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Chapitre n°30 :

Blocage


- Non ! aboya Kas'im en écartant avec dédain le sabre d'entraînement de Bane avec le sien. Tu te trompes ! Ta première transition est trop lente, et tu laisses ton flanc gauche ouvert à une contre-attaque.

Le Maître bretteur lui enseignait une nouvelle séquence, et cela depuis plus d'une semaine. Pour une raison inconnue, Bane ne semblait pas parvenir à saisir les subtilités des mouvements. Il maniait sa lame avec maladresse.

Il recula et reprit la position, le sabre levé devant lui. Kas'im l'observa brièvement, puis imita son apprenti. Bane prit une profonde inspiration pour se concentrer, avant de recommencer la séquence.

Ses muscles prirent instinctivement le contrôle de ses mouvements. Sa lame fendit l'air dans un sifflement lors du premier mouvement, puis enchaîna le deuxième – mais trop lentement. Kas'im glissa sur le côté et décrivit un large et rapide arc dans l'air avec son arme à double-lame, qui frappa violemment Bane dans les côtes.

Il en eut le souffle coupé, et sentit immédiatement la vive douleur des barbillons de pelkos, puis l'engourdissement familier envahit la partie gauche de sa poitrine. Il recula en titubant, impuissant. Kas'im le dévisagea en silence. Bane s'efforça de rester bien droit, mais sans succès. Il s'effondra à terre. Le Maître bretteur secoua la tête de déception.

Bane se releva difficilement en tentant de dissimuler sa frustration. Cela faisait presque trois semaines qu'il avait battu Fohargh dans le cercle et depuis, il s'entraînait avec Kas'im en session individuelle afin d'améliorer sa technique de combat au sabre-laser, mais il ne faisait aucun progrès.

- Je suis désolé, Maître. Je vais de nouveau travailler mes exercices, dit-il en serrant les dents.

- Tes exercices ? répéta le Twi'lek d'une voix cruelle et railleuse. À quoi bon ?

- Je... je dois encore travailler la séquence, pour devenir plus rapide.

Kas'im cracha au sol.

- Si tu crois vraiment cela, alors c'est que tu es stupide.

Bane ne sut quoi répondre et demeura silencieux.

Le Maître bretteur s'avança et lui donna une claque sur l'oreille. Elle n'était pas destinée à le blesser, mais à l'humilier.

- Fohargh était mieux entraîné que toi, s'exclama-t-il avec hargne. Il avait beau maîtriser plus de séquences et plus de techniques que toi, ça ne l'a pas sauvé. Les séquences sont de simples instruments. Elles t'aident à libérer ton esprit pour que tu puisses invoquer la Force. C'est de cette façon que tu trouveras le moyen de remporter la victoire, pas dans les muscles de tes bras ni dans la rapidité de ta lame. Tu dois invoquer le Côté Obscur pour détruire tes ennemis !

La douleur des barbillons s'étendant désormais dans toute la partie gauche de son corps, Bane serra les dents et ne put que hocher la tête.

- Tu te retiens, poursuivit le Maître. Tu n'utilises pas la Force. Sans elle, tes mouvements sont lents et prévisibles.

- Je... je vais essayer de mieux faire, Maître.

- Essayer ?

Kas'im se détourna, écœuré.

- Tu as perdu toute volonté de te battre. La leçon est terminée.

Comprenant qu'il venait d'être congédié, Bane se dirigea lentement vers les escaliers qui plongeaient à l'intérieur du temple. En les atteignant, Kas'im lui donna un dernier conseil.

- Reviens me voir quand tu seras prêt à embrasser le Côté Obscur, au lieu de t'en éloigner.

Bane ne se retourna pas en raison de la douleur et de l'engourdissement. Tandis qu'il descendait les escaliers en boitillant, les paroles de Kas'im résonnèrent dans son esprit.

Il avait raison.

Ce n'était pas la première session d'entraînement qu'il ratait, et ses échecs ne se limitaient pas à Kas'im et au sabre-laser. Bane avait gagné à la fois de la renommée et du prestige en vainquant Fohargh. Plusieurs des Seigneurs s'étaient subitement proposés pour lui donner des entraînements individuels. Malgré cette attention supplémentaire, ses compétences ne se développaient en rien, et il avait même régressé.

Il traversa les couloirs pour rejoindre sa chambre, puis se coucha avec précaution sur son lit. Il ne pouvait rien faire tant que le poison des pelkos courait dans ses veines, si ce n'est se reposer et méditer.

Manifestement, quelque chose clochait en lui, mais il ignorait quoi. Il ne se sentait plus aussi incisif, plus aussi vivant. Lorsqu'il avait pris conscience que la Force inondait son corps, tous ses sens s'étaient développés, et le monde lui était apparu plus animé et plus vivant. Désormais, tout était silencieux et distant. Il ressemblait à un fantôme lorsqu'il avançait dans les couloirs de l'Académie.

Il ne dormait pas bien, et continuait de faire des cauchemars. Il rêvait parfois de son père et de la nuit où il était mort, ou bien de son combat contre Fohargh. Les rêves se mélangeaient parfois pour donner lieu à une terrible vision : le Makurth le frappant dans son logement d'Apatros, le cadavre de son père gisant à ses pieds sur le toit du temple de Korriban. Et, à chaque fois, Bane se réveillait en étouffant un cri, le corps secoué de tremblements et trempé de sueur.

Mais ce n'était pas simplement le manque de sommeil qui le faisait évoluer au ralenti. La passion qui l'avait nourri s'était évanouie. Le feu bouillonnant qui l'exaltait jadis avait lui aussi disparu, remplacé par un vide glacial. Or, sans cette passion, il était incapable d'invoquer le pouvoir du Côté Obscur. Il lui était de plus en plus difficile de contrôler la Force.

Ces changements étaient tellement subtils qu'il y avait à peine prêté attention au début. Puis, ils s'étaient faits plus présents. Même le déplacement par télékinésie de petits objets l'épuisait maintenant. Il était lent et maladroit avec le sabre d'entraînement, il ne parvenait plus à anticiper les actions de ses adversaires et ne pouvait guère plus que réagir une fois le mouvement amorcé.

Il n'arrivait plus à le cacher : il régressait. Les apprentis qu'il avait dépassés depuis longtemps, le rattrapaient subitement. Il le percevait rien qu'en observant les élèves pendant les cours, ce qui signifiait qu'eux aussi devaient le voir.

Il repensa aux paroles du Seigneur Twi'lek : Tu as perdu toute volonté de te battre.

Kas'im avait raison. Bane le ressentait depuis qu'il avait rêvé de son père pour la première fois. Malheureusement, il n'avait aucun moyen de savoir comment recouvrer la colère et l'esprit de rivalité qui avaient nourri son ascension fulgurante dans la hiérarchie des apprentis Sith.

Reviens me voir quand tu seras prêt à embrasser le Côté Obscur, au lieu de t'en éloigner.

Quelque chose le retenait. Une part de lui-même fuyait ce qu'il était devenu. Chaque jour, il méditait des heures durant et se concentrait pour retrouver le feu sacré et bouillonnant du Côté Obscur. Sa recherche se révélait infructueuse. Un voile glacial s'était abattu sur lui, et quoi qu'il fasse, il ne parvenait pas à le déchirer pour s'emparer du pouvoir qui demeurait de l'autre côté.

Le temps lui était compté. Jusqu'ici, personne n'avait osé le défier dans le cercle – pas depuis la mort de Fohargh. La mort atroce du Makurth inspirait encore suffisamment de crainte chez les autres élèves pour empêcher de tels défis. Mais Bane savait qu'ils ne garderaient pas leurs distances indéfiniment. Sa confiance et ses talents diminuaient, et ses échecs se faisaient de plus en plus notoires. Tous les apprentis en seraient bientôt avisés.

Durant les premiers jours qui suivirent la mort de Fohargh, Sirak avait été son seul véritable adversaire. Chaque apprenti sur Korriban représentait désormais une menace potentielle. Le désespoir de cette situation lui nouait l'estomac. Il aurait voulu hurler et frapper contre les murs pour manifester sa rage. En dépit de toutes ses frustrations, il demeurait incapable d'invoquer la passion nécessaire pour nourrir le Côté Obscur.

Un apprenti finirait par le défier en duel dans le cercle, avide de le battre. Et il ne pouvait rien faire pour empêcher cette situation d'advenir.