Bonjour à tous,

Bon eh bien, cela m'aura finalement pris trois semaines au lieu de deux, mais voilà pour vous le chapitre 100 de cette fiction.

J'espère que vous allez bien? Que vos vacances (pour les chanceux) se passent bien? Je vous apporte en tout cas de quoi vous distraire !

Merci encore pour les reviews du précédent chapitre, je vous répondrai dès la publication de celui-là. Par contre je ne sais pas si c'est un problème général ou si mon adresse mail rencontre des difficultés mais je ne recevais aucune notification quant à de nouveaux commentaires/suivis/favoris. Il aura fallu me rendre compte de l'augmentation de ces trois critères pour aller vérifier et constater qu'effectivement je recevais bien un mail mais pas de notification ^^.

Plmn : Merci pour ton commentaire ! J'espère que ce dernier chapitre te plaira ;)

Aussidagility : Merci également pour ton commentaire ! Tu auras la réponse à la question de la destinée de Lily dans ce chapitre ;)

Guest : Pour le coup je ne vais même pas prendre la peine de te répondre sur le chapitre en question. Je me demande même pourquoi je me donne la peine de te répondre puisque tu t'es arrêté au chapitre... 4? Effectivement, c'est suffisant pour se faire un avis sur les 96 suivants. La poule mouillée invite donc cordialement le lecteur anonyme à aller trouver son bonheur dans d'autres catégories de son âge (je suis persuadé que ce site fourmille d'histoires sur Peppa Pig, Trotro l'âne et Petit ours brun) et à revenir lorsqu'il saura écrire une critique constructive. à bon entendeur.

Donc concernant ce chapitre... Je vous préviens tout de suite, ce n'est pas du tout la suite du précédent ! Mais je vous laisse le découvrir par vous même.

Pour la dernière fois donc, bonne lecture !


Il faisait une chaleur étouffante en ce mois de juillet, et les malheureuses fougères poussant le long des murs du relais de poste où il s'était arrêté terminaient de se consumer sous les rayons d'un soleil accablant et sans pitié pour elles. Les grillons chantaient dans les buissons bordant la route qu'il venait d'emprunter et se mêlaient aux hennissements des chevaux que l'on harnachait à sa berline et aux jurons des hommes qui tentaient de les calmer. L'opération semblait ardue, risquée, et un coup de sabot n'était pas inenvisageable pour eux, mais avec fermeté, les propriétaires de ces bêtes parvenaient non sans mal à faire obéir les montures.

Lui se trouvait sous un porche, à l'abri d'Hélios et assis tranquillement sur une chaise en bois que l'épouse du maître du relais avait gentiment proposé de lui fournir en attendant que sa voiture soit préparée. À ses côtés se trouvait aussi une petite table carrée sur laquelle il avait répandu les dernières notes des textes de loi à étudier et modifier le cas échéant avant d'y apporter son aval ou son refus ; Les derniers jours passés dans la berline lui avaient offert la possibilité de les étudier scrupuleusement, longuement et avec tout le discernement dont il était capable compte tenu de l'inconfort d'un tel voyage, aussi cet arrêt n'était qu'un prétexte supplémentaire pour continuer à travailler inlassablement.

La chambre des pairs, ou chambre haute pour certaines personnes, devait prochainement se réunir pour discuter de ces sujets, et le prince de Lamballe comme le reste de ses collègues se devait d'y assister et d'apporter son opinion personnelle sur ces problématiques qui allaient, dans un avenir proche, toucher le quotidien des français. N'avaient-il pas voté quelques mois auparavant sur les conditions requises afin d'être électeur et la méthode d'élection des représentants de la chambre des députés? N'avaient-il pas, l'année précédente, et malgré ses réticences personnelles, supprimé le divorce? En deux ans maintenant, il avait eu le temps de se familiariser avec la nouvelle donne politique du pays, et bien qu'étant le plus jeune membre de la chambre des pairs, bien que n'ayant pas comme d'autres avant lui une expérience conséquente de la vie politique et de ses multiples rouages, bien que ne devant sa place en cette assemblée qu'au fait d'être noble, il prenait sa tâche très à cœur, n'acceptait pas le moindre moment de relâchement pour vaquer à ses occupations et se faisait une obligation d'être le mieux informé des prochains sujets de discussion dès l'instant où il passerait les portes du palais du Luxembourg.

Distraitement, il regardait les hommes s'affairer autour de sa berline, terminant les préparatifs en fixant ça et là les différentes attaches qui permettraient aux chevaux de le conduire vers sa destination sans trop de risque. Le verre d'eau qu'il tenait entre ses mains lui permettait de supporter l'atmosphère brûlante qui s'était abattue depuis quelques jours sur le territoire et qui semblait doubler de vigueur à mesure qu'il se rapprochait de Paris. Pour autant, la capitale était encore à trois jours de route, trois longues journées harassantes à devoir parcourir les routes sinueuses et caillouteuses de l'Ouest avant de parvenir à sa destination.

Soupirant, il passa distraitement sa main contre son front pour éponger la sueur qui commençait à s'y former. Il ferma brièvement les yeux lorsqu'une brise légère se fit miraculeusement sentir, trop brève cependant pour le rafraîchir véritablement. Peut-être aurait-il dû écouter les conseils de son épouse et lui tenir compagnie à l'intérieur du relais? L'atmosphère ne pouvait en tout cas pas être aussi irrespirable qu'ici.

Son attrait pour le grand air n'était plus à démontrer, et il se remémorait avec un sourire mélancolique les innombrables ballades à cheval faites sur ses terres, ces longues heures perdues le fondement assis sur le dos de sa monture à profiter du paysage verdoyant et des beautés de la nature… Mais il en venait aujourd'hui à regretter de ne pas avoir écouté la voix de la raison, réincarnée en la personne de sa propre femme, et qui lui assurait que le trajet serait pénible pour eux et qu'ils parviendraient bien plus vite à destination en transplanant. Leur hôtel particulier était déjà prêt pour leur arrivée, et à cette heure-ci, son seul souci aurait été probablement de se renseigner sur l'état de leur terrasse et du manque d'eau de ses plantes. Maintenant, il en était réduit à compter les relais de poste qui se trouveraient sur leur route et le nombre de fois où il faudrait changer de chevaux avant d'apercevoir la périphérie de Paris, le tout en essayant tant bien que mal de dormir dans une berline secouée par les aspérités des sentiers qu'ils traverseraient.

Il quittait sa propriété de Lamballe pour une période indéterminée, mais avec le sentiment et la certitude qu'il laissait la gestion des affaires courantes et l'administration de ses terres entre de bonnes mains. Remus et la princesse avaient depuis longtemps montré d'excellentes aptitudes à cela, et même si plusieurs mois pourraient s'écouler avant de revenir à son domaine pour un repos bien mérité, il savait qu'en revenant il trouverait les solides murs du château encore debout.

- 'Scusez de vous interrompre M'sieur, lui dit alors l'un des ouvriers en s'approchant lentement de lui, son chapeau entre les mains. Dites… C'est vrai que vous avez fait la guerre?

- Et qui vous a dit cela? Lui demanda t-il posément bien que sachant pertinemment que son cocher avait encore une fois trop parlé à son sujet.

- Ce gaillard là, Antoine que'qu'chose, répondit l'homme en le désignant d'un mouvement de tête.

Son cocher eut effectivement la décence de rougir d'embarras avant de disparaître de l'autre côté de la berline.

- En effet, lui dit-il alors en souriant brièvement.

- Vous avez donc servi l'Empereur? Reprit l'ouvrier d'un ton plus gai.

- C'est exact. Je l'ai servi… autrefois.

L'homme parut ravi de cette réponse car son visage s'illumina de plaisir à cette réponse. Précipitamment, il pénétra à l'intérieur du bâtiment, sembla remuer quelque chose compte tenu du bruit qu'il causait avant de réapparaître à ses côtés, une chaise à la main qu'il se dépêcha de poser près de lui. De l'autre, il tenait une bouteille contenant un liquide jaunâtre qu'il s'empressa de vider dans le verre désormais vide de son interlocuteur avant de boire au goulot.

- M'man la garde pour les grandes occasions, expliqua t-il en s'essuyant la bouche avec la manche de son manteau rapiécé. Elle m'en voudra pas de vous en offrir un peu.

- Votre sollicitude me touche, lui répondit t-il sincèrement en inclinant légèrement la tête vers lui.

Le jeune homme le regarda bizarrement, puis haussa les épaules avant de poser la bouteille à ses pieds.

- Alors dites moi, dit-il en se penchant légèrement vers lui. Comment ça fait de se trouver en compagnie de l'Empereur? Il est comment?

- Petit, légèrement chauve et plutôt rondouillard les dernières fois où j'ai eu l'occasion de le rencontrer, avoua t-il sincèrement. Je n'ai pas eu d'autres occasions de le revoir depuis son premier exil sur l'île d'Elbe.

Il semblait au fils du propriétaire du relais de poste qu'une seconde tête venait de pousser entre ses épaules, car l'air ahuri qu'il arborait aurait pu aisément le faire éclater de rire en d'autres circonstances.

- Non je voulais dire… Comment il est avec les gens? Comment on se sent à ses côtés?

- Oh…, soupira le voyageur avant de porter le verre à ses lèvres.

Le liquide était comme il se l'imaginait, bon marché, plutôt fade avec un peu d'amertume en bouche, mais l'eau-de-vie de l'armée avait un goût pire qui ne s'oubliait pas. À côté de ça, cette liqueur était le plus doux des nectars.

- Imaginez un homme aux deux facettes : Dans le privé, d'une affabilité et d'une bienveillance de chaque instant pour ses interlocuteurs, aux manières et au langage simple pour ceux qui ont la chance d'être accueilli par sa Majesté, d'une bonhomie qui en surprend plus d'un lorsqu'il s'exonère des tâches incombant à sa fonction, d'une grande curiosité pour les autres, pour ce qu'ils aiment, pour ce qui peut les tourmenter, pour les dernières découvertes, pour les racontars lus dans la presse, d'une sollicitude exacerbée pour atténuer les peines de tout un chacun, d'une générosité confondante pour les nécessiteux, témoigner des égards à ceux qui le méritent, et croyez bien qu'il faille un sacré pedigree pour attirer son attention à ce sujet.

Il reprit sa respiration, le temps pour lui de songer aux facettes plus sombres de l'homme qui dirigeait l'Empire il y a encore deux ans, avant de reprendre la discussion :

- De l'autre, dans le public, un homme acharné de travail au point d'avoir à sa disposition six secrétaires pour adresser des courriers à n'importe quelle heure de la journée et de la nuit, d'une sévérité et d'une froideur implacable à l'encontre de ses subordonnés, grondeur à diverses occasions, imbu de lui-même, de son pouvoir et de la certitude qu'il avait pour lui l'amour de son peuple, de ces français qu'il n'hésitait pas à mobiliser en masse pour accomplir ses campagnes militaires. Il était brillant stratège, un meneur d'hommes manifeste et d'un charisme évident, mais emporté par cette certitude d'avoir toujours raison, d'être entouré de sujets soumis à sa volonté ou d'adversaires prêts à le renverser à la première déconvenue, il s'est fait autant d'ennemis que de faux-amis qui n'ont pas hésité une seconde à l'abandonner dès lors que le vent des victoires tournait pour lui.

- C'était un drôle d'homme que celui que vous me décrivez là, commenta le jeune homme pensivement.

- Vous n'avez pas idée…, approuva l'autre en buvant de nouveau.

Le garçon se saisit de la bouteille, prêt à lui verser un autre verre, mais poliment il refusa d'un geste de la main en s'excusant d'un sourire.

- Vous avez combattu pour lui alors? L'interrogea t-il. Vous êtes allé jusqu'à Moscou?

- Je n'ai pas eu ce plaisir…, ironisa t-il en croisant ses bras contre lui. À l'époque, je me trouvais en Espagne, à lutter contre les insurgés en Catalogne et les anglais qui venaient de débarquer dans la péninsule. Cela faisait cinq ans que je m'y trouvais, depuis 1807. Nous étions alors suffisamment occupés par la haine qu'éprouvaient les espagnols à notre égard pour ne pas avoir le loisir d'entrer aux côtés de l'Empereur à Moscou. Vous ne pouviez trouver le moindre soutien dans la population, et les rares malheureux appréciant notre présence finissaient de la même manière que bien des camarades de régiment. Nos ennemis se trouvaient partout, jaillissant des fourrées à notre passage, de derrière les pierres qui pouvaient border les routes, cachés derrière les arbres où nous souhaitions nous abriter pour la nuit. Le fusil à la main, ils hurlaient comme des bêtes et se lançaient dans des escarmouches contre les meilleurs unités de l'armée de l'Empereur, nous obligeaient à reculer constamment, à fuir parfois afin d'éviter de finir massacrés. Leur seule volonté était de nous voir partir de leur pays, de chasser le frère de Bonaparte du trône pour y remettre Ferdinand VII, et le cas échéant, de nous massacrer.

Le prince de Lamballe frissonnait encore à l'évocation de cette fâcheuse campagne, et les souvenirs impérissables qui demeuraient encore dans sa mémoire suffisaient à écourter ses nuits. Loin des perspectives réjouissantes que promettait Napoléon concernant la guerre à venir contre le Portugal, ce conflit l'avait durablement marqué sur les horreurs indicibles de la guerre. Il avait simplement fallu souffler sur la braise des crises politiques et dynastiques qui couvaient en Espagne, chasser le roi y régnant et y placer successivement le maréchal Murat puis Joseph Ier, deux hommes ayant rapidement montré leur incapacité à gouverner correctement une nation, pour soulever un pays entier contre ce qu'ils considéraient comme «des occupants».

Sa gorge se serra en songeant qu'il avait probablement joué un rôle important dans le déroulement de ce conflit, et qu'en s'acquittant de la dette qu'il avait envers Talleyrand, en lui transmettant l'emplacement des garnisons françaises, le tracé des routes parcourues, les stocks de vivre disponibles et en alimentant la rancœur tenace des espagnols contre les français par des libelles anonymes apposés dans les lieux les plus fréquentés, il n'avait fait que précipiter ce qui n'était au départ qu'une occupation en une véritable guerre civile. L'issue du conflit avait été terriblement favorable aux desseins de son oncle, mais il se sentait responsable pour les drames que cela avait engendrés.

Il n'avait effectivement pas eu la chance de connaître et de subir la débâcle de la campagne de Russie de 1812, cette malheureuse marche durant laquelle des centaines de milliers d'hommes finiront par mourir de faim, de froid, des attaques des cosaques, des rivières en crue, d'épuisement, des trahisons, des abandons, des désertions, des retournements de situation, des amitiés qui volent en éclat dès l'instant où le maître de l'Europe accumule les défaites et les revers, mais la guerre d'Espagne n'avait certainement pas été une partie de plaisir non plus. Lui se trouvait occupé dans les plaines d'Aragon à fouiller le moindre buisson, sur les hauteurs de Catalogne à épier la moindre petite crevasse susceptible de servir d'abri, à surveiller la côte basque et les va-et-vient de la flotte anglaise cherchant à débarquer ses troupes sur le vieux continent et échapper à la mitraille qui s'abattait sur eux ; Les récits se montraient si abondant sur cette calamiteuse marche vers l'Est qu'ils en oubliaient aussi les atrocités commises de l'autre côté des Pyrénées.

- Nous avons finalement reçu l'ordre d'abandonner ce maudit pays pour venir au secours de l'Empereur, mais lorsque nous avons repassé les Pyrénées, nous avions découvert que la France était déjà envahie, que les troupes coalisées se rapprochaient de Paris et que ce n'était qu'une question de temps avant que sonne le glas de la défaite, poursuivit-il distraitement en se remémorant les longues marches harassantes en direction du Nord.

Les regards consternés des paysans qu'ils croisaient s'imprimaient durablement dans sa tête, de même que l'état d'abattement de ses hommes tandis qu'ils remontaient toujours plus le pays en sachant pertinemment que leurs chances de victoire relevaient quasiment du miracle. Son regard sembla se voiler devant ces souvenirs, comme un caillou dans la chaussure qu'était sa mémoire et qu'il mettrait longtemps à ôter. Le goût amer de la défaite n'était pas quelque chose qu'il avait souvent connu en Espagne, et même si les batailles livrées là-bas ressemblaient davantage à de petites escarmouches, il avait au moins eu le plaisir de voir ses capacités à diriger des hommes être récompensés. Le général dont on lui attribua le titre revenait de la péninsule couvert de lauriers, mais la campagne de France elle était une autre affaire, un conflit dans lequel il prit tardivement part et qui se termina avant même qu'il ait pu rejoindre l'Empereur.

Un coup d'œil en direction du jeune homme lui laissa l'impression qu'il paraissait déçu de son récit, comme s'il s'attendait peut-être à de glorieux faits d'armes, à une approche beaucoup plus intime des dernières semaines du règne de l'Empereur, à la désillusion qui devait l'animer à l'époque en voyant son Empire s'effondrer sous son nez sans pouvoir rien y faire, aux désertions nombreuses de ses officiers partis rallier Louis XVIII lorsqu'ils sentirent que la chute de l'aigle était inéluctable, à l'absence de l'impératrice et de son fils à ses côtés, au sentiment de colère qui animait les français à son encontre à mesure que les revers s'accumulaient. Lui n'avait pas eu la possibilité d'en faire autant et de rejoindre le roi comme bien des maréchaux et autres hauts gradés, mais il savait pertinemment que si cette occasion s'était présentée, il aurait probablement agi de la même manière.

Instinctivement, il porta sa main contre l'épaule du garçon en la pressant légèrement. Celui-ci releva la tête et la fixa d'un air interloqué, surpris par son geste qu'il ne semblait pas comprendre, mais il garda sa prise sur lui en lui souriant d'un air navré.

- Ne pleurez pas la disparition de cet homme, lui intima t-il doucement. Vous avez peut-être une image beaucoup trop idéalisée de ce qu'il fut, de son règne et de ce qu'il laissa derrière lui, mais je ne vous en veux pas de le voir ainsi. Il est bon d'entretenir la légende d'un homme qui fut capable à maintes reprises de faire plier l'Europe, de rendre sa gloire à un pays qui en avait terriblement besoin, d'apporter dans le cœur de chacun le sentiment de fierté qui semblait nous avoir abandonné depuis la révolution. Certains verront toujours en lui un tyran, un despote, un dictateur, d'autres ce qu'à produit de mieux la glorieuse révolution de 1789, moi je préfère garder de lui l'image d'un homme trop grand peut-être pour son époque, un juste milieu entre les bienfaits qu'il nous a apportés et les malheurs qu'il aura causés à notre nation. Gardez l'esprit ouvert, un regard détaché et qui embrasserait l'ensemble de son œuvre, et forgez vous une opinion critique et globale sur celui qui fut Napoléon Ier.

Son interlocuteur hocha simplement sa tête, mais il avait l'impression qu'il n'avait pas vraiment écouté ses dernières recommandations. Les autres ouvriers eux finissaient leur affaire, et la berline semblait enfin prête lorsqu'il posa les yeux sur elle quelques instants plus tard.

- Monseigneur, lui dit Antoine en s'approchant, dois-je prévenir Madame de notre départ?

- Faites, lui ordonna simplement son maître en étirant ses bras.

Son cocher hocha vivement sa tête avant de se précipiter à l'intérieur. Le jeune homme lui s'était également retiré en silence, le saluant simplement d'un geste avant de rentrer avec sa chaise et sa bouteille à moitié vide dans les mains. Un calme relatif s'était abattu autour de lui, et pendant un moment, il apprécia simplement de n'entendre rien d'autre que le frottement des sabots des chevaux sur la terre sèche de la cour, impatients peut-être de partir en promenade sans se douter de la durée de celle-ci.

La porte du logis s'ouvrit encore une fois avec fracas, mais ce ne fut pas la silhouette d'un adulte qui s'en extirpa mais celle d'une petite fille, l'air gai et au sourire lumineux qui, après un regard en direction de la voiture, se tourna et s'approcha de lui en trottinant. Lui-même sentit ses lèvres s'étirer en voyant cette demoiselle accourir à sa rencontre, ses cheveux blonds et bouclés virevoltant autour d'elle comme une auréole chatoyante, ses yeux verts et rieurs si semblables aux siens, ce visage si curieusement identique à celui de sa mère, ce caractère si spontanée et désinvolte qui lui rappelait tant celui de sa tante au même âge…

Cette enfant semblait avoir pris le meilleur de chacun des membres de sa famille.

- Eh bien, en voilà des manières ! L'accueillit t-il sans pour autant paraître contrarié de son comportement. Vous savez ce que pense votre mère d'une telle attitude : Claquer les portes, courir… Peut-être sommes nous trop indulgents vis-à-vis de vos écarts de conduite, mademoiselle.

La toute jeune duchesse de Penthièvre parut légèrement honteuse lorsqu'elle se trouva devant lui, et nerveusement, elle jouait de ses mains avec l'un des plis de la longue robe de mousseline lui arrivant jusqu'aux chevilles sans oser le regarder dans les yeux, son sourire disparu et remplacé par une petite bouche boudeuse. Son père roula des yeux, se saisit de son menton pour lui relever la tête avant de s'adresser de nouveau à elle, la voix moins sévère qu'auparavant :

- Allons, cessez de vous tourmenter, vous savez que je ne suis point en colère contre vous, dit-il avant de passer sa main dans son dos pour la rapprocher de lui et lui faire un câlin.

- J'étais juste contente de vous voir père, expliqua t-elle dans le creux de son oreille.

- Tout comme je le suis, mais me voyez vous courir vers vous chaque fois que mes yeux rencontrent les vôtres? Argua avec patience Harry avant de la soulever délicatement pour la faire asseoir sur ses jambes.

Marie-Anne se lova davantage contre lui et posa sa tête sur son épaule. Ses cheveux fins et doux comme de la soie lui chatouillaient le visage, et il aimait à s'y perdre et à en humer le parfum tout comme il en faisait de même avec Daphné. Sa main lui caressait le dos en effectuant des petits mouvements circulaires, tandis que de l'autre, il tenait entre ses doigts les feuilles qu'il avait essayé vainement de lire mais que de multiples contraintes avaient empêché. Las, il sortit sa baguette magique de la manche de son habit, vérifia qu'aucun moldu ne se trouvait à proximité puis les fit disparaître d'un geste en songeant qu'il s'y intéresserait plus tard.

- Pourrais-je m'exercer avec votre baguette, père? Lui demanda sa fille qui avait assisté en silence à son petit tour de magie.

- Vous connaissez ma réponse, marmonna Harry en la rangeant. Votre mère et moi avons été catégoriques à ce sujet : Si nous avons décidé que votre baguette devait rester au château, ce n'est pas pour que vous fassiez de la magie avec les nôtres.

Harry sentit les sourcils de son aînée se froncer face à ce refus, mais celle-ci n'avait pas encore l'âge de l'audace où l'on tenait front à son père dès lors que l'on jugeait une décision injuste et arbitraire. Elle ne répondit rien, mais la tension qu'il pouvait sentir dans son corps suffisait à comprendre qu'elle n'était clairement pas d'accord avec le choix de ses parents.

Une ombre passa soudainement sur lui, et relevant la tête, il fut surpris de voir à ses côtés Daphné, l'air épuisé et tenant contre elle une petite fille aux cheveux auburn et profondément endormie dont la tête reposait sur son épaule.

- Vous n'avez pas remercié nos hôtes pour la générosité dont ils ont fait preuve à notre égard mademoiselle, maugréa t-elle en plissant légèrement les yeux à sa fille. Vous vous êtes levée de table et êtes partie comme une petite sauvageonne sans un merci pour eux ou pour les boissons fraîches qu'ils nous ont offertes. Votre attitude est inqualifiable.

- Pardon mère…, s'excusa platement Marie-Anne en baissant le regard.

- Ce n'est pas auprès de moi que vous devez vous excuser, répliqua durement Daphné. Allez de ce pas remercier nos gentils hôtes et trouver une excuse à votre conduite.

Leur fille obtempéra sur le champ, et descendant des cuisses de son père, elle se précipita en courant en direction de la porte qu'elle avait passée quelques instants auparavant, manquant de peu au passage de bousculer Tracey qui sortait au même moment.

- En voilà quelqu'un de pressé ! S'amusa t-elle en s'approchant d'eux, le sourire aux lèvres.

- Je pense qu'elle cherchait surtout à s'éloigner du courroux de sa tyrannique de mère et à ne pas lui donner de raison supplémentaire pour l'entretenir, argua avec une pointe de malice Harry.

Daphné le fusilla du regard, mais son mari pouvait voir la commissure de ses lèvres trembler sous l'effort qu'elle faisait de ne pas lui sourire. Harry se redressa finalement, libéré du poids de sa fille, pour se rendre compte brièvement des fourmillements qui parcouraient ses jambes et de la faiblesse qu'il ressentait en elles. Il s'approcha de son épouse, prit grand soin à ne pas réveiller la demoiselle qu'elle portait toujours contre elle avant d'apposer ses lèvres contre les siennes quelques secondes. Sa main gauche elle caressait le petit ventre rond que Daphné arborait depuis quelques mois et qui semblait grossir au fil du temps. Sa femme désirait ardemment que cette quatrième grossesse leur apporte cet héritier tant désiré afin de tirer définitivement un trait sur le garçon mort-né qui aurait dû fêter ses trois ans cette année, mais lui s'en fichait ; Cela ne ferait qu'une troisième fille dans le pire des cas, et s'il avait réussi à survivre jusqu'à maintenant à Marie-Anne et Louise-Félicité, il pourrait très certainement supporter le lourd fardeau que représenterait une autre fille dans leur existence, si celle-ci était aussi belle que sa mère.

- Nous ne devrions pas faire cela en public, marmonna t-elle en rosissant légèrement.

- Vous rougissez comme une jeune fille découvrant les plaisirs de l'amour Madame, nota avec amusement son époux en s'écartant d'elle. Est-ce donc moi qui vous met en émoi?

- Qui d'autre…, maugréa t-elle en levant les yeux au ciel. Mais ne vous avisez pas de recommencer, c'est inconvenant.

Ce fut au tour du prince de Lamballe de rouler des yeux, mais il accepta d'un hochement de tête avant de se saisir précautionneusement de sa fille cadette qu'il maintint contre lui tandis qu'ils s'approchaient de la berline. Antoine, qui avait refait son apparition, ouvrit la porte avant de déplier les courtes marches permettant d'accéder à l'intérieur de la voiture et de présenter sa main aux dames pour leur faciliter l'accès.

- Cette jeune fille a le sommeil lourd, remarqua Harry en dégageant quelques mèches de Louise qui lui tombaient sur le visage. Je me demande si elle ne tiendrait pas cela de votre famille ma chère, auquel cas y aurait-il donc deux malédictions en plus de celle à ne donner que des enfants de sexe féminin à votre époux.

Bien que n'entrapercevant l'intérieur de l'habitacle, Harry était persuadé que sa femme le regardait froidement à ce moment là, mais il s'en amusa encore une fois en lui adressant un clin d'œil malicieux. Au même moment une tornade blonde fit irruption devant lui, et sans attendre qu'Antoine ne l'aide à monter, son aînée monta d'elle-même dans la berline sans se familiariser des convenances. Il soupira, prédisant à l'avance les longs sermons de sa femme à son encontre tout au long du trajet, avant de grimper à son tour et de refermer la porte derrière lui. Au dehors, il pouvait sentir que l'on déplaçait certaines choses autour et sur la voiture, celle-ci trembler lorsque son cocher monta à l'avant pour prendre son poste puis, les rênes en mains, les secouer vivement pour faire avancer les deux chevaux.

- Pourrons-nous aller rendre visite à Tante Rosie? Leur demanda Marie-Anne pour la quatrième fois depuis le départ de Lamballe.

- J'enverrai un coursier chez elle pour savoir si elle réside bien à Paris, et dans l'éventualité où elle s'y trouverait, nous déciderons d'une date pour la rencontrer, lui répondit son père en réajustant le petit bonnet de dentelle de Louise.

- Chic ! Se réjouit t-elle joyeusement.

- Madame la comtesse de Villeneuve est une femme fort occupée, lui rappela sa mère tandis qu'elle baissait les stores des fenêtres pour conserver un minimum de fraîcheur. Elle ne sera pas toujours à votre disposition.

- Réside t-elle toujours rue Saint-Dominique? Les questionna Tracey.

- à moins d'un déménagement à l'improviste et sans prévenir sa famille, oui.

Son salon parisien était l'un des plus réputés de la capitale, et plusieurs fois par semaine, des artistes en tout genre, des écrivains de renom et des politiciens de tout bord se côtoyaient le temps d'un soir pour échanger sur les dernières actualités du pays, les dernières tendances artistiques ou les dernières rumeurs scandaleuses qui secouaient la ville de temps à autre, sous le regard impérieux et charmeur de la maîtresse des lieux. Se rencontraient ainsi des hommes célèbres comme Chateaubriand ou Lamartine, Ingres et Guérin qui ne manquait jamais une occasion pour amener avec lui le jeune Delacroix, d'anciennes gloires du théâtre comme Marguerite Weimer et Eulalie Desbrosses dont la sœur ne ratait jamais l'occasion d'interpréter les plus beaux airs de son répertoire… Sous la supervision d'une jeune fille à peine mariée que l'on admirait pour sa beauté autant que l'on calomniait pour les mœurs dissolues dont on l'accablait à tort. Chacun de ces artistes devenaient subitement un amant pour les petits plaisantins aimant à diffuser les rumeurs les plus abjectes à l'encontre d'autrui, et la nouvelle «Julie de Lespinasse» serait ainsi devenue la maîtresse d'une bonne dizaine d'hommes à la fois si l'on prenait avec sérieux ce qui se disait sur elle.

Harry comme les autres n'accordaient que très peu d'importance à ces rumeurs fortement exagérées, mais il y avait aussi une part de vérité en elle, et il se le reprochait malgré lui ; Son mariage était un échec, et la faute lui en revenait. En qualité de chef de famille, et en raison de l'âge de sa sœur, il avait fallu faire un choix parmi la multitude de prétendants qui se bousculaient pour obtenir sa main. Aucun ne l'aimait pour la jeune femme qu'elle était, mais uniquement pour sa fortune et la dot qu'elle apporterait à son futur époux, et les plus grands noms de la noblesse se bousculaient pour accueillir parmi eux la toute guilleret Marie-Rose de Savoie. Il avait fallu faire un choix, et poussé par les conseils du roi, celui-ci s'était finalement porté sur les de Villeneuve. L'heureux élu était un fidèle de sa majesté, plus vieux qu'Harry et à la conversation agréable, mais l'un comme l'autre n'éprouvait à l'égard de son compagnon qu'une amitié cordiale, polie et frisant l'indifférence. Sa sœur avait apporté à son époux un fils, et c'était ce qui importait. Le reste du temps, le couple vivait éloigné de l'autre, enchaînait les amants et maîtresses et ne se voyait que lors des grandes occasions.

Marie-Rose aurait pu être aussi heureuse en mariage que lui avec Daphné, mais Harry lui avait enlevé cette possibilité en choisissant cet homme pour qui elle n'éprouvait aucun sentiment amoureux. Sa sœur s'y était plié de mauvaise grâce, acceptant l'idée qu'elle n'avait pas son mot à dire dans les unions aux enjeux si importants, noyant son amertume peut-être dans l'animation de ce salon artistique dont elle louait continuellement la réputation et la cordialité qui y régnait à travers les lettres dont elle l'abreuvait fréquemment. Peut-être devrait-il y assister un jour? L'idée de discuter des écrits de Chateaubriand avec l'homme qui se trouvait derrière la plume était intéressante…

- La connaissant, je ne serais pas étonnée si c'était effectivement le cas, gloussa Tracey.

- Tu n'as pas idée des tourments qu'elle cause à notre mère, marmonna Harry en soupirant. Nous la savions incapable de tenir en place, forte tête et obstinée, mais les bruits que l'on entend de ses agissements dans la capitale la font bondir de son fauteuil. Pour peu, elle se précipiterait chez elle par cheminette pour lui tirer l'oreille si le temps et son âge le lui permettaient.

- Grand-maman Louise en serait capable, ricana Marie-Anne tandis qu'elle soulevait légèrement l'un des stores pour regarder le paysage de l'autre côté.

Les champs s'étendaient à perte de vue désormais, découpés parfois par une petite forêt verdoyante qui constellait le paysage de petites nuances colorées qui en rompaient la monotonie. Les paysans s'affrétaient au beau milieu des épis de blé, indifférents envers eux et la berline qui les transportait, mais par prudence, Harry gardait un œil sur eux ; L'année n'était pas encore terminée que de petites révoltes frumentaires agitaient le pays à quelques endroits sans toutefois inquiéter plus que cela les autorités. Mieux valait cependant ne pas tomber sur des groupes de voyous profitant de l'occasion pour détrousser les voyageurs qui comme eux s'aventuraient sur les routes de France en ce mois de Juillet.

- Estimez-vous heureuse qu'elle n'en fasse pas autant avec vous si elle apprenait la manière dont vous vous comportez depuis notre départ de Lamballe, l'avertit sévèrement sa mère assise juste devant elle.

Leur fille rougit de nouveau et baissa les yeux d'un air honteux. Gentiment, Harry aventura sa main dans sa chevelure blonde avant de les ébouriffer sous les plaintes amusées de son aînée.

- J'ai plaisir à imaginer une vieille dame de soixante-huit ans courir après notre aînée de huit ans, dit-il avec gaîté. Ce doit être un spectacle distrayant.

Sa fille souffla d'amusement à cette image, et même Daphné ne put s'empêcher de sourire brièvement.

- En revanche, Grand-mère Lily aurait probablement plus de chance de vous attraper, reprit-il en dardant un regard dans sa direction. Je pense ne pas me tromper en affirmant qu'elle vous bat à la course…

- Elle triche ! Pesta sa fille en croisant les bras. Elle utilise sa magie pour me faire arrêter ou me coller au sol !

- Il vous faut toujours être sur vos gardes face à une sorcière, surtout lorsqu'il s'agit d'elle…

Sa mère vieillissait aussi, mais elle avait encore de très nombreuses années devant elle avant d'emprunter l'inexorable chemin de la vieillesse et des contraintes que cela impliquait. Sa nature était également diamétralement différente de celle de la princesse de Lamballe, et si cette dernière montrait davantage de fermeté et d'autorité à mesure que ses cheveux devenaient blanc, Lily conservait encore la fougue et la vivacité de sa jeunesse aussi longtemps que son corps le lui permettait. L'une inspirait le respect et la crainte à ses filles, l'autre promettait d'un simple regard une après-midi de jeu et de plaisir.

Ses trois enfants devenus adultes, elle ne semblait avoir dès lors pour seul attrait que le soin à procurer à Louise et Anne. Ses occupations ne tournaient qu'autour d'elles, de la nécessité de les rendre heureuse à chaque instant, à les défendre lorsqu'elle jugeait un sermon ou une punition abusive, à imaginer de nouvelles activités pour les distraire, à les promener dans le parc et les consoler de leurs tracas. Sa mère ne faisait rien d'autre alors, ne travaillait pas, ne s'intéressait même plus à l'amour après les désillusions rencontrées et les chagrins causés par les hommes qui se sont succédé dans son cœur, se contentait simplement de vivre par procuration à travers les petites filles égayant sa morne vie. Cette vision n'avait rien de très emballant, mais après les difficultés qui ont jalonné son existence, Harry ne pouvait pas vraiment le lui reprocher.

- Si je savais mieux me servir de ma baguette, c'est moi qui la collerais sur place, affirma Marie-Anne en hochant au passage sa tête.

Trois ricanements se firent entendre de la part des adultes présents, réveillant au passage la petite fille qui commençait à s'agiter dans les bras d'Harry. Deux paires d'yeux se fixèrent quelques secondes, l'une d'elles se cachant à maintes reprises derrière des paupières qui tardaient à s'ouvrir pleinement, avant qu'un sourire ne se dessine sur le visage de la petite duchesse de Gisors.

- Bonjour papa, marmonna t-elle en se frottant les yeux.

- Bien dormi, Pompon? Lui demanda t-il tandis qu'il l'installait entre lui et sa grande sœur.

Sa plus jeune fille plissa les yeux de mécontentement au surnom dont son père aimait l'affubler, mais elle ne lui en tint nullement rigueur et préféra se lancer dans une conversation enjouée avec Anne. Le bonnet que s'était évertué à mettre correctement son père tomba rapidement de ses cheveux, mais sa fille ne semblait nullement le remarquer. Devant eux, les deux dames qui les accompagnaient pour ce périple échangeaient également entre elles, indifférentes à ce qui se passait. Satisfait de cette tournure, Harry jugea bon de se replonger dans ses affaires privées. Il se baissa légèrement, chercha la poignet du petit tiroir incrusté sous la banquette avant de l'ouvrir et d'y prendre les documents qui s'y trouvait. De son autre main, il abaissa le panneau de bois qui masquait en temps normal sa fenêtre, le laissa pendre devant lui comme un plateau avant d'y déposer ce qu'il venait de se procurer. La luminosité nouvelle de l'habitacle ne le gênait guère, mais il se servit toute de même de sa baguette pour rafraîchir l'air qui s'engouffrait dans la berline.

Sa main jouait à présent distraitement avec une plume, l'encrier se trouvant sur ce même plateau brinquebalant au gré de l'âpreté de la chaussée. Ses yeux se fixaient sur les notes installées devant lui qu'il tentait de lire malgré les conversations se déroulant à proximité, mais son esprit ne parvenait à se concentrer pleinement sur eux. Ses doigts jouaient avec le papier qu'il triait sans trop savoir pourquoi, remuait sans raison et glissait l'un derrière l'autre sans se préoccuper des annotations jointes à lui sur le degré d'importance à lui accorder.

Son petit jeu s'interrompit lorsqu'il eut entre les mains un papier plié grossièrement dont le sceau de cire avait été décacheté depuis un moment et que l'on n'avait pas pris la peine de refermer correctement. Ses sourcils se froncèrent, mais ce n'était pas part perplexité ou questionnement sur son origine. Il connaissait la provenance de cette lettre, connaissait l'origine de son destinataire ainsi que celle de son expéditeur, mais il ne tenait pas à l'ouvrir ; La personne à l'origine de cette lettre ne lui inspirait pas le moindre sentiment de sympathie, pas la moindre envie d'en savoir plus sur elle et sur ses aventures à l'autre bout de la terre, pas la plus petite émotion quant aux récits sur ses voyages en compagnie de ses deux camarades d'expédition. Sa mère pouvait penser ce qu'elle voulait de la situation, pouvait essayer de raccommoder des liens aussi distendus, se faire l'arbitre d'un duel dont il ne voulait pas prendre part, Matthew Potter était pour lui un étranger comme un autre, un homme dont il partageait en partie le même sang mais où le jeu des ressemblances s'arrêtaient là. Ce n'était pas en glissant dans son courrier personnel la correspondance qu'elle entretenait avec lui qu'il se sentait l'envie d'en savoir plus sur son demi-frère, bien au contraire. Harry ne l'aimait pas, et Matthew en faisait autant de son côté. Les deux frères se trouvaient sur des continents différents à l'heure actuelle, et c'était bien comme ça. Le seul moment de rapprochement entre eux avait été ce soir fatidique du 31 octobre où le sauvetage de Lily avait été leur unique obsession, mais trop de différences, trop peu de moments passés ensemble, aucune attache l'un envers l'autre avaient creusé un fossé gigantesque que rien ne pourrait combler.

Quant à James… le simple fait de le savoir dans un asile, durablement atteint par les tortures pratiquées par Voldemort contre lui pendant les derniers mois de son règne de terreur lui procurait malgré lui et malgré la honte qu'il devrait ressentir de penser cela le sentiment que le destin l'avait enfin vengé de ce père violent. Le siège Potter était pour le moment toujours vacant au Magenmagot, tant que Matthew ne se jugeait pas capable de pouvoir s'y asseoir et restaurer l'éclat et l'influence de sa maison parmi toutes les autres. Harry avait le sentiment qu'en s'aventurant aussi loin en Amérique, son frère cherchait à fuir cette responsabilité qui allait tôt ou tard lui incomber, mais il lui faudrait un jour revenir en Angleterre remplir les obligations pour lesquelles il avait été préparé.

- Ohoh ! Regardez père ! Qu'elles sont drôles !

Tournant la tête, Harry remarqua que ses filles se tenaient face aux stores légèrement remontés de la fenêtre et observaient l'agitation qui avait lieu à l'extérieur. Leur berline avait également ralenti l'allure, et intrigué, il s'approcha également pour mieux regarder ce qui semblait les amuser. Un troupeau de vaches occupait une partie de la chaussée, meuglant bruyamment alors qu'elles les regardaient passer de cet air un peu curieux propre aux bovins. Les petites duchesses les appelaient en gloussant, les saluaient d'un geste de la main ou s'attardaient sur les tâches de certaines en imaginant qu'elles représentaient quelque chose.

Leur père les laissa faire sans réagir, amusé de leur bonne humeur contagieuse. La paternité était vraiment une chose fascinante et merveilleuse à ses yeux, un plaisir qui aurait pu en un autre temps lui être ôté si Dumbledore avait véritablement mis ses menaces à exécution et l'avait éliminé ce soir là. Aujourd'hui, lui se trouvait libre d'aller et venir où il le souhaitait quand l'autre se trouvait entravé dans ses mouvements par les chaînes le maintenant relié aux solides et épais murs de la prison d'Azkaban. Harry avait surtout la satisfaction de se dire qu'il avait œuvré à cette situation, que son témoignage, celui de Remus, de Lily, de toutes les personnes ayant des griefs contre lui, ont pesé lourd dans les différents chefs d'inculpation portés à son encontre. Il avait cependant fallu attendre que le gouvernement anglais daigne payer lourdement le transfert du prisonnier qu'était devenu Albus Dumbledore pour son homologue français pour qu'un procès ait véritablement lieu, mais la décision prise à l'encontre de l'ancien directeur de Poudlard valait son pesant d'or. Isolé sur son île, le vieil homme y finirait probablement ses jours, à la fois abandonné de tous et par le poids des années et de ses conditions de détention.

Tendrement, il baissa sa tête pour baiser celles des duchesses s'extasiant toujours de la vue des multiples vaches dehors puis retourna à sa place, soupira longuement avant de s'accorder une petite sieste.

La route promettait d'être encore longue, mais il avait toute la vie devant lui pour voir jusqu'où celle-ci le mènerait.


A/N: Chapitre et histoire terminés. ça va me faire tout drôle de changer le statut de cette fiction de "en progrès" à "complète". Il aura fallu près de neuf ans pour la terminer, et je doute que le moi de cette époque ait pu imaginer qu'elle prendrait autant de temps avant de pouvoir la clôturer définitivement ^^.

Je m'attèlerai maintenant à corriger et modifier peut-être certains chapitres, à les retravailler le cas échéant, mais vous avez le squelette quasiment définitif de cette histoire.

J'espère en tout cas que cet ultime chapitre vous aura plu. Si j'ai tardé à le publier, c'était surtout en raison d'une non-satisfaction lors de sa première ébauche; je l'ai en grande partie réécris cette semaine car j'avais du mal dans la manière d'aborder certains sujets, à les inscrire naturellement sans donner l'impression de mal les incorporer.

Comme indiqué, le chapitre ne se déroulait pas immédiatement après mais 10 ans plus tard. Le sauvetage de Lily ne me paraissait pas mériter autre chose qu'un paragraphe, et j'avais l'idée d'une réunion de famille bien des années après depuis le commencement même de cette fiction ; Au final même cette idée a été un peu mise de côté pour un voyage en berline, mais je préfère celle-ci avec beaucoup de recul.

Je ne voyais pas non plus une véritable happy ending pour cette histoire, les deux frères qui se rabibochent, tout le monde s'embrasse et on oublie le passé d'un claquement de doigt. Chaque personnage garde une petite part d'ombre, des décisions malheureuses et des perspectives qui peuvent les opposer. Il fallait aussi tenir compte de certains paramètres comme l'inéluctable question de la période pour certaines décisions (notamment le mariage de Rosie) ou contexte à ne pas modifier (La période de la restauration avec Louis XVIII au pouvoir).

Je me suis aussi un peu inspiré de mes lectures pour imaginer le futur de certains personnages, en particulier pour Rosie et le salon qu'elle tient à Paris dans la pure tradition de ceux du XVIIIe siècle tenus par Madame du Deffand, Madame Geoffrin ou encore Julie de Lespinasse. Je me suis plu effectivement à l'imaginer en salonnière tenant la dragée haute à certaines pointures de l'époque ^^.

Bon eh bien, je pense qu'il est temps de se dire au revoir. Je remercie sincèrement les gens qui, à travers ces années, ont au moins une fois lu cette fiction, m'ont fait l'honneur de me laisser un commentaire (voire davantage ^^, j'ai plusieurs pseudos en tête particulièrement), positif ou négatif, en français ou dans une autre langue (désolé à ceux-là si je ne vous ai pas répondu, disons que par moment mon anglais me faisait honte), ont montré l'intérêt qu'ils avaient pour cette histoire par un suivi ou un favori, bref, merci à tous d'avoir supporté les petites alertes dans vos boîtes mail lorsqu'il m'arrivait de publier un chapitre !

C'est donc un au revoir, pas un adieu (qui sait?), et je vous souhaite beaucoup de bonnes choses pour la suite !

à bientôt !

PS: Je vous laisse éventuellement la petite note informative qui me servait pour l'écriture de ce chapitre concernant la chambre des pairs, histoire que vous sachiez un peu plus en détail ce que signifiait être pair de France pour Harry.


NOTE POUR L'ÉPILOGUE :

Harry → Pair de France (a 28 ans, Matthew 26 et Rosie 24).

Siège à la chambre des pairs (chambre haute) en opposition à la chambre des députés (chambre basse).

La chambre des pairs en 1817 : assemblée exclusivement réservée à la noblesse (200 membres). On y trouve des ultras (monarchistes convaincus, radicaux, nostalgiques de l'ancien régime et au rétablissement de la monarchie absolue) et des constitutionnels (modérés, favorables à la séparation des pouvoirs). Se mélangent également des représentants de l'ancienne noblesse et celle instituée par Napoléon.

Les membres sont élus à vie.

Durant cette période, les Pairs de France examinaient les textes de loi mais ils avaient aussi une fonction de juges. Le Palais du Luxembourg abrita plusieurs procès pour atteinte à la sûreté de l'Etat.

Parmi ces parlementaires, on retrouve des familles nobles mais aussi des personnages historiques (comme Victor Hugo en 1845).