cadeaux de mariage ?

Cyrus acquiesce sobrement, ses yeux dans les miens. Rien ne me vient. Je comprends la logique du cadeau comme la désolation de Zefir et je ne sais pas quoi dire.

"Ça me paraît ni utile ni judicieux ni même agréable de nous séparer des enfants ce soir, après toutes les émotions que nous aurons vécues", déclare alors sèchement Defné.

Je ne crois pas que Cyrus l'ait encore entendue parler à quiconque sur ce ton.

"C'est une mauvaise idée ?", vérifie mon frère, a priori plus surpris que blessé.

"Honnêtement, Cyrus, j'aime ton frère, je vais l'épouser, mais je n'ai pas besoin d'une nuit dans un hôtel de luxe pour le faire ", confirme Defné à peine moins froide et distante.

Cyrus grimace et me regarde comme on demande une confirmation. Les reniflements de Zef ponctuent le moment.

"Je pense que tout a été dit", je propose en m'essayant à arrondir les angles. "Ne le prenez pas mal, mais vous avez organisé le mariage ; vous êtes là tous les jours pour nous aider et nous soutenir ; mais on n'a pas besoin d'une nuit de noces dans un hôtel… Honnêtement, non."

"Message reçu", indique Cyrus. Sobre, sérieux, ni apparemment déçu ou blessé.

"Merci", je décide de rajouter pour le cas où il faudrait encore adoucir le refus. Votre décision, disent ses mains.

"Vous serez là ce soir ?", vérifie Zefir.

"Ce soir et tous les autres soirs", je promets avant d'emmener toute ma famille prendre le petit-déjeuner.

oo samedi Fondation

Grâce à la méticuleuse planification de Ginny et Brunissande, on est tous sur les lieux à 16h. Papa et Grand-père nous expliquent l'organisation de la cérémonie avec pas mal d'émotion contenue l'un et l'autre. Grand-père nous fait répéter qu'on souhaite bien un mariage sorcier et une adoption sorcière. Je lui répète que oui parce que, d'après notre avocate, c'est ce qui est le plus reconnu internationalement.

Grand-père précise encore qu'il appellera Altan à la fin de la cérémonie britannique pour qu'il donne sa bénédiction à notre mariage et à l'adoption. Defné explique aux enfants qu'ils devront, eux aussi, le reconnaître comme Bey et embrasser sa main - ils ont l'air de trouver ça normal et je me dis que ça doit m'aider moi aussi à accepter cette partie de la cérémonie.

Mãe arrive à la Fondation pile quand nous sortons de la salle de réception. Elle porte une veste longue grenat, une de ses couleurs préférées, ornée du blason des Aurors brodé au fil doré. Des mèches de ses cheveux rappellent la couleur de la tenue et elle semble porter une autre robe en dessous, mais elle me paraît très officielle.

"Ne vous inquiétez pas, je l'enlèverai après ma rencontre avec nos amis du Diwan", elle commente interprétant nos regards pour sa veste.

"Les symboles comme armure", estime grand-père.

"Dans ce cas précis, comme gage, Albus. C'est le Commandant des Aurors britanniques qui prendra des engagements, pas juste la maman de Kane."

Je sens que Defné hésite à s'excuser encore une fois de la position dans laquelle elle la met, mais Seamus Finnigan apparaît des tréfonds de la maison, un policier en uniforme sur ses talons, et pique droit sur Mãe : "Commandante, on m'a dit que tu étais arrivée ! Professeur Lupin, professeur Dumbledore", il rajoute selon une logique hiérarchique un peu bouleversée.

"Finnigan, est-ce que ça peut attendre 15 minutes ?", lui oppose Mãe avec moins de bonne volonté que souvent. N'ai-je pas été jaloux de ces collègues et subordonnés qui avaient si automatiquement toute son attention dès qu'ils apparaissaient dans notre environnement ?

"Certainement, Commandante. Pardon", recule Finnigan. "Tous mes vœux... docteur Lupin", il termine.

"Kane !", je le reprends. "Seamus, tu me connais depuis ma naissance ! Seamus a été longtemps le chef d'Iris et, bien avant, un copain de Harry, je précise pour Defné et les enfants.

"Pardon. Kane. C'est la liste des invités qui me rend formaliste... Un sacré mariage ! ", essaie Finnigan.

Je réalise avec une certaine stupeur qu'il est nerveux de la responsabilité qui est la sienne ce soir. Faute de meilleure idée, je lui présente Defné et il lui serre la main en répétant ses vœux de bonheur. Il va partir quand Mãe lui demande s'il sait quand les Karaman doivent arriver.

"Wintringham me préviendra quand ils quitteront l'hôtel. On aura un quart d'heure. Je te tiens au courant si tu veux, Commandante. "

"Merci. Je promets de passer faire un point avec toi."

Finnigan marque sa reconnaissance d'un signe de tête et entraîne le policier, que personne n'a présenté, avec lui.

"Tu ne vas pas faire cheffe d'équipe ce soir", s'insurge Papa quand les deux hommes ont disparu.

"Si l'un convive faisait un malaise est-ce qu'ils penseraient que c'est à d'autres de s'en inquiéter ?", rétorque Mãe en nous pointant du doigt, Defné et moi. Albus sourit et Papa admet sa défaite avec cette patience si particulière qu'il a pour ma maman, sa femme. Parfois, cette tolérance m'a agacé, parfois elle m'a donné envie de me moquer. Cet après-midi, je réalise que c'est un des secrets du couple de mes parents.

"Si vous avez besoin que je vous présente ou que je fasse une introduction", tente alors Defné.

"Nous nous sommes déjà rencontrés avec ton frère, Defné. Et vous en avez fait assez. On pirate votre mariage avec nos discussions. À nous de nous en débrouiller." Defné a l'air d'hésiter encore et Mãe en tire ses propres conclusions. "Je sais les enjeux pour Altan", elle précise. "Je vais faire de mon mieux pour que nos intérêts convergent."

"Je veux dire... Mon frère m'a fait dire par sa femme, Beren, que... qu'il ne voulait pas que ça ait l'air trop facile. Il pense que les nouveaux maîtres du Diwan lui feront plus confiance s'il a l'air de devoir vraiment négocier... pas que vous accédez à ses demandes à cause de moi... Ils ont peur qu'au final, il ait passé un accord avec vous et qu'il ne soit pas capable de les représenter vraiment."

Mãe regarde Grand-père et Papa qui opinent d'un air pensif.

"Merci de cette précision, Defné. Je vais donc me montrer dure en affaires puisque c'est le mieux pour lui. Mais comme l'a précisé Albus l'autre jour : toute ouverture est bonne à prendre pour nous ; tout cadre de discussion est mieux que la situation actuelle. Puisqu'ils sont demandeurs aussi, on devrait tomber d'accord."

Mãe vient juste de partir à la recherche de Finnigan qu'Iris arrive avec Sam. Elle porte une robe vert d'eau, très originale et légère, quasiment végétale. Sentant mon regard, elle pivote sur elle-même en disant : "Vivement qu'on danse !" pour se figer l'instant d'après : "Je peux danser, hein ? Ma-Li et Susan ont dit que je pouvais !"

"Écoute-toi", je lui conseille. Je sens bien le regard de Sam sur moi, j'imagine qu'il prie que je trouve les bons mots. "Si tu as envie de t'asseoir un instant, assieds-toi. Tu peux tout faire, mais ménage-toi. Arrête-toi avant d'être fatiguée, et tout ira bien."

On se retire ensuite au premier, entourés de nos témoins respectifs et des enfants qui formeront la haie d'honneur. Zefir et ses cousins sont avec moi, toutes les filles se pressant autour de Defné. D'étape en étape, on finit par être tous prêts, habillés et coiffés, à attendre d'être appelés, une demi-heure avant l'heure prévue pour la cérémonie. Je n'ai toujours pas vu la robe de Defné et j'ai la bouche étonnamment sèche. Presque plus le trac que pour ma soutenance de doctorat de médicomagie !

"Mãe, Grand-père, Altan et le conseiller du Diwan ont terminé leur entrevue", nous apprend Harry, parti aux nouvelles. "Grand-père lui explique maintenant la cérémonie... Je ne sais pas s'il y a un résultat à leurs discussions. Ah, Shermin est arrivée aussi... Elle a amené ses parents - elle est allée les chercher de ce que j'ai compris. C'est une surprise pour Defné."

"J'espère qu'elle appréciera mieux cette surprise-là", est le commentaire de Cyrus auquel personne ne fait attention à part moi

"Je crois qu'elle sera contente... si elle n'estime pas qu'ils prennent un risque politique...", je réfléchis à haute voix.

"A priori, le conseiller du Diwan avait l'air content de leur présence ", indique Harry. Comme depuis des semaines maintenant, il est mon conseiller en diplomatie, je décide de lui faire confiance.

"Oncle Kane, Grand-père dit que tu dois venir", annonce alors Candido envoyé en estafette.

J'avoue que la taille de la foule assemblée dans les grandes salles de réception de la Fondation me saisit. Aucune fête de la Fondation n'a jamais rassemblé autant de monde. Sans doute qu'il faut remonter au temps des Black, mais ce n'est pas le moment d'interroger Cyrus sur la question.

Je remonte l'allée centrale qui a été ménagée jusqu'à me placer face à mon grand-père. Il se dresse debout à côté d'une sorte de grande coupe qui me fait penser au tournoi des Trois sorciers, avec cette autorité tranquille qui semble toujours émaner de lui. Ses yeux bleus, pourtant, me paraissent rassurants. Iris et Virgil se placent à ma gauche. Iris tient la main de Zefir qui se raccroche au fait qu'il ne me quitte pas pour ne pas paniquer de nouveau, je le sais. Je lui souris pour essayer de le rassurer davantage.

Au murmure de la foule derrière moi, je comprends que Defné doit faire son entrée. Je ne sais pas réellement décrire les vêtements féminins, mais sa robe ne ressemble à rien de ce que j'ai pu voir dans ma vie. D'avantage une tenue sortie tout droit d'un conte. C'est une robe ivoire qui bruisse en glissant sur le sol autour d'elle. Le tissu miroite comme de l'eau et accompagne ses formes sans les contraindre. Le devant est assez décolleté, mais le dos est carrément réduit au strict minimum. Dans cet écrin qui me fait aussi penser à une sorte d'armure, Defné avance lentement suivi de ses témoins. Sur ses cheveux brun foncé, qui tombent en cascades savantes autour de sa tête, resplendit la tiare de Nour. Harry tient la main de Sibel. Ils finissent par se placer à notre hauteur. Je n'arrive pas à la quitter des yeux, même quand Grand-père se met à parler.

"Chers amis, nous sommes tous assemblés aujourd'hui pour unir Kane Léo Lupin et Defné Karaman. Nous avons tous une raison profonde d'être là et de nous réjouir de leur union", commente Grand-père. "Moi, le premier évidemment... C'est un grand honneur d'unir deux jeunes sorciers talentueux et dévoués au bien commun. Leur rencontre est aussi celle de deux communautés magiques qui ont certainement beaucoup à s'apprendre mutuellement. Gageons que la famille qu'ils fondent par cette union deviendra le symbole de cette rencontre fertile et heureuse... "

Le discours de Grand-père dure plusieurs minutes sur des thèmes proches. Je n'écoute plus réellement parce que je regarde Defné. Je me souviens de la première fois que je l'ai vue à Lo Paradiso avec deux énormes patous, une tenue de voyage marron un peu boueuse et un air hautain ; je me souviens de notre premier dîner, de ses yeux qui brillaient reflétant les bougies qu'on avait mis sur la table ; je me souviens de cette petite fille que nous avons mise au monde juste avant ma première pleine lune ; je me souviens de notre nuit à Venise... du moment où elle m'a embrassé dans le Centre international de Portoloins... Ai-je toujours mesuré combien elle était belle ? Voilà où j'en suis quand Grand-père s'éclaircit la gorge et qu'un murmure amusé parcourt l'assemblée.

"Pardon", je balbutie, réalisant que j'ai sans doute manqué un moment de la cérémonie.

"Je vais donc répéter ma question", sourit Grand-père et toute la salle derrière moi. "Kane Léo Lupin, acceptes-tu de prendre Defné Karaman pour épouse, de la chérir et de la protéger, de partager avec elle le reste de ta vie ?"

"Oui", je réponds avec toute la fermeté que je peux réunir.

"Es-tu prêt à engager devant témoins ta propre magie comme signe de ta bonne foi ?"

"Oui", je répète et je sens des frissons dans mon corps, comme si ma magie était aussi impatiente que moi.

"Defné Karaman, acceptes-tu de prendre Kane Léo Lupin pour époux, de le chérir et de le protéger, de partager avec lui le reste de ta vie ?"

"Oui", elle souffle.

"Es-tu prête à engager devant témoins ta propre magie comme signe de ta bonne foi ?"

"Oui", elle répète.

"Procédons, alors", indique Grand-père en sortant sa propre baguette.

Nous l'imitons tous les six et nous venons entourer la coupe. Harry et Iris n'ont pas lâché la main de nos enfants. Je me souviens de tous les mariages sorciers auxquels j'ai assistés depuis mon enfance et je me demande comment j'ai pu bâiller ou ricaner. Le moment est tellement fort que je sens mon cœur battre contre mes côtes et j'ai du mal à respirer.

"Les anneaux", demande Grand-père.

Virgil et Ginny les déposent dans la coupe et des flammes dorées viennent les entourer.

"Defné, Kane, vous allez offrir votre magie à la coupe et elle vous rendra ce don par le biais de l'anneau que vous porterez désormais pour clamer au monde votre union... Ceux que la magie a unis ne peuvent être désunis sans amoindrir leur propre magie... Vous comprenez cet engagement ?"

Nous répondons que oui.

"Moi, Albus Dumbledore, je donne ma magie pour unir les deux vôtres ", il clame alors, et je sens le flux magique qui provient de lui et nous enserre. Les flammes dans la coupe augmentent.

"Moi, Harry James Potter-Lupin, je suis témoin de l'union de vos magies", annonce alors mon frère aîné.

Virgil, Iris et Ginny reprennent à leur compte cette incantation et, à chaque fois, les flammes se font plus hautes. Je regarde Defné et elle cligne des yeux comme pour dire qu'elle est prête. J'envoie mentalement ma volonté magique vers la coupe. Pas besoin d'incantation ou de geste. Defné fait de même, je le sens. C'est à ce moment-là que les anneaux émergent des flammes, brillants et magnifiques. Suivant les indications de Grand-père, je prends l'anneau et le passe au doigt de Defné. En retour, elle glisse l'anneau sur mon annulaire. C'est furtif, mais je sens que ma magie et le bijou se connectent.

"Normalement à ce stade, nous serions contents d'applaudir cette union et de voir les nouveaux mariés s'embrasser. Mais nous avons autre chose à célébrer aujourd'hui. De même que Defné et Kane ont choisi un mariage sorcier, ils ont aussi choisi une procédure magique d'adoption. Nous allons donc les laisser prendre les mains de Sibel et Zefir et laisser la magie reconnaître la solidité de cette nouvelle famille."

Harry place Zefir entre Defné et moi sur le côté gauche de la coupe. Iris fait de même avec Sibel sur la droite. Nos mains se joignent et les flammes se soulèvent une nouvelle fois. Deux médailles d'or blanc gravé du dessin de la croix du sud avec un chapelet de rubis marquant les principales étoiles sortent des flammes. Cyrus a argumenté que tous les Lupin en portaient, qu'ils ne pouvaient pas y avoir d'exception et nous a procuré les médailles. Encore une de ces multiples petits détails que ma famille a su régler, je mesure, en espérant une nouvelle fois que notre refus de la chambre d'hôtel ait été compris. Je place la médaille autour du cou de Sibel ; Defné fait la même chose pour Zefir.

" Nous tous nous sommes maintenant témoins de l'appartenance de Sibel et Zefir à la famille Lupin et bientôt aussi au clan des Karaman", proclame Grand-père. "Je pense que maintenant tout le monde peut s'embrasser sous nos applaudissements."

Quand l'assistance s'est calmée et que Grand-père a appelé Altan Karaman à nous rejoindre, sa bénédiction de notre mariage ne dure que quelques secondes. Il l'accompagne d'un discours bref et un peu plat en faveur de la coopération entre les peuples. Comme à l'hôtel, il répète que le clan des Karaman a une tradition de protection des victimes de conflit et qu'il approuve l'adoption entamée par sa sœur, Defné, de Sibel et Zefir.

À l'issu de ce discours, je lui baise la main qu'il me tend avant de la porter sur mon front, comme les enfants, et il me tend en retour un couteau recourbé et orné de joyaux qui me donne, paraît-il, le droit de vote au conseil du clan. Je crois que Sibel et Zefir apprécient mieux que moi l'honneur que ça représente.

"Pour que ce couteau t'appartienne vraiment, Kane, il doit se connecter à ta magie", explique Altan presque à regret. Je ne sais pas si c'est le personnage qu'il pense devoir jouer ou s'il est agacé de me voir avec cet objet entre les mains. "Celle de ton sang."

Je le regarde en me demandant pourquoi il n'a pas jugé bon de me prévenir auparavant.

"La lame est très effilée, tu n'auras pas besoin d'appuyer beaucoup."

Un bref instant, je me demande si les Aurors ont examiné cette lame et si elle peut être empoisonnée. C'est une pensée totalement paranoïaque, je sais. Peut-on imaginer qu'Altan cherche à me tuer devant autant de témoins rassemblés, devant la cheffe des Aurors britanniques elle-même ?

"Mais je dois le faire avant pour que nos sangs se mêlent, comme ceux de frères", il rajoute avec une espèce de mélancolie qui sonne comme une main tendue. Sans attendre, il s'ouvre le pouce sur la lame effectivement aussi effilée que le meilleur de mes scalpels. Comme je ne l'imagine pas suicidaire, je l'imite et je crois bien voir pour la première fois une espèce de vraie reconnaissance dans ses yeux. La lame vibre de la magie libérée par les sangs mélangés et pour la première fois, je réalise que, peut-être, je fais effectivement maintenant partie du clan Karaman.

L'oncle et la tante de Defné sont les premiers à venir nous féliciter en répétant que Nour et Oben seraient fiers de nous. Defné pleure de les voir là, les remercie d'être venus et s'excuse tout à la fois du peu d'efforts qu'elle a faits pour les tenir au courant de sa vie. Sa tante dit que Shermin leur a dit l'essentiel. Defné finit par nous présenter, moi et les enfants. L'oncle profite que sa femme embrasse les enfants pour me dire qu'il pense qu'Oben aurait aimé m'avoir pour gendre et que c'est un grand jour parce qu'enfin Defné semble avoir trouvé sa place dans le monde. Il désigne le couteau et me dit qu'il est sûr que je saurais en faire bon usage. C'est suffisamment intimidant pour que je ne sache rien répondre.

Granny et Grand-père Ted viennent ensuite et je réalise qu'ils n'ont jamais encore rencontré Defné comme, moi, je n'avais encore jamais rencontré son oncle et sa tante. Je me promets qu'on va arrêter de courir et prendre le temps de vivre vraiment sans savoir si je saurais tenir cette promesse.

Les agapes commencent peu de temps derrière ça, l'assistance se répartissant autour de tables que j'ai renoncé à dénombrer. Je vois des amis - Severus, Susan, Livia, Luca sont à la même table, je note. Je vois des officiels, dont notre Ministre en titre ou Ingiusto, le sous-commandant des Aurors italiens, tous deux grands potes de Mãe. J'imagine que les autres qui se retrouvent attablés avec eux ont des pedigrees de même acabit. Genre Carley et Dawn Paulsen que je vois discuter maintenant avec Bershank, le conseiller du Diwan. Je vois aussi des figures inconnues en nombre saisissant. Je vois des Aurors en uniforme, dont mon ami Heathcote et l'aspirant d'Iris, surveiller les salles et les allées et venues.

Dans cette effervescence étonnante, je me retrouve à la table d'honneur avec nos témoins - sauf Harry et Iris - et leurs conjoints. Mes parents, Altan et sa femme, Bershank, sont à la table d'à côté. Mes deux frères, mes belles-sœurs, Shermin, Ron et Hermione, Lucas et Livia sont regroupés à une autre. Une troisième réunit Grand-père Albus, Granny et Grand-père Ted, les parents de Shermin, Livia et Lucca. A priori rassurés, Sibel et Zefir ont été contents de rejoindre leurs cousins. Les enfants d'Altan et Roméo se sont joints à la tablée. Je sais que Ginny a trouvé des baby-sitters pour veiller à ce que tout se passe bien.

Je ne sais pas exactement ce que je mange, mais c'est bon. Je bois aussi du champagne apporté en masse par Brunissande et je me laisse porter par l'euphorie générale et profonde qui m'envahit. La main de Defné dans la mienne.

Virgil est le premier à se lever pour faire son discours de témoin juste avant qu'on en arrive au dessert. Il porte des robes bleu marine de très bonne coupe et il a une assurance qui ne peut que mettre en valeur ses paroles : "J'ai connu Kane, ici, dans cette pièce. J'étais un de ces pauvres gamins qui arrivaient à la Fondation, fraîchement mordus et terrifiés de ce que la vie pouvait encore leur réserver. Et je suis tombé sur Kane et Iris, les enfants de Remus. Des enfants si normaux - si merveilleusement normaux, j'ai envie de dire. Ils en savaient plus que moi sur les morsures et les transformations lycanthropiques - je crois que c'est toujours le cas pour Kane. Ils connaissaient toutes les cachettes de cette maison. Ils n'avaient pas spécialement peur de l'avenir, ou des Aurors, ou des sorciers. Ils m'ont offert leur amitié et ça, ça n'a pas de prix. Je ne sais pas si c'est le genre d'anecdotes qu'on raconte à un mariage, mais c'est à leurs côtés que j'ai osé relever la tête. Pas qu'ils en aient fait plus que les animateurs de la Fondation, mais ils ont toujours été là - en particulier quand le monde venait me rappeler que je ne serais jamais, moi, un sorcier tout à fait normal. Peut-être que je m'adresse en fait à Sibel et Zefir pour leur dire qu'ils doivent croire à leur chance parce qu'elle a mis quelqu'un comme mon ami Kane sur leur chemin."

Ma-Li essuie une larme et applaudit à tout rompre le discours de son mari. Samuel lui tape dans le dos quand il se rassoit. Les elfes remplissent les coupes qui sont vides. Sans que j'aie anticipé la suite, Ginny est debout à la table d'à côté, l'air étonnamment sérieuse :

"C'est un moment... émouvant pour moi", elle commence avec une émotion assez palpable. "On pourrait penser qu'avec six frères, j'ai déjà été témoin mais, non, c'est la première fois. D'ailleurs, ce n'est pas Kane non plus qui m'a choisie. Je crois que le message est clair : ceux qui me connaissent bien savent que je donne bien assez mon avis sur tout. Ils n'ont pas besoin de m'assigner un rôle de témoin." Il y a les rires attendus, Ginny n'attend pas totalement qu'ils se soient apaisés pour reprendre : "Je ne vais pas avoir d'anecdotes croustillantes ou attendrissantes à raconter sur Defné non plus. On ne se connaît que depuis quelques mois et vraiment mieux que depuis quelques jours. Mais, puisque tu m'as demandé d'être ta témoin, Defné, voilà de quoi je peux témoigner : tu es quelqu'un d'infiniment courageux et sincère. Vu ma lignée de Gryffondors, je pense que personne ne contestera mon expertise en la matière !"

Cyrus commente que personne n'est assez fou. Les autres rient de nouveau - les Weasley avec force. Je me demande ce que la famille de Defné comprend de tout cela, mais Ginny continue :

"Entrer dans cette famille n'est jamais banal. Ni Dora, ni Brunissande, ni Samuel ne me contrediront, je pense. Mais moi, je crois que tu as plus que la carrure pour te faire ta place parmi nous. Tu as déjà pris nos cœurs, Defné, et nous sommes fiers de te compter parmi nous !", termine Ginny en levant sa coupe vers Defné dont les yeux verts pailletés sont profondément émus.

Ils ont dû se répartir les tours de rôles, voilà ce que je me dis quand Iris se lève, quand l'émotion de la sortie de Ginny est retombée. Elle a l'air rayonnante, voilà ce que je me dis aussi quand elle plante ses yeux gris dans les miens.

"Kane... je sais bien que tu n'as pas eu le choix ; même enceinte et même convalescente, je t'aurais retrouvée et fait payer si tu ne m'avais pas faite ta témoin. Mais je suis fière quand même. Je suis fière d'être là, à tes côtés, non seulement pour accueillir Defné dans notre famille - comme l'a dit Ginny, elle y a déjà toute sa place, mais aussi pour accueillir les deux neveux que tu nous as choisis... T'as toujours aimé faire les choses en grand : les conneries comme les bonnes notes - ce mariage et cette famille que tu t'es construite, Kane, justement quand on ne s'y attendait pas, te ressemble terriblement. Defné, Sibel, Zefir... vous êtes la famille de mon jumeau. Vous êtes ma famille, notre famille. Ton frère a parlé de clan et de sang tout à l'heure pendant la cérémonie. On n'a pas de dagues, pas d'armes, pas de devises, mais on est endurants, tenaces et inécartables dans notre amour." Elle doit essuyer des larmes pour finir. "Bienvenue, donc. On a toute une vie à partager devant nous... Merlin... heureusement que je ne pleure pas comme ça au Magenmagot !"

Je me lève pour la prendre dans mes bras. Je croise alors le regard de Mãe qui a les larmes aux yeux et je me demande pourquoi on ne se demande jamais si et quand les Aurors pleurent. Dans le fond de la salle, Brunissande veille à la mise en place de la pièce montée avant son feu d'artifice, quand Harry se lance à son tour dans l'exercice.

"Ce n'est pas une chose facile d'être le dernier à parler et de trouver quelque chose d'intéressant à dire ! Je pourrais parler du petit frère qui est entré dans ma vie quand j'avais quatorze ans et qui est certainement responsable en partie de l'adulte que je suis devenu. Ce sont les enfants qui révèlent aux adultes quels types d'adulte ils peuvent être. Mais je vais m'adresser à toi, Defné... "

Il y a des sifflets et des applaudissements. Peut-être que les gens espèrent qu'il finisse vite pour pouvoir manger les desserts et se mettre à danser. C'est souvent ce que j'attendais, moi, à un mariage. Mais là, moi, je regarde Defné regarder Harry, avec ces yeux verts pailletés qui ont fait chavirer mon cœur il y a des mois.

"J'ai appris à te connaître à Lo Paradiso et, chaque journée passée auprès de vous, j'ai mieux compris comment tu avais su capturer le cœur de mon plus jeune frère. Tu es capable de lui tenir tête, tu es capable de l'inspirer, tu es capable de le seconder dans son travail et dans ses choix, mais aussi de lui montrer la voie quand il la perd - et on est nombreux ici à savoir combien il peut parfois se perdre dans sa propre tête !"

La salle rit, évidemment, moi, je suis content d'avoir bu assez de champagne pour être protégé de mes propres émotions.

"Defné, tu cumules des qualités qui feraient croire au destin qui vous aurait fait vous croiser et vous reconnaître au fin fond des montagnes italiennes - et pourtant, les Lupin officiellement ne croient pas au destin", sourit encore Harry. Ron s'en étrangle de rire à sa place et Papa lève les yeux au ciel. Harry remonte ses lunettes avant de conclure : "Je suis fier d'être le témoin de votre engagement et je suis sûr que vous n'avez pas fini de nous étonner..."

Après les desserts, Brunissande, qui reste la maîtresse de la cérémonie bien plus que grand-père, nous invite à ouvrir le bal, Defné et moi. J'ai découvert il y a deux jours que Defné avait appris les danses de salon dans son école turque. Il paraît que ma valse est maintenant très influencée par la salsa, mais notre prestation n'a rien de ridicule et ouvre efficacement les festivités. Pendant presque une heure, on peut ainsi voir Defné danser tour à tour avec son frère et tous ses beaux-frères pour finir dans les bras de Papa ; moi, inviter une Beren Karaman qui danse avec compétences et applications, mais résiste à tous mes efforts de conversation ; Mãe entrainer Grand-père sur la piste puis Dario Ingiusto ; ce dernier invite ensuite Livia Astrelli, et je veux y voir un signe de paix envers Lo Paradisio ; Siorus se risque à entrainer la fille aînée d'Altan et Beren, montrant qu'il faudrait peut-être des cours de danse à Poudlard ; Livia et Papa partagent une danse en même temps que Virgil et Ma-Li et je me demande comment la demeure Black ressent autant de lycanthropes heureux en son sein. La curiosité des Britanniques pour le moment où notre Ministre danse avec Mãe n'est éclipsée que par la prestation de Severus et Susan tournoyant avec une compétence qui provoque des applaudissements sincères. Wintringham, à qui je tente en vain de faire accepter une coupe de champagne, me confie que c'est l'image la plus insolite qu'il gardera de mon mariage.

"Pas le nombre de garous en tenue de soirée dansant à côté du Ministre ?" je lui oppose et il reconnaît que c'est un symbole fort, mais promet que jamais il n'aurait pensé que Rogue savait danser.

Iris obtient ensuite qu'on mette de la salsa et elle m'entraîne sur la piste avec autorité et compétence. C'est après tout elle et Samuel qui avaient embarqué tout notre petit groupe à fréquenter les salles de danse latino moldues sous le prétexte fallacieux d'une enquête dont je ne me rappelle plus les tenants et les aboutissants.

"Tu es heureux ?", elle demande.

"Je n'aurais jamais cru que mon mariage ressemblerait à une rencontre politique internationale doublée des vœux du Ministre et d'un bal de fin d'année à Poudlard où les profs danseraient", je souris en la faisant pirouetter avec mesure. "Mais je suis heureux… au final… "

"Ça se voit", elle me répond à la passe suivante. Elle n'est même pas essoufflée, je m'en assure avant de l'envoyer virevolter de nouveau.

"Tu sais où en sont les négociations internationales ?", j'enquête même.

"A priori, ça avance dans le bon sens", elle me répond. "Je n'aurais jamais cru qu'un jour tu t'intéresserais sincèrement à un truc pareil."

"Je manquais de motivation personnelle", je reconnais et elle rit tellement qu'elle en perd le rythme. Je la ramène à Samuel qui arrive à la faire assoir et je pars à la recherche de Defné que je trouve discutant avec sa cousine et sa tante, un Zefir un peu endormi sur les genoux.

"Defné me disait que vous étiez un grand médecin, un pédagogue incroyable et un mari attentionné", me raconte la tante de Defné. Son anglais est moins pur que celui de Shermin ou Defné mais il fait honte à mon turc. "C'est presque trop pour un seul homme !"

Je décide de prendre le temps de composer la réponse la plus sincère possible.

"Il y a quelques mois, j'étais un jeune médecin qui ne savait pas ce qu'il voulait faire de sa vie, pensait que l'amour arrivait aux autres et qu'il était bien loin de jamais être en capacité de fonder une famille..."

"Et ?"

"J'ai rencontré Defné. C'est ce qu'on dit mon frère et ma sœur dans leur discours", je lui rappelle. "Et, ensemble, on a rencontré Sibel et Zefir."