Notes de début de chapitre.
Eh bien, euh...bonjour ? Bonsoir ? Je ne sais pas comment dire. Je sais, ça fait un petit moment. Promis, j'ai honte. Pour ceux qui passeront éventuellement par ici et qui me connaissent du fandom Death Note, je vous promets que je continue Downtown Abyss en parallèle, juré craché (je ne lâche rien !). Même que le prochain chapitre sera prêt pour janvier, je vous le promets.
Juste quelques clarifications sur cette histoire (désolée, ça va être un peu long) :
1°) C'est une histoire écrite de base en français, mais je l'ai postée dans un premier temps en anglais sur le site Archive of Our Own, à la fois par défi, mais aussi parce que la majorité des histoires pour ce drama sont là-bas (pardon). Sauf qu'après une mauvaise expérience là-bas, j'ai préféré supprimer toute l'histoire et la poster ici, en français. J'ai connu le drama en 2012 (il y a donc très longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine...), et j'ai pas pu le lâcher depuis. Ça fait très longtemps que je voulais écrire dessus, mais j'ai manqué de courage jusqu'à aujourd'hui, où j'en suis arrivée à un point où je ne suis plus trop déçue par mon écriture et mes idées. Tout le plan de l'histoire est construit (je le bosse depuis oh, allez...huit ans ? #sauvezmoi), et je ferais de mon mieux pour poster régulièrement les chapitres dans la mesure de mes possibilités (sachant que je termine ma thèse en parallèle...oui, je suis probablement maso). C'est une histoire assez longue, et qui était déjà bien avancée sur AO3, mais je vais tout faire pour tout bien rapatrier sur FF !
2°) C'est un Univers Alternatif qui se déroule, ou tout du moins débute, dix ans après la mort du personnage de Yeo Woon (hello darkness my old friend). J'ai essayé de faire des plans d'histoire qui le sauvait dans le "canon", mais pas moyen d'arriver avec quelque chose d'original ou de vraiment prenant, donc voilà où on en est (je déteste mon cerveau, parfois). Cette histoire va traiter de thèmes assez durs et sombres, comme le suicide, le processus de deuil de manière générale, le meurtre, la xénophobie et la recherche d'identité et de préférences sexuelles (entre autres). J'ai aussi prévu pleins d'OCs : promis, ils ne mordent pas, tant qu'on les nourrit ;).
3°) Cette histoire est le fruit d'un nombre incalculables de sources d'inspirations, parmi lesquelles quatre principales :
- "In The Flesh", une série de la chaîne BBC Three, récompensée plusieurs fois, qui parle d'un adolescent qui revient d'entre les morts et rejoint sa famille après avoir été "normalisé" (autrement dit, avoir appris à prendre des médocs pour arrêter de manger les gens), et qui a des difficultés à s'ajuster à son nouveau statut dans un village assez xénophobe et homophobe. Oh, et il s'est suicidé. Ça vous rappelle quelqu'un (je vais aller pleurer dans un coin) ?
- "Giselle", un ballet romantique et très triste à propos d'une jeune fille (Giselle) qui tombe amoureuse d'un gars (Albrecht), mais le gars est fiancé à une autre fille très riche en secret, et quand Giselle l'apprend, elle devient folle et meurt. Le deuxième acte raconte comment Giselle sort de sa tombe pour rejoindre les Wilis (les esprits fantômes des vierges trahies par leurs soupirants), et essaye de sauver Albrecht de danser à mort jusqu'au lever du soleil. Oui, le deuxième acte est l'inspiration majeur. Dong Soo et Yeo Woon m'ont beaucoup fait penser à Albrecht et Giselle, donc j'ai craqué.
- "Tokyo Ghoul", un manga et anime japonais qui se déroule dans une réalité alternative où des créatures appelées "ghouls" ont envahi Tokyo et mange de la chair humaine pour survivre. Ils se cachent de la population humaine. L'histoire suit un jeune homme du nom de Ken Kaneki, qui devient une goule après avoir survécu à l'agression d'une d'entre elle. Je me suis surtout inspirée de la façon dont Kaneki gère son changement de statut (qui implique de tuer des gens pour manger, d'avoir à se battre et à se cacher) et comment ce dernier affecte sa relation avec son meilleur ami d'enfant (ces deux-là sont endgame, mais c'est un autre débat)
- "Kingdom", la série Netflix coréenne à propos d'une apocalypse zombie durant l'ère Joseon. C'est pas mon inspiration majeure, mais j'ai quand même pensé que c'était très sympa d'avoir un désastre zombie pendant une autre période de temps.
4°) Cette histoire comportera deux fins. La première est une fin douce-amère, qui "mêle douceur et amertume" (Dictionnaire de l'Académie Française), donc qui ne sera pas forcément ultra heureuse, mais sans pour autant être terrible non plus. Ce sera la fin officielle. La seconde, alternative, est une fin beaucoup plus dure, violente et malheureuse qui prévoit d'être, dans une certaine mesure, pire que celle du drama original. Rassurez-vous, les deux fins seront écrites comme deux chapitres séparés, et vous pourrez ainsi choisir celle qui vous convient le mieux, promis ;).
J'espère sincèrement que l'histoire vous plaira !
Table des matières
Quatre arcs en tout sont prévus (environ 85 chapitres)
Arc I : La Résurrection (chapitres 1 à 24, écrits d'août à octobre 2020)
Interlude : Le cercueil
Arc II : L'Exile (chapitre 25 à 41, écrits de novembre à décembre 2020)
Interlude : Le Royaume
Arc III : L'Île des Morts (chapitres 42 à 73, écrits de janvier à avril 2021)
Interlude : L'autre Endroit
Arc IV : Le Paon Aux Cent Yeux (en cours d'écriture)
Bande son :
Violin Concerto 2nd Movement (BO du film "La Rafle")
PROLOGUE
"Ceux qui sont morts ne sont jamais partis/ Ils sont dans l'Ombre (…) / Les morts ne sont pas sous la Terre:/ Ils sont dans le Bois (…) / dans l'Eau (…) / dans la Foule (…) / Les Morts ne sont pas morts."
(Birago Diop, poète français, extrait du poème « Souffle »)
a. Première résurrection
Le premier gwishin qui apparut sur le territoire du royaume de Joseon vécut pendant plusieurs jours au milieu de ses congénères vivants comme un individu normal et sensé. On était en automne 1767, et on faisait des spéculations sur la santé déclinante du roi Yeongjo, en proie d'après les rumeurs à une fièvre persistante. Personne n'ignorait que le monarque était sujet à ces afflictions saisonnières tous les ans, mais personne n'ignorait non plus l'âge du souverain, ni la jeunesse prometteuse de son héritier, le prince Yi San. Dans les auberges et les champs, on s'échangeaient des potins en provenance de la capitale à une vitesse démesurée.
Les maisons de divertissements, où les gisaengs recevaient leurs afflux de clients habituels, motivés pour rester au chaud et échapper à la brise glaciale annonçant un hiver rude, étaient le théâtre de conversations passionnées où, entre deux poèmes, on spéculaient sur la politique mourante. Dans les rues, les échoppes se remplissaient avec une régularité agréable, et les herboristes réalisaient leur chiffre d'affaire de l'année. Personne ne remarqua In Monchang. Personne ne savait que la mort pouvait ne pas être définitive. Il était difficile de les blâmer : l'éducation et la vie leur avait toujours inculqué l'inverse.
In Monchang était un propriétaire terrien du sud du pays, possédant une parcelle à quelques kilomètres de la ville de Namwon. Il était mort à cinquante cinq ans d'une crise cardiaque foudroyante provoquée par une alliance de facteurs, parmi lesquelles une consommation d'alcool hautement excessive, un tempérament sanguin, et surtout un rythme de vie qui en avait tué plus d'un avant lui.
La chaleur intense de l'année 1756 avait eu raison de sa santé alors qu'il se rendait à Namwon pour négocier le prix de ses récoltes (pour lesquelles il touchait un pourcentage majeur et laissait quelques miettes à ses paysans, dont les conditions de vie étaient encore plus à plaindre). On l'avait retrouvé étendu sur le sol non loin d'un petit village spécialisé dans le commerce de tissus, son cheval en train de brouter paisiblement l'herbe d'un pré quelques mètres de là. Il était mort quelques heures plus tard, sous les yeux d'un médecin un peu dépassé par les événements, et de son épouse. Leurs trois enfants étaient mariés depuis plusieurs années.
Ils avaient accouru lorsque la nouvelle leur était parvenue, s'attendant à trouver leur mère dévastée. Contre toute attente, cette dernière, après avoir pleuré la soudaineté de la tragédie, vendit maison et terrain pour rejoindre Hanyang dès que l'occasion le lui permit. Des voisines bavardes prétendirent que la femme y avait un amant et que son mari, violent et infidèle, n'avait pas pu constituer une grande perte pour elle. En réalité, ses deux fils et sa fille la trouvèrent auprès de ses parents, travaillant dans la petite boutique de vêtements qu'elle avait quitté après son mariage. Ils accordèrent néanmoins aux rumeurs qu'elle semblait plus heureuse et rentrèrent auprès de leurs propres époux, épouses et enfants après un partage relativement équitable de l'héritage des terres vendues, où les garçons glanèrent la majorité du butin et la fille obtint toute la tendresse de son défunt père.
Curieusement, l'affaire provoqua une rixe entre les familles qui perdura sur la décennie suivant le décès du patriarche. Toujours fut-il que lorsque In Monchang s'extirpa de sa tombe après onze ans de prétendu repos éternel, ahuri, comme en proie à une folie douce due au choc de s'être réveillé sous plusieurs couches de terres, il n'y avait personne pour l'accueillir, et donc personne pour le reconnaître.
Il avait été enterré dans le cimetière du village où il avait élu domicile et n'eut de ce fait aucun mal à retrouver son chemin. Ses interrogatoires tardifs avec la police de Namwon révélèrent qu'il pensait simplement avoir dormi pendant quelques heures. Il trouva sa maison en ruines, ses récoltes remplacées par d'autres. On était la nuit. Sa femme et ses enfants avaient disparu.
Des maisons avaient changé, il ne reconnaissait pas le nom de ses anciens voisins (la plupart avaient quitté le village pour rejoindre Namwon, où se présentaient des opportunités de travail plus intéressantes). Il avait cru à une attaque, ou un assassinat de masse. Terrorisé, et paralysé par l'incompréhension, il avait choisir de dormir dans les décombres de son ancienne demeure, qui semblait plus sécurisée que l'extérieur, pour finalement découvrir qu'il ne pouvait pas dormir. Les jours suivants lui apprendraient qu'il ne le pouvait plus.
Au comble de l'angoisse, il avait finalement entrepris de faire le tour du village à la recherche d'un cheval ou d'une âme éveillée : il n'avait trouvé ni l'un, ni l'autre, et décida après réflexion de partir à pieds en direction de Namwon, faut de meilleur plan. Il atteignit la ville à l'aube. Durant son trajet, il se remémora à plusieurs reprises son éveil, la confusion qui avait suivi, et l'endroit où il avait eu lieu. Il s'était persuadé en marchant que sa famille l'avait déclaré mort trop tôt, après un évanouissement du à sa faiblesse de l'après-midi.
Il n'avait pas d'argent, et son ancien collègue d'affaire, dont il représentait une majorité des investissements, avait fait faillite moins de six mois après son décès, l'obligeant à quitter l'agréable demeure qu'il occupait pour se réfugier dans un village plus au nord, où le cadre de vie était moins cher. Les nouveaux habitants, qui venaient de Gwangju et auprès desquels il chercha des informations, ne savaient pas où demeurait l'ancien propriétaire.
Dépité et déprimé, In Monchang avait perdu tous ses repères. Il avait faim, et pas de quoi se payer un repas. Il ne s'émerveilla même pas de son absence de soif, ni de la couleur de sa peau sous sa tunique, qu'il n'avait pas pris le temps de regarder. Il le ferait le soir, recroquevillé dans une ruelle. Il ne savait pas à ce moment-là que depuis son réveil, ses yeux étaient opaques et noirs, et que plusieurs personnes l'ayant croisé s'étaient étonné du phénomène, l'associant davantage à une maladie oculaire particulière qu'à un signe de décès antérieur. Comme signalé précédemment, personne ne soupçonnait à l'époque que la mort était un statut temporaire.
À la vue de sa peau nettement décolorée, la terreur de In Monchang avait été si grande qu'il avait essayé de trouver un médecin. Le premier qu'il vit le jaugea rapidement, pris note de l'état inhabituel de ses yeux, mais y apposa un diagnostic de gueule de bois et lui lui conseilla sèchement de se remettre à l'eau froide, sans même le laisser lui expliquer ses symptômes. L'hiver approchait, et les malades se multipliaient déjà dans les rues. In Monchang, si l'on ne regardait pas les loques de son hanbok, avait l'air relativement en forme, si ce n'était la pâleur de son visage et ses yeux très sombres et vitreux.
Complétement désorienté, affamé (de la viande il se souvenait qu'il voulait de la viande rouge et saignante de la vraie viande), il avait erré dans les rues de Namwon pendant trois jours, vivant de la mendicité et de la compassion des gens qui le voyaient pleurer seul, terré dans un coin. La faim avait fini par atteindre un stade critique. Dans une auberge qu'il avait côtoyé autrefois, il n'avait pas réussi à se contenir. Une jolie aubergiste lui apportait un bol de riz, payé par la générosité des passants. Il l'avait remercié en enfonçant ses dents dans les muscles tendres et roses de son bras, l'esprit plein de faim faim faim faim faim. Plus rien n'avait eu de sens. La fille était morte.
C'était ainsi qu'il s'était trouvé emprisonné au commissariat de Namwon. C'était également par le biais de ses interrogatoires et d'une ou deux séances de torture vaguement infructueuse (le suspect ne sentant pas la moindre tentative) que les policiers avaient compris de qui il s'agissait, en écoutant In Monchang sangloter sur sa famille disparue et sa faiblesse d'été. On avait fait revenir l'ancien médecin, puis l'épouse et les enfants pour l'identifier.
Tous l'avaient reconnu sans aucun doute, et aucun n'avait semblé comprendre. Au début, on avait appelé au miracle et la rumeur s'était propagée dans tout le pays. Puis le médecin avait examiné son ancien patient, vu les signes, et conclut à une impossibilité existentielle. L'épouse en avait fait une syncope. Les policiers étaient restés muets d'effroi. Pendant ce temps-là, aux quatre coins de Joseon, des milliers d'autres In Monchang sortaient de leurs tombes et rentraient chez eux.
b. La doxa
Les premiers temps, et une fois la nouvelle largement répandue dans le pays, les gens étaient plutôt heureux de voir revenir leurs proches disparus, le plus souvent dans des circonstances tragiques. Personne ne parvenait à expliquer l'événement, et certains ayant accès aux voies mystiques - ou qui prétendaient y accéder - mettaient en garde la population contre tout désir d'en savoir davantage.
- Les morts reviennent. C'est l'œuvre des dieux. Les hommes n'ont pas à la comprendre, lisait-on écrit sur des papiers mouillés de pluie, sur les murs, dans les discours des troupes de passage venues divertir les petits villages.
Pour d'autres, et sans aucun doute pour la majorité des sujets de Joseon, cette levée des morts amenait avec elle une légion de questions et d'alarmes qui empêchaient même les plus aguerris de dormir en paix. Avait-on fait quelque chose d'interdit ? Était-ce une punition ? Y avait-il un dérèglement quelque part, là où allaient les morts une fois leurs esprits éteints ? Avait-on enfreint une règle ? Toute une batterie de théologiens, de scientifiques et de littéraires parmi les plus renommés du pays se penchèrent avec assiduité sur le sujet, mettant entre parenthèses toutes les autres interrogations et problématiques qui avaient jusqu'à lors constitué chaque jour de leurs existences vivantes.
Le roi, sitôt informé - et il le fut très tôt - envoya ses meilleurs experts sur le terrain, exigea que des médecins se tournent vers le miracle, le dissèquent, l'expliquent. On attendait des réponses, et le pays grondait d'impatience sous sa joie apparente. Les morts revinrent pour la plupart à leurs familles. Quand il en restait des membres, ces derniers se débrouillaient pour accueillir le nouveau ou la nouvelle venue (ou revenue) et s'empressaient d'aller crier sur les toits la bonne nouvelle. Les maisons, petites et grandes, entrèrent dans une concurrence aimable et malicieuse qui ne dura pas. Au bout de quelques semaines à peine, les morts, qu'on avait baptisés "gwishins", littéralement "fantômes", passèrent irrémédiablement du statut de merveille du monde à nuisance absolue.
Tout d'abord, ils revinrent nombreux, et ils prirent de la place dans un pays qui avait peine à loger ses sujets et à les nourrir. En outre, ils n'étaient pas toujours les bienvenus. Certains étaient mal-aimés, parfois avec raison, le plus souvent sans la moindre justification. Le gouvernement ne savait pas quoi en faire. On proposa de leur offrir du travail, mais la population vivante se vit très rapidement menacée par une telle éventualité, elle qui avait déjà des difficultés à trouver des places dans la société.
Ils ne buvaient pas, mais ils consommaient de la nourriture, de l'espace, du temps. Ils étaient déphasés, car la plupart étaient morts depuis plusieurs années déjà, et désespérément perdus dans un monde qui n'avait pas véritablement de temps à accorder à leur détresse, trop occupé qu'il était avec la sienne. Ils mettaient tout le monde mal à l'aise, en dépit du bonheur procuré par leur réapparition : ils détruisaient les croyances, les espoirs, les mythes et une vérité scientifique qu'on croyait établie de façon éternelle. Ils se mirent à effrayer les gens par leur apparence, leurs expressions hagardes, leurs yeux voilés.
La phase de lune de miel, où tous les habitants s'étaient bercés d'illusions en croyant qu'il s'agissait d'une sorte de chimère commune, prit définitivement fin lorsque le monarque vit revenir une dizaine de ses ancêtres et que des gwishins, sans familles ni repères, commencèrent à attaquer les gens pour de la nourriture (de la viande) et, quand ils n'en avaient pas, à se nourrir de leur chair. Les vivants, brisant leur façade de douceur et de d'enthousiasme, révélèrent alors massivement un intérieur plein de haine, d'angoisses et de déni.
Le roi et ses ancêtres revenants se querellèrent, les loyautés au sein du gouvernement tombèrent en miettes, et le souverain, aussi confus que ses sujets, profita d'un mouvement de doute intense et massif où personne ne savait plus quoi dire, quoi faire ou vers qui se tourner, pour ordonner secrètement l'exécution de tous les anciens régents et de leurs partenaires, mâles ou femelles, qui pouvait constituer une menace pour son règne. À l'époque, il était revenu des témoignages assurant que les gwishins pouvaient être tués pour une seconde fois, à l'unique condition toutefois de les décapiter.
Les exécuteurs, quand on les amena auprès du souverain, lui jugèrent devant les dieux que la résurrection était vraisemblablement un événement unique et qu'aucun des morts ayant été tués de cette façon n'était reparu depuis. Seule la séparation du cerveau et du corps paraissait fournir une solution adéquate à la prétendue immortalité des fantômes. Le monarque ne vit aucune autre alternative, ou plutôt refusa d'en considérer une autre.
Son fils, le prince Sado, était de la partie et tentait de reprendre contact avec le prince héritier Yi San, qui le roi avait fait éloigner du palais dès lors que les premiers ancêtres s'étaient manifestés. Yeongjo les convoqua tous et toutes un soir au cours d'un grand banquet privé, glissa une dose mortelle de somnifère dans leurs plats par simple précaution, leur assura qu'ils aborderaient la question du trône le lendemain, et, durant la nuit, envoya une brigade de militaires lui étant restés fidèles les assassiner tous les uns après les autres.
Aucun ne dormait véritablement, mais l'incroyable quantité de poison dans leur nourriture eut le mérite d'au moins réduire quelque peu leur agilité et de les rendre plus vulnérable. Certains ripostèrent avec une ténacité qui coûta quelques hommes au monarque. Les anciens rois Seongjong et Jungjong parvinrent à s'échapper, accompagnés pour l'un de son épouse, Jeheon, revenue à la vie dans un même élan, et pour l'autre de deux de ses anciennes concubines. Des fidèles quittèrent le palais avec eux. Au petit matin, du haut de son trône, Yeongjo regarda ses ministres blancs comme des linges et ordonna le début de la purge.
Elle ne fut pas unanimement bien accueillie, mais elle fut assidûment suivie. On envoya l'armée dans toutes les villes, dans les campagnes et les villages. Les gwishins, de miraculés, devinrent peu à peu traqués par les militaires mais aussi par leurs proches, qui voyaient en eux des êtres contre-nature et le signe d'une punition divine. Aucune réponse n'avait été trouvée quant à leur retour, les médecins peinaient à expliquer comment un esprit pouvait fonctionner dans un corps où ne battait aucun cœur et où ne circulait aucune goutte de sang.
Les blessures des morts renvoyaient un liquide noir. On paniquait. Des familles désemparées tentèrent de cacher ceux qui les avaient rejoint après être sortis de terre : calculant les risques, le roi déclara que toute complicité avec un gwishin serait punie. On se mit à tuer les vivants. Les morts, eux, quand ils n'étaient pas capturés et massacrés dans une confusion totale, s'éloignèrent des zones peuplées pour se réfugier vers les endroits les plus inaccessibles du pays, dans les montagnes, gagnant une sécurité précaire mais plus grande qu'en ville.
On prétendit que plusieurs d'entre eux passèrent les frontières vers la Chine, ou se faufilèrent à bord d'un bateau en direction du Japon ou de l'île de Jeju. Yeongjo, craignant une occasion pour les monarchies voisines de profiter d'une faiblesse au sein de Joseon, fit renforcer la surveillance frontalière. Au bout de trois mois, le pays regagna une certaine paix qui se traduisit par la raréfaction des morts auprès des vivants et leur disparition vers des zones plus reculées. Le roi se mit à retrouver son empire sur ses sujets et sur son gouvernement.
La deuxième résurrection frappa sans pitié trois ans plus tard.
