De mémoire vivante, nul autre qu'un jotunn n'avait été autorisé à pénétrer dans le grand temple d'Utgard, et encore les occasions étaient-elles limitées pour qui n'appartenait pas à la prêtrise. Le lieu était sanctifié et tel il le resterait.
Du moins cela avait-il été le cas jusqu'à ce que les forces d'Asgard changent la donne. Odin sentait douloureusement l'hostilité des murs à son endroit.
Profanateur. Sacrilège. Impie.
Le pire était qu'il ne pouvait même pas protester – il avait répandu le sang, massacré les prêtres et saturé l'air de râles d'agonie là où il n'y aurait dû y avoir que sérénité et contemplation. Mais quel autre choix lui avaient laissé les jotunn ? Même aux trois quarts morts, ils s'acharnaient à combattre. Rien moins que le pire des traumatismes ne pouvait les faire reculer, renoncer à leur guerre.
Alors c'était ce qu'Odin leur avait donné.
(que dirait sa mère, si elle pouvait voir ce qu'il a infligé au peuple dont elle est née, il ne veut même pas l'imaginer)
C'était un traumatisme également qui les contraindrait à se retrancher, à reconstruire, à repenser leur doctrine de vie, et pour cela, Odin avait décidé de s'emparer du Coffret des Hivers Anciens en guise de butin de guerre : maintenant qu'ils savaient ce que pouvait leur coûter un conflit, les géants y réfléchiraient à deux fois avant de s'exposer à potentiellement revivre l'humiliation de la défaite.
Avec de la chance, ils rumineraient assez le désastre pour se détourner de leurs coutumes chaotiques une fois que leur prince leur aurait été rendu.
Odin ne s'attendait pas à trouver la Reine de Jotunheim dans le grand temple, mais un temple n'était-il pas également sanctuaire ? Il avait cru que les gardes et serviteurs cherchaient à protéger un inestimable trésor alors qu'ils essayaient de le tuer et d'empêcher son approche, et de quel trésor s'agissait-il.
La Reine avait malheureusement succombé à la naissance, désormais un cadavre vidé de souffle, hâtivement recouvert d'une parure de laine savamment brodée en guise de linceul, mais son enfant vivant et pleurant vigoureusement dans les bras morts de la servante ayant voulu fuir. Petit, pour la progéniture d'un Géant, mais déjà porteur des marques de la lignée royale et capable d'une magie assez puissante pour imiter la peau d'un Ase.
Éduqué convenablement, soigneusement, un prince pourrait faire toute la différence pour Jotunheim.
(et peut-être aussi Odin essaie-t-il d'échapper aux spectres de la guerre, qui sifflent haineusement dans son ombre et l'accusent de les avoir menés à leur perte)
(peut-être essaie-t-il de se racheter une bonne conscience)
Lorsqu'il quitte le temple, il emporte avec lui l'enfant et laisse derrière le corps de la mère.
Seul.
Oublié.
Elle n'est plus qu'un cadavre, après tout. Quelle importance pourrait-elle donc posséder ?
