COUCOU TOUT LE MONDE!

Oui, je sais, le chapitre est un peu en retard, j'ai mis plus de temps que d'habitude à le taper mais eeeyyyh maintenant il est là, rien que pour vos beaux yeux! Bon, je suis K.O., j'ai bossé toute la journée sur mes écrits et mes dessins, je ne rêve que d'aller m'enfoncer dans mes couettes et ronfler comme un bon vieux grizzly MAIS avant ça, voilà le chapitre! Un super léger et rigolo et tout mimi rien que pour vous… héhéhéhé

(il est tout sauf léger et rigolo et mimi)

(pardon)

(non en vrai j'ai pas honte)

(mais ouais… il est pas joyeux du tout)

(genre, la tristitude)

(héhé)

Allez, bonne lecture à vous tous et un immense merci à Rizalone qui l'a relu! (ainsi que pour ta review, merci beaucoup beaucoup beaucoup!)

À propos de cette review d'ailleurs, non je n'ai pas étudié la psychologie du tout mais étant donné que j'ai fait des études en Histoire, notamment en histoire sociale, j'ai quelques notions de psycho. En tout cas, ça me fait suuuuper plaisir qu'on me dise que je traite bien la psychologie de mes persos, c'est vraiment un de mes objectifs en tant qu'écrivaine!

Merci aussi à Triuss qui continue vaillamment sa lecture de cette fic qui ne cesse de s'allonger! Merci à toi pour tous tes commentaires, je te jure que j'ai un immense sourire crétin de pure bienheureuse à chaque fois que je les lis!

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Discalibur :c'te fic est un bordel complètement anarchique avec mes persos pas super-super futés au milieu et ceux de Bleach, de Tite Kubo, et le tout… ben le tout, c'est du gros n'importe quoi.


134. Kaede… faut pas qu'on reste là.


Plus d'un siècle avant que Benikyogai Benitsuki Amaikoddoku ne mette l'ombre d'un orteil au Seireitei, quelque part dans le trentième district est du Rukongai. Shyoga Dosaimeki.

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Au-dessus de sa tête, la pluie commençait à se calmer et les nuages épais eux-mêmes semblaient se rétracter dans le ciel clair de cette fin d'après-midi estival, comme satisfait après avoir déversé toute leur eau sur cette plaine boueuse. L'air était encore un peu chaud de cette journée écoulée sous un soleil éclatant mais cet orage qui venait enfin de se terminer avait rafraîchi le tout. L'humidité se faisait encore ressentir et il pouvait goûter sur sa langue l'odeur de la pluie et de l'herbe mouillée.

À sa droite, les rayons du soleil qui commençait à peine à décliner dans le firmament semblaient raser le paysage, faisant étinceler toutes ces gouttelettes d'eau qui parsemaient les hautes herbes parmi lesquelles il se tenait droit et immobile. En fait, à cette heure-ci et après toute cette pluie, le paysage était plutôt beau. Pas une merveille absolue à couper le souffle mais le genre de vue simple et bucolique qui apaise le cœur.

Mais il n'y prêta aucune attention. Il aurait pu se trouver en plein désert, sur une immense plaque de béton froid ou au milieu d'un feu de forêt, cela n'aurait rien changé pour lui. Quoi qui l'entoure ce jour-là, il n'y prêta aucune attention.

En fait, il ne prêta pas attention à grand-chose. Depuis son monde intérieur, c'était à peine s'il entendait Asatsuyu. Et pourtant elle lui parlait, elle était là, juste là. Mais elle aussi, à cet instant, elle avait entièrement disparu – ou presque – de sa perception du monde. Shyoga n'était concentré que sur une chose et une seule et tout le reste n'avait plus aucune importance pour lui. Tout le reste était complètement éclipsé.

Ça faisait combien de temps, hein ? Quelque chose comme trois ou quatre décennies ? Plus peut-être. À cet instant précis, son esprit avait du mal à cogiter, à réfléchir. Sinon, il aurait pu facilement compter les années écoulées depuis qu'il l'avait vue pour la dernière fois, par une nuit éclairée d'une demie-lune.

– Ça faisait une éternité Kaede… souffla-t-il à mi-voix, incapable de détacher ses prunelles bleues de ce visage si familier et qui lui avait tant manqué.

Une éternité. Oui, c'était ainsi qu'il le ressentait.

Après cette nuit où elle lui avait embroché la main gauche avant de fuir le Seireitei, il ne l'avait plus revue. « Je reviendrai » avait-elle dit. La jeune femme qu'elle était alors n'avait rien promis, n'avait pas juré de revenir. Elle l'avait simplement regardé fermement malgré la douleur lancinante qui la traversait et elle avait lâché ces deux mots si simples et pourtant si puissant. « Je reviendrai ».

Puis elle s'était levée et était partie. L'avait laissé là, comme on laisse un chien sur le bord de la route. Il avait vu ses épaules lui tourner le dos une dernière fois puis elle avait disparu dans l'obscurité. Elle n'avait pas jeté un regard en arrière vers lui, toujours au sol, se remettant péniblement de son évanouissement et une main suturée à la va-vite. Elle était partie, tout simplement.

– Si longtemps Kaede, ça fait si longtemps…

Oh, oui, il s'était senti abandonné et si Asatsuyu en avait beaucoup voulu à la jeune femme, pas lui. Bien sûr qu'il aurait voulu qu'elle reste là, qu'elle revienne à ses côtés. Dans sa vie parfaite, elle aurait arrêté de traîner avec Shun et serait restée auprès de lui, son pote, son meilleur ami. Lui, ça l'aurait rendu heureux. Qu'ils entrent tous les deux dans les armées de la cour, qu'ils vieillissent en même temps, toujours prêts à se soutenir l'un l'autre.

Elle aurait été l'étoile montante du Gotei et lui aurait été son pilier, le pote toujours prêt à la soutenir, toujours prêt à l'accompagner dans ses délires et ses conneries. Elle lui aurait enfin présenté Sûuko, cette fameuse Sûuko qu'il n'avait jamais rencontrée, et leur vie se serait écoulée tranquillement, petits shinigamis suivant leur petit bonhomme de chemin. Il aurait été là pour lui tirer les oreilles lorsqu'elle partait trop en sucettes, il aurait été là pour l'écouter râler contre ces vieux croûtons du Gotei pas foutus de capter rien à rien, il aurait été là… Il l'aurait vu vivre et s'épanouir et être heureuse, enfin, vraiment, au lieu de la voir se ronger elle-même l'existence, se creuser peu à peu sa propre tombe. Elle aurait été heureuse et lui aussi. Il se serait senti vivant jusqu'à la fin de ses jours. Ça aurait été ça, sa vie heureuse.

– Tu m'avais manqué, Kaede… Si tu savais à quel point…

Et toute cette vie heureuse qu'il avait osé croire pouvoir vivre avait volé en éclat cette nuit-là, alors qu'ils n'étaient encore que deux gosses entrant à peine dans l'âge adulte. Sa vie à lui mais aussi et surtout celle de Kaede. Elle lui avait expliqué et il avait compris. Elle n'avait plus guère de choix que de fuir, pas vrai ? Il avait compris et il l'avait accepté. Kaede devait partir, c'était ainsi.

Et au fond de lui, il avait toujours su que ce jour finirait par arriver. Comme si Kaede allait gentiment suivre le chemin tout tracé qu'on lui avait imposé. Comme si elle n'allait pas ruer dans les brancards, cet ouragan coincé dans un simple corps humain. Shin'Ô n'était pas assez grand pour elle, pas plus que ne l'était le Seireitei. En fait, même la Soul Society toute entière ne suffisait pas à quelqu'un comme Kaede Amaikoddoku. C'était trop petit pour elle.

Cette société étriquée ne pouvait que l'étouffer, la contraindre, la tuer à petit feu. Pour quelqu'un comme elle, si grande et rugissante, rester ici, c'était se condamner à une lente agonie. La Soul Society était une prison pour elle. Ce dont elle avait le plus besoin, c'était de partir… D'être libre, pleinement libre. Le monde entier lui suffirait à peine. On ne pouvait pas lui fixer de limites ou lui imposer des règles à suivre.

Kaede était quelqu'un qui avait besoin plus que tout de se sentir libre. Pour certaines personnes, ce dont ils avaient le plus besoin, c'était se sentir entouré, se sentir utile ou se sentir heureux, tout simplement. Mais elle, elle n'était pas comme eux, elle était faite d'un autre bois. Rien de ce qui leur suffisait ne lui suffirait. Alors oui, Shyoga avait toujours su qu'un jour elle s'en irait, qu'elle partirait loin de lui et qu'elle l'abandonnerait. Il n'avait pas voulu y penser, y songer, mais au fond de lui, il avait toujours su que c'était inéluctable.

Lentement, le jeune homme blond mit un genoux à terre. De l'eau ressortit de la terre boueuse sous la pression et vint tremper un peu plus le tissu noir de son uniforme déjà humide, l'eau froide se faufilant jusqu'à sa chair pâle. Mais il ne le remarqua pas plus que le reste, son attention toute entière focalisée sur celle qu'il revoyait enfin après tout ce temps.

Oui, il portait son uniforme en ce jour d'été. C'est que les années s'étaient écoulées et qu'il ne s'était pas contenté d'attendre qu'elle revienne. La vie avait continué sans elle, tout simplement. Seul, Shyoga avait poursuivi ses études, puis obtenu son diplôme. Sans célébrer cette réussite avec qui que ce soit, il avait enfilé ce nouvel uniforme sans dire un mot et avait rejoint les armées de la cour. Lorsque la cérémonie d'entrée dans le Gotei s'était terminée, il avait juste lâché un bref sourire qui s'était bien vite évanoui. « Kaede se paierait bien ma gueule à me voir dans c't'uniforme de pingouin, tiens », c'était ce qu'il avait songé.

Elle lui manquait et il aurait voulu vivre ça, ce moment de sa vie, avec elle à ses côtés. Mais la vie, l'univers, le destin, le hasard, Kami-sama ou il ne savait quelle connerie encore en avait décidé autrement. C'était ainsi. Il avait rejoint la deuxième division et ses services de renseignements sans grande surprise et avait mis ses talents pour étouffer toute trace de son énergie spirituelle au service de sa division. Et la vie s'était écoulée, aussi simplement que ça.

Au fil du temps, il avait même commencé à changer. La deuxième avait fini par devenir comme un foyer et sans qu'il ne comprenne vraiment pourquoi, certaines personnes avaient commencé à se rapprocher de lui. Pour les autres divisions, il ne savait pas mais pour la deuxième, il avait nette sensation de ne pas être le seul « cas étrange » parmi les recrues. Chose surprenante, parmi ceux qui étaient désormais ses collègues, il y en avait même qui étaient encore plus loin des normes humaines que lui. Et lui, il était déjà considéré par un paquet de gens comme un taré psychopathe.

Finalement, il n'était ni le plus bizarre, ni le plus anormal du groupe. Il n'était pas non plus le plus abîmé, le plus amoché par la vie. À la deuxième, il avait rencontré tout un tas de gens bizarres, qui auraient foutu les jetons à tous ces citoyens lambdas qu'ils devaient protéger. Au final, l'humanité se révélait plus bariolée et tordue qu'il ne l'avait pensé. Et il pensait avoir tout vu, en termes de personnes anormales et tordues. Finalement, il n'était pas si seul que ça.

Peu à peu, appartenir à cette division avait fini par lui donner la sensation d'être au bon endroit, d'être là où il aurait toujours dû être. Un peu comme s'il y était chez lui, même s'il n'était pas sûr de savoir exactement ce que ça voulait dire, se sentir chez soi. Quoi qu'il en soit, c'était quelque chose qui lui faisait du bien, quelque chose qu'il ne voulait pas perdre. Lui, Shyoga, le type étrange qui ne souriait jamais, fils d'une pédophile maniaque et frère d'un tueur en série sadique et pervers, il n'était plus si seul. Quelque part, il aurait même pu dire qu'il était heureux, à sa manière.

– Oh, Kaede… j'aurais tellement… tellement de choses à te raconter…

Si tu savais, ô mon amie, ô ma seule amie, si tu savais tout ce que j'ai à te dire, tout ce que j'ai vécu sans toi et que je voudrais partager avec toi. Tout ce que j'ai à te dire, toi es partie si longtemps.

– Kaede…

Sa voix se brisa en un murmure rauque et les mots se bloquèrent dans sa gorge. Il avait tant à lui dire. Et il ne pouvait plus émettre le moindre son alors qu'il la revoyait enfin.

Oh, il savait que Kaede était de retour à la Soul Society avant de poser à nouveau ses yeux sur elle en cette fin d'après midi à la lumière dorée et au vent frais et humide. Cela faisait quoi, quelques semaines à peine qu'il avait senti son reiatsu vibrer à travers tout le Seireitei comme une vague chanson mélancolique s'attendant dans l'air avant de disparaître comme si elle n'avait jamais existé.

Évidemment qu'il avait reconnu ce reiatsu, si infime soit la trace qu'il en avait perçu. C'était Kaede. Kaede, Kaede, Kaede. Il la reconnaîtrait entre mille, il la reconnaîtrait perdue au milieu de l'infinité. Alors oui, putain oui, il l'avait reconnu. Il s'était figé et tous les documents qu'il portait alors entre ses mains lui avaient échappé et avait dégringolé à ses pieds en une tempête de feuilles de papier s'éparpillant en tous sens.

Le capitaine lui avait adressé un regard étonné et il était à peu près certain qu'elle lui avait dit quelque chose, lui demandant probablement ce qui lui passait par la tête pour se figer ainsi avec des yeux écarquillés sans coup férir. Peut-être qu'elle aussi avait perçu ce reiatsu mais Shyoga en doutait fort. Enfin, non. Plutôt, il était certain qu'elle l'avait senti comme elle sentait en permanence les énergies spirituelles de cette multitude de shinigamis grouillant au Seireitei. C'était juste que pour elle, il devait juste s'agir d'un reiatsu comme d'un autre.

Kaede… Elle qui avait fui Shin'Ô, ce qu'elle était la seule personne avec Shun à avoir jamais réussi une telle chose à sa connaissance – une fois entamé le chemin pour rejoindre les armées de la cour, on n'en sortait pas ou alors les pieds devant en uniforme de shinigami – la voilà qui revenait. Et personne ne sembla s'en soucier. En fait, à part lui, personne ne sembla le remarquer. Kaede Amaikoddoku était de retour et le monde entier semblait s'en moquer éperdument.

À la place de Shyoga, n'importe qui aurait tout laissé tomber et aurait immédiatement foncé après cette trace fugace de reiatsu pour en remonter la piste jusqu'à elle. Non, lui, il avait juste laissé tomber des papiers puis s'était accroupi pour les récupérer patiemment avant de retourner à ses tâches quotidiennes comme si de rien n'était. Kaede était de retour. Et il le savait, il ne servait à rien de s'élancer à sa poursuite : si elle ne voulait pas être trouvée, ce n'était pas lui, petit Shyoga, qui allait réussir à lui mettre la main dessus, tout shinigami qu'il soit devenu. Si elle ne voulait pas être trouvée, elle ne serait pas trouvée.

Tout ce qu'il pouvait faire, c'était attendre, attendre qu'elle vienne vers lui, tôt ou tard. C'était ce qu'il s'était dit et sa vie avait continué comme si rien n'avait changé, comme si la seule personne qui avait jamais pu lui manquer ne venait pas de revenir avec fracas dans son petit monde si calme. La seule différence, son cœur : en permanence, il avait eu l'impression que celui-ci battait de toutes ses forces contre sa cage thoracique, comme un fou furieux, comme s'il voulait s'en échapper à tout prix. Tout ce qu'il voulait, c'était la revoir.

Attends, s'était-il dit. Attends qu'elle revienne. Laisse la faire ce qu'elle a à faire. Tu la connais bordel, c'est Kaede, elle sait ce qu'elle fait. Et si elle n'est pas encore là, devant toi, c'est qu'elle a une bonne putain de raison. Voilà ce qu'il s'était enjoint, encore et encore, jusqu'à se le marteler mentalement.

Il fallait qu'il soit patient et qu'il attende. Quelques jours de plus après des décennies d'absence, qu'est-ce que c'était hein ? Eh bien, c'était atrocement long. Et ce d'autant plus lorsque les journées se transformèrent en mois. Mentalement, ça vira à l'agonie pour Shyoga et malgré tous les efforts qu'il avait déployés pour continuer à travailler comme à son habitude avec rigueur et professionnalisme, comme si de rien n'était, il se mit à faire de plus en plus d'erreurs, à oublier certaines choses, à ne pas écouter rigoureusement ce qu'on lui disait.

Il avait autre chose en tête et la capitaine lui avait même remonté les bretelles à ce sujet même si elle avait compris que quelque chose préoccupait son subordonné. Elle avait essayé de le faire parler un peu mais il avait aussitôt décliné. Il l'aimait bien, son capitaine. Mais parler de Kaede, parler d'une fugitive… Non. Surtout qu'il ignorait comment le Seireitei la considérait au juste depuis sa fuite. Shyoga avait rongé son frein. Et il avait attendu que Kaede lui fasse signe.

Au final, elle ne lui fit jamais aucun signe. Si en ce jour, il n'avait pas senti le reiatsu de son amie jaillir avec force, vibrant avec furie d'une manière particulière qu'il connaissait si bien, il aurait probablement continué à attendre, année après année, qu'elle se manifeste à nouveau à lui. Il ne s'était pas encore écoulé suffisamment de temps pour que Shyoga se mette à douter et à craindre qu'elle n'ait tout simplement aucune envie de le revoir et si cette journée d'été n'avait jamais eu lieu, oui, les doutes et les craintes auraient fini par le prendre d'assaut.

Il s'était juré à lui-même de ne pas partir à la recherche de Kaede – et dans les années qui allaient suivre, oh qu'il allait maudire ce serment – et il comptait bien s'y tenir. Mais là, cas de force majeure. Oh, il avait hésité tout à l'heure, au premier éclat de reiatsu qu'il avait perçu dans le lointain alors qu'il devait retourner à la capitainerie. Cette manière de gronder et de se tordre… Elle était en danger. En train de se battre. Aucun doute là-dessus. Quand le reiatsu de Kaede se déployait et jaillissait de la sorte, c'était qu'elle était en plein combat. Et pas une simple baston de bar non, un vrai combat. Il avait hésité.

C'était Kaede après tout. Kaede putain d'Amaikoddoku. À ses yeux, la force incarnée. Pour Shyoga, Kaede était invincible. Oui, la sentir en danger lui avait donné la sensation qu'on venait de plonger une main dans ses entrailles. Mais il n'était que lui, il n'était qu'un vague shinigami parmi tant d'autres, il n'était que Shyoga Dosaimeki. Si elle… Elle était en danger, que pourrait-il faire ? Rien, putain de rien. À part peut-être la gêner. Kaede n'avait pas besoin de lui pour survivre. En fait, elle n'avait probablement jamais eu besoin de lui.

Mais au deuxième éclat de reiatsu parcouru de danger, son corps avait réagi avant que son esprit ne prenne une décision. Shunpo sur shunpo, y mettant toute la force qu'il pouvait déployer pour arriver en ce coin perdu du Rukongai le plus vite possible, il n'avait pas réfléchi. Kaede. Kaede en danger. Tant pis pour tout le reste. Tout son être n'avait plus pensé qu'à ça, se concentrant sur ces éclats de reiatsu transperçant de rage et de fureur – et de peur, aussi – pour se guider à travers ce Rukongai, Shyoga tout entier n'avait plus tendu que vers Kaede.

Shunpo après shunpo, il avait avancé sous la pluie battante, tentant de se repérer de son mieux par rapport au reiatsu de Kaede vers lequel tout son être tendait. Il n'aurait su dire combien de temps il avait mis à arriver sur place. La seule chose qu'il aurait pu dire, c'est qu'à son arrivée, la pluie avait cessé de tomber en gouttes dures et le tonnerre avait cessé de gronder dans le firmament au dessus de lui. Peut-être serait-il arrivé plus vite si Kaede ne s'était pas elle aussi déplacée à coup de shunpos brusques et erratiques typiques d'un combat dans toute cette portion relativement déserte du Rukongai, assez éloignée de toute habitation. Et ses shunpos à elle étaient bien plus rapides que les siens, de même que leur amplitude était bien plus importante que ce dont il était capable. La rejoindre avait été complexe et le tonnerre qui grondait alors dans le ciel n'avait pas aidé.

Maintenant qu'il l'avait sous les yeux, que le calme était revenu sur cette plaine après la pluie qui l'avait détrempée, il était toujours dans cet état un peu second, incapable de penser à quoi que ce soit d'autre qu'elle et avec la sensation que des serres cruelles arrachaient ses entrailles de son ventre à mains nues.

Agenouillé devant elle, juste devant Kaede, il tendit un bras tremblant vers elle. Il ne parvenait pas à parler. S'il forçait, il avait la certitude que son cœur ressortirait par sa bouche. Elle était là. Kaede. Kaede, Kaede, Kaede… Sa main tremblante s'arrêta quelques centimètres avant d'effleurer son épaisse chevelure gorgée d'eau de pluie.

Kaede… Elle avait tant changé. Elle n'avait pas changé d'un pouce.

Sa peau était plus brune, plus tannée que la dernière fois qu'il l'avait vue, alors baignée de rayons de lune, probablement suite à des années à parcourir le monde entier et à vivre au grand air supposa-t-il. Ses cheveux semblaient plus rêches et moins soyeux qu'auparavant mais même trempés d'eau et parsemés de boue plus ou moins séchée, ils restaient beaux. Ils semblaient également avoir foncé, chose étonnante étant donné qu'ils étaient déjà d'un noir particulièrement profond lors de leurs années à Shin'Ô. Autre changement, quelques cheveux blancs commençaient à se faire apercevoir parmi ses boucles épaisses. Ses lèvres étaient bien plus gercées qu'auparavant et une brève coupure ornait leur coin droit. Ses joues étaient plus creuses également et les traces d'un hématome assez violent finissaient de s'estomper le long de l'arrête de sa mâchoire.

Plusieurs coupures parcouraient son visage et celui-ci arborait des cicatrices plus ou moins petites qu'il ne lui avait jamais connues. Une cicatrice si pâle qu'elle en était presque effacée par les années parcourait le haut de son nez, juste à la hauteur de ses yeux. Une autre traversait son sourcil gauche – cette fois, elle avait dû bien s'exploser l'arcade sourcilière pour qu'une cicatrice reste. Quelques points de suture un peu maladroits étaient visibles au dessus de sa tempe gauche, juste avant le début de son scalp. Si c'était elle qui avait fait ces points, elle s'était clairement améliorée depuis les points hasardeux toujours visibles sur sa main gauche à lui.

Elle avait changé. Le temps avait passé et la toute jeune femme qui l'avait quittée lui revenait avec un visage d'adulte peu épargné par la vie. Quoi qu'elle ait vécu durant ces années de fuite, son visage en portait la trace. Quoi qu'il se soit passé, cela n'avait pas été de tout repos pour elle. « J'sais pas quand m'arrêter. J'ai pété les freins et j'ai pas prévu de m'arrêter », c'était bien ça qu'elle disait, non ? Visiblement, même loin de ce Seireitei, elle n'avait pas renoncé à qui elle était. Elle avait foncé dans le tas, fidèle à elle-même. Comme toujours.

Elle avait changé. Et dans le même temps, elle était la même que dans ses souvenirs. Malgré les décennies et l'éloignement, elle était toujours la même. C'était toujours Kaede, avec son visage un peu arrondi, ses pommettes hautes, ses lèvres fines dont savaient jaillir les pires insultes comme les plus éclatants sourires, ses cils sombres et longs qui entouraient ses yeux si étincelants… Ses yeux. Ah, ce brun ! Incomparable et reconnaissable entre mille. Un marron comme celui de ses prunelles, il n'y avait que Kaede pour le rendre fort et doux, passionné et puissant à la fois. Il se rappelait très bien comment ils s'illuminaient, lorsqu'ils traînaient ensemble au début de leurs études et qu'elle s'embringuaient dans des coups foireux complètement tordus. À chaque fois, il ne pouvait s'empêcher de songer que toute l'âme de Kaede rejaillissait parfaitement dans le brun de ses yeux.

Et après tant d'années, voilà que ce brun si particulier se plongeait à nouveau dans son regard bleu.

Enfin, pas vraiment.

Oui, ses yeux étaient ouverts et oui ils étaient tournés dans sa direction mais non, Kaede ne le regardait pas. Pour cela, il aurait fallu que sa tête soit encore raccrochée au reste de son corps, étendu quelques mètres plus dans les herbes hautes de manière désarticulée. Il aurait fallu qu'elle ne soit pas morte et qu'il ne soit pas arrivé trop tard. Plus jamais Kaede ne le regarderait dans les yeux.

Un bref hoquet secoua le haut de son corps, ce qui eu pour effet de vider ses poumons en un long souffle qui aurait pu passer pour un soupir déchirant. Morte, Kaede était morte. Voilà. C'était aussi simple que ça. C'était fini. Ses paupières ne se refermeraient jamais plus et jamais plus elle ne poserait son regard sur lui. Son cœur avait cessé de battre. On naissait, on vivait puis on mourrait.. Ou on crevait, comme un chien sans personne pour nous accompagner, nous tenir la main, nous sourire une dernière fois, c'était ainsi que les choses allaient. C'était aussi simple que ça, Kaede ne vieillirait plus et jamais plus ce brun étincelant pourrait illuminer ses jours. Kaede… N'existait plus. À sa place, il n'y avait qu'un cadavre encore chaud aux yeux froids et déjà vitreux. Sa main retomba mollement à ses côtés.

Pas une larme ne roulait sur ses joues. Shyoga ne bougeait pas, respirait à peine et était incapable de détacher son regard de cette tête seule parmi l'herbe humide constellée de délicates gouttelettes. Oh, il comprenait. Des gens mourir, il en avait vu plus qu'il ne pouvait s'en rappeler. Les jouets de sa mère, il les avait vus crever les uns après les autres. Alors franchement, la mort, il avait l'habitude. Mais là, étrangement, il avait mal. Mal partout. Mal à en crever.

Ça faisait trop d'émotions d'un coup et il aurait été bien incapable d'en nommer la moitié. Nerveusement, il secoua brièvement la tête, comme pour s'en débarrasser. Ce qu'il ressentait lui échappait et il avait du mal à comprendre ce que ce flot émotionnel lui voulait mais il y avait bien quelque chose dont il était certain : il détestait ça. Il voulait que ça s'arrête.

Mais il resta là, immobile, face à cette tête décapitée dans l'herbe, plus perdu qu'il n'aurait jamais pensé pouvoir l'être.

Le temps s'écoula et Asatsuyu avait beau tenter de l'appeler, de lui parler, de l'atteindre, rien n'y faisait. Il était hors de tout, incapable de réfléchir, incapable de comprendre, incapable de faire quoi que ce soit. Et il aurait pu rester ainsi des jours et des nuits, jusqu'à ce son esprit reprenne le dessus et que ces émotions disparaissent à nouveau, s'il n'avait pas perçu, dans le lointain, un reiatsu s'approcher.

Il cligna brièvement des yeux. Quelqu'un venait, droit sur eux – sur lui. Or Kaede n'émettait plus d'énergie spirituelle et Shyoga avait sans y prêter attention complètement rétracté le sien. Il n'y avait rien ici or cette personne se dirigeait droit sur eux – sur lui – sur cette plaine. L'assassin revenait sur les lieux de son crime.

Une nouvelle vague d'émotions indescriptibles prit Shyoga et il hoqueta à nouveau sous le coup de la douleur. C'était trop. Il bougea enfin la tête, cessant de plonger son regard dans les yeux morts de celle qui comptait le plus dans sa vie, et par réflexe, chercha la silhouette de l'individu à l'horizon. Mais il était encore loin et de toutes façons, sa vue à lui ne portait pas si loin que ça. Il inspira lentement, gardant un visage parfaitement neutre malgré tout ce qui hurlait en lui.

Lentement, il se redressa, étirant son dos et son cou ankylosés. Puis il jeta un coup d'œil à la tête décapitée à ses pieds.

– Kaede… souffla-t-il d'une voix rauque. Faut pas qu'on reste là.

Alors il se pencha en avant et précautionneusement, le plus délicatement du monde comme si elle était encore en vie, comme si Kaede vivait encore, il prit doucement sa tête entre ses mains. Elle était étrangement lourde, comme si elle voulait l'emmener se perdre dans les tréfonds de la terre avec elle. « Une tête adulte ne fait que cinq kilos pourtant. Ça doit être moi » songea-t-il mécaniquement et, à nouveau, il eu l'impression qu'on lui arrachait les entrailles. Il grimaça. Ressentir des choses faisait mal.

Sa peau était blême, cireuse et un peu froide et pourtant, il la reconnaissait toujours autant. Kaede, sa Kaede. Mais elle, elle ne le verrait jamais plus. Serrant ses mains contre les joues froides et les cheveux rêches de son amie, il voulut faire un pas en avant et tituba quelque peu avant de retrouver son équilibre.

Le jeune homme déglutit et cligna des yeux, comme s'il voyait enfin la plaine sur laquelle il se trouvait. Kaede elle, ne pourrait plus jamais poser les yeux sur un paysage comme ça. Il fit un autre pas en avant, un peu plus assuré cette fois. Elle ne pourrait plus jamais rire. Ou pleurer. Ou s'énerver et insulter des mères à la volée. Plus jamais elle n'assénerait son poing dans la tête des cons ayant le culot de la contredire. Un autre pas. Puis un autre.

Dans ses mains, le sang gouttant encore de la plaie béante que constituait désormais son cou était encore tiède. Cette sensation lui fit l'impression d'un autre uppercut en plein dans ses émotions. Oh que ça faisait mal. Ça n'aurait pas faire aussi mal. Lui, lui qui avait vécu ce qu'il avait vécu et qui savait à peine sourire, pourquoi avait-il aussi mal pourquoi pourquoi pourquoi tu es morte morte la tête en moins par qui qui t'as fait ça pourquoi je veux qu'il meure je veux qu'il meure douloureusement je veux le trouver et le donner à Shun je veux que tu sois encore en vie ne meurs pas pourquoi est-ce que ça fait si mal bordel Kaede mais pourquoi tu me fais ça t'avais pas le droit de mourir j'ai tellement mal je te hais je t'aime reviens je ne comprends plus rien qu'est-ce que…

Il déploya un premier shunpo. Puis un deuxième. La tête. La tête de Kaede était si lourde. Comme si elle voulait l'emmener avec elle six pieds sous terre. Il continua à s'éloigner le plus possible de ce lieu si douloureux, lâchant mécaniquement shunpo après shunpo.

Il ne te fera plus de mal c'est fini Kaede fini je suis là je ne le laisserai pas te faire du mal tu es morte tu es morte c'est fini il n'y a plus rien de toi je ne comprends rien Kaede Kaede Kaede revient pourquoi est-ce que tu es morte foutue idiote pourquoi est-ce que ce monde t'as tuée pourquoi pourquoi pourquoi je ne comprends rien je suis seul j'ai mal qu'est-ce qui se passe pourquoi est-ce que tu n'as pas vaincu ce gars pourquoi est-ce que tu n'étais pas plus forte pourquoi est-ce que ce foutu monde fonctionne ainsi pourquoi pourquoi pourquoi pourquoi est-ce que j'ai aussi mal j'ai mal j'ai mal j'ai mal j'ai mal j'ai mal mal j'ai mal oh que j'ai mal mal mal mal mal je veux QUE LA DOULEUR S'ARRÊTE

À bout de souffle, physiquement incapable de faire un pas de plus, après un temps qu'il aurait été incapable d'estimer, il s'arrêta enfin. Plusieurs heures avaient dû s'écouler puisque désormais il faisait nuit. Il avait fuit erratiquement, dans tous les sens comme pour mieux perdre quiconque essaierait de suivre sa trace – si tant est qu'il ait laissé une trace, lui qui avait tant étouffé son énergie spirituelle. Personne ne retrouverait jamais Kaede, jamais sa sépulture ne serait dérangée. Il n'aurait pas réussi à ramener son corps avec lui et sa tête… Et Kaede… La tête de Kaede… Entre ses mains…

Cette fois, à bout physiquement et émotionnellement, son corps le lâcha et il tomba brusquement à genoux. Tant pis, il restait là pour le restant de la nuit, perdu il ne savait où dans le Rukongai, seul avec cette tête entre les mains qui pesaient plus lourd que toute sa douleur. Demain, demain il rentrerait chez lui. Demain, il l'enterrerait. Kaede méritait bien ça. Oh, elle méritait plus que tout ça, elle aurait mérité une vie longue et heureuse mais ça, on le lui avait arraché.

Avec la sensation que son crâne allait exploser sous la douleur, Shyoga arracha faiblement les deux manches de son hakama et se servit du tissu pour entourer tout ce qui lui restait de sa seule amie et enroba sa tête ainsi.

– Je suis désolé Kaede… lâcha-t-il à mi-voix.

Désolé que ton seul linceul soit le symbole de cet avenir qu'on a voulu t'imposer et que tu as tout fait pour détruire. De ne pas pouvoir t'enterrer dignement. D'avoir volé ta tête comme un vulgaire sociopathe. De ne pas être arrivé à temps. De ne pas avoir su t'aider. De ne pas avoir pu t'aider. De ne pas avoir été assez fort pour t'être d'une quelconque aide. Désolé d'être moi.

La tête délicatement protégée de ce tissu sombre, il laissa son dos s'adosser au tronc d'un arbre maigrichon et solitaire. Il dormirait ici cette nuit. Il bascula la tête en arrière et son regard bleu se perdit dans le firmament étoilé. Au-dessus d'eux – de lui – une demie-lune brillait du même éclat que celle qui les avait éclairés à Shin'Ô. Une demie-lune. C'était la même. La douleur le frappa à nouveau sans pitié. Alors il ouvrit grand la bouche et laissa enfin toute cette souffrance qui lui ravageait le cœur et l'esprit rugir hors de lui dans cette nuit froide en un long hurlement désarticulé et ravagé de douleur.

Quelque part, à plusieurs districts d'écart et sous la même demie-lune, une petite fille à cheveux rouge hurlait aussi toute sa peur et sa douleur d'avoir perdu sa maman, serrant très fort contre elle une hache trois fois trop grande pour elle, les joues couvertes des larmes que Shyoga était incapable de pleurer.

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Bon, que ceux qui sont en PLS émotionnelle lèvent leur main?

(j'suis même pas désolée héhé)

J'ai eu du mal à écrire ce chapitre, y'a deux-trois passages qui ne me plaisaient pas trop et que j'ai dû réécrire mais dans l'ensemble, j'en suis plutôt contente, je trouve que j'ai bien réussi à faire passer tout ce que je voulais.

(autrement dit, vous faire SOUFFRIR)

(c'est rigolo)

J'aime beaucoup le personnage de Shyoga, qui est lui aussi assez tordu, à sa manière. Et j'avais l'image de ce type complètement seul, tenant la tête de Kaede dans les bras en étant incapable de verser la moindre larme, depuis le tout tout tout début donc j'avoue que c'était super cool de l'écrire enfin!

Sinon, évidemment que j'allais lâcher une p'tite phrase à la fin sur Beni… héhéhé.

Au fait, si vous voulez relire le chapitre où Beni se souvient de la décapitation de sa mère (ouaaaais, comme auteur chuis un peu sadique quand même… pauvre chtite Beni quand même), c'est le 56. C'est ma faiblesse qui l'a tuée

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Le chapitre 135 arrive normalement mercredi 12 mai! Allez, laissez moi des reviews si le cœur vous en dit, j'vous aime très fort et à la prochaine!