Note de l'autrice : Je n'en avais pas fait depuis les trois chapitres initiaux, je crois, mais on reprend l'histoire avec un bref retour en arrière, pour découvrir le point de vue du protagoniste le plus important de cette affaire d'empoisonnement : l'empoisonneur lui-même ;)

Bonne lecture !


In Pursuit Of

GUILT

(Draco)

Horace Slughorn brandissait avec joie et fierté l'onéreuse bouteille d'Hydromel que Draco avait fait empoisonner. Comme si le prestige du professeur s'y trouvait aussi étroitement attaché que le ruban de soie autour du goulot. Comme si les verres qu'il en versait représentaient un avant-goût des avantages qu'il avait à offrir en société. Comme si le faste et la somptuosité de la boisson étaient l'assurance d'un bon moment passé.

Draco aurait reniflé de mépris devant cet archétype d'une élite médiocre s'il n'avait été pétrifié sur place.

C'était un cauchemar.

Une minute avant, il s'était presque pris à son propre jeu de flirt fictif, il s'était presque réjoui d'enfin pouvoir donner la réplique à Granger, et, devant le pourpre inattendu de ses joues, il s'était presque oublié – lui, le Mangemort raté aux mains tremblantes, le fils chargé de racheter les fautes de son père, le Malfoy réprouvé que le plus grand collectionneur de têtes du pays n'enviait guère pour son tableau de chasse – et voilà qu'on lui renvoyait désormais à la figure son cadeau empoisonné.

Le retour à la réalité fut brutal. Glacial, même. Une douche froide et funeste. Comme se sentir traversé inopinément par un fantôme. Le spectre d'une erreur venue hanter son responsable.

Draco ignorait comment cette bouteille se trouvait encore en possession du professeur Slughorn, mais elle lui demandait désormais des comptes. Et il ne savait que faire.

S'il intervenait trop tôt, c'en était fini de sa mission, de sa famille, de lui.

S'il intervenait trop tard, tout le monde mourrait dans la pièce, sauf lui.

S'il intervenait juste à temps, quelqu'un risquerait de périr à cause de lui.

Aucune option n'était viable.

Que devait-il faire ?

Narguant sa conscience, le liquide mortifère se balançait devant ses yeux dans le verre flottant.

« Voilà un hydromel dont vous me direz des nouvelles ! », s'exclama le professeur Slughorn.

Draco se sentit blanchir, mortifié.

Lorsqu'il vit les deux étudiants assis à sa droite se saisir de leurs verres respectifs, avec un empressement presque tragi-comique, il se figea.

Non. Non. Non.

Son sang ne fit qu'un tour en apercevant McLaggen avaler son verre et Granger s'apprêter à boire le sien.

Qu'avait-il fait ?

Sa main vola pour renverser la coupe de celle qu'il pouvait encore sauver.

Il ne voulait pas tuer.

Un étudiant s'étouffait pourtant au sol, à l'agonie, après avoir été empoisonné par ses soins. Et qu'est-ce que ça pouvait bien vouloir dire ? Quel sens avait la mort de Cormac putain de McLaggen ? Il n'était même pas un personnage dans cette histoire. Avait-il seulement un camp dans cette guerre ? Avait-il seulement conscience du conflit à venir ? C'était absurde. C'était ridicule. Ce type ne savait rien et n'était rien. Rien d'autre qu'un imbécile. Un idiot quelconque. Un innocent.

Tout comme Katie Bell l'avait été.

Sauf que, cette fois-ci, Draco était présent. Le danger de ses plans mal pensés se révélait à ses pieds. L'horreur de son erreur se manifestait sous ses yeux. Confronté aux conséquences de ses actes, il ne parvenait à se tirer du choc de la scène. Une question tournait en boucle dans sa tête :

Que faire ?

Que faire ?

Que faire ?

« Un bézoard ! Il lui faut un bézoard ! »

La réponse de Granger retentissant dans ses oreilles, Draco songea qu'il n'avait jamais été plus reconnaissant qu'en cet instant envers l'érudition et la vivacité d'esprit de la sorcière.

Un bézoard, bien sûr !

Son corps tétanisé se réveilla en un sursaut. Et en deux en trois mouvements, dans un enchaînement harmonieux de sorts et d'actes complémentaires, il sauva sa victime avec l'aide de son ennemie, tandis que le professeur Slughorn bafouillait encore son innocence. Une fois certain de la survie de l'empoisonné, Draco le lâcha des yeux pour rencontrer le regard alerte de Granger, qui maintenait dans ses bras le corps trapu et vaincu de son camarade. Un remerciement, trop suspicieux à dévoiler, lui brûlait les lèvres.

Ce fut le dernier regard qu'ils échangèrent ce soir-là.

Draco ne remarqua même pas le moment de son départ, trop occupé à être poussé contre un mur par le professeur Rogue et sermonné à l'abri d'un « assurdiato ».

« Combien de vos petits plans stupides existe-t-il ? lança-t-il d'un ton glaçant en lui attrapant le bras.

- Il n'y en a pas d'autres, cracha Draco. Ça date de décembre dernier : j'ai déjà abandonné ce genre de méthodes depuis.

- Vous avez intérêt, Monsieur Malfoy. Vous n'êtes chargé que de vous occuper d'un seul homme, et non des étudiants de cette école ! Vous avez failli tuer un garçon…

- Vous croyez que je ne le sais pas ? coupa-t-il en s'emportant. Vous croyez vraiment qu'il est nécessaire de me le rappeler ? J'étais là ! J'ai tout vu !

- J'espère bien que vous avez vu ! Et que ça vous serve de leçon cette fois-ci, au cas où la fille Bell n'en était déjà une ! Si vous n'acceptez pas mon aide, je vous suggère de commencer à utiliser votre tête, jeune homme !

- J'ai compris la leçon, merci ! s'énerva l'étudiant. Et je… je fais de mon mieux !

- Votre « mieux » n'est visiblement pas assez. »

Draco dégagea son bras de l'emprise du professeur.

« Si c'est tout ce que vous trouvez à me dire, je n'ai vraiment pas de temps à perdre à vous écouter », déclara-t-il.

Puis il quitta les lieux, ignorant les appels répétés dans son dos.

Les jours qui suivirent furent les plus solitaires de l'année pour Draco.

Cacher sa mission à ses amis, ses camarades, ses professeurs était une chose ; cacher l'effroi d'avoir failli tuer un second élève en était une autre – surtout quand on le prenait désormais pour une sorte de héros. Un garçon qui s'était présenté comme un ami de Cormac McLaggen l'avait remercié la veille. Draco avait mis un moment avant de comprendre qu'on le percevait comme le sauveur de sa propre victime.

Il n'aurait pu s'en vouloir davantage.

C'était pourtant bon signe pour lui. Qu'on le prenne pour le sauveur plutôt que l'empoisonneur. Cela le rendait au-dessous de tout soupçon. Même Granger avait plaidé sa cause auprès des directeurs de leurs maisons respectives à l'infirmerie. Ni elle ni le professeur Slughorn ne semblait le suspecter de quoi que ce soit. Du moins, c'était ce que laissait entendre leur absence de réaction.

Cela faisait plusieurs jours que Granger avait disparu de sa vie. Elle le regardait aussi peu qu'il la voyait. Draco commençait à songer que tout était revenu à la « normale », de retour à l'époque qui avait précédé la fête de Noël, avant la folie des nèfles et des suspicions, du baiser et de la tension. À peine eut-il le temps d'accepter de se demander si ça lui manquait que la jeune femme fit son grand retour.

Il l'avait vue venir de loin ce jour-là.

Les regards insistants avaient repris, pendant toute une matinée. Elle n'avait pas cherché à être discrète, épiant le moment où elle pourrait le prendre à partie. Après le déjeuner, lorsqu'il sortit de la Grande Salle, seul, la lionne sauta sur l'occasion.

Une fois les portes passées, elle l'appela.

« Malfoy », entendit-il derrière lui, le bruit de pas pressés claquant sur le sol.

Draco ne s'arrêta pas, continuant à arpenter le couloir en direction de la bibliothèque.

« Hm ? », lança-t-il nonchalamment par-dessus son épaule.

Il l'entendit soupirer de frustration, puis grommeler quelque insulte sur son impolitesse.

« Malfoy, arrête-toi deux secondes !

- Je ne suis pas à tes ordres, Granger. »

Elle soupira de nouveau, courant jusqu'à lui pour rattraper ses grandes enjambées.

« Je voudrais te dire quelque chose, dit-elle, apparaissant au coin de son œil.

- On dirait bien », répondit-il en jetant un regard désintéressé dans sa direction.

Il poursuivit son chemin, obligeant la jeune femme à suivre son rythme de marche.

« Merlin, pourrais-tu ralentir ? J'essaie d'être gentille. »

Il ne ralentit guère.

« Gentille ? Chaque jour qui passe apporte son lot de surprises. »

Elle souffla d'impatience.

« Pourquoi rends-tu ça si compliqué ?

- Pourquoi rendrais-je ça facile ?

- C'est fou comme tu peux être puérile.

- La gentillesse te réussit bien, Granger. »

Elle le dépassa en quelques foulées, puis se planta devant lui, bloquant son passage.

« Malfoy, je suis sérieuse, déclara-t-elle. Je veux te remercier. »

Granger avait, en effet, l'air sérieuse. Comme toujours. Le visage relevé bien haut vers lui pour affronter sa hauteur. La mine déterminée, les yeux concentrés, les cheveux indomptés. Il nota que ses joues avaient perdu le pourpre de leur dernier échange avant le drame.

« Me remercier de quoi ?

- D'avoir sauvé Cormac. »

Draco se tut un instant. Des années d'entraînement rendirent son visage impassible aux tourbillons d'aigreur et de tourment que cette gratitude suscitait en lui. Surtout face à la véritable héroïne de l'événement.

« C'est aussi de ton fait », dit-il avec beaucoup de pudeur.

Les mots les plus proches d'un remerciement qu'il prononcerait.

« Mais je n'aurais pu aider si tu ne m'avais sauvé en premier », objecta-t-elle.

Il se figea.

« Si tu n'avais pas réagi assez rapidement, j'aurais bu mon verre. »

Le cœur de Draco s'accéléra dans sa poitrine.

« N'importe qui aurait fait la même chose en voyant McLaggen s'effondrer », justifia-t-il.

Menteur. Il n'était pas encore tombé lorsque Draco avait cogné le verre de Granger.

« N'importe qui ? », dit-elle en penchant légèrement la tête sur le côté.

Ça sonnait comme une question piège.

Il fronça les sourcils. Elle reprit face à sa confusion.

« Je me souviens d'un temps – tu sais, la douce époque de l'ouverture de la Chambre des secrets – où tu souhaitais ma mort. Si je ne m'abuse, je suis toujours une Sang-de-Bourbe et, toi, un Sang-Pur qui ne rechignerait à voir mon espèce éradiquée. »

Et c'est à ce moment-là, plusieurs jours après les faits, que Draco se rendit compte que l'empoisonnement de Granger aurait pu lui être bénéfique, le débarrassant définitivement d'une menace à sa mission, d'une épine dans son pied – mais l'idée ne lui avait même pas traversé l'esprit. Pas un instant. Sur le moment, il n'avait songé qu'à une seule chose : ne pas tuer, ne pas tuer, ne pas tuer.

Cela n'avait pas importé de savoir quel sang brassait le cœur qu'il risquait d'arrêter.

« Donc non, conclut-elle. Par définition, tout le monde n'aurait pas fait ce que tu as fait. Et il n'était pas évident que, toi, en particulier, le fasse. »

Elle le regarda d'un œil calculateur.

« Tu veux savoir ce que j'en déduis, Malfoy ? »

Il se prépara au pire.

Était-ce le moment où Granger le rattraperait une nouvelle fois ? Le moment où elle révélerait avoir tout compris ? Le moment où il apprendrait sa défaite ?

Le serpent fatalement rattrapé par la lionne.

« J'en déduis que tu as changé », révéla-t-elle.

Draco ne s'attendait pas à une telle conclusion. Cela généra en lui un sentiment étrange, à mi-chemin entre le soulagement de ne pas être percé à jour et la panique de l'avoir été d'une manière inattendue.

La notion qu'il put avoir changé sonna comme une insulte à ses oreilles, surtout formulée par la bouche d'Hermione Granger. Il réagit donc immédiatement, par pure fierté, sans plus songer au calcul.

« Je n'ai pas changé », se défendit-il avec un air méprisant.

Elle le fixa intensément.

« Je crois bien que si, assura-t-elle. Et ça signifie que je te dois également des excuses.

- Quoi ? » fit-il confus.

Coinçant une mèche de cheveux derrière son oreille, Granger bascula son poids d'une jambe vers l'autre, avant de se lancer.

« Il est possible que j'ai... imaginé le pire à ton sujet et tiré des conclusions hâtives. Quand tout ce que tu as fait, c'est... m'importuner, m'embrasser, me sauver. »

Draco n'en revenait pas.

Au sommet de sa culpabilité, Granger était enfin convaincue de son innocence. Sous ses yeux, la résolution qu'il attendait depuis des semaines, et elle ne provoqua en lui que répulsion.

Les mots de Granger laissèrent un goût amer dans sa bouche.

« Je t'ai accusé de choses graves, reprit-elle, alors qu'en fait, tu vaux sans doute mieux que ça. N'est-ce pas ? »

Le sourire timide qu'elle lui fit eut alors l'effet d'un coup de couteau dans son cœur.

« Voilà donc ce que je voulais te dire : merci et désolée. »

Puis elle tourna les talons, disparaissant précipitamment au détour du couloir, le laissant à sa stupeur.

Contrairement à ce que croyait le professeur Rogue, Draco s'en sortait remarquablement bien. Sa réparation des Armoires à disparaître avançait lentement, mais sûrement ; ses autres « plans stupides » n'avaient résulté en aucun décès, ni n'avait mené à la découverte de son secret ; ses paroles et ses actions avaient eu raison, même involontairement, des suspicions de Granger.

Clairement, tout allait pour le mieux.

Draco se sentait pourtant plus mal que jamais.

Tout cela faisait-il de lui un Mangemort étonnamment excellent ou bien atrocement mauvais ?


Note de l'autrice :

*tousse* Hermione Cruella Granger *tousse*

J'ignore quand je posterai le prochain chapitre, donc je ne vais pas annoncer de délai. Je peux juste dire qu'il arrive, et qu'il ne faudra pas attendre ni deux ans, ni deux mois, ni deux semaines pour le lire. Un rythme régulier reviendra dès que possible. À bientôt !


Réponse aux guests (update 21/07/21) :

Drou : * tente d'inventer une petite chanson en ton honneur * "Drou, toujours au rendez-vous, Drou, aux commentaires mégas doux, Drou..." Bon ok, voilà... Merci :)

Clare : Omg, welcome back ! Aaah, la douce (à peu près) époque du chapitre politique... Merci, ça a été l'un de mes préférés à écrire, donc ravie que tu y aies été sensible ! Et merci d'avoir pris le temps de commenter ! La suite arrive bientôt :)