En guise d'épiloque | Qu'importe le nom

"Une petite fille ?", je répète les yeux sur les sommets les plus lointains, encore soulignés de blancs malgré la chaleur de ce mois de juillet. Je crois que le panorama me manquera.

"Ils l'ont appelée Faïs", m'explique Defné dans le miroir. "Il paraît que, dans un dialecte du sud de la France, ça veut dire le lien ou chose liée. Et Harry a insisté sur le fait que ça se prononce pareil en anglais qu'en français."

J'opine dans le vide. Je me souviens de cette règle choisie par Harry et Brunissande depuis Caël, leur aîné. Je me dis qu'il faudrait que je cuisine Iris pour savoir vers quels prénoms, ils s'orientent. Je suis bien placé pour savoir qu'Iris a donné à ses poupées des prénoms d'impératrices, mais j'ai du mal à savoir si elle pourrait vendre Cléopâtre ou Arsinoé à Samuel ! Pour un peu j'appellerais séance tenante.

"Les grands sont contents ?", je questionne plutôt.

"Plutôt. Aelys est très déçue que je sois là sans Sibel", me signale Defné.

"Tu n'as qu'à la ramener avec toi ; ça fera des vacances à ses parents. Tu rentres quand ?", je souris.

Defné a répondu positivement à la demande de Brunissande d'être celle qui l'assiste dans la naissance de son dernier enfant. L'accouchement a eu lieu ce matin dans le domaine viticole qui appartient à la famille Desfées depuis des générations. Un domaine dans lequel j'ai passé des tas d'été avec elle et Harry et même mon dernier Noël. Defné est partie depuis près d'une semaine et je sais qu'elle manque autant à Zefir et Sibel qu'à moi.

"Quoi ? Tu serais débordé entre les enfants, le dispensaire et tes recherches", elle ironise. J'ai suffisamment répété que je m'en sortirai quand l'idée a été discutée pour ne pas être surpris.

"On s'en sort", je promets. "Tu nous manques tout le temps, mais on survit. Les enfants n'ont ni maigri ni volé dans les placards de la cuisine. Ils sont propres et couchés à peu près à l'heure. Honnêtement, tu pourras demander à Timandra !"

"J'en suis certaine", elle sourit. "Je ne minimise pas du tout tes capacités à faire face à bien plus complexe que deux enfants, Kane. Mais je vais être contente de vous retrouver... Après-demain, je pense. Brune se remet plutôt très bien et elle est entourée. Trois jours au maximum. Bien avant la pleine lune !"

Je ne relève pas. On est effectivement loin de la pleine lune, qui reste un moment compliqué à gérer tant que je continue mes observations sur le réglage des nouvelles potions adaptées aux réactions d'allergie et que nous n'envisageons pas de laisser Sibel toute seule traverser cette épreuve mensuelle. De lune en lune, l'accompagnement musical est rentré dans les pratiques de Lo Paradiso - presque plus de rires quand les orchestres apparaissent au moment des distributions de potions et d'autres personnes qui supportaient moins bien que les autres en bénéficient maintenant. Shermin, Cyrus et Severus avancent dans leurs théories. Maintenant que nous avons documenté que certains lycanthropes sont parfois trop sensibles et d'autres pas assez à l'influence de la lune, et que ça interfère avec leurs réactions à la potion, Severus et Livia viennent de tomber d'accord pour essayer d'élargir cette approche à d'autres potions où le cycle lunaire joue une influence. Ils parlent même d'écrire un article ensemble. Je me contente de leur faire les observations les plus précises possibles, même si je mesure que nous ne sommes pas loin d'avoir le matériel pour écrire un nouveau pan de théories médicales magiques. Peut-être que ça changera quand je serai à Sainte-Mangouste. Peut-être que j'aurais envie d'aider à valoriser tout ça. Pour l'instant, j'essaie de faire le maximum d'observations avant de partir et de laisser un dispensaire fonctionnel derrière moi.

Lors de la prochaine pleine lune, Olivier devrait m'accompagner puisqu'il devrait me remplacer à partir de septembre quand nous retournerons à Londres. Laricio, le bébé de Pina, qui nous a attendu pour accoucher, aura bientôt trois mois et ils ont l'air de prendre lentement, mais sûrement, qu'en septembre, Pina pourra reprendre un service partiel et qu'ils feront face. Personne au Conseil ne semble en douter. Et moi, je suis rassuré que l'intervention de Mãe et la plaidoirie de l'avocat que Pina aient payé et que la remise de peine de Calvin ait été refusée. Il doit attendre une année avant de poser une autre demande. Iris pense qu'il ne lâchera jamais et Pina non plus, mais une année, c'est plus que le temps que j'aurais passé à Lo Paradiso. Comme on voit combien ça aura changé ma vie, on peut être optimiste, non ?

Cet été, lentement, presque à mon insu, la page de ma présence à Lo Paradiso est en train de se tourner. Je le vis avec moins nostalgie et de crainte que je ne l'avais anticipé.

On sait dans quelle école iront les enfants. Dans la même que leurs cousins quand ils sont à Londres ou que les enfants Weasley. On sait où on habitera - à mi-chemin entre Iris et l'enclos Lupin-Weasley. Au départ, mes parents ont proposé qu'on habite dans leur appartement, et on a commencé par dire oui. Puis Iris dans ses promenades journalières a vu une maison en vente près du parc où elle aime aller. Elle nous a envoyé des photos et on a été tentés. J'aurais pu financer l'affaire en y mettant toutes mes économies et en me faisant aider par ma famille comme Iris avant moi. Mais Defné s'est alors souvenue de sa part d'héritage, qu'elle n'avait jamais réclamée à son oncle, mettant un point d'honneur à l'époque à se revendiquer indépendante financièrement.

"J'ai bien réclamé la tiare", a-t-elle argumenté comme si j'avais besoin d'être convaincu.

"Et que faut-il faire pour réclamer cette part ?", j'ai demandé, craignant déjà devoir être celui qui fasse la démarche et agite le couteau courbé offert lors de la cérémonie.

"Je vais appeler Altan", a répondu Defné d'un air décidé.

On a pu acheter la maison la semaine suivante. Une nouvelle fois, j'ai vécu ça comme une promotion éclair au rang d'adulte. Une femme. Des enfants. Une maison. La maison permet d'ailleurs d'envisager d'emmener Menininha avec nous.

"Et, c'est une bonne nouvelle, hein, que tu restes avec nous ?", je lance à ma petite chienne qui m'accompagne diligemment alors que nous redescendons du lac. "On va être en retard pour les enfants", je constate en allongeant le pas même si je sais que ça ne suffira pas. Menininha a dressé les oreilles au mot "enfant" comme toujours. "Ils joueront avec leurs copains", je continue de me justifier.

Je traverse le Bourg en répondant aux salutations et en me demandant si cette reconnaissance sociale de tout instant va me manquer à Londres, dans l'anonymat du quartier moldu. Ou est-ce que ce sera une liberté ? Je vais exercer à Sainte-Mangouste, avec la responsabilité d'une équipe aux urgences et des missions d'appui dans le service de Susan. C'est une sacrée promotion et une sacrée responsabilité, mais je le vis pour l'instant plutôt avec sérénité. Je dirais que depuis qu'on est arrivé à surmonter toutes les épreuves sur le chemin de notre mariage, je suis assez optimiste sur le reste.

C'est avec toutes ces pensées en tête que j'arrive devant l'école où pas mal d'enfants jouent encore. Sibel me voit et se fige - d'habitude, elle court vers moi. Il me semble qu'elle ne le fait finalement qu'à contrecœur et peut-être parce que Menininha va à elle. Je ne vois pas Zefir.

"Désolé, je suis en retard", je commence par m'excuser - je sais à quel point ils ont besoin de routine et de certitude au quotidien. "La bonne nouvelle, c'est que Defné sera là au plus tard dans trois jours et que tu as une nouvelle petite cousine. Elle s'appelle Faïs." Sibel répète le prénom. "Où est Zefir ?"

"Avec Cesare", elle me souffle en baissant la tête.

"Il a fait une bêtise ?", j'enquête.

"Il s'est battu", elle répond sans aucune émotion dans la voix. "Ce n'est pas bien", elle rajoute diligemment.

"Tu sais pourquoi ?" Sibel hausse les épaules et je me dis que je ne vais pas insister. "Je vais aller voir Cesare. Tu m'attends là ?"

Sibel commence par me laisser partir puis elle me rattrape : "Kane... Il ne faut pas être en colère... Je lui ai dit d'ignorer mais... Je suis sûre qu'il regrette... "

Je me dis que cette gamine avec ses nattes un peu défaites et ses yeux vert bleu a un courage que pas mal d'adultes aimeraient avoir.

"Je vais voir ça", je lui promets. "Je vais faire de mon mieux pour comprendre", je formule reprenant notre expression familiale. D'habitude, ça les fait sourire. Là, elle se contente d'opiner l'air dépassée par la situation.

Cesare a l'air plus content de me voir que Sibel.

"Ah, Dottore ! On t'a dit", il suppose.

"On ne m'a pas dit grand-chose", je précise.

Zefir sur le banc contre le mur sur lequel il est assis à l'air de porter sur ses épaules tous les malheurs du monde. Il a levé les yeux à mon entrée et les a vite rebaissés. Merlin, mais comment font les adultes pour accepter de rendre aussi malheureux quiconque ?

"Zefir et Paolo se sont battus", soupire Cesare. "Paolo vient de repartir avec sa maman qui viendra sans doute s'excuser auprès de toi, Dottore. Elle était horrifiée à l'idée que tu serais mécontent."

"Magnifique", je regrette avec sincérité.

"Et je ne sais toujours pas ce qui les a fait se battre, Dottore. Aucun des deux n'a voulu expliquer."

"Je peux ?", je demande en montrant Zefir sur son banc.

"Bien sûr, Dottore. Je veux juste sensibiliser les parents au problème, mais je ne suis pas la solution."

Je me retiens de dire combien je ne me considère comme la solution de rien et je vais m'asseoir à côté de Zefir. Cesare a l'air de se demander s'il doit partir, mais je lui fais signe de rester. Il s'installe à son bureau et fait semblant de corriger des cahiers.

"Je t'écoute, Zef", je lance.

Il ne me dit rien. J'aurais envie de dire qu'il ne me dit rien en quatre langues.

"Zefir, on s'explique. On peut ne pas arriver à garder son calme. On peut faire des bêtises. Mais dans notre famille, on s'explique. On fait de son mieux pour expliquer son geste. On réfléchit et on met des mots dessus. Dans la langue que tu veux - sauf l'arabe parce que je suis toujours incapable d'avoir ce niveau-là de conversation ", je rajoute, conscient que le gamin à mes côtés du haut de ses presque six ans a des compétences linguistiques plus élevées que les miennes. Cesare ravale un petit rire qui dit qu'il m'écoute lui aussi.

Zef met encore de longues secondes à composer une réponse - en italien - mais je crois qu'il s'est convaincu que j'attendrai le temps qu'il faudrait.

"Je... Paolo a dit que... je n'avais pas le droit de dire que tu étais mon papa". Cesare dresse l'oreille à ça. "Je racontais qu'on était allé au lac... et j'ai dit avec mon papa... et il a dit, ce n'est pas ton papa... si c'était ton papa, tu l'appellerais papa et pas Kane..."

"Ça t'a fait de la peine", j'imagine.

"J'ai... j'ai voulu le faire taire", avoue Zef.

Je l'enserre de mes bras pour le remercier de sa confession. Par-dessus sa tête, je vois Cesare qui a l'air désolé.

"Être le fils du Dottore est un grand statut", propose l'instituteur. Me dire ça à moi, qui suis toujours le fils du Directeur de Poudlard et du Commandant des Aurors britanniques...

"Zefir... est-ce que tu aimerais m'appeler autrement que Kane ?", j'enquête.

"Je peux ?"

Voilà qui répond à ma question.

"Zef... est-ce que tu m'as déjà entendu dire, voici, mon fils Zefir ?" Il opine. "Est-ce que ça répond à ta question ?"

"Mais, tu... vous n'avez jamais dit comment vous appeler !"

J'ai une fugace vision de Sibel et Zefir discutant de la question la nuit dans leur lit et ça me fait sourire.

"Honnêtement comme vous voulez, Zef. Papa, Daddy, Abba... ce qui a du sens pour vous en aura pour nous", je promets. "On a tous appelé ma maman, Mãe, qui est une appellation portugaise, parce que Cyrus venait du Brésil et a choisi ça", je raconte et je vois que ça l'intéresse. "Il y a toujours eu des gens pour s'en étonner, mais pour nous, c'était normal. Si Kane et Defné, ça vous va, à nous aussi."

"Ce qu'on veut ?" J'opine.

"Le mieux est qu'on attende que ta maman, Defné, soit là et qu'on en discute tous les quatre. Mais je crois bien qu'elle sera d'accord avec moi."

Zef lève la tête vers moi, semble se convaincre que je suis sincère et se colle contre moi. Moi, je me demande si je suis capable de mener la conversation qui doit suivre. Je cherche assez désespérément une issue et j'entrevois une piste qui vaut ce qu'elle vaut. Defné n'est pas là pour me dire ce qu'elle en pense. En fait, il n'y a que moi qui puisse faire quelque chose et seul ce que je peux faire a une quelconque utilité.

"On va aller chez Paolo et tu vas t'excuser de l'avoir frappé", j'annonce donc de ma voix la plus calme alors que mon cœur bat plutôt très vite. Je n'aurais sans doute aucune crédibilité face à Sibel, je réalise.

"Tu veux ?", vérifie très bas Zefir. Dire que l'idée ne lui plaît pas spécialement est sans doute un euphémisme.

"Je comprends que tu aies été en colère. Mais on ne frappe pas les autres juste parce qu'on est en colère ", je confirme le plus tranquillement que je peux.

Il s'essuie les yeux avant d'arriver à articuler : "Je sais, Kane. Mais... c'est dur..."

"Je sais", je lui concède. "Ça demande des efforts. Mais ça vaut le coup. C'est toujours mieux de rester calme et de ne pas rentrer dans la bagarre. On va aller le voir, tu vas t'excuser et, moi, je vais lui expliquer qu'il se trompe : quel que soit le nom par lequel tu m'appelles, je suis ton papa maintenant."

ooo

Quand Defné descend du camion, Zef et Sibel se jettent sur elle en criant : "Defné Mummy !"

J'ai essayé d'attendre son retour pour qu'on choisisse effectivement tous les quatre mais, dès le soir de cette histoire à l'école, Sibel comme Kane ont décrété que, si la langue de la famille était l'anglais, si on partait bientôt à Londres, le mieux était de choisir Daddy et Mummy. Les deux font des mélanges qui sont souvent marqués par le turc et les amènent à m'appeler "Kane Daddy" comme ils diraient "Kane Bey". Je laisse faire parce que je suis assez convaincu que c'est une transition. Timandra a officiellement approuvé l'évolution d'un "il était temps". Que j'ai emmené Zef s'excuser a fait plusieurs fois le tour des conversations du village avec des commentaires divers, mais généralement positifs. Le père de Paolo est venu me répéter que j'étais un grand homme en plein milieu du réfectoire.

"Mummy ?", relève Defné en me regardant.

"On a eu une promotion en ton absence", j'indique.

"Tu veux bien ?", vérifie Sibel.

"Je serai honorée", promet Defné la main sur le cœur.

"Ça veut dire oui", je traduis pour Zef qui me regarde.

FIN

ooo

Je vais vous mettre un bonus pour Iris et puis on partira sur Dora... et sa passion pour le rose bonbon.